Titre original : Home Education Series – Volume 2. Parents and Children, by Charlotte Mason.
Cette édition de la série « L’éducation à la maison » a été traduite par Maeva Dauplay, Sylvie Dugauquier et Charlotte Roman © 2023.
Elle est protégée par les droits d’auteur de Charlotte Mason France, et ne peut être publiée ou copiée ailleurs sans l’autorisation expresse de www.charlottemason.fr.
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Préface
Les perspectives éducatives sont plutôt brumeuses et déprimantes tant dans notre pays qu’à l’étranger. Que la science devrait être l’aliment de base de l’éducation, que l’enseignement du latin, des langues modernes, des mathématiques devrait être réformé, que la nature et les travaux manuels devraient être mis au service de la formation de l’œil et de la main, que les garçons et les filles devraient apprendre à écrire l’anglais et devraient donc connaître l’Histoire et la littérature ; et, d’autre part, que l’éducation devrait être rendue plus technique et plus utilitaire – là sont les lamentations opportunistes avec lesquelles nous prenons position. Mais nous n’avons pas de principe unificateur, pas de but défini ; en fait, pas de philosophie de l’éducation. De même qu’un cours d’eau ne peut s’élever au-dessus de sa source, il est probable qu’aucun effort éducatif ne peut s’élever au-dessus de l’ensemble de la pensée qui lui donne naissance ; et c’est peut-être la raison de toutes “nos chutes, absences”, échecs et déceptions qui marquent nos résultats scolaires.
Ceux d’entre nous qui ont passé de nombreuses années à poursuivre la vision bienveillante et insaisissable de l’éducation perçoivent que leurs démarches sont réglementées par une Loi, et c’est cette Loi qui doit être encore évoquée. Nous pouvons en discerner les contours, mais pas plus. Nous savons qu’elle est omniprésente ; il n’y a aucun fragment de la vie de famille ou du travail scolaire d’un enfant que cette Loi n’atteint pas. Elle éclaire aussi, montrant la valeur, ou le manque de valeur, de mille systèmes et expédients. Ce n’est pas seulement une lumière, mais une mesure qui pourvoit une norme par laquelle toute chose, petite ou grande, appartenant au travail éducatif, doit être testée. La Loi est libérale, admettant tout ce qui est vrai, honorable et qui mérite l’approbation, et n’offre aucune limitation ou entrave sauf là où un excès risquerait de nuire. Et le chemin indiqué par la Loi est continu et progressif, sans transition du berceau à la tombe, si ce n’est que la maturité prend la direction habituelle à laquelle l’immaturité a été entraînée. Nous trouvons sans doute, lorsque nous appréhendons la Loi, que certains penseurs allemands – Kant, Herbart, Lotze, Froebel – ont raison ; que, comme ils disent, il est « nécessaire » de croire en Dieu ; que, par conséquent, la connaissance de Dieu est la connaissance principale, et le but ultime de l’éducation. Par sa nature nous saurons reconnaître cette Loi parfaite de la liberté éducative lorsqu’elle sera mise en évidence. Il a été dit que « la meilleure idée que nous pouvons former de la vérité absolue est qu’elle est viable et qu’elle répond à toutes les conditions par lesquelles elle peut être testée ». Voici ce que nous attendons de notre Loi : qu’elle soit confirmée par toutes les expériences et par toutes les investigations rationnelles.
N’ayant pas reçu les tables de notre Loi, nous nous rabattons sur Froebel ou sur Herbart ; ou, si nous appartenons à une autre école, sur Locke ou Spencer ; mais nous ne sommes pas satisfaits. Un mécontentement, est-ce un mécontentement divin ? nous accable ; et nous devrions certainement saluer une philosophie de l’éducation efficace et réalisable comme étant une délivrance face à beaucoup de perplexité. Avant que cette grande délivrance ne nous parvienne, il est probable que de nombreux efforts provisoires seront déployés, ayant plus ou moins les caractéristiques d’une philosophie ; notamment, avoir une idée centrale, un corps de pensée dont les membres travaillent en harmonie vitale.
Une telle théorie de l’éducation, qui n’a pas besoin de prendre soin de s’appeler un système de psychologie, doit être en harmonie avec les mouvements de pensée de l’époque ; elle doit considérer l’éducation, non pas comme un compartiment fermé, mais comme faisant partie de la vie autant que la naissance ou la croissance, le mariage ou le travail ; et elle doit laisser l’élève attaché au monde en plusieurs points de contact. Il est vrai que les pédagogues sont déjà désireux d’établir un tel contact dans plusieurs directions, mais leurs efforts reposent sur un axiome ici et une idée là, et il n’y a pas de base de pensée unificatrice assez large pour soutenir l’ensemble.
Les imbéciles se précipitent là où les anges ont peur de marcher ; et l’espoir qu’il y ait de nombreux efforts hésitants tendant vers une philosophie de l’éducation, et que tous se rapprochent du magnum opus, m’encourage à entreprendre une telle tentative. La pensée centrale, ou plutôt corps de pensée, sur laquelle je me base, s’appuie sur le fait quelque peu évident que l’enfant est une personne avec toutes les possibilités et les pouvoirs inclus dans sa personnalité. Certains des membres qui se développent à partir de ce noyau ont été exploités de temps à autre par des pédagogues, et existent vaguement dans la conscience commune, une notion ici, une autre là. Une thèse, peut-être nouvelle, selon laquelle l’Éducation est la Science des Relations, me semble résoudre la question des programmes scolaires, car elle montre que le but de l’éducation est de mettre un enfant au contact du vivant, autant qu’il peut l’être, avec la vie de la Nature et de la pensée. Ajoutez à cela une ou deux clés de la connaissance de soi, et le jeune instruit va de l’avant avec une idée de la gestion de soi, avec quelques objectifs et de nombreux intérêts vitaux. Mon excuse pour m’aventurer à proposer une solution, même provisoire et passagère, au problème de l’éducation, est double. Pendant trente à quarante ans, j’ai travaillé sans relâche à établir une théorie de l’éducation fonctionnelle et philosophique ; et ensuite, je suis parvenue à chaque article de la foi éducative que je propose par des processus inductifs ; et chacun a été, je pense, vérifié par une longue et vaste série d’expériences. C’est cependant avec une sincère timidité que j’ose proposer les résultats de ce long travail ; parce que je sais que, dans ce domaine, il y a beaucoup de travailleurs bien plus capables et experts que moi – les “anges” qui ont peur de marcher, si tremblant est le pied !
Mais, si ce n’est que pour encourager les autres, j’ajoute un bref synopsis de la théorie de l’éducation avancée dans les volumes de la série « L’éducation à la maison ».
Le traitement n’est pas méthodique mais fortuit ; un peu ici, un peu là, comme il me semblait le plus susceptible de répondre aux expériences des parents et des enseignants. Je dois ajouter qu’au cours de plusieurs années, les divers essais ont été préparés à l’intention de la Parents’ National Education Union dans l’espoir que cette société puisse témoigner d’un ensemble plus ou moins cohérent de pensée éducative.
« La conséquence de la vérité est grande ; aussi, son jugement ne doit pas être négligent. »
Whichcote
1. Les enfants sont des personnes dès la naissance.
2. Ils ne naissent ni bons ni mauvais, mais avec le pouvoir de faire le bien ou le mal.
3. Les principes d’autorité d’une part et d’obéissance d’autre part sont naturels, nécessaires et fondamentaux ; mais —
4. Ces principes sont limités par le respect dû à la personnalité des enfants, à laquelle nous ne devons pas porter atteinte, que ce soit par l’usage direct de la peur ou de l’amour, de la suggestion ou de l’influence, ou en jouant de façon excessive sur leurs désirs naturels.
5. Par conséquent, nous sommes limités à trois instruments éducatifs : l’atmosphère de l’environnement, la discipline des habitudes et la présentation d’idées vivantes.
6. Lorsque nous disons que l’ÉDUCATION EST UNE ATMOSPHÈRE, nous ne voulons pas dire qu’un enfant doit être isolé dans ce que l’on peut appeler un « environnement enfantin », spécialement adapté et préparé, mais que nous devons tenir compte de la valeur éducative de l’atmosphère naturelle de son foyer, à la fois en ce qui concerne les personnes et les choses, et le laisser vivre librement dans ses propres conditions. Nous abrutissons un enfant en abaissant son monde à un niveau infantile.
7. Par l’ÉDUCATION EST UNE DISCIPLINE, nous entendons la discipline des habitudes formées de façon définitive et réfléchie, qu’il s’agisse d’habitudes de l’esprit ou du corps. Les physiologistes ont démontré que le cerveau s’adapte à nos pensées et c’est ce qui forme les habitudes.
8. Par l’ÉDUCATION EST UNE VIE, nous sous-entendons les besoins de nourriture intellectuelle, morale et physique. L’esprit se nourrit d’idées, et les enfants devraient donc avoir un programme généreux.
9. Mais l’esprit n’est pas un réceptacle dans lequel les idées doivent être placées, chaque idée s’ajoutant à une « masse d’aperception » d’idées semblables, théorie sur laquelle repose la doctrine herbartienne.
10. Au contraire, nous considérons que l’esprit de l’enfant n’est pas un simple sac destiné à contenir des idées ; mais est plutôt, si vous permettez l’image, un organisme spirituel, avec un appétit pour toute connaissance. C’est l’alimentation appropriée pour l’esprit, celle qu’il est capable de prendre, digérer et assimiler comme le corps le fait avec des aliments.
11. Cette distinction est plus qu’un simple débat sur les mots employés. La doctrine herbartienne met le fardeau de l’éducation – la préparation des connaissances avec des morceaux alléchants, présentés dans l’ordre approprié – sur l’enseignant. Les enfants instruits selon ce principe risquent de recevoir beaucoup d’enseignements avec peu de connaissances ; et l’axiome de l’enseignant est : « Ce qu’un enfant apprend importe moins que la façon dont il l’apprend. »
12. Nous estimons que l’enfant normal a les pouvoirs d’esprit requis pour gérer toutes les connaissances qui lui sont propres. C’est pourquoi nous devons lui donner un programme complet et généreux, veillant seulement à ce que toutes les connaissances qui lui sont offertes soient vivantes, c’est-à-dire que les faits ne soient pas présentés sans leur contexte. De cette conception vient le principe selon lequel, —
13. L’éducation est la science des relations ; c’est-à-dire qu’un enfant a des relations naturelles avec un grand nombre de choses et de pensées : nous le formons donc à l’aide d’exercices physiques, de nature, de travaux manuels, de science et d’art, et de nombreux livres vivants, car nous savons que notre responsabilité n’est pas de tout lui apprendre sur tout, mais de l’aider à valider autant que possible
« les affinités innées,
qui modèlent notre nouvelle existence aux choses existantes. »
14. Il existe aussi deux secrets de l’autogestion morale et intellectuelle qui devraient être offerts aux enfants ; nous pouvons les appeler la Voie de la Volonté et la Voie de la Raison.
15. La Voie de la Volonté. – Il faut enseigner aux enfants
- À faire la distinction entre « je veux » et « je ferai ».
- Que la voie de la volonté, pour être efficace, doit se détourner des pensées qui tendent vers ce que nous désirons, mais que nous ne devrions pas faire.
- Que la meilleure façon de détourner nos pensées est de penser ou de faire quelque chose de très différent, divertissant ou intéressant.
- Qu’après ce moment de repos, la volonté reprendra son travail avec une vigueur nouvelle. (La diversion est une aide à la volonté dont la fonction est de nous soulager, pendant un moment, de l’effort de la volonté, afin que nous puissions « vouloir » à nouveau avec une force renouvelée. L’utilisation de la suggestion comme aide à la volonté est déconseillée car elle tend à saper et à stéréotyper le caractère. Il semblerait que la spontanéité soit une condition du développement et que la nature humaine ait autant besoin de la discipline de l’échec que de celle du succès.)
16. La Voie de la Raison. – Nous devons aussi enseigner aux enfants à ne pas « s’appuyer » (avec trop d’assurance) « sur leur propre sagesse », car la raison a pour fonction de faire une démonstration logique :
- de la vérité mathématique ;
- d’une idée initiale, acceptée par la volonté.
Dans le premier cas, la raison est pratiquement un guide infaillible, mais dans le second, elle n’est pas toujours sûre ; car, que cette idée soit bonne ou mauvaise, notre raison la confirmera en utilisant des preuves irréfutables.
17. Par conséquent, les enfants devraient apprendre, lorsqu’ils ont atteint la maturité nécessaire pour bénéficier de cet enseignement, que la principale responsabilité qui leur incombe en tant que personnes est l’acceptation ou le rejet des idées.
Pour les aider dans ce choix, nous leur donnons des principes de conduite et un large éventail de connaissances qui leur sont adaptées.
Ces trois principes (15, 16 et 17) devraient épargner aux enfants certaines des réflexions et des actions irréfléchies qui mènent la plupart d’entre nous à un niveau de vie inférieur à celui dont nous avons besoin.
18. Nous ne devrions permettre aucune séparation entre la vie intellectuelle et la vie spirituelle des enfants, mais devrions leur enseigner que l’Esprit divin a un accès constant à leur esprit et qu’il est leur soutien continu dans tous les intérêts, devoirs et joies de la vie.
La série « Home Education » est ainsi nommée d’après le titre du premier volume, et non comme traitant, entièrement ou principalement, de « la maison » par opposition à « l’école ».
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Préface à la troisième édition
Notre conduite est le résultat de nos principes, même si ceux-ci ne se résument qu’à : « Peu importe », « À quoi bon ? ».
Toute fonction implique l’observation de certains principes fondamentaux dans son exercice.
Ces deux considérations m’amènent à penser qu’un examen attentif des principes qui sous-tendent naturellement et nécessairement la fonction de parents pourrait pourrait être quelque peu utile pour ceux qui prennent au sérieux leur travail important.
Convaincu que l’individualité des parents est un grand bien pour leurs enfants, et sachant que lorsqu’une idée s’impose à notre esprit, les moyens de l’appliquer se présentent d’eux-mêmes, j’ai essayé de ne pas alourdir ces pages de nombreuses directives, suggestions pratiques et autres béquilles, susceptibles d’entraver les libres relations entre parents et enfants. La grandeur de notre nation dépend de la vision libérale et éclairée que les parents accordent à leurs hautes fonctions, et des moyens placés entre leurs mains pour les remplir.
Les essais suivants furent publiés dans la Parents’ Review et envoyés, de temps à autre, à un groupe de parents se livrant à une étude pratique des principes de l’éducation – la « Parents’ National Educational Union ». La Parents’ Union existe pour faire progresser, avec plus ou moins de méthode et plus ou moins de constance, une école de pensée éducative dont les deux grands principes sont : la reconnaissance de la base physiologique de l’habitude, c’est-à-dire de l’aspect matériel de l’éducation ; et la reconnaissance du pouvoir inspirant et formateur des idées, c’est-à-dire de l’aspect immatériel, ou spirituel, de l’éducation. Ces deux principes directeurs, qui couvrent tout le champ de la nature humaine, devraient nous permettre de traiter rationnellement tous les problèmes complexes de l’éducation. L’objet des essais qui suivent n’est pas de donner une application exhaustive de ces principes – le British Museum lui-même pourrait difficilement contenir tous les volumes nécessaires à une telle entreprise – mais de donner un exemple ou une suggestion, ici et là, sur la façon dont telle ou telle habitude peut être formée, telle ou telle idée formatrice peut être implantée et encouragée. L’intention de ce volume est de rendre compte au lecteur de l’itération des mêmes principes dans des contextes différents. L’auteure ose espérer que les conseils et suggestions qui suivent se révéleront d’utilité pratique aux parents déjà bien occupés, parce qu’ils reposent sur des principes éducatifs profonds ; et aussi, qu’ils seront, dans une certaine mesure, une source d’inspiration pour les enseignants.
AMBLESIDE,
Mai 1904.
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CHAPITRE 1 LA FAMILLE
« La famille est l’unité de la nation » – F. D. MAURICE.
Rousseau a réussi à éveiller les parents. – Il est probable qu’aucun autre pédagogue n’ait réussi à toucher les parents aussi profondément que Rousseau. Emile est peu lu maintenant, mais combien de théories actuelles sur le meilleur régime pour les enfants s’en inspirent à notre insu ? Tout le monde sait – et ses contemporains le savaient mieux que nous – que Jean-Jacques Rousseau n’avait pas un caractère assez noble pour se poser en autorité sur quelque sujet que ce soit, et encore moins sur celui de l’éducation. Il se présente comme un être médiocre, et nous ne voyons aucune raison de rejeter l’évidence de ses Confessions. Nous ne sommes pas transportés par le charme de son style ; sa “force apparente” ne nous éblouit pas. Aucun homme ne peut dire plus que ce qu’il est, et il y a, dans ses théories philosophiques, un manque de cran qui écarte la plupart d’entre elles de la pensée utile.
Mais Rousseau a eu la perspicacité de percevoir une de ces vérités évidentes dont la découverte requiert, en quelque sorte, du génie ; et, comme la vérité est plus précieuse que les rubis, la perception de cette vérité lui a valu son rang de grand maître. Jean-Jacques fait-il partie des prophètes ? se demande-t-on encore aujourd’hui. Le fait qu’il ait eu des milliers de fervents disciples parmi les parents instruits d’Europe, et le fait que l’enseignement ait pénétré dans de nombreux foyers isolés de nos jours, constituent une réponse suffisante. En effet, aucun autre pédagogue n’a eu un dixième de l’influence exercée par Rousseau. Sous le charme de son enseignement, les gens du monde comme la princesse russe Galitzine, délaissèrent la société et se réfugièrent avec leurs enfants dans un endroit tranquille où ils pouvaient consacrer chaque heure du jour et chaque force dont ils disposaient à l’accomplissement des devoirs qui incombent aux parents. Les femmes de haut-rang se retirèrent du monde, parfois même quittèrent leur mari, pour étudier avec ardeur les classiques, les mathématiques, les sciences, afin d’instruire leurs enfants elles-mêmes. Elles se demandaient « À quoi d’autre suis-je utile ? », et ainsi s’est répandu le sentiment qu’éduquer leurs enfants était un travail primordial pour les hommes et les femmes.
Quelle que soit l’extravagance qu’il eût jugé bon de promouvoir, Rousseau aurait toujours trouvé des partisans, parce qu’il avait eu la chance de toucher le ressort qui ouvrait beaucoup de cœurs. Il est l’un des rares pédagogues à avoir fait appel à l’instinct parental. Il n’a pas dit : « N’espérons rien des parents, travaillons pour les enfants ». Ce sont en effet les propos pusillanimes et pessimistes que l’on tient aujourd’hui. Ce qu’il a dit, effectivement, c’est : « Pères et mères, voici votre travail, et vous seuls pouvez le faire. C’est à vous, parents de jeunes enfants, qu’il revient d’être les sauveurs de la nation pour mille générations. Rien d’autre ne compte. Les loisirs pour lesquels les gens se fatiguent ne sont que des jeux d’enfant par rapport à cette tâche sérieuse qui consiste à élever nos enfants avant nous-mêmes. »
Son message a été écouté, comme nous l’avons vu, et la réponse à son enseignement a ouvert la digue à un enthousiasme qu’on n’avait jamais connu, ni avant, ni depuis, chez les parents. Rousseau, faible et peu digne, prêcha la droiture en ceci qu’il ramena le cœur des pères vers les enfants, et prépara un peuple bien disposé pour le Seigneur. Mais hélas ! Après avoir bâti sur ce fondement, il n’avait guère que du bois, du foin et du chaume à offrir aux bâtisseurs.
Rousseau réussit, autant qu’il le méritait, à éveiller de nombreux parents au caractère contraignant, à l’étendue, au profond sérieux des obligations parentales. Il échoua, et le méritait, en proposant ses propres conceptions grossières en guise de code éducatif. Mais son succès est très encourageant. Il comprit que Dieu avait placé la formation de chaque enfant entre les mains de deux personnes, un père et une mère ; et la réaction à son enseignement prouva que, comme les eaux répondent à l’attraction de la lune, le cœur des parents s’élève à la hauteur de la grande tâche qui leur est confiée.
S’il est vrai, sans doute, que chaque parent a conscience de lois non écrites, plus ou moins définies et nobles selon sa propre condition, il n’en reste pas moins qu’une tentative, si minime soit-elle, de codifier ces lois peut être intéressante pour les parents.
La famille est une communauté. – « La famille est l’unité de la nation ». Ce dicton riche de sens suggère certains aspects de la vocation des parents. De tout temps à travers le monde, des sociétés communistes ont vu le jour, parfois pour coopérer à une grande œuvre, sociale ou religieuse, plus récemment pour protester contre les inégalités de condition ; mais, dans tous les cas, la règle fondamentale de ces sociétés est que les membres doivent tout avoir en commun. Nous avons tendance à penser, dans notre insouciance, que ces tentatives d’association communiste sont vouées à l’échec. Mais il n’en est rien. Aux États-Unis, peut-être parce qu’il y est moins facile d’obtenir de la main-d’œuvre salariée que chez nous, elles semblent avoir trouvé un terrain propice, et de nombreux organismes communistes bien réglementés y prospèrent. Il y a aussi des échecs, nombreux et désastreux, et il semble qu’on puisse généralement les attribuer à une seule cause : un gouvernement affaibli par la tentative de combiner les principes démocratiques et communistes, c’est-à-dire de vivre ensemble au sein d’une communauté, tout en faisant, chacun, ce qui est juste à ses propres yeux. Une structure communiste ne peut prospérer que sous une règle vigoureuse et absolue.
