LES 20 PRINCIPES
La pédagogie Charlotte Mason est vivante. Sa mise en place sera toujours différente d’une famille à une autre, d’un éducateur à un autre. Il ne s’agit là que de variations pratiques. Les principes sont solides et eux seuls doivent être vos guides.
Par ailleurs, dans la préface du Volume 2, Parents et enfants, Charlotte Mason écrit : « Croyant que l’individualité des parents est une grande richesse pour leurs enfants, et sachant que lorsqu’une idée possède l’esprit, les façons de l’appliquer se suggèrent, j’ai essayé de ne pas alourdir ces pages de nombreuses directions, propositions pratiques et autres béquilles de ce type, susceptibles de nuire aux relations libres des parents et de l’enfant. » Elle a, de ce fait, établi 20 principes énuméré dans son sixième livre sur l’éducation, afin d’aider les parents et les éducateurs à prendre des décisions pratiques tout en restant dans le cadre de sa pédagogie. Gardez à l’idée que ces 20 principes sont interconnectés et que, par conséquent, l’un ne fonctionne pas sans l’autre.
Nous vous invitons également à écouter les podcasts d’Un festin d’idées sur le sujet des principes :
Les 20 principes de Charlotte Mason et leur analyse
De 2022 à 2024, l’équipe de Charlotte Mason France a proposé chaque mois l’étude des 20 principes sur le groupe Facebook et la page Instagram. Ayant considéré que ce travail était d’une grande richesse, nous les partageons également sur le site.
Principe n°1
Les enfants sont des personnes dès la naissance.
Principe n°2
Les enfants ne naissent ni bons ni mauvais, mais avec le pouvoir de faire le bien ou le mal.
Principe n°3
Les principes d’autorité, d’une part, et d’obéissance, d’autre part, sont naturels, nécessaires et fondamentaux ; mais…
Principe n°4
… ces principes sont limités par le respect dû à la personnalité des enfants, à laquelle nous ne devons pas porter atteinte, que ce soit par l’usage direct de la peur ou de l’amour, de la suggestion ou de l’influence, ou en jouant de façon excessive sur leurs désirs naturels.
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l’approbation : ce désir naturel de vouloir être apprécié et reconnu. Le problème surgit quand la vanité s’en mêle et que la personne désire l’approbation à tout prix – du vertueux ou de l’indigne, la gloire ou l’infamie, peu importe.
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l’émulation qui nous pousse à imiter une personne que l’on admire ne pose pas de problème. Mais quand elle crée en nous le désir de surpasser les autres, quand elle crée la compétition. L’enfant apprend alors non pas pour la connaissance en elle-même, mais pour obtenir une meilleure note que l’autre, pour être distingué.
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l’avarice : l’idée que l’enfant doit avoir une bourse d’étude. « Ce culte délibéré de la cupidité est désastreux ; car il ne fait aucun doute qu’ici et là nous arrivons à un appauvrissement de la personnalité dû à une vie intellectuelle affaiblie ; le garçon n’a pas appris à se réjouir de la connaissance dans ses études et l’homme est superficiel d’esprit et fantasque dans le jugement. »
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l’ambition : « Le pouvoir est bon dans la mesure où il donne des occasions de servir ; mais il est malicieux chez le garçon ou chez l’homme lorsque le plaisir de gouverner, de gérer, devient un ressort d’action défini. » […] « Il est du ressort de l’enseignant d’offrir des ambitions saines à un garçon, de lui donner envie de maîtriser les connaissances plutôt que de diriger les hommes ; et ici il a un vaste champ sans empiéter sur la réserve d’autrui. »
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la connaissance : « Il se trouve que le dernier désir à considérer, le désir de connaissance, est communément privé de ses fonctions dans nos écoles. Notre pensée d’éducation est tellement folle que nous croyons que les enfants considèrent la connaissance comme un remède répugnant plutôt que comme une nourriture invitante. D’où notre dépendance aux notes, prix, sports, présentations attrayantes, tout ce que nous pouvons imaginer pour cacher la poudre du médicament. »
Principe n°5
Par conséquent, nous sommes limités à trois instruments éducatifs : l’atmosphère de l’environnement, la discipline d’habitudes et la présentation d’idées vivantes. C’est ce que signifie la devise du P.N.E.U. : « L’éducation est une atmosphère, une discipline et une vie. »
Selon le dictionnaire, « une devise est une phrase courte ou une expression symbolique décrivant les motivations ou les intentions d’un individu, d’un groupe social, d’une organisation ou d’une institution, qui la choisit pour suggérer un idéal, comme règle de conduite ou pour rappeler un passé glorieux. »
Tout comme la devise de la République française « Liberté, Égalité, Fraternité », celle de la communauté Mason se compose de trois valeurs fortes que nous développerons les mois prochains au sein des principes 6, 7 et 8 : une atmosphère, une discipline et une vie.
Principe n°6
Lorsque nous disons que l’éducation est une atmosphère, nous ne voulons pas dire qu’un enfant doit être isolé dans ce que l’on peut appeler un « environnement enfantin », spécialement adapté et préparé, mais que nous devons tenir compte de la valeur éducative de l’atmosphère naturelle de son foyer, à la fois en ce qui concerne les personnes et les choses, et le laisser vivre librement dans ses propres conditions. Nous abrutissons un enfant en abaissant son monde à un niveau infantile.
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tout d’abord le fait que l’atmosphère n’est pas quelque chose d’artificiel, créé spécialement pour l’enfant. Charlotte Mason recommandait de ne pas mettre nos enfants dans des cages dorées, de ne pas les couper du monde. Voir ses parents tristes, faire face aux conflits, à la mort d’un animal ou d’un proche, à l’adversité, à des choses qui pourraient le rendre anxieux, etc., fait partie de la vie et sont autant d’apprentissages pour l’enfant. Ils ont besoin d’expérimenter le bon comme le mauvais.
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Ensuite, que nous devons tenir compte de la valeur éducative de l’atmosphère naturelle de notre foyer. L’atmosphère naturelle est comme l’atmosphère de notre Terre, elle nous entoure et nous la respirons. L’atmosphère d’un foyer est donc l’élément naturel dans lequel baigne l’enfant et qui l’inspire.
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Cette atmosphère concerne les personnes et les choses. En tant que parent, nous sommes responsables de l’environnement dans lequel grandissent nos enfants, aussi bien en terme d’espace et d’objets (à ce sujet, CM était plutôt « minimaliste », tournée vers le beau et l’utile), qu’en terme de valeurs prônées par notre éducation. Nous sommes responsables de ce que nous insufflons dans notre maison – le souffle de vie –, des idées et des pensées qui « flottent dans l’air ».
Principe n°7
Par l’éducation est une discipline, nous entendons la discipline des habitudes, formées de façon définitive et réfléchie, qu’il s’agisse d’habitudes de l’esprit ou du corps. Les physiologistes ont démontré que le cerveau s’adapte à nos pensées et c’est ce qui forme les habitudes.
Principe n°8
En disant que L’ÉDUCATION EST UNE VIE, nous sous-entendons les besoins de nourriture intellectuelle, morale et physique. L’esprit se nourrit d’idées, et les enfants devraient donc avoir un programme généreux.
Principe n°9
Nous considérons que l’esprit de l’enfant n’est pas un simple sac destiné à contenir des idées ; mais est plutôt, si vous permettez l’image, un organisme spirituel, avec un appétit pour toute connaissance. C’est l’alimentation appropriée pour l’esprit, celle qu’il est capable de prendre, digérer et assimiler comme le corps le fait avec des aliments.
Principe n°10
La doctrine herbartienne met le fardeau de l’éducation – la préparation des connaissances avec des morceaux alléchants, présentés dans l’ordre approprié – sur l’enseignant. Les enfants instruits selon ce principe risquent de recevoir beaucoup d’enseignements avec peu de connaissances ; et l’axiome de l’enseignant est : « Ce qu’un enfant apprend importe moins que la façon dont il l’apprend. »
Principe n°11
Nous estimons que l’enfant normal a les pouvoirs d’esprit requis pour gérer toutes les connaissances qui lui sont propres. C’est pourquoi nous devons lui donner un programme complet et généreux, veillant seulement à ce que toutes les connaissances qui lui sont offertes soient vivantes, c’est-à-dire que les faits ne soient pas présentés sans leur contexte.