L’un des rêves favoris du socialisme est – ou était, jusqu’à ce que l’idée de collectivisme s’impose – que chaque état d’Europe soit divisé en un nombre infini de petites communautés autonomes. Or, il arrive parfois que la chose que nous désirons soit déjà réalisée, pour autant que nous ayons les yeux pour la voir. La famille est, en pratique, une communauté. Dans la famille, tous les membres jouissent en commun des biens indivis, et il y a égalité de condition sociale, avec diversité de devoirs. Dans les pays où les pratiques patriarcales sont toujours en vigueur, la famille se fond dans la tribu, et le chef de la famille est le chef de la tribu – un souverain très absolu en effet. Dans notre pays, les familles sont généralement petites, les parents et leur progéniture immédiate, avec les domestiques et les biens qui se trouvent naturellement dans un ménage et qui, ne l’oublions pas, font partie de la famille. La petite taille de la famille tend à obscurcir son caractère, et nous ne voyons aucune force dans la phrase en tête de ce chapitre ; nous ne percevons pas que, si l’unité de la nation est la communauté naturelle, c’est-à-dire la famille, alors la famille s’engage à exercer en son sein toutes les fonctions de l’État, avec la délicatesse, la précision et la plénitude des détails propres au travail effectué à une petite échelle.
La famille doit être sociale. – Cette conception communiste de la famille ne signifie nullement que la politique domestique doive être une politique d’isolement ; au contraire, il n’est pas exagéré de dire qu’une nation est civilisée dans la mesure où elle est capable d’établir des relations étroites et amicales avec d’autres nations ; et cela, non pas avec une ou deux, mais avec un grand nombre ; et, inversement, qu’une nation est barbare dans la mesure de son isolement. Une famille ne perd-elle pas de son intelligence et de sa vertu lorsque, de génération en génération, elle se tient à l’écart des autres ?
La famille doit servir les voisins. – Il est probable qu’une nation soit saine dans la mesure où elle a ses propres débouchés, ses colonies et ses dépendances qu’elle est toujours soucieuse d’inclure dans la vie de la nation. Il en va de même pour la nation en miniature, la famille : les familles qui ont des difficultés, l’orphelinat, la paroisse, les nécessiteux que nous connaissons, ne sont-ils pas là pour assurer la subsistance de la famille dans la vie supérieure ?
La famille doit servir la nation. – Mais il ne suffit pas que la communauté familiale entretienne des relations de voisinage avec d’autres communautés de ce type et avec l’étranger qui est dans ses portes. La famille représente une entité au sein de la nation ; et la nation est un tout organique, un corps vivant, constitué, comme le corps naturel, d’un nombre infini d’organismes vivants. Ce n’est que lorsqu’elle contribue à la vie nationale que la vie de la famille est complète. Les intérêts publics doivent être partagés, les travaux publics doivent être entrepris, le bien-être public doit être recherché – en un mot, son intégrité avec la nation doit être préservée, ou la famille cesse d’être une partie d’un tout vivant et devient véritablement nuisible, comme un tissu en décomposition dans l’organisme animal.
L’ordre divin de la famille à l’égard des autres nations. – Les intérêts de la famille ne se limitent pas à ceux de la nation. De même qu’il appartient à la nation d’entretenir des relations avec d’autres pays, d’être en contact avec le monde entier, d’être toujours en avance dans la grande marche du progrès humain, de même cette attitude incombe à chaque entité de la nation, à chaque famille, en tant que partie intégrante de l’ensemble. Voici la réalisation simple et naturelle du noble rêve de la Fraternité : chaque individu attaché à une famille par les liens de l’amour et non du sang ; les familles unies dans un lien fédéral pour former la nation ; les nations confédérées dans l’amour et s’émulant en vertu, et toutes, les nations et leurs familles, jouant leurs rôles respectifs comme de petits enfants aux pieds du Père Tout-Puissant, sous son sourire bienveillant. Voilà l’ordre divin que chaque famille est appelée à remplir : un peu de levain fait lever toute la pâte, et, par conséquent, il importe infiniment que chaque famille se rende compte de la nature et des obligations du lien familial ; car, tout comme l’eau ne peut s’élever au-dessus de sa source, nous ne pouvons vivre à un niveau supérieur à celui de l’idée que nous nous faisons de notre place et de notre utilité dans la vie.
La famille doit : a) apprendre les langues ; b) faire preuve de courtoisie à l’étranger. – Posons-nous cette question : cette façon de considérer toute l’éducation et toutes les relations civiles et sociales du point de vue de la famille a-t-elle un résultat pratique ? Au point qu’il n’y ait peut-être pas un seul problème de la vie qu’on ne puisse résoudre. Par exemple : que devons-nous enseigner à nos enfants ? Y a-t-il un sujet qui attire notre attention plus qu’un autre ? Oui, il y a un sujet ou une catégorie de sujets qui a une exigence morale impérative pour nous. Il est du devoir de la nation d’entretenir des relations de fraternité avec les autres nations ; par conséquent, il est du devoir de chaque famille, en tant que partie intégrante de la nation, d’être capable de tenir un discours fraternel avec les familles des autres nations lorsque l’occasion se présente ; par conséquent, acquérir le langage des nations voisines n’est pas seulement s’assurer un apport de connaissances et un moyen de se cultiver, mais c’est un devoir de cette moralité supérieure (la moralité de la famille) qui vise à la fraternité universelle. Par conséquent, chaque famille ferait bien de cultiver deux langues en plus de la langue maternelle, dès la petite enfance.
Une jeune et belle Anglaise séjournait un jour avec sa mère dans un Kurhaus en Allemagne. Elles étaient les seules Anglaises présentes, et avaient probablement oublié que les Allemands sont de meilleurs linguistes que nous. La jeune femme restait assise pendant les longs repas avec son livre, interrompant à peine sa lecture pour manger, et n’adressant à sa mère qu’une ou deux remarques, comme « Quel désordre ! » ou « Combien de temps encore devrons-nous rester assis avec ces gens ennuyeux ? » Si elle s’était souvenue qu’aucune famille ne peut vivre repliée sur elle-même, qu’elle et sa mère représentaient l’Angleterre, qu’elles étaient l’Angleterre pour cette petite communauté allemande, elle aurait imité les salutations courtoises que les dames allemandes adressaient à leurs voisines.
La restauration de la famille. – Mais laissons de côté ce vaste sujet et concluons avec un passage saisissant de l’appréciation d’Emile par M. Morley : « L’éducation a peu à peu été envisagée en relation avec la famille. L’amélioration des idées sur l’éducation n’était qu’une des phases du grand mouvement général vers la restauration de la famille, mouvement qui fut un spectacle frappant en France dans la seconde moitié du siècle. L’éducation englobait désormais l’ensemble des relations entre les parents et leurs enfants, de la petite enfance à la maturité. Ces relations tendaient fortement vers une plus grande proximité, plus d’intimité, et une diffusion plus continue de tendresse et d’attachement long. »
Ses travaux pour cette grande cause, « la restauration de la famille », offrent à Rousseau un droit à la gratitude et au respect de l’humanité. C’est une œuvre durable et solide. Aujourd’hui encore, les relations familiales en France sont plus douces, plus tendres, plus étroites et plus inclusives qu’elles ne le sont chez nous. Elles sont aussi plus expansives, ce qui entraîne un comportement généralement bienveillant et amical ; et le lien familial est si fort et si satisfaisant que les jeunes gens n’ont guère besoin de « tomber amoureux ». La mère se consacre pleinement à l’amitié de ses filles, qui répondent avec une loyauté et un dévouement absolus ; et, n’en déplaise à Zola, les demoiselles françaises sont merveilleusement pures, simples et douces, parce que leurs affections sont abondamment satisfaites.
Peut-être que « la restauration de la famille » est un travail qui nous incombe, ici en Angleterre, chacun dans le cadre de son propre foyer ; car il ne fait aucun doute que le lien familial est plus distendu chez nous qu’il ne l’était il y a deux ou trois générations. Peut-être n’y a-t-il, nulle part, de vie de famille plus idyllique que dans les foyers anglais, où nous la voyons sous son meilleur jour. Mais les sages trouvent toujours quelque chose de nouveau à apprendre. Bien qu’une nation, en tant qu’individu, doive agir selon son propre caractère, et que nous soyons, dans l’ensemble, pleinement satisfaits de nos foyers anglais, nous pourrions apprendre quelque chose de l’inclusion dont fait preuve la famille française, où la belle-mère et le beau-père, la tante et les cousins, la veuve et la vieille fille, sont choyés, et où une centaine de petites occupations sont imaginées pour les personnes à charge qui seraient, en Angleterre, considérées gênantes. Le résultat est que les enfants ont mille et une opportunités pour s’entraîner à être attentifs aux autres et à se maîtriser, toutes opportunités qui rendent la vie d’un foyer agréable. La médaille a sans doute son revers ; il y a probablement beaucoup de choses dans la vie domestique française que nous devrions éviter ; néanmoins, elle offre des enseignements que nous devrions étudier. Par ailleurs, là où la vie familiale est la plus belle chez nous, la famille n’est-elle pas un peu encline à devenir égocentrique et autosuffisante, au lieu de cultiver cette ouverture vers les autres familles qui figure dans le code familial de nos voisins ?
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CHAPITRE 2 LES PARENTS EN TANT QUE SOUVERAINS
Le gouvernement familial est une monarchie absolue. – Continuons à considérer la famille comme une nation miniature, avec les responsabilités, les droits et les exigences de la nation. Les parents représentent le « Gouvernement » ; ici, le gouvernement est toujours une monarchie absolue, conditionnée très vaguement par la loi du pays, mais de façon très étroite par cette loi que chaque parent porte plus ou moins gravée sur sa conscience. Certains atteignent un niveau de réflexion élevé, et descendent du Mont avec un visage rayonnant et les tables de la loi intactes ; d’autres ne parviennent pas à atteindre les sommets escarpés, et se contentent des fragments des tables brisées qu’ils ramassent en bas. Mais que sa connaissance de la loi soit faible ou grande, aucun parent n’échappe à l’appel à gouverner.
La souveraineté des parents ne peut être déléguée. – De nos jours, la première chose que nous exigeons d’un souverain est : « Est-il capable de diriger ? Sait-il comment maintenir son autorité ? ». Un souverain qui ne sait pas gouverner est comme un juge injuste, un prêtre impie, un enseignant ignorant ; c’est-à-dire qu’il manque à la charge essentielle de sa fonction. Cela est encore plus vrai dans la famille que dans l’État ; le roi peut gouverner par délégation ; mais, ici, nous voyons le caractère exigeant des fonctions du parent ; il ne peut avoir de député. Il peut avoir des assistants, mais dès qu’il cède ses fonctions et son autorité à un autre, les droits parentaux appartiennent à cet autre, et non à lui. Qui ne connaît pas les déchirements qui surviennent lorsque des parents anglo-indiens reviennent chez eux et trouvent l’affection de leurs enfants donnée à d’autres, leurs devoirs remplis envers d’autres personnes ; et eux, les parents, devenus sources de plaisir, comme la marraine du conte de fées, mais sans aucune autorité sur leurs enfants ? Et tout cela, personne n’en est responsable, car les tuteurs à la maison ont fait de leur mieux pour que les enfants restent fidèles à leurs parents qui étaient à l’étranger.
Les causes qui conduisent à l’abdication des parents. – Voici un écueil sur lequel les chefs de famille font parfois naufrage. Ils considèrent que l’autorité parentale leur est inhérente, une propriété qui peut rester en sommeil tout en étant indissociable de l’état de parent. Ils permettent à leurs enfants, dès leur plus jeune âge, de faire ce que bon leur semble ; et c’est alors que Lear se retourne et se plaint aux vents, en s’écriant :
“Combien la morsure d’un reptile est moins déchirante
que l’ingratitude d’un enfant !”
Mais Lear n’a cessé de se dépouiller de son honneur et de son autorité, et de céder ses droits à ses enfants. Il nous dit ici pourquoi ; l’enfant “ingrat” nous plonge dans une angoisse aiguë. Il s’est mis en quatre pour obtenir la reconnaissance de ses enfants. Qu’ils le considèrent comme un père aimant comptait plus pour lui que ses devoirs envers eux ; et dans la mesure où il omet ses devoirs, ils oublient les leurs. Il est possible que le désir incontrôlé d’approbation des parents dévoués soit la cause principale de la destruction des familles. Récemment, un écrivain présentait une mère disant :
« Mais vous n’avez pas peur de moi, Bessie ? »
« Non, en effet ; qui pourrait avoir peur d’une chère, douce, et tendre petite mère comme vous ? »
De tels éloges sont agréables à l’oreille de nombreuses mères affectueuses, qui ont un désir irrépressible pour l’amour et l’affection de leurs enfants ; mais elles ne se rendent pas compte que de tels mots, dans la bouche d’un enfant, sont tout autant une trahison que des paroles insolentes.
L’autorité est offerte sur d’autres autels que celui de la popularité. Prospero se décrit lui-même comme,
« dévoué tout entier
à la retraite et au soin d’enrichir mon esprit ».
Et, entre-temps, l’exercice de l’autorité est dévolu à Antonio ; faut-il s’étonner que l’habit de l’autorité aille comme un gant à l’usurpateur, et que Prospero se retrouve évincé de la fonction qu’il n’a pas su remplir ? De même, le parent accaparé par de nombreux soucis découvre à son réveil que l’autorité, qu’il n’a pas su exercer, lui a échappé ; elle a peut-être été récupérée par d’autres personnes moins qualifiées, par exemple lorsqu’une fille est confiée à une famille voisine, tandis que le père et la mère chinent des tableaux de valeur.
Dans d’autres cas, les parents sont séduits par une vie facile et laissent les choses suivre leur cours ; les enfants sont bons, ils ne feront rien de mal, nous dit-on ; et c’est très probablement vrai. Mais, si bons que soient les enfants, les parents doivent à la société de les rendre meilleurs qu’ils ne le sont, et de gratifier le monde avec des êtres, non seulement de bonne nature et bien disposés, mais bons dans leurs intentions et leurs efforts.
L’amour de la facilité, le désir de considération, les exigences d’autres occupations, ne sont que quelques-unes des causes qui conduisent à un résultat désastreux pour la société : l’abdication des parents. Lorsque nous en viendrons à considérer la nature et les utilités de l’autorité des parents, nous verrons que cette abdication est aussi immorale que malveillante. En attendant, il vaut la peine de remarquer que les causes qui conduisent les parents à renoncer à la fonction de chef de famille se résument à une seule : la fonction est trop pénible, trop laborieuse. La tentation qui assaille les parents est la même que celle qui a conduit plus d’une tête couronnée à chercher le repos dans le cloître.
« Inquiète est la tête qui porte une couronne. »
même si c’est la couronne naturelle de la parentalité.
La majesté de la parentalité. – Le concile de Jérusalem concernant le « zèle » dans l’exercice du pouvoir met en lumière la nature et le but de l’autorité ; ce n’est plus une question d’honneur et de dignité personnels ; l’autorité est destinée à être exercée et à servir, et l’honneur qui l’accompagne n’a pour but que de mieux servir ceux qui sont sous l’autorité. Le parent arbitraire, le parent exigeant, qui réclame telle ou telle déférence et tel ou tel devoir parce qu’il est parent, tout cela pour son propre honneur et sa propre gloire, est définitivement plus dans l’erreur que le parent qui abdique dans la pratique ; la majesté de la parentalité n’est entourée de règles à respecter que parce qu’il est bon que les enfants « servent fidèlement, honorent et obéissent humblement » à leurs chefs naturels. Ce n’est qu’à la maison que les enfants peuvent être formés au tempérament chevaleresque de la « fière soumission et de la digne obéissance » ; et si les parents n’inspirent pas et n’encouragent pas la déférence, la révérence et la loyauté, comment ces grâces supérieures du caractère pourront-elles prospérer dans un monde rude et exigeant ?
Il est peut-être un peu difficile de maintenir une attitude d’autorité en ces temps démocratiques alors que même les pédagogues conseillent de traiter les enfants sur un pied d’égalité dès le plus jeune âge ; mais les enfants eux-mêmes nous aident ; l’humilité et la dépendance adorables qui leur sont naturelles favorisent la douce dignité, le soupçon de réserve qui sied aux parents. À ces derniers, il n’est pas permis d’ignorer ou de s’effondrer sous le poids de l’honneur qui leur est fait. En effet, nous avons tous été témoins des échanges pleins de confiance, de sympathie et d’amour entre parents et enfants, lorsque la mère est assise comme une reine au milieu de ses enfants et que le père est honoré comme un roi. Le fait qu’il y ait deux parents, chacun devant faire honneur à l’autre, mais libres de toute contrainte en présence l’un de l’autre, facilite le maintien de l’ »état » intangible de parentalité. Et la présence de ce léger, doux, et indéfini sentiment de dignité dans le foyer est la toute première condition pour élever des hommes et des femmes loyaux, honorables, capables de révérence et aptes à gagner le respect.
Les enfants sont un bien public et un bien divin. – Le fondement de l’autorité parentale réside dans le fait que les parents exercent une fonction de députés, et cela dans un double sens. En premier lieu, ils sont les députés immédiats et personnellement désignés du Roi Tout-Puissant, le seul Maître des hommes ; ils n’ont pas seulement à exécuter ses recommandations concernant les enfants, mais à représenter sa Personne ; ses parents sont comme Dieu pour le petit enfant ; et, pensée plus contraignante encore, il se représente Dieu tels que sont ses parents ; il n’a pas le pouvoir de concevoir une personnalité plus grande et plus aimable que celle des têtes couronnées de sa propre maison ; c’est par eux qu’il fait sa première approche de l’Infini ; ils sont la mesure de ce qu’il y a de plus élevé ; si la mesure est au niveau de sa petite boussole, comment pourra-t-il grandir avec le tempérament respectueux qui est la condition de la croissance spirituelle ?
Plus encore, les parents ont la responsabilité de leurs enfants pour le bénéfice de la société. L’expression « mon enfant » ne peut être vraie que dans un sens limité ; les enfants sont considérés comme un bien public qu’il faut former au mieux pour le bien de la communauté ; et, dans ce sens aussi, les parents sont des personnes en autorité qui doivent représenter la dignité de leur fonction ; ils sont même susceptibles d’être destitués. Le seul État dont le nom est devenu proverbial, représentant un ensemble de vertus que nous n’avons pas d’autre mot pour décrire, est un État qui a, en pratique, privé les parents des fonctions qu’ils avaient échoué à remplir au service de la vertu publique. Sans doute l’État se réserve-t-il virtuellement le pouvoir d’élever ses propres enfants à sa manière, avec le moins de coopération possible des parents. Aujourd’hui encore, une nation voisine a choisi de se charger elle-même de l’éducation de ses enfants en bas âge. Dès qu’ils savent marcher à quatre pattes, ou même plus tôt, bien avant qu’ils ne courent ou ne parlent, ils sont amenés à l’”École Maternelle” et sont soigneusement nourris, comme avec le lait maternel, des vertus propres à un citoyen. Ce projet n’en est encore qu’au stade expérimental, mais il sera sans doute mené à bien, car la nation en question a découvert depuis longtemps – et a agi en conséquence – que vous devez former l‘enfant selon ce que vous voulez que l’homme devienne.
Une telle dépossession publique des parents est peut-être la pire calamité qui puisse arriver à une nation. Ces pauvres petits devront grandir dans un monde où le nom de Dieu ne doit pas être nommé ; grandir, aussi, sans la formation au devoir filial, à l’amour fraternel et à la bonté envers son prochain qui revient aux enfants de tous, sauf de quelques parents contre nature. Ils peuvent être rendus à leurs parents à certaines heures ou après certaines années ; mais une fois que l’aliénation a été établie, une fois que le lien le plus fort et le plus doux a été rompu et que les parents ont été publiquement délivrés de leur devoir, la profanation du foyer est complète, et nous assisterons au spectacle d’un peuple qui grandit orphelin presque dès sa naissance. C’est une chose nouvelle dans l’histoire du monde, car Lycurgue lui-même laissait les enfants à leurs parents pendant leurs six premières années. Certains journaux louent cet exemple afin que nous l’imitions, mais que Dieu nous garde de perdre la foi en la consécration de la vie familiale. Les parents qui considèrent leurs enfants comme un bien public et un bien divin, et qui reconnaissent l’autorité qu’ils détiennent comme étant une autorité déléguée, dont on ne peut se moquer, qu’on ne peut écarter ou dont on ne peut abuser, de tels parents préservent, pour la nation, les immunités du foyer et protègent les privilèges de leur ordre.
Les limites et la portée de l’autorité parentale. – Ayant vu qu’il n’appartient pas aux parents de décider d’user, ou de renoncer à user, de l’autorité qu’ils détiennent, examinons les limites et la portée de cette autorité. En premier lieu, elle doit être maintenue et exercée uniquement pour le bénéfice des enfants, que ce soit pour leur esprit, leur corps ou leur état. Il y a, ici, la place pour la juste discrimination, les intuitions délicates, dont les parents sont dotés. La mère qui fait bénéficier à sa fille en pleine croissance de l’exercice en extérieur dont elle a besoin, agit dans les limites de ses pouvoirs. Le père au caractère réservé, qui dissuade ses enfants de voir du monde, prend en considération ses propres goûts et non leurs besoins, et fait un usage illégal de son autorité.
Là encore, l’autorité des parents, bien que la déférence qu’elle engendre continue d’agrémenter les relations parents-enfants, est elle-même une fonction provisoire, et n’a de succès que dans la mesure où elle favorise l’autonomie, si l’on peut dire, de l’enfant. Une seule décision prise par les parents, que l’enfant est, ou devrait être, capable de prendre lui-même, est un empiètement sur les droits de l’enfant, et une transgression de la part des parents.
Une fois de plus, l’autorité des parents ne repose sur des bases sûres que s’ils font bien comprendre aux enfants qu’il s’agit d’une autorité déléguée ; l’enfant qui sait qu’il est élevé pour le service de la nation, que ses parents agissent en vertu d’une commission Divine, ne deviendra pas un fils rebelle.
De surcroît, bien que l’émancipation des enfants soit graduelle, qu’ils acquièrent chaque jour davantage l’art et la science de se gouverner eux-mêmes, il arrive un jour où le droit des parents de gouverner est révolu ; il ne leur reste plus qu’à abdiquer gracieusement et à laisser leurs fils et leurs filles majeurs libres d’agir, même si ceux-ci vivent encore à la maison. Et bien que, aux yeux de leurs parents, ils ne soient pas aptes à se gouverner eux-mêmes, s’ils ne parviennent pas à s’organiser eux-mêmes, que ce soit en matière de temps, d’occupations, d’argent, d’amis, il est probable que leurs parents soient à blâmer pour ne pas les avoir initiés progressivement à la pleine liberté qui leur revient en tant qu’hommes et femmes. Quoi qu’il en soit, il est trop tard, à présent, pour continuer à les former ; aptes ou non, ils doivent tenir le gouvernail eux-mêmes.
Quant à l’emploi de l’autorité, le plus grand des arts consiste à gouverner sans en avoir l’air. La loi est une terreur pour ceux qui font le mal, mais elle est une louange pour ceux qui font le bien ; et, dans la famille, comme dans l’État, le meilleur gouvernement est celui où la paix et le bonheur, la vérité et la justice, la religion et la piété, sont maintenus sans l’intervention de la loi. Heureux le foyer qui a peu de règles, et où « Maman n’aime pas ceci » et « Père voudrait cela » sont les seules contraintes.
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 3 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION
Les enfants doivent renaître à la vie de l’intelligence
Les parents doivent une seconde naissance à leurs enfants. – M. Adolphe Monod prétend que l’enfant doit à sa mère deux naissances, la première dans la vie naturelle, la seconde dans la vie spirituelle de l’intelligence et du sens moral. S’il n’avait pas écrit sur les femmes et pour les femmes, sans doute aurait-il affirmé que le long travail de cette seconde naissance doit être accompli à parts égales par les deux parents. Peut-on se demander comment il en arrive à cette théorie plutôt surprenante ? Il constate que les grands hommes ont de grandes mères, c’est-à-dire des mères dotées d’une capacité infinie à se donner de la peine pour élever leurs enfants. Il compare ce travail à un second accouchement qui pousse l’enfant vers une vie plus élevée ; et comme cette vie plus élevée est une vie plus bénie, il soutient que chaque enfant a droit à cette naissance vers un être plus complet, des mains de ses parents. Si ses conclusions reposaient uniquement sur les méthodes déductives qu’il applique, nous pourrions nous permettre de les négliger et de très peu nous préoccuper de cette seconde naissance, que les parents peuvent refuser, et refusent souvent, à leur progéniture naturelle. Nous pourrions aussi présenter nos exemples contraires de bons parents qui ont de mauvais fils, et de parents indifférents qui ont des enfants sérieux ; et, du bout des lèvres, viendrait le Cui bono ? qui nous dispense de tout effort.
La science soutient cette allégation. – Sois une bonne mère pour ton fils parce que de grands hommes ont eu de bonnes mères, voilà qui est inspirant, stimulant, mais qui ne doit pas être considéré comme le message ultime. Pour être pleinement convaincus, nous nous tournons vers la science naturelle et ses méthodes inductives ; bien que nous attendions toujours son dernier mot, ce qu’elle a déjà dit est loi et parole d’Évangile pour le parent croyant. La parabole de la boîte de Pandore est toujours vraie aujourd’hui ; et une femme peut, dans son insouciance, répandre mille maux sur sa progéniture. Mais n’y a-t-il pas aussi « un verre de bénédictions à portée de main » dans lequel les parents peuvent puiser afin de faire naître chez leurs enfants santé et vigueur, justice et miséricorde, vérité et beauté ?
« Certes”, peut-on objecter, “toute grâce excellente et tout don parfait vient de Dieu, et le parent humain commet un péché de présomption s’il pense accorder des dons divins. » Or, cette superstition persistante n’a rien à voir avec la vraie religion, mais, au contraire, elle est la cause du scandale de bien des foyers et familles mal ordonnés et mal réglés. Lorsque nous percevrons que Dieu se sert des hommes et des femmes, des parents surtout, comme vecteurs pour transmettre ses dons, et que c’est dans l’observation de sa loi qu’Il est honoré – plutôt que dans l’attitude du courtisan qui attend des faveurs exceptionnelles – alors nous prendrons la peine de comprendre la loi écrite non seulement sur des tables de pierre et des rouleaux de parchemin, mais sur les tablettes charnelles des organismes vivants des enfants ; et, en comprenant la loi, nous verrons avec reconnaissance et expansion du cœur, de quelle manière naturelle Dieu fait effectivement preuve de miséricorde envers les milliers d’entre ceux qui l’aiment et observent ses commandements.
Mais son commandement est extrêmement large ; il s’élargit d’année en année avec chaque révélation de la science ; et nous devons ceindre les reins de notre entendement pour suivre le rythme de cette révélation. Nous devrons aussi nous efforcer de nous maintenir dans cette attitude d’attente qui nous permettra de percevoir l’unité et la continuité de cette révélation avec celle de la parole écrite de Dieu. Car ce n’est peut-être que lorsque nous serons capables de recevoir les deux, et de les harmoniser dans un cœur volontaire et obéissant, que nous entrerons dans une vie heureuse et sainte, ce qui est la volonté de Dieu pour nous.
Processus et méthodes de cette seconde naissance. – Considérons, par exemple, à la lumière de la pensée scientifique actuelle, les processus et les méthodes de cette seconde naissance, que l’enfant réclame des mains de ses parents selon M. Monod. “Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre, et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas » n’est pas seulement une promesse, c’est le constat d’un résultat auquel on arrive par des procédés déductifs. L’écrivain a eu de nombreuses occasions pour recueillir des données ; il a vu grandir de nombreux enfants, et son expérience lui a appris à les diviser en deux classes – les enfants bien élevés qui tournent bien, et les enfants mal élevés qui tournent mal. Il ne fait aucun doute qu’à l’époque, comme aujourd’hui, il y eut des exceptions étonnantes, et l’exception confirme la règle.
Mais, ici comme ailleurs, les promesses et les menaces de la Bible seront soumises à la lumière des méthodes inductives. Nous pouvons nous demander : « Pourquoi en est-il ainsi ? » et ne pas nous contenter d’une réponse générale, à savoir que ceci est naturel et juste. Nous pouvons chercher jusqu’à ce que nous découvrions que ce résultat est inévitable, et qu’aucun autre résultat n’est concevable (à l’exception des influences étrangères), et notre obéissance sera exactement proportionnelle à notre perception du caractère inévitable de la loi.
Dr Maudsley au sujet de l’hérédité. – La vaste notion d’hérédité n’entre pas en ligne de compte dans l’examen de cette seconde naissance ; par la première naissance naturelle, il faut entendre que “les parents et les parents des parents sont renfermés chez l’individu implicitement ou explicitement, et le développement suit la route que l’hérédité lui trace. C’est bien moins à l’éducation qu’à l’hérédité, qu’un homme doit son courage ou sa timidité, sa générosité ou son égoïsme, sa prudence ou son incurie, son ostentation ou sa modestie, et son tempérament fougueux ou pacifique ; le ton fondamental de son caractère est inné et frappe de son cachet les émotions et leurs idées associées, qui naissent dans la suite. (…) L’influence d’une culture systématique sur l’individu est sans doute très grande mais ce qui détermine la limite et même, jusqu’à un certain point, la nature des effets de la culture, ce qui constitue la base naturelle, sur laquelle l’art vient élever ses modifications, c’est l’organisation héritée.”
Disposition et caractère. – Si l’hérédité a tant d’importance – si, comme on pourrait le croire au premier coup d’œil, l’enfant vient au monde avec un caractère tout fait – que reste-t-il à faire pour les parents, sinon de lui permettre de travailler à son salut, sans contrainte ni entrave de leur part, en suivant les lignes de son individualité ? Le fort naturalisme, si l’on peut dire, de notre époque nous incite à adopter cette conception des objectifs et des limites de l’éducation ; et c’est, sans aucun doute, un évangile ; c’est la vérité ; mais ce n’est pas toute la vérité. L’enfant apporte avec lui, dans le monde, non pas un caractère, mais une disposition. Il a des tendances qui peuvent n’avoir besoin que d’être renforcées, ou, encore, détournées, ou même réprimées. Son caractère – l’efflorescence de l’homme dans laquelle se prépare le fruit de sa vie – est une disposition originelle, modifiée, dirigée, développée par l’éducation, par les circonstances ; et plus tard, par la maîtrise de soi et la capacité à se perfectionner, et surtout par l’action suprême du Saint-Esprit, même lorsque cette action est peu soupçonnée et peu sollicitée.
Comment mener à bien ce grand travail de formation du caractère, le seul travail efficace possible pour les êtres humains ? Nous ferons reposer nos recherches sur une base physiologique ; la plus basse, sans doute, mais qui constitue le fondement de tout le reste. Au premier étage, les chambres de la psyché sont des endroits agréables, mais qui commencerait par construire le premier étage ? Sur quoi s’élèverait-il ? Il est certain que la distinction arbitraire entre la matière grise du cerveau et l' »esprit » qui joue sur elle – comme le chant sur les cordes vocales du chanteur – est plus concrète que la reconnaissance de la vérité profonde selon laquelle le cerveau est le simple organe de la partie spirituelle ; enregistrant et effectuant chaque mouvement de pensée et de sentiment, conscient ou inconscient, par un mouvement moléculaire appréciable ; et soutenant les activités infinies de l’esprit par une activité et un gaspillage équivalents énormes. C’est l’organe de l’esprit qui, dans les conditions actuelles, est absolument inséparable et indispensable à l’esprit vivifiant. Une fois que nous aurons reconnu que lorsque nous émettons une pensée, il s’établit dans une partie du cerveau un mouvement aussi distinct que dans les muscles de la main lorsque nous écrivons une phrase, nous verrons que le comportement de la matière grise du cerveau devrait nous confirmer dans notre certitude et nous fournir le système que nous recherchons dans nos tentatives d’éducation, en utilisant ce mot dans le sens le plus digne – puisque sa préoccupation est la formation du caractère.
Après avoir entendu le Dr Maudsley sur le sujet de l’hérédité, écoutons-le encore sur cet autre sujet, qui nous permet pratiquement de définir les possibilités de l’éducation.
Le Dr Maudsley, au sujet des effets structurels des « expériences journalières de l’individu ». – « Tout état de conscience, qui s’est produit une fois avec suffisamment d’intensité, laisse dans le cerveau ou dans l’esprit une disposition fonctionnelle tendant à le reproduire dans la suite ; aucun acte mental ne s’efface absolument ; chacun d’eux laisse une empreinte, qui en facilitera la reproduction. Chaque impression sensorielle, chaque courant d’activité moléculaire, qui passe d’une région à une autre région du cerveau, chaque réaction cérébrale, qui s’écoule par les nerfs moteurs laissent derrière elles une modification des éléments nerveux qui ont agi, une espèce de souvenir, et la reproduction en devient plus facile à mesure qu’elle se renouvelle. Quelque insignifiant que soit l’acte cérébral, il peut toujours se reproduire à un moment donné. Supposez que l’excitation se produise dans une cellule nerveuse, contiguë à une autre, toute semblable à l’origine : dorénavant ces deux cellules différeront toujours. Ce procédé physiologique, quelle que soit sa nature, est la base physique de la mémoire et le point de départ du développement de toutes nos fonctions psychiques.
« La modification matérielle résultant de la fonction a été considérée comme un résidu, une trace, un vestige, une disposition, ou même comme une idée latente ou virtuelle. Non seulement les idées définies, mais toutes les affections du système nerveux, les sensations agréables ou douloureuses, les désirs et même les réactions extérieures laissent des altérations de ce genre dans les centres nerveux, et posent ainsi le fondement de certaines manières de penser, de sentir et d’agir. Ainsi des dispositions particulières naissent parfois, tout à fait ou presque tout à fait à notre insu ; des actes compliqués, qui d’abord ne pouvaient être exécutés que consciemment et à force d’application, deviennent automatiques, grâce à leur fréquente répétition ; des idées, consciemment associées, finissent par entrer les unes avec les autres dans une telle cohésion, qu’elles s’évoquent réciproquement sans aucune coopération de la conscience. C’est ce qui a lieu, par exemple, dans la rapide perception ou intuition de l’homme, qui a acquis une grande expérience de la vie. Les traces inconscientes des sentiments éprouvés affectent le ton général du caractère, de sorte que, abstraction faite de l’organisation innée, les expériences journalières de l’individu développent en lui l’humeur joyeuse ou triste, la lâcheté, la bravoure et même le sens moral. »
Notre époque s’est dotée d’une grande charte éducative. – Nous avons esquissé ici une magnifique charte éducative. Il est sans doute bon que nous ne réalisions pas l’étendue de nos libertés ; autrement, nous serions saisis d’une telle ferveur éducative que nous nous comporterions comme ces premiers chrétiens qui attendaient chaque jour la venue du Seigneur. Comment un homme aurait-il la patience de travailler pour gagner de l’argent s’il lui était révélé qu’il était capable de peindre le plus grand tableau jamais peint ? Et nous, face à la vision passionnante de ce que notre petit enfant pourrait devenir entre nos mains, comment aurions-nous la patience de faire des travaux ordinaires ? Le fait que la science ait révélé la raison d’être de l’éducation à notre époque est peut-être la reconnaissance divine que nous sommes devenus plus aptes à la tâche, parce que nous avons acquis un sens croissant de la responsabilité morale. Que serait-ce pour un peuple immoral de discerner pleinement les possibilités de l’éducation ? Mais comme nous sommes lents ! Comme –
La coutume pèse sur nous comme un poids,
Lourde comme le givre, et presque aussi profonde que la vie !
Une génération est passée depuis que ces mots du Dr Maudsley, et ceux d’autres physiologistes, de portée équivalente, ont été publiés dans le monde. Nous avons intentionnellement choisi des mots qui ont résisté à l’épreuve du temps ; car aujourd’hui, une centaine d’éminents scientifiques, dans notre pays et à l’étranger, proclament les mêmes vérités. Tous les scientifiques en sont convaincus ! Et nous ? Nous continuons selon notre habitude et notre volonté, comme si rien n’avait été dit ; laissant tomber de nos mains négligentes, heure après heure, les graines de blé et de ciguë, de ronce et de rose.
Passons en revue la charte de nos libertés, telle que le Dr Maudsley l’a résumée dans le passage cité plus haut.
Quelques articles de cette charte. – Nous pouvons établir la base physique de la mémoire : tandis que le bébé aux yeux écarquillés s’étire en donnant des coups de pied sans but sur son tapis, il reçoit inconsciemment ces premières impressions qui forment ses premiers souvenirs ; et nous pouvons influencer ces souvenirs pour lui : nous pouvons nous assurer que les premières images qu’il voit sont des images d’ordre, de propreté, de beauté ; que les sons que son oreille perçoit sont musicaux et doux, tendres et joyeux ; que les narines du bébé ne sentent que pureté délicate et douceur. Ces souvenirs restent toute la vie, gravés dans l’inconscient. Comme nous le verrons plus tard, les souvenirs ont un certain pouvoir d’accrétion – là où il y en a, d’autres du même genre se rassemblent, et toute la vie s’ordonne sur les lignes de ces premiers souvenirs purs et tendres.
Nous pouvons ainsi poser les bases du développement de toutes les fonctions mentales. Y a-t-il des enfants qui ne s’émerveillent pas, qui ne vénèrent pas, qui ne se soucient pas des contes de fées, ou qui n’ont pas de sages pensées d’enfant ? Peut-être n’y en a-t-il aucun, mais s’ils existent, c’est parce que le grain de pollen fécond n’a jamais été acheminé vers l’ovule qui l’attend dans l’âme de l’enfant.
Voici quelques-unes des choses que, d’après les citations que nous avons données de l’ouvrage du Dr Maudsley, Physiologie de l’esprit, les parents peuvent établir pour le futur homme, même dans sa petite enfance :
Ses idées précises sur des sujets particuliers, comme, par exemple, ses relations avec les autres.
Ses habitudes, de propreté ou de désordre, de ponctualité, de modération.
Sa façon générale de penser, et comment elle est affectée par l’altruisme ou l’égoïsme.
Ses sentiments et actions qui en découlent.
Ses objets de pensée – les petites affaires de la vie quotidienne, le monde naturel, les opérations ou les productions de l’esprit humain, les voies de Dieu avec les hommes.
Ses talents distinctifs – musique, éloquence, invention.
Sa disposition ou son ton de caractère, tel qu’il se manifeste et affecte sa famille et ses autres proches dans la vie – réservé ou franc, morose ou aimable, mélancolique ou gai, lâche ou courageux.
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CHAPITRE 4 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION
La vie de l’esprit se développe grâce aux idées
“Semez un acte, vous récolterez une habitude ; semez une habitude, vous récolterez un caractère ; semez un caractère, vous récolterez une destinée.”
Résumé du chapitre précédent. – Le dernier chapitre s’est terminé par un résumé imparfait de ce que nous pouvons appeler les fonctions éducatives des parents. Nous avons constaté qu’il appartient aux parents de l’enfant de fixer, pour l’homme futur, ses manières de penser, de se comporter, de sentir, d’agir ; sa disposition, son talent particulier ; le genre de choses sur lesquelles ses pensées doivent porter. Mais qui fixera des limites au pouvoir des parents ? La destinée de l’enfant est régie par ses parents, car ils ont le sol vierge pour eux tout seuls. Les premières semailles doivent être faites de leurs mains, ou de celles de ceux à qui ils choisissent de déléguer.
Conceptions éducatives du passé. – Que sèment les parents ? Des idées. Le plus tôt nous reconnaîtrons l’unique semence éducative que nous tenons entre nos mains, et comment la répandre, le mieux ce sera. Mais notre façon de penser l’éducation est si radicalement erronée ! Nous ne pouvons pas utiliser les mots appropriés parce que nous ne pensons pas comme il faut. Nous avons probablement dépassé l’erreur pédagogique de la tabula rasa. Plus personne ne considère l’âme vierge de l’enfant comme une tablette préparée pour l’exercice de l’art suprême de l’éducateur. Mais la conception qui a succédé à cette hérésie séculaire repose sur les mêmes bases erronées de l’auguste fonction et de la sagesse infaillible de l’éducateur. La voici dans sa forme la plus grossière :
La théorie de Pestalozzi. – « Pestalozzi visait plus à développer harmonieusement les facultés qu’à les utiliser pour l’acquisition des connaissances ; il cherchait à préparer le vase plutôt qu’à le remplir. »
La théorie de Froebel. – Dans les mains de Froebel, la figure gagne en hardiesse et en beauté ; ce n’est plus un simple vase à façonner dans les mains du potier ; mais une fleur, disons une rose parfaite, à modeler délicatement, consciemment et méthodiquement, pétale par pétale, courbes et volutes ; quant au parfum et à la gloire vivante de la fleur, eh bien, cela viendra ; faites votre part et modelez les différents pétales ; attendez aussi le soleil et l’averse, donnez de l’espace et de la place à votre fleur pour s’épanouir. Et c’est ainsi que nous nous mettons au travail en faisant appel à « l’imagination » ici, et au « jugement » là ; puis, aux « facultés perceptives » et aux « facultés conceptuelles ». En ceci, nous visons la nature morale, et en cela, la nature intellectuelle de l’enfant ; en faisant naître, pétale par pétale, la fleur d’une vie parfaite, grâce à des regards chaleureux et de la bonne humeur.
Le Jardin d’enfants, une conception vitale. – Cette façon de voir l’éducation et le travail de l’éducateur est fascinante, et elle appelle un zèle et un dévouement particuliers de la part de ces jardiniers dont les plantes sont les enfants. En effet, cette conception du Jardin d’enfants est peut-être la seule conception vitale de l’éducation que nous ayons eue jusqu’à présent.
Mais la science évolue. – Mais en ces jours de pensée révolutionnaire, quand dans tous les domaines – en géologie et en anthropologie, en chimie, en philologie et en biologie – la science évolue, il est nécessaire que nous reconsidérions notre conception de l’Éducation.
En ce qui concerne l’hérédité. – On nous apprend, par exemple, que l’”hérédité” n’est nullement la transmission simple et directe, d’un parent ou d’un ancêtre lointain, à l’enfant, de la puissance et de la propension, de la vertu et du défaut. Et nous sommes soulagés, parce que nous avions commencé à soupçonner que s’il en était ainsi, cela signifierait, pour la plupart d’entre nous, un héritage de défauts exagérés : l’imbécillité, la folie, la maladie congénitale – en sommes-nous totalement éloignés ?
L’éducation est-elle formatrice ? – Ainsi, en ce qui concerne l’éducation, nous commençons à nous demander si son travail est aussi purement formateur que nous le pensions ? Est-elle directement formatrice ? Qu’y a-t-il de vrai dans cette doctrine agréable et facile, selon laquelle l’éducation consiste à faire naître, à renforcer et à diriger les diverses « facultés » ? Les parents sont très attachés à l’individualité de leurs enfants ; ils se méfient de la tendance à les développer tous sur le même plan ; et cette jalousie instinctive est juste ; car, à supposer que l’éducation consiste réellement en des efforts systématiques pour tirer parti de toutes les forces qui sont en nous, pourquoi devrions-nous tous nous développer sur les mêmes lignes, être aussi semblables que deux gouttes d’eau, et (n’allons-nous pas ?) nous lasser les uns des autres ! Certains d’entre nous ont le sentiment désagréable que les choses tendent vers cette uniformité mortelle ; mais, en fait, cette crainte est sans fondement.