Ce 11e principe est le premier d’un trio sur ce que CM appelle « la science des relations » (abordée dans les principes 11, 12 et 13). Cette science des relations est l’idée capitaine qui devrait diriger nos esprits d’éducateurs lorsque nous imaginons le festin d’idées que nous présentons aux enfants (et à nous même je dirais aussi!). Cette idée que tout ce que nous absorbons avec notre esprit sera ensuite mélangé avec notre cerveau afin de créer des connexions complexes et intelligentes, nous menant naturellement vers un esprit plus critique et des capacités de réflexions et d’échanges avec l’autre.
CM nous dit ici trois choses particulièrement importantes : tout d’abord que l’enfant est capable. Dans la continuité de l’affirmation qui dit que l’enfant est une personne à respecter en tant que tel dès sa naissance, la nourriture à proprement parlé, tout comme la nourriture mentale et spirituelle que nous lui offrons, en tant que parents et/ou éducateurs, se doit d’être saine et de qualité mais surtout adaptées à sa personne (et non pas des ressources imaginées et conçues spécialement pour de petites personnes incomplètes !) Parce qu’il est capable d’aborder et d’intégrer toutes ces notions, nous nous devons donc de lui offrir le meilleur (en terme de qualité donc). Ceci sous entend que ce respect de l’enfant passe par une observation fine et attentive de la part de l’adulte, qui sait et qui jauge des possibilités de l’enfant à l’instant où le programme lui ai présenté, afin de ne pas l’insulter d’une part, ni de le soumettre à de trop grandes difficultés d’autre part (les parents d’enfants sensibles ne savent que trop ce que l’un ou l’autre peuvent créer en terme de blocages).
La deuxième chose importante à noter ici, c’est la notion de quantité. CM nous parle d’un programme complet et généreux. Ici encore le mieux peut être l’ennemi du bien et il faut se garder ici de suralimenter les enfants tout comme nous veillons à ne pas trop remplir leurs assiettes afin qu’ils puissent les finir et pourquoi pas, se resservir ! Il y a un équilibre très important à trouver je pense, car CM a souvent dit quelque chose qui m’a toujours marqué et aidé : les enfants doivent avoir beaucoup de temps libre (à l’extérieur!) pour jouer et s’occuper à leurs propres centres d’intérêts. Il y a donc encore une fois une nécessité d’observation bienveillante envers eux, afin de répondre à leurs besoins d’activité ou de non activité lorsque nous préparons des programmes et/ou que nous organisons les journées.
La dernière chose à retenir est bien l’un des piliers de cette philo-pédagogie : les connaissances offertes doivent être VIVANTES, c’est à dire pas de faits sans leur contexte, pas de dates sans leurs histoires, pas de noms complexes sans leurs anecdotes étymologiques, pas de faits scientifiques sans leurs expérimentations dans le vrai monde etc etc etc cette idée ramène d’ailleurs à la notion de générosité qui nous devrait nous guider dans nos propositions éducatives.
Principe n°12
… L’ÉDUCATION EST LA SCIENCE DES RELATIONS ; c’est-à-dire qu’un enfant a des relations naturelles avec un grand nombre de choses et de pensées : nous le formons donc à l’aide d’exercices physiques, de nature, de travaux manuels, de science et d’art, et de nombreux livres vivants, car nous savons que notre responsabilité n’est pas de tout lui apprendre sur tout, mais de l’aider à valider autant que possible « les affinités innées qui modèlent notre nouvelle existence aux choses existantes. »
Vous avez déjà vu votre enfant découvrir ou comprendre quelque chose de totalement nouveau pour lui ? Il a les yeux qui pétillent et un grand sourire éclaire son visage.. Pourquoi ? Bien souvent, parce qu’il a mis cette nouvelle découverte en lien avec quelque chose qu’il connaît. On voit ça dès leur plus jeune – mon fils de 4 ans me dit bien souvent : « Ah ! C’est comme … ! »
Voilà la science des relations. Notre rôle dans l’histoire consiste à nourrir l’enfant en lui présentant un curriculum riche et complet. Nous n’avons pas besoin de « mettre en scène » ces relations en arrangeant le programme d’études. L’enfant mettra lui-même les idées qu’il rencontre bout à bout au moment opportun. Et le fait qu’il fasse lui-même le lien lui permettra de bien mieux l’intégrer que si le travail lui a été prémaché. Comme Charlotte Mason le dit dans ce principe, nous n’avons pas à tout lui apprendre sur tout, mais à lui présenter un festin d’idées grâce aux livres vivants.
Il peut être difficile de ne pas l’aider à faire le lien entre deux leçons… mais laissons-le développer ses relations à son rythme, elles n’en seront que plus profondément ancrées !
Principe n°13
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« un enfant normal, quelle que soit sa classe sociale » : j’aime le fait que Charlotte Mason insiste sur le peu d’importance qu’a la classe sociale dans l’éducation d’un enfant. Nous avons déjà discuté de la pédagogie Mason comme d’une pédagogie élitiste, mais j’aime à dire que c’est une pédagogie élitiste au service du « petit peuple », et plus largement, de « tous les peuples ». Dans ce principe, Mason marque l’universalité de sa méthode éducative.
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L’enfant « a besoin de beaucoup de connaissances » : et par beaucoup, Charlotte Mason entend différents types de connaissances comme nous mangeons différents types d’aliments. Nous mangeons des fruits, des légumes, de la viande, des œufs, du fromage, etc. L’esprit nécessite tout autant un régime varié et complet. Charlotte Mason décrit trois grandes catégories dans son volume 6 : la connaissance de Dieu (spiritualité), la connaissance de l’homme (histoire, littérature, langage sous toutes ses formes, morale, économie, art) et la connaissance de l’univers (sciences, géographie, mathématiques, travaux manuels et formation du corps).
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« Les connaissances doivent être diverses… » pour créer l’appétit : c’est une erreur de penser que plus il y a de sujets, plus le travail est difficile. C’est le contraire qui se produit, « car la variété apporte un rafraîchissement ». Insister sur les maths et la grammaire ou ne résumer notre festin qu’à ces deux principaux sujets est une erreur. On imagine que, parce que ces matières nous prennent tant de temps, il nous est impossible d’ajouter autre chose au risque de trop fatiguer nos enfants (ou de devenir chèvre nous-mêmes), or c’est l’inverse qui se produit ! Je ne compte plus le nombre de personnes qui m’ont dit que depuis qu’elles avaient mis en place des leçons courtes et variées, les matinées de travail passaient plus vite et étaient plus agréables, efficaces et productives ! « Ce n’est pas le nombre de matières, mais le temps de travail qui fatigue l’élève. »
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« Une langue bien choisie » : notre principale responsabilité est de choisir les bons livres qui constitueront l’assiette éducative du festin de connaissances de nos enfants. Charlotte Mason indique ici que la façon dont le texte est écrit a une grande importance car c’est lui qui est vecteur des idées, c’est la forme littéraire qui permet aux connaissances de passer le « goulot étroit » de l’esprit et d’être assimilées. Une autre citation du volume 6 que voilà me parle beaucoup : « La littérature, dans ce qu’elle a de meilleur, est toujours directe et simple, et un enfant normal de six ans écoute avec ravissement les récits de l’Ancien et du Nouveau Testament qui lui sont lus passage après passage, et qu’il narre ensuite. » Je comprends d’autant plus cette citation que nous lisons la Bible avec mes enfants (bien que nous ne nous revendiquions pas d’une religion), et ces dernières semaines je leur lis Le Feuilleton de Tsippora de Murielle Szac qui me laisse parfois un peu perplexe. Il y a quelques jours, j’ai justement pensé « tant de mots pour si peu ». La Bible a une incroyable force : en peu de mots elle nous frappe d’idées, de morale, de réflexions conscientes ou inconscientes. Je crois que c’est la force de tout bon livre bien écrit, il n’y a pas besoin d’en faire « des tonnes » pour être touché. En fait, les livres vivants ne sont pas nécessairement de gros pavés (ils peuvent l’être hein ! La lecture de la Bible prend plusieurs années en la lisant à un rythme de 15 mn chaque jour), mais ils ne se déterminent pas par leur nombre de pages, mais par leur puissance littéraire et leur capacité à nourrir l’esprit.
Principe n°14
Principe n°15
En agissant sur ces points et sur d’autres points du comportement de l’esprit, nous constatons que l’éducabilité des enfants est énormément plus grande qu’on ne le pensait jusqu’à présent, et qu’il dépend très peu des circonstances telles que l’hérédité et l’environnement.
L’exactitude de cette affirmation n’est pas non plus limitée aux enfants intelligents ou aux enfants des classes éduquées : des milliers d’enfants dans les écoles élémentaires répondent librement à cette méthode basée sur le comportement de l’esprit.