Nous pouvons croire que la personnalité, l’individualité de chacun de nous, est trop chère à Dieu, et trop nécessaire à une humanité accomplie, pour être laissée à la merci de l’empirisme. Nous sommes parfaitement en sécurité, et l’enfant le plus sensible est fortifié contre un bélier de forces éducatives.
“Education”, un terme inadéquat. – A première vue, le problème de l’éducation est plus complexe qu’il ne semble, et il est bon pour nous et pour le monde qu’il en soit ainsi. “L’éducation est une vie” ; on peut l’étouffer, l’affamer et la tuer, ou la chérir et la nourrir ; mais les battements du cœur, le mouvement des poumons et le développement des facultés (existe-t-il des « facultés » ?) ne nous concernent qu’indirectement. La pauvreté de notre pensée en matière d’éducation est démontrée par le fait que nous n’avons aucun mot qui implique le fait d’accompagner une vie : éducation (du latin ex, “hors de” et ducere, “conduire, mener”) est très insuffisant ; il couvre à peine plus que ces gymnastiques occasionnelles de l’esprit similaires à celles qui forment les membres : entraînement (trahere) est presque synonyme, et sur ces deux mots repose l’idée fausse que le développement et l’exercice des « facultés » est l’objet de l’éducation (faute de mieux, nous devons utiliser ce mot).
“Élever” ? – Le terme « élever » est plus proche de la vérité, peut-être à cause de son imprécision ; « élever » implique un but et un effort.
L’heureuse phrase de M. Matthew Arnold – « L’éducation est une atmosphère, une discipline, une vie » – est peut-être la définition la plus complète et la plus adéquate que nous possédions de l’éducation. C’est une grande chose de l’avoir dite, et notre postérité plus sage peut voir dans cette « remarque profonde et exquise » le fruit de toute une vie d’efforts critiques.
Une définition adéquate. – Observons comment elle couvre la question sous les trois points de vue possibles. Subjectivement, chez l’enfant, l’éducation est une vie ; objectivement, parce qu’elle affecte l’enfant, l’éducation est une discipline ; relativement, si nous pouvons introduire un troisième terme, en ce qui concerne l’environnement de l’enfant, l’éducation est une atmosphère.
Nous examinerons plus tard chacun de ces postulats ; pour l’instant, nous nous contenterons de déblayer un peu le terrain, en vue du sujet de ce chapitre, « Les parents en tant que sources d’inspiration » – non pas « modeleurs », mais « inspirateurs ».
La méthode, un moyen de parvenir à une fin. – C’est seulement lorsque nous reconnaissons nos limites que notre travail devient efficace : lorsque nous voyons clairement ce que nous devons faire, ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire, nous nous mettons au travail avec confiance et courage ; nous avons un but en vue, et nous nous dirigeons intelligemment vers ce but, et le moyen d’arriver au but est la méthode. Il appartient aux parents non seulement de faire naître leurs enfants à la vie de l’intelligence et de la puissance morale, mais de soutenir la vie supérieure à qui ils ont donné naissance.
La vie de l’esprit se nourrit d’idées. – Or, cette vie, que nous appelons éducation, ne reçoit qu’une seule sorte de subsistance : elle se nourrit d’idées. Vous pouvez traverser des années de cette soi-disant « éducation » sans recevoir une seule idée vitale ; et c’est pourquoi plus d’un corps bien nourri transportent une intelligence faible et affamée ; pourtant aucun organisme de prévention contre la maltraitance des enfants ne blâme les parents. Il y a quelques années, j’ai entendu parler d’une jeune fille de quinze ans qui avait passé deux ans dans une école sans assister à une seule leçon, et cela par la volonté expresse de sa mère, qui souhaitait que tout son temps et toutes ses peines soient consacrés à des « travaux d’aiguille sophistiqués ». Cela tient de la survie (non du plus fort), mais il est effectivement possible de passer avec succès les examens des universités, sans jamais avoir expérimenté cette agitation vitale qui marque la naissance d’une idée. Et, si nous réussissons à échapper à cette influence perturbatrice, nous avons « terminé notre éducation » lorsque nous quittons l’école ; nous fermons nos livres et notre esprit, et nous restons des pygmées dans la sombre forêt de notre propre monde de pensées et de sentiments.
Qu’est-ce qu’une idée ? – Une chose vivante de l’esprit, selon les philosophes les plus anciens, de Platon à Bacon, de Bacon à Coleridge. Nous disons d’une idée qu’elle nous frappe, qu’elle nous impressionne, qu’elle nous saisit, qu’elle prend possession de nous, qu’elle nous gouverne ; et notre langage courant est, comme d’habitude, plus fidèle aux faits qu’à la pensée consciente qu’il exprime. Nous n’exagérons pas le moins du monde en attribuant cette sorte d’action et de puissance à une idée. Nous nous formons un idéal – une idée incarnée, pour ainsi dire – et notre idéal exerce sur nous la plus forte influence formatrice. Pourquoi vous consacrez-vous à cette quête, à cette cause ? « Parce qu’il y a vingt ans, telle ou telle idée m’a frappé« , est le genre de réponse que pourrait faire toute personne qui mène une vie utile, une vie consacrée à la réalisation d’une idée. N’est-il pas étonnant qu’en reconnaissant comme nous le faisons la puissance des idées, le mot et la conception qu’elle recouvre entrent si peu dans notre réflexion sur l’éducation ?
Coleridge fait entrer la conception d’une « idée » dans la sphère de la pensée scientifique d’aujourd’hui, non pas telle qu’elle est exprimée dans la définition du terme “psychology” – terme qu’il a lui-même lancé dans le monde en s’excusant de cet insolens verbum, mais dans cette science de la corrélation et de l’interaction de l’esprit et du cerveau, qui est actuellement exprimée assez maladroitement par des termes tels que « physiologie mentale » et « psychophysiologie ».
Dans sa Méthode, Coleridge illustre l’ascension et le développement d’une idée de la façon suivante :
Essor et développement d’une idée. – « Aucun incident de l’histoire humaine n’impressionne l’imagination plus profondément que le moment où Colomb, sur un océan inconnu, perçut pour la première fois ce fait étonnant, le mouvement de l’aiguille magnétique. Combien d’exemples de ce genre se produisent dans l’Histoire lorsque les idées de la Nature (présentées à certains esprits par une Puissance Supérieure à la Nature elle-même) déploient soudain, comme une succession prophétique, des visions systématiques destinées à produire les révolutions les plus importantes pour la condition humaine ! L’esprit clair de Colomb était sans doute éminemment méthodique. Il vit distinctement cette grande idée directrice qui autorisait le pauvre navigateur à devenir un ‘pourvoyeur de royaumes’. »
Genèse d’une idée. – Remarquons la genèse de ces idées – « présentées à certains esprits par une Puissance Supérieure à la Nature » ; remarquons avec quelle précision cette histoire d’une idée s’accorde avec ce que nous savons de l’histoire des grandes inventions et découvertes, avec celle des idées qui régissent notre propre vie ; et à quel point elle correspond à cette réponse sur l’origine des idées « pratiques » que nous trouvons ailleurs : “Le laboureur passe-t-il tout son temps à labourer pour semer, à défoncer et herser son coin de terre ? Après avoir aplani la surface, ne jette-t-il pas la nigelle, ne répand-il pas le cumin ? Puis il met le blé, le millet, l’orge et l’épeautre en bordure. Son Dieu lui a enseigné cette règle et l’a instruit. […]
“Lorsqu’on foule le froment, on ne s’attarde pas à l’écraser […] Tout cela est un don de Yahvé Sabaot, merveilleux conseil qui fait de grandes choses.”
Une idée peut exister sous la forme d’une « appétence ». – Les idées peuvent nous imprégner comme le fait une atmosphère, plutôt que nous frapper comme une arme. “L’idée peut exister sous une forme claire, distincte, définie, comme celle d’un cercle dans l’esprit d’un géomètre ; ou elle peut être un simple instinct, une vague appétence pour quelque chose, […] comme l’impulsion qui remplit de larmes les yeux du jeune poète, sans qu’il ne sache pourquoi ». Exciter cette « appétence pour quelque chose » – pour les choses belles, honnêtes et de bonne qualité – est le premier et le plus important des devoirs de l’éducateur. Comment transmettre ces idées imprécises qui se manifestent dans l’appétence ? Elles ne doivent pas être données dans un but précis, ni prises à des moments précis. Elles se tiennent dans ce milieu de pensée qui entoure l’enfant comme une atmosphère, qu’il respire comme son souffle de vie ; et cette atmosphère dans laquelle l’enfant conçoit ses idées inconscientes d’une vie juste émane de ses parents. Chaque regard de douceur et chaque ton de révérence, chaque parole de bonté et chaque acte de soutien, passe dans le milieu de pensée, l’atmosphère même que l’enfant respire ; il ne pense pas à ces choses, il peut ne jamais y penser, mais durant toute sa vie, elles excitent cette « vague appétence pour quelque chose » d’où jaillissent la plupart de ses actions. Oh, la présence merveilleuse et redoutable du petit enfant dans notre foyer.
Un enfant s’inspire de sa vie quotidienne. – Qu’il s’inspire de sa vie quotidienne, qu’il fasse de nos pauvres paroles, et de nos manières, le point de départ et la direction de son développement, voilà une pensée qui coupe le souffle aux meilleurs d’entre nous. Il n’y a pas d’échappatoire pour les parents ; ils doivent être des « inspirateurs » pour leurs enfants, car autour d’eux plane, comme son atmosphère autour d’une planète, le milieu de pensée de l’enfant, d’où il tire ces idées durables qui s’exprimeront toute sa vie sous la forme d’une « appétence » pour les choses sordides ou belles, les choses terrestres ou divines.
Ordre et progrès des idées définies. – Écoutons maintenant Coleridge au sujet de ces idées définies qui ne sont pas inhalées comme l’air, mais acheminées à l’esprit comme de la nourriture :
« A partir de la première idée, ou idée initiale, comme à partir d’une graine, germent d’autres idées. »
« Les événements et les images, la machinerie vivante et stimulante du monde extérieur, sont comme la lumière, l’air et l’humidité pour la semence de l’esprit, qui autrement pourrirait et périrait. »
« Les voies dans lesquelles nous pouvons suivre un parcours méthodique sont multiples, et à la tête de chacune se trouve son idée particulière et directrice. »
« Ces idées sont tout aussi sûrement subordonnées à la dignité que les directions qu’elles prennent sont diverses et originales. Le monde a beaucoup souffert, dans les temps modernes, d’une subversion de l’ordre naturel et nécessaire de la Science (…) de la convocation de la raison et de la foi à la barre de cette expérience physique limitée à laquelle, selon les vraies lois ou méthodes, elles n’ont pas à obéir. »
« Le progrès suit la voie de l’idée dont il émane ; il exige cependant un éveil constant de l’esprit pour le maintenir dans les limites convenables de son cours. C’est pourquoi les sphères de la pensée, pour ainsi dire, doivent différer entre elles de la même façon que les idées initiales. »
Doctrine platonicienne des idées. – N’avons-nous pas ici le corollaire et l’explication de cette loi de la réflexion inconsciente, qui aboutit à nos « façons de penser », qui façonne notre caractère et règle notre destinée ? Les esprits réfléchis considèrent que la lumière nouvelle que la biologie jette sur les lois de l’esprit, met une fois de plus en évidence la doctrine platonicienne, selon laquelle « une idée est une puissance distincte, qui s’affirme d’elle-même et qui est considérée dans son unité avec l’Essence Éternelle. »
Seules les idées importent dans l’éducation. – Le sujet est profond, mais il est aussi pratique que profond. Nous devons nous défaire de la théorie selon laquelle les fonctions de l’éducation sont, pour l’essentiel, gymniques. Dans les premières années de la vie de l’enfant, les parents ne voient peut-être guère de différence entre penser qu’éduquer, c’est remplir un vase, écrire sur une tablette, modeler de la matière ou nourrir une vie ; mais finalement, nous constaterons que seules les idées qui ont nourri sa vie ont eu de l’importance dans l’existence de l’enfant ; tout le reste a été perdu, ou pire, est comme de la sciure dans la machine, un obstacle et une blessure pour les processus vitaux.
Comment la formule éducative devrait se développer. – Voici, peut-être, comment la formule éducative devrait se développer : l’Éducation est une vie ; cette vie est soutenue par des idées ; les idées sont d’origine spirituelle ; et,
« Dieu nous a ainsi faits »
que nous les obtenons principalement en nous les transmettant les uns aux autres. Le devoir des parents est de nourrir le corps de l’enfant. L’enfant est un éclectique ; il peut choisir ceci ou cela ; c’est pourquoi, dès le matin, sème ton grain, et le soir ne laisse pas ta main inactive, car de deux choses tu ne sais pas celle qui réussira, ou si elles sont aussi bonnes l’une que l’autre.
L’enfant a des affinités avec le mal comme avec le bien ; c’est pourquoi il faut le protéger contre toute possibilité d’engranger de mauvaises idées.
L’idée initiale engendre des idées consécutives ; veillez donc à ce que les idées principales des enfants sur les grandes relations et les devoirs importants de la vie soient justes.
Chaque étude, chaque ligne de pensée, a son « idée directrice » ; par conséquent, les études d’un enfant constituent une éducation vivante dans la mesure où elles sont stimulées par les idées directrices « qui se trouvent en tête ».
Qu’est-ce que la « raison infaillible » ? – En un mot, notre « raison infaillible » tant vantée, n’est-elle pas la pensée involontaire qui suit l’idée initiale selon des lignes logiques et appropriées ? L’idée de départ est donnée, et la conclusion peut être prédite presque avec certitude. Nous prenons l’habitude de penser de telle ou telle manière, et d’arriver à telle ou telle conclusion, de plus en plus loin du point de départ, mais sur la même ligne. Il y a une adaptation structurelle, dans le tissu cérébral, de la manière dont nous pensons – un lieu et une façon pour qu’elles se développent. Ainsi, nous voyons comment le destin d’une vie est façonné dès la nurserie par l’évocation révérencieuse du Nom Divin ; par la légère moquerie des choses saintes ; par la pensée du devoir que reçoit le petit enfant à qui l’on fait accomplir consciencieusement sa petite tâche ; par la dureté de cœur qui gagne l’enfant qui entend parler à la légère des fautes ou des peines des autres.
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CHAPITRE 5 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION
Les choses de l’esprit
Les parents, révélateurs de Dieu à leurs enfants. – Il est probable que les parents, devant l’importance de leur rôle, ressentent plus que jamais la responsabilité de leur fonction prophétique. C’est en tant que révélateurs de Dieu à leurs enfants que les parents touchent à leurs limites les plus élevées ; peut-être n’est-ce que lorsqu’ils réussissent dans cette partie de leur travail qu’ils accomplissent l’intention Divine, celle d’avoir des enfants à élever dans les encouragements et les mises en garde du Seigneur.
Comment les fortifier contre le doute. – Comment fortifier les enfants contre les doutes dont l’air est rempli, est une question angoissante. Trois possibilités s’offrent à nous : enseigner comme l’on nous a enseigné, et les laisser attendre leur heure et leur chance ; essayer de résoudre les doutes et les difficultés qui se sont présentés ou qui risquent de se présenter ; ou bien, donner aux enfants une telle prise sur la vérité vitale, et en même temps une telle perspective sur la pensée actuelle, qu’ils seront du bon côté des controverses de leur temps, ouverts à la vérité, aussi nouvelle qu’elle puisse être présentée, et protégés contre l’erreur fatale.
Trois voies : la première est injuste. – La première voie est injuste pour les jeunes : quand l’attaque survient, ils se trouvent dans une situation désavantageuse ; ils n’ont rien à répondre ; leur orgueil est en jeu ; ils concluent immédiatement qu’ils ne peuvent se défendre face à ce qu’ils ont reçu comme une vérité ; s’il existait une défense, n’en auraient-ils pas été instruits pour la mettre en œuvre ? Ils n’aiment pas qu’on leur donne tort, qu’on les mette dans le camp des plus faibles – c’est ce qu’ils croient –, qu’on les pense en retard sur leur temps, et ils se rangent sans lutter du côté des penseurs les plus agressifs de leur époque.
Les « évidences » ne sont pas des preuves. – Supposons, d’autre part, qu’ils aient été fortifiés par des « preuves chrétiennes », défendues par les remparts d’un enseignement dogmatique solide. La religion, sans enseignement dogmatique défini, dégénère en sentiment, mais le dogme, en tant que dogme, n’offre aucune défense contre les assauts de l’incrédulité. En ce qui concerne les « évidences », le rôle du défenseur chrétien est exposé à la condamnation véhiculée par le puissant proverbe, qui s’excuse, s’accuse ; la vérité par laquelle nous vivons doit nécessairement être évidente par elle-même, n’admettant ni preuve ni réfutation. Il faut enseigner aux enfants l’histoire de la Bible avec toutes les explications que la recherche moderne rend possibles. Mais il ne faut pas leur apprendre à considérer les inscriptions sur les monuments assyriens, par exemple, comme des preuves de la vérité des récits bibliques, mais plutôt comme des illustrations de ces récits, bien qu’elles soient, et ne peuvent être que des preuves subsidiaires.
La perspective sur la pensée actuelle. – Examinons la troisième voie : et tout d’abord, en ce qui concerne la perspective sur la pensée actuelle. L’opinion actuelle est l’obsession des jeunes esprits. Les jeunes gens sont avides de savoir ce qu’il faut penser sur toutes les questions sérieuses de la religion et de la vie. Ils s’interrogent sur l’opinion de tel ou tel grand penseur de leur temps. Ils ne se limitent nullement aux leaders d’opinion que leurs parents ont choisi de suivre ; au contraire, “l’envers » de chaque question a pour eux un côté attrayant, et ils ne choisissent pas de se ranger derrière les chefs de file dans la course à la pensée.
Le libre arbitre dans la pensée. – Les parents ne doivent pas s’étonner que leurs enfants se jettent ainsi à l’eau. Toute leur éducation, dès la plus tendre enfance, devrait être axée sur ce plongeon. Lorsque le moment est venu, il n’y a rien à faire ; ouvertement, peut-être, secrètement si la règle du foyer est rigide, les jeunes pensent par eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils suivent le chef qu’ils ont élu ; car ils sont vraiment modestes et humbles de cœur, et n’osent pas encore penser par eux-mêmes ; seulement, ils ont transféré leur allégeance. Ce transfert d’allégeance ne doit pas non plus être mal vécu par les parents ; nous revendiquons tous cette “liberté de choix” lorsque nous nous sentons inclus dans des intérêts plus larges que ceux de la famille.
Préparation. – Il y a beaucoup à faire en amont, mais plus grand chose lorsque le moment est venu. L’idée de l’infaillibilité d’une autorité contemporaine peut être régulièrement ébranlée dès l’enfance, mais au prix d’un certain sacrifice, d’une certaine aisance et d’une certaine gloire pour les parents. Le « je ne sais pas » doit remplacer la réponse vaguement sage, lancée au hasard, que les questions insistantes des enfants provoquent trop souvent. Et le « je ne sais pas » doit être suivi de l’effort pour savoir, de la recherche nécessaire pour découvrir. Même dans ce cas, il faut parfois faire face à la possibilité d’une erreur dans un livre. Les résultats de ce type d’entraînement sont inestimables pour l’équilibre mental et le repos.
Réserve à l’égard de la Science. – Une autre garantie réside dans l’attitude de réserve, dirons-nous, qu’il est bon de conserver à l’égard de la « Science ». Il est bon d’enflammer l’enthousiasme des enfants, de leur faire voir combien il est glorieux de consacrer toute une vie à de patientes recherches, combien il est grand de découvrir un seul secret de la Nature, une clé à de nombreuses énigmes. Les héros de la science devraient être leurs héros ; les grands noms, surtout nos contemporains, devraient être connus de tous. Mais là encore, il faut faire preuve de discernement ; deux points doivent être mis bien en évidence – le silence absolu de l’oracle sur toutes les questions ultimes de l’origine et de la vie, et le fait que, tout du long, la vérité scientifique arrive comme la marée, avec une progression constante, mais avec le flux et le reflux de chaque vague de vérité ; à tel point qu’à l’heure actuelle, l’enseignement des vingt dernières années est discrédité dans au moins une douzaine de départements scientifiques. En effet, la sagesse voudrait que l’on attende un demi-siècle avant d’intégrer une découverte dans le schéma général des choses. Et cela, non pas parce que la dernière découverte n’est pas absolument vraie, mais parce que nous ne sommes pas encore capables de l’intégrer – selon la « science de la proportion des choses » – de manière à ce qu’elle soit relativement vraie.
La connaissance est progressive. – Mais tout ceci doit sûrement être au-dessus des enfants ? En aucun cas ; car chaque promenade devrait raviver leur enthousiasme pour les choses de la Nature et leur respect pour les prêtres de ce temple ; mais il faudrait saisir l’occasion de souligner les avancées progressives de la science, et le fait que l’enseignement d’aujourd’hui peut être l’erreur de demain, parce que de nouvelles lumières peuvent conduire à de nouvelles conclusions même à partir de faits déjà connus. “Jusqu’à tout récemment, les géologues pensaient…, ils pensent maintenant…, mais ils pourraient trouver des raisons de penser autrement dans l’avenir.” Percevoir que la connaissance est progressive, et que la prochaine « découverte » peut toujours modifier le sens de ce qui a précédé ; que nous attendons, et que nous pouvons attendre très longtemps, le dernier mot ; que la science est aussi une « révélation », bien que nous ne soyons pas encore capables d’interpréter pleinement ce que nous savons ; et que la « science » elle-même contient la promesse d’un grand élan pour la vie spirituelle – percevoir ces choses, c’est être capable de se réjouir de toute vérité et d’attendre l’ultime certitude.