Principe n°16
Principe n°17
La Voie de la Volonté. – Il faut enseigner aux enfants
- À faire la distinction entre « je veux » et « je ferai ».
- Que la voie de la volonté, pour être efficace, doit se détourner des pensées qui tendent vers ce que nous désirons, mais que nous ne devrions pas faire.
- Que la meilleure façon de détourner nos pensées est de penser ou de faire quelque chose de très différent, divertissant ou intéressant.
- Qu’après ce moment de repos, la volonté reprendra son travail avec une vigueur nouvelle. (La diversion est une aide à la volonté dont la fonction est de nous soulager, pendant un moment, de l’effort de la volonté, afin que nous puissions « vouloir » à nouveau avec une force renouvelée. L’utilisation de la suggestion comme aide à la volonté est déconseillée car elle tend à saper et à stéréotyper le caractère. Il semblerait que la spontanéité soit une condition du développement et que la nature humaine ait autant besoin de la discipline de l’échec que de celle du succès.)
Le rôle du parent et de l’enseignant est de jouer un rôle proactif dans l’éducation morale et intellectuelle des enfants. Et, de ce fait, doit lui fournir les clés de compréhension de cette voie de la volonté. Charlotte Mason nous dit dans le 8ème chapitre de son sixième volume :
« Les grandes choses de la vie, la vie elle-même, ne sont pas faciles à définir. La Volonté, nous dit-on, est « la seule faculté pratique de l’homme ». Mais qui définit la volonté ? On nous répète que « la Volonté est l’homme » ; et pourtant la plupart des hommes traversent la vie sans un seul acte de volonté défini. L’habitude, les conventions, les coutumes du monde ont tant fait pour nous que nous nous levons, nous habillons, déjeunons, suivons nos occupations matinales, nos relaxations ultérieures, sans acte de choix. Pour cela, en tout cas, nous connaissons la volonté. Sa fonction est de choisir, de décider, et il ne semble pas y avoir de doute que plus l’effort de décision devient grand, plus la volonté générale s’affaiblit. Des avis nous sont fournis, nous prenons nos principes en second ou en troisième lieu, nos habitudes sont convenables et commodes, que faut-il de plus pour une vie décente et ordonnée ? Mais la seule réalisation possible et nécessaire pour chaque homme est le caractère ; et le caractère est un métal finement travaillé, mis en forme et en beauté par l’action répétée et habituelle de la volonté. Nous qui enseignons devons nous dire clairement que notre but en éducation est moins la conduite que le caractère ; on peut arriver à la conduite, comme nous l’avons vu, par des voies indirectes, mais elle n’a de valeur pour le monde que parce qu’elle a sa source dans le caractère. » (volume 6, pp. 128-129)
Pour ce faire, l’éducateur se doit « de donner à chaque enfant un réservoir complet de la bonne pensée du monde dans laquelle puiser. » (p. 130)
Et ce réservoir se trouve dans les livres de qualité littéraire : « Dans ses cours d’histoire et dans ses lectures de contes et de poèmes, il rencontre des personnes dont chacune porte son propos avec une forte volonté. Il se moque de ce jeune Phaéton téméraire, mesure Ésaü d’un œil attentif, le trouve plus attirant que Jacob qui gagne pourtant une plus grande approbation ; perçoit qu’Ésaü est volontaire mais que Jacob a une forte volonté, et à travers cet exemple et bien d’autres, reconnaît qu’une volonté forte n’est pas synonyme d’« être bon », ni de détermination à suivre sa propre voie. Il apprend à répartir les personnages qu’il rencontre dans sa lecture de part et d’autre d’une ligne, ceux qui sont volontaires et ceux qui sont gouvernés par la volonté ; et cette ligne ne sépare en aucun cas le mal et le bien. » (volume 6, p.132)
Par ailleurs, nous devons habitué l’enfant à se demander ce qu’il en a pensé. Puis l’habituer à se demander : « ce qu’Il en a pensé. » Sous-entendu Dieu. Car il est le seul garant de la morale.