Les enfants devraient apprendre certaines lois de la pensée. – Par ailleurs, nous pouvons nous efforcer d’assurer aux enfants cette stabilité d’esprit qui découle de la connaissance de soi. Il est bon qu’ils connaissent, le plus tôt possible, afin qu’ils aient l’impression d’avoir toujours su, certaines des lois de la pensée qui gouvernent leur propre esprit. Qu’ils sachent qu’une fois qu’une idée s’est emparée d’eux, elle suit, pour ainsi dire, son propre cours, s’établit dans la substance même du cerveau et entraîne son propre cortège d’idées. L’une des sources les plus fécondes de l’infidélité des jeunes est le fait que les garçons et les filles réfléchis sont infiniment surpris lorsqu’ils arrivent à remarquer le cours de leurs propres pensées. Ils lisent un livre ou écoutent une conversation avec une inclination pour ce qu’ils pensent être la « libre pensée ». Et puis, ils découvrent avec une « joie craintive » que leurs propres pensées commencent par une réflexion qu’ils ont entendue, et se poursuivent jusqu’à des conclusions nouvelles et surprenantes sur les mêmes axes ! L’agitation mentale de tout cela donne un délicieux sentiment de puissance, et un sentiment d’inévitabilité et de certitude aussi ; car ils n’ont pas l’intention ou la volonté de penser ceci ou cela. Cela leur parvient comme allant de soi ; leur raison, croient-ils, agit indépendamment d’eux, et comment peuvent-ils s’empêcher de supposer que ce qui leur parvient comme allant de soi, avec un air de certitude absolue, doit nécessairement être juste ?
Traiter les pensées à mesure qu’elles leur viennent. – Mais que se serait-il passé si, dès l’enfance, on les avait prévenus : « Occupez-vous de vos pensées, et le reste se fera tout seul ; laissez entrer une pensée, et elle restera ; elle reviendra demain et le jour suivant, se fera une place dans votre cerveau, et amènera beaucoup d’autres pensées comme elle. Votre tâche consiste à examiner les pensées à mesure qu’elles arrivent, à écarter les mauvaises et à laisser entrer les bonnes. Veillez à ne pas tomber dans la tentation. » Ce genre d’enseignement n’est pas aussi difficile à comprendre que les règles du nominatif anglais, et il est infiniment plus utile dans la conduite de la vie. C’est une grande protection de savoir que votre « raison » est capable de prouver toute théorie que vous vous autorisez à entretenir.
La requête des enfants. – Nous n’avons abordé ici que le côté négatif du travail des parents en tant que prophètes et inspirateurs. Il y a probablement peu de parents qui ne sont pas fortement touchés par l’innocence du bébé dans les bras de sa mère. « Ouvrez-moi les portes de la justice, pour que je puisse y entrer », est la voix du petit enfant qui ne connaît pas le monde ; et le souhait qu’il puisse être préservé du monde est exprimé dans chaque baiser de sa mère, dans la lumière des yeux de son père. Mais nous sommes facilement prêts à conclure que les enfants ne peuvent pas comprendre les choses spirituelles. Notre propre compréhension des choses de l’Esprit est trop faible, et comment pouvons-nous espérer que la faible intelligence de l’enfant puisse appréhender les plus grands mystères de notre être ? Pourtant, ici, nous avons complètement tort. C’est avec l’âge qu’un tempérament matérialiste s’installe en nous. Mais les enfants vivent dans la lumière du soleil levant. Le monde des esprits n’a pas de mystères pour eux ; cette parabole et ce travestissement du monde des esprits, le monde des fées, où tout est possible, n’est-il pas leur lieu de séjour favori ? Et si les contes de fées sont si chers aux enfants, c’est parce que leur esprit se révolte contre les limites strictes et étroites du temps, du lieu et de la matière ; il ne peut respirer librement dans un monde matériel. Pensez à ce que devrait être la vision de Dieu pour le petit enfant qui regarde déjà avec nostalgie à travers les barreaux de sa prison. Non pas un Dieu lointain, une abstraction froide, mais une Présence spirituelle, chaude, respirante, sur son chemin et autour de son lit – une Présence dans laquelle il reconnaît la protection et la tendresse dans l’obscurité et le danger, vers laquelle il se précipite comme l’enfant timide cache son visage dans les jupes de sa mère.
“Mon refuge”. – Une amie me racontait l’histoire de son enfance. Il se trouve que des cours supplémentaires la retenaient à l’école jusqu’à la tombée de la nuit chaque jour pendant l’hiver. Elle était extrêmement craintive, mais, avec la réserve inconsciente de la jeunesse, elle ne pensait jamais à mentionner sa peur de ce « quelque chose ». Elle rentrait chez elle en longeant une rivière, un chemin solitaire sous les arbres – de grands arbres, avec des masses d’ombre. Les ombres noires pouvaient cacher ce « quelque chose », le clapotement de la rivière pouvait être un murmure ou le bruissement d’un vêtement, tout cela la remplissait d’une incessante terreur nuit après nuit. Elle filait le long de ce chemin au bord de la rivière, le cœur battant ; mais ces mots battaient dans son cerveau, aussi vite que ses pas et son cœur, encore et encore, tout le long du chemin, soir après soir, hiver après hiver : « Tu es un asile pour moi, tu me garantis de la détresse, tu m’entoures de chants de délivrance ». Des années plus tard, alors que l’on pouvait supposer que cette femme avait dépassé ses peurs d’enfant, elle se retrouva à marcher seule dans l’obscurité d’un soir d’hiver, sous des arbres, près du clapotis d’une autre rivière. La vieille terreur revint, et avec elle, les anciens mots ; elle garda le rythme tout le long du chemin précipitant chacun de ses pas. Pour chaque enfant, la pensée de Dieu devrait être un tel refuge.
L’esprit de l’enfant est un « bon terreau ». – Leur sensibilité aiguë aux influences spirituelles n’est pas due à l’ignorance des enfants. C’est nous, et non eux, qui sommes dans l’erreur. Toute la tendance de la pensée biologique moderne est de confirmer l’enseignement de la Bible : les idées qui vivifient viennent d’en haut ; l’esprit du petit enfant est un champ ouvert, un « bon terreau » où, matin après matin, le semeur sort pour semer, et le grain est la Parole. Tout notre enseignement aux enfants devrait être donné avec respect, avec l’humble sentiment que nous sommes invités, dans ce domaine, à coopérer avec le Saint-Esprit ; mais il devrait être donné consciencieusement et avec diligence, avec le sentiment redoutable que notre coopération est une condition de l’action Divine ; que le Sauveur du monde nous supplie de « laisser les petits enfants venir à Lui », comme si nous avions le pouvoir de les en empêcher, et nous savons que c’est le cas.
Les enfants souffrent d’un profond mécontentement. – Cette pensée du Sauveur du monde implique une autre conception que nous laissons parfois de côté lorsque nous nous occupons des enfants. Les jeunes visages ne sont pas toujours ensoleillés et charmants ; même les enfants les plus radieux, dans les circonstances les plus heureuses, ont leurs heures sombres. Nous mettons, à juste titre, ce nuage sur le compte de quelque petit désordre, ou de la météo, mais ce sont là des causes secondaires qui révèlent un mécontentement profond. Les enfants ont un sens du péché aigu, proportionnel à leur sensibilité. Nous risquons trop de nous fier à un traitement à l’eau de rose ; nous ne prenons pas les enfants assez au sérieux ; face à un enfant, nous voyons bien que c’est une personne réelle, mais dans nos théories éducatives, nous le traitons comme « quelque chose entre la poupée de cire et l’ange ». Il pèche, il est coupable de cupidité, de mensonge, de méchanceté, de cruauté, de cent fautes qui seraient détestables chez une personne adulte ; et nous affirmons qu’il s’en rendra compte plus tard. Il ne s’en rendra jamais compte ; il a une conscience aiguë de son caractère odieux. Combien d’entre nous diraient de leur enfance, si nous étions parfaitement honnêtes, « Oh, j’étais un petit être odieux ! » et cela, non pas parce que nous nous souvenons de nos fautes, mais parce que nous nous souvenons de l’estime enfantine que nous avions de nous-mêmes. Plus d’un enfant rayonnant et joyeux est odieux à ses propres yeux ; et le « paix, paix, là où il n’y a point de paix » des parents et des amis affectueux est un faible réconfort. Il est bon de « demander quels sont les anciens sentiers, quelle est la bonne voie » ; il n’est pas bon, au nom des vieux sentiers, de conduire nos enfants dans des impasses, ni de les laisser suivre les nouveaux chemins dans des labyrinthes déroutants.
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CHAPITRE 6 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION
Idées fondamentales venant des parents
“Un des petits garçons, regardant la terrible désolation de la scène, si différente dans ses aspects sauvages et inhumains de tout ce qu’il avait pu voir à la maison, se blottit contre sa mère et demanda, le souffle coupé, ‘Mère, y a-t-il un Dieu ici ?’ »–John Burroughs.
La chose fondamentale que nous devons faire. – Le chapitre précédent a introduit la pensée des parents dans leur plus haute fonction – en tant que révélateurs de Dieu à leurs enfants. Sortir la race humaine, famille par famille, enfant par enfant, de la désolation sauvage et inhumaine où Il n’est pas présent, et les amener dans la lumière, la chaleur et le confort de la présence de Dieu, est, sans aucun doute, la chose fondamentale que nous ayons à faire dans le monde. Et ce travail individuel, fait auprès de chaque enfant, et étant l’œuvre la plus importante du monde, est mis entre les mains des êtres humains les plus sages, les plus aimants, les plus disciplinés et les plus divinement instruits. Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait, voilà la perfection de la parentalité, qui ne peut sans doute être atteinte dans sa plénitude que grâce à la parentalité elle-même. Il y a des parents qui se trompent, des parents ignorants, quelques parents indifférents ; il y a même, peut-être un sur mille, des parents insensibles ; mais le bien qui se fait sur la terre est fait, sous le regard de Dieu, par les parents, que ce soit directement ou indirectement.
Les idées de Dieu qui conviennent aux enfants. – Les parents qui reconnaissent que leur grande tâche s’accomplit par l’intermédiaire des idées qu’ils sont capables d’introduire dans l’esprit de leurs enfants, réfléchiront avec soin aux idées de Dieu qui conviennent le mieux aux enfants, et à la meilleure façon de les transmettre. Considérons une idée qui agite actuellement les esprits.
“Nous devrions aborder la Bible lentement, par le côté humain”. Nous ne sommes pas d’accord. – « Nous lisons une partie de l’histoire de l’Ancien Testament en tant qu’ »histoire des Juifs », et Job, Ésaïe et les Psaumes en tant que poésie – et je suis heureux de dire qu’il les aime beaucoup ; et certaines parties des Évangiles en grec, afin d’étudier la vie et le caractère d’un héros. La plus grande erreur est de décréter tout à la fois aux enfants que ces œuvres font autorité et sont de source divine. Cela diminue d’emblée leur intérêt : Nous devrions aborder la Bible lentement, par le côté humain. »
Voici une théorie qui s’impose d’elle-même à de nombreuses personnes, parce qu’elle est « si raisonnable ». Mais elle part du principe que nous sommes gouvernés par la Raison, une entité infaillible, qui est certaine, si on la laisse faire, de nous conduire à des conclusions justes. Or, l’exercice de cette fonction de l’esprit, que nous appelons raisonnement – nous devons nous refuser à parler de « la Raison » – nous amène effectivement à des conclusions inévitables ; le processus est défini, le résultat convaincant ; mais que ce résultat soit juste ou faux dépend entièrement de l’idée initiale que, lorsque nous voulons la discréditer, nous appelons un préjugé ; lorsque nous voulons l’exalter, nous appelons une intuition, voire une inspiration. Il serait vain d’illustrer cette position ; toute l’histoire de l’Erreur est l’histoire du résultat logique de ce que nous appelons volontiers des idées fausses. L’histoire de la Persécution raconte comment des conclusions inévitables, auxquelles on arrive par le raisonnement, se font passer pour la vérité. L’événement du Calvaire ne fut pas dû à une explosion hâtive et folle de sentiments populaires. C’était un triomphe du raisonnement : l’issue inévitable d’un enchaînement logique ; la Crucifixion n’était pas criminelle, mais tout à fait louable, si ce qui est juste est raisonnable. Et c’est pour cela que le cœur des Juifs religieux était endurci et leur entendement obscurci ; ils faisaient vraiment ce qui était juste à leurs propres yeux. C’est une chose merveilleuse que de percevoir les pensées qui sont en nous et qui nous poussent vers une conclusion inévitable, même contre notre volonté. Comment cette conclusion, qui se présente à nous, malgré nous, pourrait-elle ne pas être juste ?
Certitude logique et bien moral – Le Juif consciencieux et la Crucifixion. – Plaçons-nous un instant dans la position du Juif logique et consciencieux. “Jéhovah » est un nom qui exprime la vénération, inaccessible en pensée ou en action, sauf de la manière qu’il a Lui-même spécifiée. Tenter une approche illégitime équivaut à blasphémer. Comme Jéhovah est infiniment grand, l’offense présomptueuse est infiniment odieuse, elle est criminelle, elle est le dernier des crimes car elle est commise contre Celui qui est le Premier. Le blasphémateur est digne de mort. Cet homme se fait l’égal de Dieu, l’inaccessible. C’est un blasphémateur, arrogant comme Belzébuth. Il est doublement digne de mort. Le Nom sacré est confié au peuple des Juifs ; c’est à lui qu’il incombe d’exterminer le blasphémateur. L’homme doit mourir.” Voilà le secret de la haine virulente qui poursuivait les pas de la Vie irréprochable. Ces hommes suivaient les préceptes de la raison, et savaient, disaient-ils, qu’ils faisaient le bien. Nous avons ici l’ignorance invincible que la Lumière du monde n’a pas su éclairer, et Lui,
« Qui nous connaît tels que nous sommes,
Pourtant nous aime mieux que ce qu’Il ne connaît de nous.”
leur offre le vrai plaidoyer : « Ils ne savent ce qu’ils font ». Les étapes de l’argumentation sont incontestables ; l’erreur réside dans l’idée initiale – une conception de Jéhovah qui a rendu la conception du Christ inadmissible, impossible.
Le Juif patriote et la Crucifixion. – Ainsi a raisonné le Juif sur qui sa religion avait la préséance. Le Juif patriote, pour qui la religion elle-même était subordonnée aux espoirs de sa nation, arrivait par une toute autre chaîne d’arguments spontanés, à la même conclusion inévitable : « Les Juifs sont le peuple élu. Le premier devoir d’un Juif est envers sa nation. Nous vivons une époque critique. Un grand espoir est devant nous, mais nous sommes sous l’emprise des Romains ; ils peuvent écraser la vie nationale avant que notre espoir ne se réalise. Il ne faut rien faire qui puisse éveiller leurs soupçons. Cet homme ? De l’avis général, Il est inoffensif, peut-être juste. Mais Il soulève le peuple. Le bruit court qu’ils L’appellent Roi des Juifs. Il ne doit pas être autorisé à ruiner les espoirs de la nation. Il doit mourir. Il est opportun qu’un homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas.” Ainsi, le plus grand crime qui ait été commis sur la terre, le fut probablement sans aucune conscience de la criminalité ; au contraire, avec l’acquittement de ce faux sens moral qui soutient par son approbation toute action raisonnable. La Crucifixion fut le résultat logique et nécessaire des idées que les Juifs persécutés avaient assimilées dès le berceau. Il en est ainsi de toute persécution ; aucune n’arrive dans l’impulsion du moment, mais résulte de l’habitude de pensée de toute une vie.
Les idées fondamentales proviennent des parents. – Les enfants doivent tenir de leurs parents l’impulsion fondamentale qui résulte de leurs habitudes de pensée ; et comme la pensée et l’action d’un homme, dirigées vers Dieu, sont
« l’intime pulsation de la machine »,
l’introduction d’idées fondatrices qui pousseront l’âme vers Dieu est le premier devoir et le plus grand privilège des parents. Quel que soit le péché d’incrédulité dont un homme est coupable, ses parents sont-ils entièrement exempts de reproches ?
Les premiers pas vers Dieu. – Considérons ce qui se fait couramment dans les nurseries à cet égard. A peine le petit être est-il capable de gazouiller qu’on lui apprend à s’agenouiller sur les genoux de sa mère et à dire « Dieu bénisse…” puis à énumérer ses proches et à dire « Dieu bénisse… et fasse de lui un bon garçon, pour l’amour de Jésus. Amen. » C’est très touchant et très beau. Un jour, je jetai un coup d’œil par la porte ouverte d’une chaumière dans un village de la lande, et je vis un petit enfant en chemise de nuit, agenouillé sur les genoux de sa mère, qui faisait sa prière du soir. Depuis, cet endroit est resté pour moi une sorte de sanctuaire. Il n’y a pas de spectacle plus touchant et plus tendre. Bientôt, dès qu’il pourra les prononcer, les mots
« Bon Jésus, doux et gentil »,
seront ajoutés à la prière du petit, et plus tard, le « Notre Père ». Rien de plus approprié et de plus beau que ces rapprochements vers Dieu, matin et soir, de la part des mères à leurs petits enfants. Et la plupart d’entre nous se souviennent de l’influence bénéfique de ces premières prières. Mais ne pourrions-nous pas faire plus ? Combien de fois par jour une mère élève-t-elle son cœur vers Dieu en allant et venant parmi ses enfants, sans qu’ils ne le sachent jamais ! « Aujourd’hui, je leur ai parlé (un garçon et une fille de quatre et cinq ans) de Rebecca au puits. Ils étaient très intéressés, surtout par le fait qu’Eliézer priait dans son cœur et la réponse vint immédiatement. Ils me demandèrent : ‘Comment a-t-il prié ?’ J’ai répondu : ‘Je prie souvent dans mon cœur alors que vous n’en savez rien. Parfois vous commencez à manifester un esprit méchant, et je prie pour vous dans mon cœur, et presque aussitôt je trouve que le bon esprit revient, et vos visages montrent que ma prière est exaucée.’ O. me caressa la main et dit : ‘Chère maman, je vais y penser !’ Mon garçon avait l’air pensif, mais ne parlait pas ; et quand ils furent au lit, je me suis agenouillée pour prier pour eux avant de les quitter, et quand je me suis levée, mon garçon m’a dit : ‘Mère, Dieu a rempli mon cœur de bonté pendant que vous priiez pour nous ; mère, j’essaierai demain.’ »
Communier à haute voix en présence des enfants. – Ne serait-il pas possible que la mère, lorsqu’elle est seule avec ses enfants, organise de temps en temps cette communion à haute voix, afin que les enfants puissent grandir dans le sens de la présence de Dieu ? Il serait probablement difficile pour de nombreuses mères de briser la barrière de la réserve spirituelle, même en présence de leurs propres enfants. Mais, si cela pouvait être fait, cela ne conduirait-il pas à une vie heureuse et naturelle dans la présence reconnue de Dieu ?
La gratitude d’un enfant. – Une mère, qui se souvenait d’une petite bouteille de parfum à un penny comme d’une de ses premières joies, apporta trois petites bouteilles de ce genre à ses trois petites filles. Elles les reçurent le lendemain matin au petit-déjeuner familial, et en profitèrent tout au long du repas. La mère dut quitter la table avant la fin du repas et la petite M. resta assise toute seule avec son flacon de parfum et les restes de son petit-déjeuner. Et du cœur pur de la petite fille sortit cette phrase, qui ne devait être entendue par personne : « Chère maman, vous êtes trop bonne ! ». Pensez à la joie de la mère qui entendrait sa petite fille murmurer sur la première primevère de l’année : « Cher Dieu, vous êtes trop bon ! ». Les enfants imitent tellement, que s’ils entendent leurs parents exprimer continuellement leurs joies et leurs craintes, leurs remerciements et leurs souhaits, eux aussi auront beaucoup de choses à dire.
Un autre point à ce sujet : le petit enfant allemand entend et prononce plusieurs fois par jour der liebe Gott ; certes, il s’adresse à Lui en disant « Du« , mais du fait partie de son langage quotidien ; son cercle de personnes les plus chères et intimes est délimité par le du magique. Il en va de même pour le petit enfant français, dont la pensée et la parole vont toujours au bon Dieu ; il dit aussi Tu, mais c’est ainsi qu’il parle à ceux qui lui sont les plus chers.
Les formules archaïques dans les prières des enfants. – Mais le petit enfant anglais est mis à l’écart par un mode de communication archaïque, respectueux à nos oreilles de personnes plus âgées, mais inadapté, nous pouvons en être sûrs, pour l’enfant. Alors, pour le Notre Père, quelle aubaine serait une traduction vraiment révérencieuse dans l’anglais d’aujourd’hui ! Pour nous, qui avons appris à le formuler, la forme actuelle est chère, presque sacrée ; mais nous ne devons pas oublier qu’il ne s’agit après tout que d’une traduction, et que c’est peut-être le texte anglais le plus archaïque en usage aujourd’hui : l’expression « which art » (les catholiques disent « who art »), couramment prononcée « chart », ne signifie rien pour un enfant. “Hallowed » est comme une langue étrangère pour lui – et il en est de même pour nous ; « trespasses » est un terme semi-juridique, peu susceptible d’être rencontré au quotidien ; et aucune explication ne fera que « Thy » ait la même force pour lui que « your ». Faire dire ses prières à un enfant dans un langage étrange, c’est dresser une barrière entre lui et son « Aimé Tout-Puissant ». Encore une fois, ne pourrions-nous pas nous risquer à apprendre à nos enfants à dire « Cher Dieu » ? Un parent, assurément, reconnaitra qu’aucun style austère et révérencieux ne peut être aussi doux aux oreilles du Père Divin que l’appel au « cher Dieu » pour la sympathie dans les moments joyeux et l’aide dans la difficulté, appel qui vient naturellement du petit enfant « habitué à Dieu ». Laissez les enfants grandir en étant conscients de la Présence constante et immédiate, qui apporte et offre de la joie au sein de leur entourage, et vous pourrez rire de toutes ces soit-disants “infidélités”, notion qui semble absurde à celui qui connaît son Dieu aussi bien, sinon mieux, que son père ou sa mère, sa femme ou son enfant.
“Un chant de triomphe royal”. – Qu’ils grandissent avec un chant de triomphe royal au milieu d’eux. Il y a, dans cette pauvre substance que nous appelons la nature humaine, des sources de loyauté, d’adoration, de dévotion passionnée, de service joyeux, qui doivent, hélas ! être libérées du vieux cœur endurci, mais qui ne demandent qu’à couler de celui de l’enfant. Il n’y a aucune garantie et aucune joie semblable à celle d’être sous les ordres, d’être possédé, contrôlé, continuellement au service de Celui à qui c’est une joie d’obéir.
Nous perdons de vue ce fait dans notre civilisation moderne, mais un roi, un chef, implique la guerre, un ennemi, la victoire – peut-être une défaite et la disgrâce. Et c’est cette conception de la vie qu’on ne saurait trop tôt présenter aux enfants.
Le combat du Christ contre le diable. – « Après avoir réfléchi à la question avec attention, j’ai décidé de vous donner mon point de vue sur ce que le garçon moyen retirait de notre Rugby School il y a un demi-siècle et qui lui a été le plus utile par la suite. […] J’ai eu quelques doutes sur ce qui me semblait le plus important, et je ne suis pas sûr que les quelques camarades de mon ancienne école, qui sont encore en vie, seraient d’accord avec moi ; mais, en ce qui me concerne, je pense que c’était notre caractéristique la plus marquée, le sentiment qu’à l’école et à l’extérieur, nous nous entraînions pour un grand combat – nous étions, en fait, déjà engagés dans ce combat – un combat qui durerait toute notre vie, et mettrait à l’épreuve toutes nos forces, physiques, intellectuelles et morales, à l’extrême. Je n’ai pas besoin de dire que ce combat était celui, vieux comme le monde, du bien contre le mal, de la lumière et de la vérité contre les ténèbres et le péché, du Christ contre le diable. »
Ainsi s’exprimait l’auteur de Tom Brown dans un discours prononcé à la Rugby School, récemment, lors d’un dimanche de la Quinquagésime. C’est un langage clair ; l’éducation n’est digne de ce nom que si elle enseigne cette leçon ; et c’est une leçon qui doit être apprise à la maison ou dès que l’enfant rejoint une autre école de la vie. C’est une insulte aux enfants que de dire qu’ils sont trop jeunes pour comprendre ce pour quoi nous sommes envoyés dans le monde.
« Oh, comme c’est difficile de faire le travail de Dieu ! ». – Un garçon de cinq ans, arrière-petit-fils du Dr Arnold, était assis au piano avec sa mère et choisissait son hymne dominical ; il choisit « Ta volonté soit faite » et son verset préféré, celui commençant par « Renouvelle ma volonté de jour en jour ». Le choix de l’hymne et du verset laissa sa mère plutôt perplexe, puis elle eut un aperçu du monde de la pensée enfantine lorsque le petit garçon dit avec mélancolie : « Oh, comme c’est difficile de faire le travail de Dieu ! ». La différence entre faire et endurer n’était pas claire pour lui, mais la bataille, la lutte et la tension de la vie pesaient déjà sur l’esprit de « l’enfant insouciant et heureux ». Les enfants apprennent bien assez tôt qu’une personnalité spirituelle malveillante peut s’emparer de leurs pensées et les inciter à « être vilains », et ils le comprennent peut-être mieux que nous. Alors, ils sont fâchés, « vilains », divisés, coupables, et ont besoin d’être guéris aussi réellement que le vieux pécheur ; et ils sont bien plus conscients de ce besoin, parce que l’âme tendre de l’enfant, comme la peau d’un nourrisson, est irritée par la douleur spirituelle. « Dieu est très bon de me pardonner si souvent ; j’ai été vilaine tant de fois aujourd’hui », disait une triste petite pécheresse de six ans, mais pas du tout parce que quelqu’un d’autre avait pris la peine de l’en convaincre. Même la bonne humeur de « Pet Marjorie » n’échappe pas à ce triste sentiment d’insuffisance.
« Hier, je me suis extrêmement mal comportée dans la très sainte église de Dieu, car je n’ai pas voulu y aller ni laisser Isabella y aller, […] et c’est le même Diable qui a tenté Job qui m’a tentée, j’en suis sûre ; mais il a résisté à Satan, bien qu’il ait eu des ulcères et beaucoup d’autres malheurs auxquels j’ai échappé. » – (à six ans !)
Nous devons sourire des petits « crimes », mais nous ne devons pas trop sourire et laisser les enfants s’affliger de leurs « méchancetés » alors qu’ils devraient vivre dans la guérison instantanée, dans le cher Nom, du Sauveur du monde.
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CHAPITRE 7 LE PARENT EN TANT QUE MAÎTRE D’ÉCOLE
“Le maître d’école le fera ‘se tenir correctement’ !”. – « Se tenir correctement », c’est-à-dire « venir quand on l’appelle » apparemment, car la remarque concernait une petite personne qui continuait à faire tourner sa toupie avec nonchalance, ignorant le flot intermittent de réprimandes de sa mère, qui estimait que l’heure du coucher était arrivée. Si les circonstances changent selon les cas, il n’est pas rare, dans les hautes sphères de la société, que l’on confie au maître d’école le soin de faire « se tenir correctement » un enfant, après une longue période de relâchement mental et moral à la maison.
Les raisons pour lesquelles cette tâche est laissée au maître d’école. – « Oh, il est encore petit, il s’améliorera avec le temps. »
“Je pense que les enfants ne doivent connaître que des moments agréables. Ils auront suffisamment de contraintes et de frustrations lorsqu’ils iront à l’école.”
“Nous ne sommes pas partisans de punir les enfants ; aimer ses enfants et les laisser tranquilles, tel est notre principe.”
“Ils rencontreront assez de dureté dans le monde. L’enfance ne doit pas leur laisser de mauvais souvenirs.”
“L’école les formera. Laissez-les grandir comme de jeunes poulains jusqu’à ce que le moment vienne de les briser. Tous les jeunes êtres devraient être libres de s’amuser.”
« Chassez le naturel, il revient au galop. Je me soucie peu de façonner les enfants. Cela détruit l’individualité.”
“Quand il sera plus âgé, il s’en rendra compte. Le temps guérit beaucoup de défauts. »
Et ainsi de suite ; nous pourrions remplir des pages avec les sages paroles des gens qui, pour une raison ou une autre, préfèrent laisser au maître d’école le soin de faire « se tenir correctement » un enfant. Le maître d’école est-il à la hauteur de sa réputation ? Dans quelle mesure réussit-il avec l’enfant qui se présente à lui sans autodiscipline ? Ses véritables succès, ceux dont il est fier, concernent les enfants qui ont appris à “se tenir correctement” à la maison. Son bonheur à l’égard de ces enfants est sans bornes ; les soins qu’il leur donne sont illimités ; les brillantes carrières qu’il est capable de leur faire entreprendre dépassent l’ambition des êtres humains les plus follement ambitieux (oserions-nous le dire ?) : les parents, des parents tranquilles, raisonnables, terre à terre. Mais l’instituteur ne s’attribue guère le mérite de ces heureux résultats. Les maîtres et maîtresses d’école sont des gens modestes, même si on ne reconnaît pas toujours leurs qualités.
Ses succès concernent les enfants qui ont été formés à la maison. – « Vous pouvez tout faire avec cet enfant, ses parents l’ont si bien élevé. » Remarquez que le maître s’attribue peu de crédit (pas autant qu’il le mérite) ; et pourquoi ? L’expérience rend les fous sages ; alors que dire de ceux qui ajoutent l’expérience à la sagesse ? “Les gens nous envoient leurs petits pour les mettre au pas, et que pouvons-nous faire ?” La réponse à cette question concerne les parents directement : que peut faire le maître d’école pour faire “se tenir correctement” le garçon qui n’a pas été élevé comme il faut ?
Aucune persuasion ne vous fera « vous tenir correctement” si vous êtes une huître, ni même si vous êtes une morue. Vous devez avoir une colonne vertébrale, et votre colonne vertébrale doit avoir appris son travail avant qu’il vous soit possible de vous tenir droit. Il ne fait aucun doute que l’huître humaine peut se doter d’une colonne vertébrale et que la morue humaine peut apprendre à se redresser, et un jour, peut-être, nous découvrirons les efforts héroïques déployés par le maître et la maîtresse d’école pour soutenir, hisser, tirer, et maintenir en éveil et bien droit des créatures qui ont l’habitude de s’affaler. Parfois, le résultat est surprenant ; ils se tiennent en rang avec les autres et ont l’air de se tenir correctement ; même quand on enlève les soutiens, ils continuent à se tenir droit pendant un moment. Le maître d’école commence à se frotter les mains, et les parents disent : « Je vous l’avais dit. N’ai-je pas toujours dit que Jack finirait par bien se comporter ? ». Attendez un peu. L’histoire n’est pas finie.
Les habitudes dans le milieu scolaire sont mécaniques. – Les habitudes à l’école, comme à l’armée, sont plus ou moins mécaniques. Les premières habitudes sont fondamentales ; elles reviennent, et Jack, maintenant un homme, s’affale tout comme il s’affalait, enfant, et plus encore. Divers soutiens sociaux lui permettent de se tenir droit ; il a le chic pour sembler « se tenir correctement » ; il est aimable et sa vie est respectable ; et personne ne soupçonne que ce Mr. John Brown, au caractère facile, est un raté : un homme qui avait en lui les éléments de la grandeur, et qui aurait pu être utile au monde s’il avait été soumis à une discipline dès son enfance.
Le “relâchement” mental illustré dans Edward Waverley. – Relâchement est un mot laid, mais l’attitude à laquelle nous pensons est loin d’être toujours inélégante. Scott donne une illustration exquise d’un type de relâchement mental dans Waverley :
« Mais le caractère d’Édouard Waverley était loin de l’un ou l’autre de ces défauts ; son intelligence était si vive et si analogue à l’intuition, que le soin principal de son précepteur était, comme dirait un chasseur, de l’empêcher de sauter par-dessus le gibier, c’est-à-dire de l’empêcher d’acquérir des connaissances légères, vagues et sans règles. Le précepteur avait aussi à combattre en lui une autre disposition qui s’unit souvent à une brillante imagination, à un esprit vif, c’était cette indolence de caractère, qui ne peut être stimulée que par de puissants attraits, et qui renonce à l’étude aussitôt que la curiosité est satisfaite et qu’on a épuisé le plaisir des premières difficultés vaincues et d’une nouveauté conquise. » Et l’histoire se poursuit en montrant, sans qu’il soit nécessaire d’insister sur la morale, que Waverley, indécis par nature comme son nom l’indique, a toujours été le jouet des circonstances, parce qu’il n’avait pas appris dans sa jeunesse à diriger sa destinée. Il s’est fourvoyé dans de nombreuses (et très intéressantes) mésaventures parce qu’il n’avait pas réussi à acquérir, par ses études, la vivacité d’esprit et la retenue qui devaient faire de lui un homme. Beaucoup de choses agréables lui arrivent, mais pas une seule d’entre elles, hormis l’amour de Rose Bradwardine – et depuis quand les femmes font-elles preuve de justice quand elles octroient leurs faveurs ? – pas une seule n’a été gagnée par son propre esprit ou ses propres prouesses. Tous les avantages et les succès auxquels il a eu droit étaient le fruit du travail d’un autre homme. L’aîné des Waverley avait non seulement la fortune, mais aussi la force de caractère pour se faire des amis, de sorte que nous ne sommes pas tristes pour l’aimable jeune homme envers qui nous devrions éprouver de l’affection ; il ne fait rien pour se frayer un chemin, et il se met ses propres obstacles parce qu’il est incapable de s’autodiscipliner ; mais son oncle possède une fortune et des amis, et tout finit bien. Sans doute, dans l’intérêt de jeunes gens moins bien lotis et de parents qui ne sont pas en mesure de jouer le rôle de la généreuse Providence pour des fils et des filles qu’ils n’ont pas su préparer à diriger leur propre vie, le grand romancier prend soin de souligner que l’échec personnel d’Edward Waverley dans la vie était la faute de son éducation. Ses capacités étaient d’ailleurs brillantes, mais le « j’aime » avait pris le pas sur le « je dois » dès son plus jeune âge, et il n’avait jamais appris à se forcer à faire ce qu’il devait faire.
Les parents sont enclins à déléguer au maître d’école le soin d’enseigner l’autodiscipline. – C’est ce genre de “mise au pas” que les parents sont enclins à déléguer au maître d’école. Ils n’offrent pas à leurs enfants la discipline qui permet d’acquérir le pouvoir de se discipliner soi-même ; et au bout d’un certain temps, lorsqu’ils confient la tâche à quelqu’un d’autre, il est trop tard pour apprendre l’art de l’autodiscipline, et un bon caractère est gâché par l’indolence et l’entêtement.
“Mais pourquoi ne pas laisser au maître d’école le soin d’apprendre à un enfant à ‘se tenir correctement’ ? Il est naturel qu’un enfant soit laissé libre comme l’air dans des domaines sans importance morale. Nous ne le laisserions pas dire de mensonges, mais s’il déteste ses leçons, c’est peut-être la Nature qui lui montre qu’il ferait mieux de les laisser de côté.”
Nous ne sommes pas censés grandir dans un état de Nature. – Nous devons nous rendre à l’évidence. Nous ne sommes pas censés grandir dans un état de Nature. Il y a quelque chose de simple, de concluant, voire d’idyllique, dans l’affirmation que telle personne est « naturelle ». Que demander de plus ? Jean-Jacques Rousseau a prêché la doctrine de l’éducation naturelle, et aucun réformateur n’a eu autant d’adeptes. « C’est la nature humaine », disons-nous, lorsque l’orageux Harry arrache son tambour à Jack, lorsque la petite Marjorie, qui n’a pas deux ans, réclame la poupée de Susie. C’est ainsi, et c’est pour cette raison qu’il faut s’en occuper tôt. Même Marjorie doit être mieux formée. « J’enseigne toujours l’obéissance à mes enfants avant qu’ils n’aient un an », dit une mère sage ; et tous ceux qui connaissent la nature des enfants et les possibilités qui s’offrent à l’éducateur diront : « Pourquoi pas ?” ; l’obéissance dès la première année, et toutes les vertus d’une bonne vie au fil des années ; chaque année ayant son propre travail à accomplir dans la formation du caractère. Édouard est-il un enfant égoïste quand arrive son cinquième anniversaire ? Ce fait est noté dans le journal de ses parents, avec la résolution qu’à son sixième anniversaire, il sera, si Dieu le veut, un enfant généreux. Ici, le lecteur qui n’a pas compris que l’exercice de la discipline est l’une des principales fonctions des parents, sourit et parle de la « nature humaine » comme si c’était un argument irréfutable.
La première fonction du parent est celle de la discipline. – Mais nous vivons dans un monde racheté, et cette phrase insondable signifie qu’il est du devoir de ceux qui prennent soin des enfants d’éradiquer chaque trait vulgaire et haineux, de planter et de cultiver les fruits de ce royaume chez les enfants qui ont été délivrés du royaume de la nature pour entrer dans le royaume de la grâce, c’est-à-dire tous les enfants nés dans ce monde racheté. Le parent qui croit que les possibilités d’éducation vertueuse sont illimitées se mettra au travail avec une joyeuse confiance, renoncera aux sottises sur la « Nature », qu’il la considère comme une idée séduisante ou comme une force irrésistible, et percevra que la première fonction du parent est cette fonction de discipline que l’on confie si volontiers au maître d’école.
L’éducation est une discipline. – La discipline ne signifie pas la verge, ni le coin, ni la pantoufle, ni le lit, ni aucun des derniers recours des faibles. Plus tôt nous cesserons de croire que la souffrance purement pénale fait partie du plan divin, plus tôt le recours convulsif à la verge disparaîtra dans les familles. Nous ne disons pas que la baguette n’est jamais utile, mais nous disons qu’elle ne devrait jamais être nécessaire. Le fait est que beaucoup d’entre nous ne croient pas à l’éducation, sauf si elle signifie l’acquisition d’un certain nombre de connaissances ; l’éducation en tant que traitement curatif et méthodique de tous les défauts du caractère, n’entre pas dans notre schéma des possibilités. Voilà ce que nous voulons dire quand nous disons que l’Éducation est une Discipline. Là où ses parents échouent, la pauvre âme trouve une autre chance dans la discipline de la vie ; mais nous devons nous rappeler que, si c’est la nature de l’enfant de se soumettre à la discipline, c’est la nature de l’homme indiscipliné de s’acharner avec une volonté passionnée contre les circonstances qui sont destinées à sa formation ; de sorte que le parent qui choisit délibérément de laisser son enfant être « brisé » par le maître d’école, ou par la vie, le livre à un combat où toutes les chances sont contre lui. Le corps, le caractère, les dispositions, la carrière, les affections, les aspirations d’un homme sont tous, plus ou moins, le résultat de la discipline à laquelle ses parents l’ont soumis, ou de l’anarchie qu’ils ont permise.
La discipline n’est pas une punition. – Qu’est-ce que la discipline ? Observez le mot ; il n’y a aucune allusion à la punition. Un disciple est un suiveur, et la discipline est l’état du suiveur, de l’apprenant, de l’imitateur. Les mères et les pères ont tort d’oublier que leurs enfants sont, par la volonté même de la Nature, leurs disciples. Or, il n’est pas d’homme qui se mette à la tête de disciples sans vouloir leur inculquer certains principes, ou tout au moins des maximes, des règles de vie. Ainsi le parent doit avoir dans son cœur des notions de vie et de devoir qu’il s’efforce sans relâche d’inculquer à ses enfants.
Comment attirer les disciples. – Celui qui veut rassembler des disciples ne se fie pas à la force, mais à ces trois choses – l’attrait de sa doctrine, la persuasion de sa présentation, l’enthousiasme de ses disciples ; ainsi le parent possède des enseignements de la vie parfaite qu’il sait présenter continuellement avec une énergie victorieuse jusqu’à ce que les enfants soient animés d’un tel zèle pour la vertu et la sainteté qu’ils progressent rapidement.
Des progrès constants selon un plan minutieux. – Tout comme l’instituteur n’endoctrine pas ses élèves d’un seul coup, mais un peu par-ci, un peu par-là, en progressant régulièrement selon un plan minutieux, le parent, qui veut que son enfant participe à la nature Divine, a un plan, une échelle ascendante de vertus, à laquelle il se réfère pour entraîner son jeune disciple. Il ajoute à la foi, dont l’enfant est si richement pourvu, la vertu ; à la vertu, la connaissance ; et à la connaissance, l’autodiscipline. Après avoir exercé son enfant à l’autodiscipline, il le forme à la patience ; à la patience, il ajoute la piété ; à la piété, la bonté ; et à la bonté, l’amour. Voilà ce que les parents avisés cultivent de manière aussi systématique et avec des résultats aussi précis que s’ils enseignaient les « trois R ».
Mais comment faire ? La réponse couvre un champ si vaste que nous la réserverons pour un autre chapitre. Disons seulement ceci : chaque qualité a son défaut, chaque défaut a sa qualité. Observez votre enfant ; il a des qualités, il est généreux ; veillez à ce que l’aimable petit bonhomme, qui donnerait son âme, ne soit pas également téméraire, impétueux, obstiné, passionné, « son plus grand ennemi ». Il appartient aux parents d’abaisser les montagnes et de combler les vallées, et de tracer des chemins droits pour les pas de leur petit garçon.
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CHAPITRE 8 CULTIVER LE CARACTÈRE
Les parents comme formateurs
“Je tiens de mon père la stature,
La conduite grave,
De ma mère l’enjouement
Et le goût de conter,”
a dit Goethe ; car les aptitudes et les qualités des poètes, comme les nôtres, sont innées, elles ne sont pas le résultat de leur éducation, et ils ont hérité de leurs parents la majeure partie de ce qu’ils sont. Mais il n’a pas fallu un poète ou un scientifique moderne pour le découvrir ; les gens l’ont toujours su. Tel père, tel fils, disaient-ils, et ils étaient satisfaits, car il n’était pas de coutume, autrefois, de débattre des grands principes de la vie.
Dans quelle mesure l’hérédité compte-t-elle ? – Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; nous parlons encore et encore de ce que nous appelons l’hérédité et nous la prenons en compte dans nos concepts, si ce n’est dans nos actions. Aujourd’hui, personne n’écrit une biographie sans tenter de présenter les parents et l’environnement des premières années qui expliqueraient l’homme ou la femme. Ce phénomène de l’hérédité est très présent dans l’esprit du public, et il aura bientôt une incidence sur les idées vagues que les gens se font de l’éducation. Par exemple : « Harold est un petit garçon brillant, mais il n’a pas la moindre capacité d’attention. »
« Oh, je le sais bien. Mais, pauvre enfant, il n’y peut rien ! Vous savez, c’est inscrit dans ses gènes, nous sommes tous distraits dans la famille.”