« Il est bon que les enfants sachent que si la personne turbulente n’est pas du tout gouvernée par la volonté mais par l’impulsion, le mouvement de ses passions ou de ses désirs, il est cependant possible d’avoir une volonté constante avec des fins indignes ou mauvaises, ou même avoir une volonté ferme vers une bonne fin et des moyens indignes comme boussole vers cette fin. La simple volonté rectifiée, ce que notre Seigneur appelle « l’œil unique », semble être la seule chose nécessaire à une vie droite et serviable. » (volume 6, pp. 132-133)
« Le garçon doit apprendre aussi que la volonté est sujette à des sollicitations tout autour, de la convoitise de la chair et de la convoitise de l’œil et de l’orgueil de la vie ; cette volonté n’agit pas seule ; il faut que l’homme tout entier veuille et l’homme veut sagement, avec justice et force, à mesure que tous ses pouvoirs sont en formation et en instruction. Il faut comprendre pour vouloir. » (volume 6, p. 133)
Par ailleurs, dans son article intitulé « Opinions et principes » publié dans The Parents’ Review en 1910, Charlotte Mason écrit que la voie de la volonté entend la formation d’opinions propres sans nous laisser à la merci « du vent qui souffle au hasard » :
« Le garçon doit apprendre le chemin de la Volonté, doit se rendre compte que le travail de choix est sur lui chaque jour et toute la journée. Il doit savoir que l’ordre de lui-même, la juste coordination de tous ses pouvoirs appartiennent à la Volonté ; que la Volonté n’est ni morale ni immorale ; que la fonction de la volonté est de choisir ; que le choix ne se situe pas entre des choses, des circonstances ou des personnes, mais entre des idées ; qu’un acte de Volonté évolue à partir d’une longue préparation de l’intelligence, des affections et de la conscience ; que ce qui semble être des actes de volonté immédiats n’est en réalité que l’application de principes et d’opinions qui se sont lentement formés ; que les opinions intellectuelles aussi bien que les principes moraux appartiennent à la sphère de la Volonté. Il doit savoir que la Volonté ne s’affirme pas par la lutte mais par un détournement de la pensée, à répéter aussi souvent que l’impulsion errante se renouvelle. Il lui appartient de savoir tout ce qu’il peut sur cette faculté pratique unique de l’homme parce que la tâche qui nous attend à tous est de travailler à notre propre salut à partir des habitudes de base du corps, des habitudes d’esprit lâches, des affections démesurées de jugements moraux avilis et conventionnels ; et la volonté est l’instrument par lequel nous pouvons travailler. »
Etant donné que l’effort de décision est important, voilà ce que nous pouvons faire pour aider notre volonté : « Lorsque la volonté surmenée demande du repos, elle peut ne pas se relâcher pour céder, mais peut et doit chercher la récréation, la distraction (…). Un changement d’occupation physique ou mentale est très bien, mais si aucun autre changement ne convient, pensons à une autre chose, aussi insignifiante soit-elle. Une nouvelle cravate, ou notre prochain nouveau chapeau, un livre d’histoire que nous sommes en train de lire, un ami que nous espérons voir, tout fait tant que nous ne nous suggérons pas les pensées que nous devons penser sur le sujet en question. La volonté ne veut pas l’appui d’arguments mais la recréation du repos, du changement, du détournement. En un temps étonnamment court, elle est capable de revenir à la charge et de choisir ce jour-là le chemin du devoir, aussi insipide ou ennuyeux, difficile ou dangereux soit-il. Cette « voie de la volonté » est un secret de pouvoir, le secret de l’autonomie qui nous gouverne, dont les gens devraient être fournis, non seulement pour la facilité dans la pratique juste, ou pour avancer dans la vie religieuse, mais aussi pour leur bien intellectuel. Notre revendication du libre arbitre est une revendication juste; la volonté ne peut être que libre, que son objet soit juste ou faux; c’est une question de choix et il n’y a d’autre choix que le libre choix. Mais nous sommes susceptibles de traduire le libre arbitre en libre pensée. Nous nous permettons de sanctionner l’anarchisme intellectuel et oublions qu’il repose sur la volonté d’ordonner pleinement les pensées de l’esprit autant que les sentiments du cœur ou les convoitises de la chair. Nos pensées ne sont pas les nôtres et nous ne sommes pas libres de penser comme nous le souhaitons. » (volume 6, pp. 136-137)
Principe n°18
La Voie de la Raison. – Nous devons aussi enseigner aux enfants à ne pas « s’appuyer » (avec trop d’assurance) « sur leur sagesse », car la raison a pour fonction de faire une démonstration logique :
- de la vérité mathématique ;
- d’une idée initiale, acceptée par la volonté.