Maintenant, la question éducative pratique de notre époque est la suivante : peut-il changer ? ou, ses parents peuvent-ils l’aider à changer ? ou, l’enfant doit-il se contenter toute sa vie du trait de caractère dont il a hérité ? Le fait est que beaucoup d’entre nous, enseignants professionnels, ayons visé à côté du but ; nous parlons comme si le développement de certaines facultés était l’objet principal de l’éducation ; et nous montrons nos résultats, intellectuels, moraux, esthétiques, physiques, avec un : « Voyez ce que la culture peut accomplir ! »
Pour leur éducation, les enfants ont surtout besoin d’opportunités. – Mais nous oublions que l’enfant a des désirs innés, même après tout ce que nous lui avons transmis. De la même façon que l’enfant en bonne santé a besoin de nourriture et de repos, il a soif de connaissances, de perfection, de beauté, de pouvoir, de société ; et tout ce qu’il souhaite, c’est une opportunité. Donnez-lui des opportunités d’aimer et d’apprendre, et il aimera et apprendra, car « c’est dans sa nature ». Quiconque a pris note du caractère raisonnable et doux, de l’intelligence rapide, de l’imagination brillante d’un enfant, pensera que notre agitation au sujet des leçons appropriées au développement de ces traits de caractère revient à se demander comment faire manger un homme affamé.
Plus d’un homme s’est intéressé aux sciences naturelles parce qu’il a vécu à la campagne et a eu l’occasion d’observer les êtres vivants et leurs habitudes. Personne ne s’est donné la peine de développer ses facultés ; tout ce qu’il avait, c’était l’opportunité. Si l’esprit du garçon est encombré d’autres choses, il ne dispose pas d’opportunité ; et vous pouvez rencontrer des hommes très cultivés qui ont vécu la plus grande partie de leur vie à la campagne et qui ne savent pas distinguer une grive d’un merle. Je connais une femme qui a développé un goût à la fois pour la métaphysique et la littérature, parce qu’à l’âge de dix ans, on lui a permis de feuilleter de vieux volumes de The Spectator, ce qui, selon elle, fut la partie la plus révélatrice de son éducation.
Une expérience dans l’enseignement de l’art. – Encore une fois, j’ai été témoin dernièrement d’un résultat éducatif extraordinaire dû à l’opportunité. Une amie, qui participait à un Club d’Ouvriers, entreprit d’enseigner à une classe le modelage de l’argile. Aucune sélection n’avait été opérée ; les garçons étaient des ouvriers de filatures, admis au fur et à mesure qu’ils arrivaient, sans aucune qualification, sauf que, comme le disait leur professeure, ils n’avaient pas été gâtés, c’est-à-dire qu’on ne leur avait pas appris à dessiner de la manière habituelle. Elle leur donnait de l’argile, un modèle, un ou deux outils de modelage, et aussi, étant artiste elle-même, une perception de l’objet à copier. Après une demi-douzaine de leçons, ce qu’ils produisaient ne pouvait qu’être qualifié d’œuvres d’art ; et c’était un plaisir de voir la vigueur et l’esprit avec lesquels ils travaillaient, l’instinct artistique qui saisissait l’impression de l’objet, comme les plis faits par un petit pied et qui font d’une chaussure d’enfant une chose à embrasser. Cette dame soutient qu’elle n’a laissé sortir que ce qu’il y avait déjà dans ces garçons ; mais elle a fait plus – son propre enthousiasme artistique a forcé leur effort artistique. Même en tenant compte de l’enthousiasme de l’enseignante – j’aimerais que l’on puisse toujours compter sur ce facteur – cette anecdote démontre bien notre point de vue, à savoir que si on leur donne l’opportunité et la direction, les enfants feront la plus grande partie de leur propre éducation, intellectuelle, esthétique et même morale, en raison des désirs, des pouvoirs et des affections merveilleusement équilibrés qui composent la nature humaine.
Voilà une doctrine réjouissante, qui devrait mettre bien des enseignants au chômage. Il suffirait d’offrir des débouchés à leurs énergies, de les guider un peu, de faire preuve d’un peu de contrôle, puis nous pourrions nous asseoir les mains croisées et les regarder faire. Mais, en réalité, il y a deux choses importantes à faire : développer leurs facultés – ici, un peu de notre aide est très utile – et former leur caractère – et là, les enfants sont comme de l’argile dans les mains du potier, absolument dépendants de leurs parents.
Mais le caractère est un accomplissement. – Les dispositions, l’intelligence, le génie, viennent à peu de chose près de la nature ; mais le caractère est un accomplissement, le seul accomplissement concret possible pour nous-mêmes et pour nos enfants ; et tout progrès réel dans la famille ou dans l’individu se fait selon les traits de caractère. Nos grands personnages sont grands simplement en raison de leur force de caractère. C’est pour cela, plus que pour leurs succès littéraires, que Carlyle et Johnson sont grands. The Life de Boswell est, et peut-être avec mérite, le succès littéraire le plus important de son auteur ; mais quel type de personne est-il ?
Deux façons de préserver la santé mentale. – La grandeur et la petitesse font partie du caractère, et la vie serait ennuyeuse si nous étions tous façonnés dans le même moule ; mais comment se fait-il que nous soyons différents ? Sûrement en raison de nos qualités héréditaires. Ce sont les tendances héréditaires qui façonnent le caractère. L’homme qui est généreux, obstiné, colérique, pieux, l’est, en général, parce que ce trait de caractère est présent dans sa famille. Les circonstances ont influencé un aïeul vers le défaut ou la vertu, et cette tendance se répétera jusqu’à la fin du chapitre. Pour sauver cette qualité unique de l’exagération qui détruirait l’équilibre des qualités que nous appelons la santé mentale, deux contre-forces sont prévues : le mariage et l’éducation.
Le développement du caractère est l’œuvre principale de l’éducation. – Nous revenons maintenant à notre point de départ. Si le développement du caractère, plutôt que des facultés, est le travail principal de l’éducation, et si les gens naissent, pour ainsi dire, déjà faits, avec tous les éléments de leur caractère ultérieur, assurés de se développer avec le temps et les circonstances, quel rôle reste-t-il pour l’éducation ?
Raisons plausibles de ne rien faire. – Très souvent, on décide de ne rien faire ; et il y a trois ou quatre manières d’arriver à cette conclusion comme –
A quoi bon ? Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants devraient en être agacées. Tommy est têtu comme une petite mule, mais que voulez-vous ? Son père l’est aussi. Tous les Jones le sont depuis la nuit des temps. L’obstination de Tommy est considérée comme un fait, qui ne peut être ni évité ni empêché.
Ou encore, Mary est un enfant papillon, jamais concentrée plus de cinq minutes sur ce qu’elle a en main. « Cette enfant est exactement comme moi ! », dit sa mère, « mais le temps la corrigera ». Autre exemple, Fanny s’endort en chantant l’hymne sicilien des vêpres (la berceuse de sa nourrice) avant même de savoir parler. On commente : « C’est étrange que l’oreille musicale soit présente dans notre famille », mais aucun effort particulier n’est fait pour développer ce talent.
Un autre enfant pose des questions bizarres, a tendance à plaisanter sur les choses sacrées, à appeler son père « Tom » et, en général, à faire preuve de manque de respect. Ses parents sont des gens sérieux – ils pensent avec douleur aux opinions libres de l’oncle Harry, et décident d’une politique de répression. « Fais ce que l’on te dit et ne fais pas de remarques » devient la règle de vie de l’enfant, jusqu’à ce qu’il trouve des échappatoires dont on ne se doute pas à la maison.
Sur un autre plan, la pensée commune est bien plus au fait des connaissances scientifiques actuelles ; il existe dans la famille une prédisposition aux problèmes pulmonaires : les médecins se chargent de la traiter avant que l’habitude délicate n’apparaisse. Les précautions nécessaires étant prises, il n’y a aucune raison pour que l’enfant ne meure pas à un âge avancé.
Une fois de plus, il y a des parents qui sont conscients des progrès de la science dans l’éducation, mais qui doutent de la légitimité à chercher dans la science une aide pour la formation du caractère. Ils voient des défauts héréditaires chez leurs enfants, mais ils les considèrent comme « la faute et la corruption de la nature de chaque homme, qui est naturellement engendré de la postérité d’Adam ». Ils croient qu’il ne leur appartient pas d’y remédier, à moins que le défaut du garçon soit de nature perturbatrice – un tempérament violent, par exemple – auquel cas la mère ne voit pas d’inconvénient à extirper de lui l’Adam fautif à coups de fouet.
Mais les lois par lesquelles le corps, l’esprit et la nature morale s’épanouissent ont été révélées par la science. – Les lois par lesquelles le corps, l’esprit et la nature morale s’épanouissent ou se dégradent nous ont été révélées aussi sûrement que les lois de la vie spirituelle, bien que sans la même sainteté. Il nous incombe de nous familiariser avec ces lois ; et le parent chrétien qui a peur de la science et préfère élever ses enfants à la lumière de la Nature lorsque celle de la révélation qui fait autorité échoue, crée une perte irréparable pour ses enfants.
La race progresse. – Si la race progresse, c’est sur le plan du caractère, car chaque nouvelle génération hérite et ajoute à ce qu’il y a de meilleur dans ce qui l’a précédée. Nous devrions disposer aujourd’hui de la fleur et du fruit, préparés par de longues lignées d’aïeux. Les enfants ont toujours été charmants, depuis le jour où un petit enfant dans les rues de Jérusalem a été pris et placé au milieu de la foule pour montrer à quoi ressemblent les princes du Royaume à venir :
« Dans le royaume sont les enfants ;
Vous pouvez le lire dans leurs yeux ;
Toute la liberté du Royaume
Demeure dans leur insouciante humeur. »
Et quelle mère ne s’est pas inclinée devant le cœur princier innocent de son propre petit enfant ? Mais en dehors de cela, de leur vie heureuse au soleil de la présence Divine, il est certain que nos enfants sont « plus encore » que ceux d’autrefois. Jamais auparavant on n’a écrit de Jackanapes ou Story of a Short Life. Shakespeare n’a jamais réellement dépeint un enfant, ni Scott, et encore moins Dickens, bien qu’il ait maintes fois essayé ; soit nous sommes en train de nous éveiller à ce qu’ils ont en eux, soit les enfants avancent résolument dans le chariot du temps, tenant avec légèreté les acquis du passé et les possibilités de l’avenir. C’est l’époque du culte de l’enfance ; et les enfants bien élevés de parents chrétiens et cultivés sont effectivement charmants. Mais hélas, combien d’entre nous dégradent ce que nous aimons ! Pensez à tous ces innocents qui seront envoyés dans le monde, déjà mutilés, spirituellement et moralement, par les mains de parents aimants.
Le devoir de chérir certains traits de famille. – Au contraire, le père et la mère respectueux, qui discernent un beau trait de famille chez l’un de leurs enfants, s’appliquent à le nourrir et à le chérir comme le fait un jardinier avec les pêches qu’il veut montrer. Nous savons comment « ce baiser a fait de moi un peintre », c’est-à-dire qu’il a éveillé la faculté artistique de l’enfant. Plus la plante est de choix, nous dit le jardinier, plus il doit se donner de la peine pour l’élever. Voilà le secret de la perte et du gaspillage de certaines des natures les plus belles et les plus aimables que le monde ait connues : ils n’ont pas été élevés avec les soins que leur constitution délicate et sensible exigeait. Pensez à la façon dont Shelley a été livré à lui-même ! Nous vivons à une époque délicate. C’est bien de crier : « Donnez-nous de la lumière – plus de lumière et davantage de lumière » ; mais que se passera-t-il si la nouvelle lumière nous fait découvrir un dédale d’obligations, complexe et fastidieux ?
Les qualités uniques exigent du soin. – Il est, à première vue, déconcertant de constater que pour toute qualité unique, morale ou intellectuelle, que nous discernons chez les enfants, un soin spécial est exigé ; mais, après tout, notre obligation envers chacune de ces qualités se résume à lui fournir ces quatre choses : nourriture, exercice, changement et repos.
Quatre conditions au soin – Exercice. – Un enfant a un grand penchant pour les langues (son grand-père en maîtrisait neuf) ; le petit bonhomme « zozote en latin », reçoit sa « mensa » de sa nourrice, connaît ses déclinaisons avant d’avoir cinq ans. Quelle voie s’offre à la mère qui constate un tel don chez son enfant ? D’abord, qu’il l’utilise ; qu’il apprenne ses déclinaisons et tout ce qu’il veut sans le moindre effort. Il est probable que les terminaisons latines viennent aussi facilement et agréablement à son oreille que “See-saw, Margery Daw » à l’enfant ordinaire, bien que, sans doute, “Margery Daw » soit plus approprié.
La nourriture. – Laissez-le faire tout ce qu’il veut de son propre chef, mais ne le pressez pas, ne l’applaudissez pas, ne le mettez pas en valeur. Ensuite, laissez les mots transmettre les idées selon sa capacité à les comprendre. Le bouton d’or, la primevère, le pissenlit, la pie, chacun raconte sa propre histoire ; la pâquerette est l’œil du jour, qui s’ouvre avec le soleil et se ferme quand il se couche –
“C’est pour cette raison que les hommes peuvent m’appeler
La pâquerette, ou encore l’œil du jour.”
Faites-lui sentir que les mots courants que nous utilisons sans réfléchir sont beaux, pleins d’histoire et d’intérêt. C’est une excellente chose que l’enfant reçoive les idées propres à ses qualités inhérentes. Une idée bien présentée est assimilée sans effort puis, une fois assimilées, les idées se comportent comme des créatures vivantes – elles se nourrissent, croissent et se multiplient.
Le changement. – Ensuite, offrez-lui un agréable changement de pensée, c’est-à-dire un travail et des idées tout à fait différents de son penchant pour les langues. Présentez-lui, comme des amis, les choses extérieures qui se trouvent sur son chemin – le rouge-gorge, la cétoine dorée, les tunnels creusés par les vers, les arbres de la forêt, les fleurs des champs – tous les objets naturels, courants et curieux, près de chez lui. Aucun autre savoir n’est aussi agréable que cette simple connaissance des objets naturels.
Ou encore, quelqu’un fait remarquer que tous nos grands inventeurs ont, dans leur jeunesse, manipulé de la matière – argile, bois, fer, laiton, pigments. Qu’il travaille avec la matière. Fournir à un enfant des ressources agréables dans des domaines différents de son penchant naturel est le seul moyen de garder un esprit sain en présence d’une activité absorbante.
Le repos. – Pour autant, le changement d’activité n’est pas du repos : si un homme fait avancer une machine, tantôt avec son pied, tantôt avec sa main, le pied ou la main se reposent, mais pas l’homme. Un jeu de chahut (mieux, en ce qui concerne le simple repos, que des jeux avec des règles ou de la compétition), une conversation absurde, un conte de fées, ou s’allonger sur le dos au soleil, devraient reposer l’enfant, et il devrait bénéficier suffisamment de ce genre d’activités.
Le travail et l’usure du tissu cérébral sont nécessaires. – Voici, en gros, la raison d’être de la question : de même que nous cousons ou écrivons grâce à l’instrumentalisation de la main, de même l’enfant apprend, pense, ressent, au moyen d’un organe matériel – le très délicat tissu nerveux du cerveau. Or, ce tissu s’use constamment et rapidement. Plus il est utilisé, que ce soit sous forme d’effort mental ou d’excitation émotionnelle, plus il s’use. Heureusement, une croissance rapide remplace les déchets, d’où la nécessité de travailler et d’user les tissus. Mais que l’usure prenne le pas sur le gain, et des dégâts durables se produiront. C’est pourquoi il ne faut jamais laisser le travail cérébral de l’enfant dépasser ses facultés de réparation, qu’il s’agisse de leçons trop dures ou de l’excitation qui accompagne les dissipations enfantines. Un autre argument en faveur d’un repos abondant est qu’une chose à la fois, et bien faite, semble être la règle de la Nature ; et ses heures de repos et de jeu correspondent aux heures de croissance physique de l’enfant ; voyez l’aspect chétif des enfants que l’on laisse vivre dans un tourbillon de petites excitations.
Un mot encore sur la nécessité d’un changement de pensée pour l’enfant qui a un intérêt particulier. Le tissu cérébral ne s’use pas seulement avec le travail, mais, pour ainsi dire, il s’use localement. Nous savons tous combien nous sommes épuisés après avoir consacré notre esprit pendant quelques heures ou quelques jours à un sujet quelconque, qu’il soit angoissant ou joyeux : nous sommes heureux d’échapper enfin à cette pensée absorbante, et nous la trouvons épuisante quand elle nous revient à l’esprit. Il semblerait que, si l’on travaille en continu sur certaines idées, une certaine partie de la substance cérébrale est, pour ainsi dire, usée et affaiblie par le trafic constant de ces idées. Et cela a plus de conséquences lorsque les idées sont morales que lorsqu’elles sont simplement intellectuelles. Les pensées d’Hamlet tournent continuellement autour de quelques faits bouleversants ; il devient morbide, pas tout à fait sain d’esprit ; en un mot, il est excentrique.
Le danger de l’excentricité. – L’excentricité est un danger contre lequel les parents d’enfants bien nés doivent rester vigilants. Ceux-ci naissent avec de fortes tendances à certaines qualités et façons de penser. Leur éducation tend à accentuer ces qualités ; l’équilibre entre celles-ci et les autres qualités se perd, et ils deviennent des personnes excentriques. M. Matthew Arnold qualifie d’inefficaces la vie et l’œuvre d’un grand poète ; et c’est assez souvent le verdict que l’on pose sur les excentriques. Qu’importent leur génie et leur force de caractère, ou leurs belles qualités morales, la société ne les prendra pas comme modèles s’ils ne se conduisent pas comme tout le monde, en suivant la loi et de façon convenable ; vraiment, il y a une grande marge d’originalité dans le fait de refuser de suivre le troupeau pour tout ce qui n’est ni légal, ni opportun.
Les causes de singularité chez l’enfant. – Que doit faire la mère qui remarque chez son enfant prometteur des petits signes de singularité ? Il n’aime pas beaucoup les jeux, il ne s’entend pas bien avec les autres, il a un petit coin à lui où il rumine. Pauvre petit bonhomme ! Il a grand besoin d’un confident ; il a probablement essayé la nourrice, les frères et sœurs, en vain. Si cela continue, il grandira avec l’idée que personne ne veut de lui, que personne ne le comprend, il prendra sa part de la vie et la mangera (en grognant) tout seul. Mais si sa mère a assez de tact pour le comprendre, elle préservera pour le monde un de ses personnages salvateurs. Il y a, croyez-le bien, quelque chose qui travaille dans l’enfant – du génie, de l’humanité, de la poésie, de l’ambition, de la fierté familiale ; il a besoin d’un exutoire et d’exercice pour un trait hérité qui est presque trop grand pour son âme d’enfant. Rosa Bonheur était considérée comme une enfant agitée qui n’était jamais satisfaite : les leçons ne lui plaisaient pas, et les jeux non plus ; et son père, un artiste, eut l’idée d’apaiser le divin mécontentement de l’enfant en la mettant en apprentissage chez une couturière ! Heureusement, elle brisa ses liens, et nous profitons maintenant de ses tableaux. Pour ce qui est de la fierté de son rang, il est bon que l’enfant soit mis face à face et cœur à cœur avec la « grande humilité » de notre Modèle. Ceci étant fait, ce sens de la distinction familiale est un merveilleux levier pour élever la nature de l’enfant. Noblesse oblige. Il doit apporter l’honneur et non le déshonneur à une famille distinguée. Je connais un petit garçon qui porte deux noms de famille distingués – Browning-Newton, disons. Il fréquente une école privée, où l’on a coutume d’inscrire au tableau les noms des mauvais élèves. Lorsque son petit frère l’a rejoint à l’école, l’aîné l’a ainsi exhorté : « Nous ne laisserons jamais deux noms comme les nôtres être inscrits sur le tableau noir ! ».
L’ennui d’une vie sans but. – Parmi les causes immédiates de l’excentricité, il y a la monotonie de la vie quotidienne, dont le sentiment nous atteint tous parfois, et souvent avec un poids mortel pour les personnes les plus sensibles et les plus douées. “Oh, mon Dieu, j’aimerais être sur Jupiter ! » soupirait un petit galopin qui avait déjà épuisé tout ce qui se trouve sur cette planète. Il incombe aux parents de veiller à ce que l’ennui d’une vie sans but ne s’installe pas, tôt ou tard, chez l’un de leurs enfants. Nous sommes créés avec un désir ardent pour la « joie craintive » de la passion ; et si celle-ci ne nous parvient pas par des voies légitimes, nous la recherchons dans des voies excentriques, ou pire, dans des voies illégitimes. La mère, pour qui son enfant est comme un livre ouvert, doit trouver un moyen de libérer toute la tension de sa nature, susceptible d’être troublée par –
« Le poids accablant du mystère,
Le lourd et épuisant fardeau
De tout cet univers rebelle à la pensée »–
d’autant plus s’il est d’un caractère sensible. Donnez-lui l’enthousiasme de l’humanité. Quels que soient ses dons, qu’il les cultive comme « dons aux hommes ». « La chose qui vaut le plus la peine d’être vécue, c’est d’être utile« , a récemment dit avec sagesse un penseur qui nous a quittés ; et l’enfant qui intègre cette idée dans sa conception de la vie ne trouvera pas le temps long en grandissant. La vie enrichie par l’enthousiasme ne sera pas ennuyeuse ; mais l’on doit poser un poids sur le plateau opposé de la balance pour équilibrer même le plus noble des enthousiasmes. Comme nous l’avons dit, ouvrez-lui une porte vers la science naturelle, une voie vers l’habileté mécanique ; en un mot, donnez à l’enfant une occupation absorbante et un passe-temps fascinant, et vous n’avez pas à craindre de développements excentriques ou indignes.
Nous devons sauver nos « splendides échecs ». – Il semble bon de s’attarder longuement sur ce sujet de l’excentricité, car le monde perd beaucoup à cause de ces splendides échecs, ces beaux êtres humains qui, à cause d’une certaine excentricité, ne peuvent participer à l’éducation de l’humanité.