Dans le premier cas, la raison est pratiquement un guide infaillible, mais dans le second, elle n’est pas toujours sûre ; car, que cette idée soit bonne ou mauvaise, notre raison la confirmera en utilisant des preuves irréfutables.
Les enfants doivent apprendre à ne pas trop s’appuyer sur leur propre raisonnement. « La raison, comme toutes les autres propriétés d’une personne, est sujette à l’habitude et travaille sur le matériau qu’elle a l’habitude de manipuler. » (volume 6, p. 147)
Qu’est-ce que cela signifie ? Que lorsque nous voulons quelque chose, notre raisonnement est capable de développer une vingtaine d’arguments en faveur de ce que nous voulons. Et ce que nous pensons être « raisonnable » est en fait soumis à l’influence de notre volonté.
« Il verra que la raison fonctionne involontairement ; que tous les beaux pas se succèdent dans son esprit sans aucune activité ni intention de sa part; (…) mais, hélas, s’il choisit d’avoir une idée fausse, il sonne pour ainsi dire la raison, qui renforce sa mauvaise intention par une vingtaine d’arguments prouvant que le mal est juste. » (volume 6, pp. 142-143)
« Une juste reconnaissance de la fonction de la raison devrait être une aide énorme pour nous tous dans les jours où l’air est plein d’erreurs, et quand notre modestie personnelle, qui devient le respect d’autrui qui est propre à des natures bien ordonnées, jeunes ou vieilles, nous pousse à accepter des conclusions dûment soutenues par l’opinion publique ou par ceux dont nous apprécions les opinions. » (volume 6, p.143)
« Nous sommes donc à la merci du doctrinaire en religion, du démagogue en politique et, osons-le dire, du rêveur en science ; et nous pensons sauver nos âmes en étant au premier rang de l’opinion de l’un ou l’autre. Mais pas si nous avons grandi conscients de la beauté et de l’émerveillement de l’acte de raisonner, ainsi que des limites qui l’accompagnent. » (volume 6, p. 144)
« Les enfants doivent savoir que nous ne pouvons prouver aucune des grandes choses de la vie, pas même que nous vivons nous-mêmes ; mais nous devons nous fier à ce que nous savons sans démonstration. Nous savons aussi, et cette autre certitude doit leur être imposée, que la raison, loin d’être infaillible, est extrêmement faillible, persuadable, ouverte à l’influence de ce côté et de cela; mais est tout de même un fidèle serviteur, capable de prouver que toute notion est reçue par la volonté. Une fois que nous sommes convaincus de la faillibilité de notre propre raison, nous sommes capables de détecter les erreurs dans le raisonnement de nos adversaires et ne sommes pas susceptibles d’être emportés par tout vent de doctrine. » (volume 6, p. 150)
Principe n°19
Sachant qu’il ne faut pas faire confiance à la raison en tant qu’autorité finale dans la formation des opinions, l’éducateur doit fournir à l’enfant de bonnes habitudes de comportement et beaucoup de connaissances afin de leur fournir la discipline et l’expérience nécessaires pour y parvenir.
Quels sont les moyens ?
1. Enseigner la dialectique (même si ce terme n’est pas employé par Mason, c’est ce que je comprends en la lisant) :
« Nous devons être capables de répondre aux arguments en l’air, non pas tant par des contre-raisons mais en exposant les erreurs de tels arguments et en prouvant de notre côté la position opposée. » (volume 6, p. 144)
Les mathématiques s’établissent sur une logique mais leur apprentissage n’est pas suffisant pour « affronter un monde discutable ».
Mason prend comme exemple 10 points de la doctrine marxiste et les examine. A partir du collège, les élèves ont des cours « d’actualité », un excellent terrain de discussion pour apprendre à raisonner : les élèves « doivent être attentifs aux arguments et détecter les erreurs par eux-mêmes. La raison, comme les autres pouvoirs de l’esprit, a besoin de matériel sur lequel travailler, soit embaumé dans l’histoire et la littérature, soit à flot avec la nouvelle d’une grève ou d’un soulèvement. » (volume 6, p. 147)
« La fonction de l’éducation n’est pas de donner des compétences techniques mais de développer une personne... » (volume 6, p. 147)
2. Leur enseigner la théologie :
« Si nous voulons que les enfants se tiennent à l’écart de toutes les clameurs religieuses dans l’air, nous devons les aider à comprendre ce qu’est la religion. »
« La religion me garantira-t-elle mon bonheur privé et personnel ? À cela, dans l’ensemble, je pense que nous devons répondre, non ; et si nous l’abordons en vue d’un tel bonheur, alors très certainement et absolument non. » (What Religion Is, par Bernard Bosanquet cité par Charlotte Mason, volume 6, p. 149)
« Voici une réponse finale et catégorique aux offres quasi religieuses clamées sur les âmes hésitantes. La facilité du corps leur est offerte, le soulagement de l’esprit, la réparation de la perte, voire de la perte finale lorsque ceux qu’ils aiment décèdent. Nous pouvons faire appel à des médiums, converser par des frappes de table, être guéris par la foi, – la foi, c’est-à-dire grâce au pouvoir d’un guérisseur qui nous manipule. Le péché n’est pas pour nous, ni la tristesse pour le péché. Nous pouvons vivre dans une autosatisfaction odieuse et continuelle, éloignée des âmes anxieuses qui luttent autour de nous, parce que, pour l’instant, il n’y a pas de péché, de chagrin, d’angoisse ou de douleur, si nous voulons que ces choses ne soient pas. C’est-à-dire que la religion « me garantirait mon bonheur privé et personnel », me mettrait à l’abri de toute détresse et misère de la vie ; et cette heureuse immunité serait une question au pouvoir de ma propre volonté ; la personne qui compterait dans ma religion, ce serait moi-même. L’office de la religion pour moi dans un tel cas est d’éliminer tout malaise, corporel et spirituel, et de me faire flotter dans un Nirvana d’autosatisfaction non perturbée. Mais nous devons répondre avec le professeur Bosanquet, « absolument NON ». La vraie religion ne fera pas cela pour moi parce que la forme finale de la religion qui fera ces choses est l’idolâtrie, l’adoration de soi, sans intention au-delà de soi. » (volume 6, p. 149)
« Eh bien, mais si ce n’est pas ça alors quoi ? Nous estimons que la chose est bonne et grande, mais si elle ne fait simplement rien pour nous, comment cela peut-il être quelque chose pour nous ? A une question sonnant légèrement différente, une réponse très différente serait renvoyée. Nous pourrions demander, par exemple, « est-ce que ma vie vaut plus la peine d’être vécue ? » Et la réponse à cela pourrait être : – « C’est la seule chose qui rend la vie digne d’être vécue. » » (volume 6, p. 150)
3. Leur enseigner les matières logiques (au bon moment)
« …peu d’enfants prennent plaisir à la grammaire, en particulier à la grammaire anglaise, qui dépend si peu de l’inflexion. L’arithmétique (…) n’est attrayante que pour un petit pourcentage d’une classe ou d’une école, et, pour le reste, aussi intelligents soient-ils, ses problèmes sont déconcertants jusqu’au bout, même s’ils peuvent prendre plaisir à raisonner les problèmes de la vie en littérature ou en histoire. Peut-être devrions-nous accepter ce vote tacite de la majorité et cesser d’exercer une pression indue (…). En même temps, nous ne pouvons laisser les enfants négliger aucune de ces délicieuses études. Le temps viendra où ils se réjouiront des mots, de la beauté et de la convenance des mots (…). Peut-être devrions-nous reporter l’analyse, par exemple, jusqu’à ce qu’un enfant soit habitué à comprendre le sens des phrases, on devrait les laisser cogiter avec des figures de style avant de tenter une analyse minutieuse des phrases, et devrait réduire au minimum notre nomenclature grammaticale. Le fait est que les enfants ne généralisent pas, ils rassemblent des détails avec une assiduité étonnante, mais gardent leurs impressions fluides ; et nous ne devrions pas les presser de formuler. » (volume 6, p. 151)
« Les mathématiques sont délicieuses pour l’esprit de l’homme qui se délecte de la perception de la loi, qui peut même aller deviner une nouvelle loi (…). C’est pourquoi peut-être la tâche des enseignants est-elle d’ouvrir autant de portes que possible en pensant que les mathématiques sont l’une des nombreuses études qui font l’éducation… » (volume 6, p. 152)
Principe n°20