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 9 CULTIVER LE CARACTÈRE
Le traitement des défauts
L’objet ultime de l’éducation. – Supposons que les parents comprennent que la formation du caractère est l’objet ultime de l’éducation ; qu’ils comprennent aussi que le caractère est, en somme, les tendances héritées de l’enfant, modifiées par son milieu, mais qu’il peut être avili ou ennobli par l’éducation ; que c’est le rôle des parents de repérer le bourgeonnement des traits familiaux ; d’accueillir chaque beau trait de caractère comme un trésor familial qui doit être nourri et entretenu avec soin ; de maintenir également l’équilibre des qualités en mettant en valeur les traits qui ont peu émergé – d’autant plus quand ils doivent délivrer leur enfant de l’excentricité, piège de la nature originale et énergique – à supposer qu’ils aient intégré tout cela dans la liste de leurs devoirs, il reste encore beaucoup à faire pour les parents.
Les défauts de nos qualités. – Nous sommes ouverts à ce que les Français appellent les défauts de nos qualités ; et, de la même façon que les mauvaises herbes poussent rapidement, les défauts d’un bon caractère peuvent en étouffer les bénédictions. Une petite fille aime avec la passion et le dévouement d’une femme, mais elle est exigeante en retour et jalouse d’une intrusion, même quand il s’agit de sa mère. Un garçon est ambitieux ; il veut être le chef de la nurserie, et son influence est salutaire pour les autres ; mais son petit frère pugnace ne veut pas « suivre le chef », et il est difficile pour les deux enfants d’être dans la même pièce ; le garçon raisonnable est un tyran quand sa volonté est contrariée. Il y a la petite fille timide et affectueuse qui va jusqu’à raconter un mensonge pour protéger sa sœur ; et il y a la petite fille pleine d’entrain qui ne ment jamais, mais qui, de temps en temps, tyrannise les autres enfants ; et ainsi de suite. Quel est ici le rôle des parents ? De magnifier la qualité ; de faire sentir à l’enfant qu’il a une vertu à préserver – un bien de famille et, en même temps, un don du ciel. Une conversation simple et raisonnable peut aider, mais gardons-nous de trop parler. « Avez-vous bientôt fini, maman ? » demande une vive petite fille de cinq ans, le plus poliment du monde. Elle avait longuement écouté le sermon de sa mère et en avait assimilé la plupart. Un mot sage ici et là peut être utile, mais on peut accomplir beaucoup plus en empêchant soigneusement chaque « défaut de sa qualité » d’apparaître. Ne laissez pas aux mauvaises herbes la place de pousser. Et encore une fois, le défaut peut souvent être repris et retourné pour nourrir la qualité elle-même. L’amour du pouvoir du garçon ambitieux peut être transformé en un désir de gagner par l’amour son petit frère rétif. La passion de la petite fille aimante peut s’étendre à tous ceux que sa mère aime.
Les enfants avec des défauts. – Nous avons encore à considérer un autre aspect de l’hérédité et des devoirs qui en découlent. De même que l’enfant d’une longue lignée peut tout à fait hériter une grande partie de ce qu’il y avait de meilleur chez ses ancêtres – un beau physique, une intelligence vive, une haute valeur morale – il en hérite aussi les risques. Comme quelqu’un l’a dit, toutes les femmes n’ont pas été courageuses, ni tous les hommes chastes. Nous savons comment la tendance à certaines maladies se manifeste dans les familles ; le caractère et le tempérament, la nature morale et la nature physique peuvent aussi être entachés. Un enfant malheureux peut sembler, par un étrange caprice de la nature, avoir laissé de côté le bon et n’avoir pris en lui que l’indigne. Que peuvent faire les parents dans un tel cas ? Ils peuvent, non pas le réformer – peut-être cela dépasse-t-il la compétence et les soins humains, une fois qu’il est devenu tout ce qui était possible à sa nature – mais le transformer, de sorte que l’être qu’il était destiné à devenir ne se développe jamais, mais qu’un autre être vienne à la lumière, doté de toutes les grâces dont il n’avait que le défaut. Ceci nous amène à une loi salutaire de la Nature, qui sous-tend tout le sujet de l’éducation lors des premières années, et particulièrement ce cas de l’enfant que sa mère doit faire naître une seconde fois dans une vie de beauté et d’harmonie. Pour reprendre une ancienne citation – les mots de Thomas a Kempis – ce qui me semble être la loi fondamentale de l’éducation n’est rien d’autre que ceci : « L’habitude triomphe d’une autre habitude ». Les gens ont toujours su que « l’habitude est une seconde nature », mais le pourquoi et la portée de ce proverbe sont des découvertes récentes.
Un enfant malicieux. – Un enfant a une habitude odieuse, si constante, que c’est sa qualité, et ce sera son caractère si vous le laissez à lui-même ; il est méchant, il est sournois, il est renfrogné. Personne n’est à blâmer, c’est inné chez lui. Que devez-vous faire d’une habitude aussi tenace de la nature ? Simplement ceci : la traiter comme une mauvaise habitude, et établir la bonne habitude correspondante. Henry est plus qu’espiègle, c’est un petit garçon malintentionné. On entend toujours pleurer dans la nurserie, parce qu’à force de « pincer, mordre et bousculer », il rend un des enfants malheureux. Même ses animaux domestiques ne sont pas en sécurité ; il a tué son canari en le frappant avec un bâton à travers les barreaux de sa cage ; les hurlements de son chien, les cris de son chat, trahissent un de ses mauvais tours. Il fait des grimaces à sa petite sœur craintive ; il tend des pièges avec des ficelles pour faire tomber la bonne avec ses brocs à eau ; ses ruses malveillantes, qui dépassent celles de la simple sauvagerie de l’enfance, arrivent continuellement aux oreilles de sa mère. Que faire ? « Oh, il changera en grandissant ! », disent les plus optimistes qui pensent qu’il faut lui laisser du temps. Mais plus d’une mère expérimentée dira : « Vous ne pouvez pas le guérir ; ce qui est en lui doit en sortir, ou il sera une plaie pour la société toute sa vie. » Cependant l’enfant peut être guéri en un mois si la mère remonte ses manches, et se met à l’ouvrage avec un but précis ; en tout cas, la guérison pourrait être bien entamée, et le chemin ainsi déjà à moitié parcouru.
Traitement spécial. – Que le mois du traitement soit un mois délicieusement heureux pour lui, qu’il vive tout le temps dans la lumière du sourire de sa mère. Qu’il ne soit pas laissé à lui-même pour méditer ou faire de vilaines farces. Qu’il se sente toujours sous un regard attentif, aimant et approbateur. Faites en sorte qu’il soit joyeusement occupé, bien diverti. Tout cela pour rompre la vieille habitude qui sera certainement rompue lorsqu’un certain laps de temps se sera écoulé sans qu’elle ne se répète. Mais une habitude en chasse une autre. Tracez de nouvelles lignes à la place de l’ancienne. Ouvrez-lui les voies de la bonté. Faites-lui goûter, chaque jour, à chaque heure, le plaisir de plaire. Engagez-le à faire de petits projets pour le plaisir des autres – un jouet qu’il invente, un plat de fraises qu’il cueille, un jeu d’ombres pour amuser le bébé ; emmenez-le faire des visites à des voisins pauvres, portant les choses et donnant de lui-même.
Pendant tout un mois, le cœur de l’enfant s’épanche en actes, en projets et en pensées de bonté, et l’ingéniosité qui se dépensait en tours malicieux se transforme en avantage pour sa famille maintenant que ses actions sont bienveillantes. Oui, mais où sa mère trouvera-t-elle le temps, dans ses journées bien remplies, de faire suivre à Henry un traitement spécial ? Elle a d’autres enfants et d’autres responsabilités, et ne peut tout simplement pas se consacrer pendant un mois ou même une semaine à un seul enfant. Si le garçon était malade, en danger, trouverait-elle du temps pour lui ? Les autres tâches ne seraient-elles pas reléguées au second plan, faisant de son petit garçon, pour un temps, son principal objectif ?
Les troubles moraux nécessitent une attention immédiate. – Voici un point dont les parents ne sont pas tous suffisamment conscients : les troubles mentaux et moraux graves nécessitent un traitement immédiat, ciblé et curatif, auquel les parents doivent se consacrer pendant une courte période, tout comme ils le feraient pour un enfant malade. Le punir et le laisser seul – les deux traitements les plus en vigueur – n’ont jamais guéri un enfant d’un quelconque problème moral. Si les parents connaissaient un traitement efficace qui donne des résultats rapides, ils auraient là un bon moyen d’empêcher toute propagation des mauvaises herbes. Car, ne l’oublions pas, quel que soit le défaut qui défigure l’enfant, il est semblable à un jardin envahi de mauvaises herbes : si les mauvaises herbes prolifèrent, c’est parce que le sol est fertile ; il a en lui toutes les possibilités de beauté de vie et de caractère. Débarrassez-vous des mauvaises herbes et faites pousser les fleurs. Il n’est pas exagéré de dire que la plupart des échecs dans la vie ou le caractère d’un homme ou d’une femme sont dus à l’attitude insouciante des parents. Ils disent : « L’enfant est encore jeune, il ne sait pas, mais tout s’arrangera quand il sera grand. » Or, un défaut de caractère laissé à lui-même ne peut que se renforcer.
Une objection peut être soulevée contre ce conseil de traitement curatif court et déterminé. Les bons résultats ne durent pas, dit-on ; une semaine ou deux de négligence, et vous perdez le terrain gagné : Henry est aussi susceptible que jamais de devenir un “tigre”, un Steerforth ou un Grandcourt. Mais c’est ici que la science nous aide à acquérir de joyeuses certitudes.
Il n’y a pas de sujet de recherche plus intéressant actuellement que celui de l’interaction entre les pensées de l’esprit et la configuration du cerveau. La conclusion la plus juste semble être que l’un et l’autre s’influencent mutuellement ; le caractère des pensées persistantes façonne le cerveau, tandis que nos pensées dépendent de la configuration du cerveau.
Action automatique du cerveau. – La pensée est, pour l’essentiel, automatique. Nous pensons, sans intention ni effort, comme nous avons été habitués à penser, tout comme nous marchons ou écrivons sans que nos muscles soient organisés de façon consciente. Mozart pouvait écrire une ouverture tout en riant aux petites blagues que sa femme faisait pour le tenir éveillé ; il est certain qu’il y avait déjà réfléchi et qu’elle était là, prête à être écrite ; mais il ne cherchait pas consciemment à obtenir ces pensées musicales, elles lui venaient simplement en temps opportun. Coleridge imagina Kubla Khan dans son sommeil, et l’écrivit à son réveil ; et, en réalité, il aurait pu tout aussi bien être endormi tout le temps car il n’avait rien à faire pour produire la plupart de ses pensées.
« Sur les boutons, elle s’endort,
Et les coud en rêve »–
est tout à fait possible et vraisemblable. Pour une chose à laquelle nous décidons consciemment de penser, mille mots et actes nous viennent chaque jour d’eux-mêmes ; nous n’y pensons pas du tout. Mais tout de même, seul un poète ou un musicien pourrait ainsi produire de la poésie ou de la musique, et ce sont les mots et les actes qui nous viennent sans pensée consciente qui donnent la vraie mesure de ce que nous sommes. C’est peut-être pour cela que l’on attache une telle importance à chaque « parole en l’air », c’est-à-dire aux mots prononcés sans intention ni volonté.
Nous arrivons petit à petit à Henry et à ses mauvaises habitudes. D’une manière ou d’une autre, le tissu nerveux du cerveau « se développe » en fonction des pensées auxquelles on laisse libre cours dans l’esprit. Comment ? La science ne s’aventure pas encore à l’expliquer ; mais, à titre d’illustration, imaginons que certaines pensées de l’esprit vont et viennent dans la substance nerveuse du cerveau jusqu’à ce qu’elles s’y soient frayées un chemin : un trafic intense suivant cet ordre de pensées se maintiendra, car c’est là que se trouve, pour elles, le chemin le plus commode. Prenons l’exemple d’un enfant qui a hérité d’une tendance à la rancœur : il commence à avoir des pensées rancunières, il les trouve faciles et gratifiantes ; il continue ; de plus en plus, la vilaine routine devient plus facile et naturelle, et la rancœur devient rapidement lui-même, ce trait de caractère que les gens associent à son nom.
On triomphe d’une habitude par une autre habitude. – Mais on triomphe d’une habitude par une autre habitude. La mère vigilante établit de nouvelles pistes dans d’autres directions ; et elle veille à ce que, pendant qu’elle conduit de nouvelles pensées dans la nouvelle voie, l’ancienne « manière de penser », profondément usée, soit complètement abandonnée. Or, le cerveau est dans un état d’usure rapide et de croissance rapide. La nouvelle croissance prend forme à partir de la nouvelle pensée : l’ancienne se perd dans l’usure constante, et l’enfant est réformé, physiquement aussi bien que moralement et mentalement. Le fait que le tissu nerveux du cerveau soit ainsi l’instrument de l’esprit ne doit pas nous surprendre quand nous songeons que les muscles et les articulations de l’acrobate, les organes vocaux du chanteur, le bout des doigts de l’horloger, le palais du goûteur de thé, se développent en fonction de l’usage qu’ils en font régulièrement ; et, bien davantage, tant dans le cas du cerveau que dans celui de tous les autres organes, ils se développent en fonction de l’usage qu’on en fait de manière précoce.
Cela rejoint de façon merveilleuse le cas du parent qui entreprend de guérir un défaut moral. Il établit le cours des nouvelles pensées et entrave celles du passé, jusqu’à ce que les nouvelles pensées soient devenues automatiques et fonctionnent d’elles-mêmes. Pendant ce temps, une sorte de désintégration se produit à l’endroit où se trouvaient les pensées abandonnées ; et c’est là que réside l’avantage du parent. Si le garçon revient (comme il peut encore le faire en raison d’une tendance héréditaire) à ses anciennes habitudes de pensée, voici qu’il n’y a plus de place pour elles dans son être physique ; faire une nouvelle place est un travail de longue haleine, et dans ce travail, le parent peut le devancer et l’empêcher sans trop d’efforts.
Un enregistrement tangible des efforts d’éducation. – Ici, en effet, plus que partout ailleurs, « si l’Eternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain » ; mais il est certain qu’il en va de notre devoir de coopérer intelligemment à cette œuvre divine. La formation de la volonté, l’instruction de la conscience, et, dans la mesure où cela dépend de nous, le développement de la vie divine chez l’enfant, se font simultanément avec cette formation aux habitudes d’une bonne vie ; et ces dernières garderont l’enfant en sécurité le temps d’une faible volonté, d’une conscience immature, jusqu’à ce qu’il soit capable de prendre en main, sous la direction d’en haut, la conduite de sa vie et la formation de son caractère. Il est réconfortant de penser que nos efforts d’éducation sont enregistrés de façon tangible dans la substance même du cerveau de l’enfant ; et, assurément, nous voulons mettre en garde quant au danger de ne pas s’occuper des mauvaises habitudes dans l’espoir que tout s’arrangera un jour.
L’amour maternel n’est pas suffisant pour l’éducation des enfants. – Certains parents peuvent considérer que tout cela est lourd à entendre ; que le simple fait de « penser à ces choses » suffit à enlever la joie et la spontanéité de leur douce relation ; et qu’après tout, l’amour des parents et la grâce de Dieu devraient suffire pour élever les enfants. Personne ne peut ressentir à ce sujet une humilité plus sincère que ceux qui n’ont pas l’honneur d’être parents ; la perspicacité et l’amour dont les parents – et surtout les mères – font preuve, même dans nombre de chaumières, est un don divin qui remplit l’entourage de respect ; mais il suffit d’observer combien de parents affectueux ont des enfants déraisonnables pour savoir qu’il faut quelque chose de plus. Il y a des chemins tracés, pas toujours les anciens, mais des chemins nouveaux, qui s’ouvrent pas à pas. Le devoir de la mère qui s’efforce de comprendre son travail n’est pas alourdi, mais infiniment allégé ; et quant au fait que la vie soit rendue pénible par la pensée de ces choses, une fois que nous les faisons nôtres, nous agissons en fonction d’elles aussi naturellement qu’en fonction d’une connaissance – scientifique de surcroît – telle que : lâchez cette tasse, et elle tombera. Un peu de réflexion et d’effort consciencieux au départ, et tout vient ensuite facilement.
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 10 L’ENSEIGNEMENT DE LA BIBLE
Les parents comme instructeurs de la religion
« L’Histoire de l’Angleterre est maintenant réduite à un jeu de cartes, et les problèmes de mathématiques à des puzzles et des devinettes. […] Un pas de plus et le Credo et les Dix Commandements pourront être enseignés de la même manière, sans qu’il soit nécessaire d’avoir le visage grave, le ton délibéré de la récitation et l’attention dévouée exigés jusqu’à présent des enfants bien gouvernés de ce royaume. » –Waverley.
Les Écoles du dimanche sont nécessaires. – Que les parents confient l’éducation religieuse de leurs enfants à une École du dimanche est tout aussi inacceptable que s’ils les envoyaient manger à une table entretenue par la générosité publique. Nous, “chez nous”, plaidons non coupables de ce chef d’accusation. Nos Écoles du dimanche sont utilisées par les parents fatigués et peu instruits, prêts à accepter, de la part des classes plus aisées, le service de l’enseignement religieux de leurs enfants. C’est dire que l’École du dimanche est, à l’heure actuelle, un mal nécessaire, une reconnaissance qu’il y a des parents si durement éprouvés qu’ils sont incapables d’accomplir leur premier devoir. Nous avons ici la théorie de l’École du dimanche – les parents qui le peuvent enseignent à leurs enfants à la maison le dimanche, et des substituts interviennent pour remplacer ceux qui ne le peuvent pas.
Mais les parents instruits devraient enseigner eux-mêmes la religion à leurs enfants – une initiative australienne similaire à l’Union des parents. – Cette théorie attrayante de l’École du dimanche a encouragé un ecclésiastique des Antipodes à agir. Il ne dit pas que les membres des classes moyennes et supérieures n’ont pas besoin d’être instruits avec soin et régularité dans la religion – “dès l’enfance” ; seulement, il soutient que ces enfants ne devraient pas être instruits à l’École du dimanche, mais à la maison et par leurs parents ; et l’objet principal de son « Union des parents » paroissiale est d’aider les parents dans ce travail. Voici quelques-unes de ses règles :
1. L’objet de l’Union est d’unir, de fortifier et d’aider les pères et les mères dans l’accomplissement de leurs devoirs parentaux.
2. Les membres s’engagent, par leur adhésion, à superviser l’éducation de leurs propres enfants et à rappeler aux autres parents qu’ils sont responsables de la relation parent-enfant.
3. Des plans de leçons sont fournis mensuellement à chaque famille adhérente de l’Union.
4. Les membres doivent amener leurs enfants à la catéchèse mensuelle, et s’asseoir avec eux, etc.
Il est probable que les “plans de leçons” ont pour but d’assurer que les enfants suivent un enseignement de la Bible à la maison avec leurs parents, le dimanche, comme ils l’ont fait jusqu’à présent à l’École du dimanche avec les enseignants.
On pourrait donc envisager que les parents, quelle que soit leur classe sociale, s’acquittent de leurs devoirs en la matière, et que l’École du dimanche soit abandonnée, l’ecclésiastique se chargeant à la place de s’assurer, par le biais de la catéchèse, qu’un certain travail est effectué chaque mois.
Ce projet semble plein de promesses. Rien ne devrait plus resserrer les liens de la vie familiale que les parents enseignant la religion à leurs enfants. De plus, grandir dans une Église qui s’occupe constamment de vous depuis le baptême ou l’enfance, non seulement jusqu’à la confirmation, mais tout au long de l’âge adulte, devrait contribuer à une vie collective harmonieuse.
Les parents sont des instructeurs compétents. – Il y a sans doute des paroisses, et même des congrégations entières, dans lesquelles les jeunes gens sont pris en charge tout au long de leur vie ; mais c’est par le clergé, les enseignants, les chefs de classe, et ainsi de suite ; et certains parents se montrent réticents à ce que la partie la plus sérieuse de la formation de leurs enfants soit entreprise par des étrangers. Ce qui semble le plus digne d’être imité dans ce mouvement australien, c’est que les parents eux-mêmes sont reconnus comme des instructeurs aptes de leurs enfants dans les meilleures choses, et qu’ils sont amenés à reconnaître leur responsabilité envers l’Église concernant l’instruction qu’ils donnent.
Rapport d’un Comité sur l’éducation religieuse des classes moyennes et supérieures. – Mais gérons-nous si bien ces choses « chez nous » que nous n’ayons pas besoin de conseils ? Certains d’entre nous se souviennent peut-être qu’en mai 1889, un comité de la Chambre des Laïcs de la province de Canterbury fut nommé pour examiner l’éducation religieuse des classes moyennes et supérieures. Le comité estima qu’il obtiendrait une bonne base pour ses investigations en examinant les connaissances religieuses des garçons entrant à l’école. Il adressa une enquête à soixante-deux directeurs d’école, à laquelle la plupart répondirent ; à partir de ces réponses, le Comité en conclut que, « dans la plupart des cas, le niveau d’éducation religieuse des garçons avant leur entrée à l’école est bien inférieur à ce que l’on pourrait espérer ou attendre ; et que ce niveau, dont on a constaté qu’il était bien trop bas, se détériore ; en outre, que la cause principale de cette détérioration serait liée au manque d’enseignement religieux à la maison. »
Pourquoi les parents négligent-ils ce devoir ? – Il s’agit ici d’un sujet hautement important pour nous tous car, bien que l’enquête ait été menée par des ecclésiastiques, elle a naturellement porté sur des garçons de classe moyenne et de diverses confessions fréquentant des écoles privées ; le caractère distinctif de l’éducation religieuse a fait l’objet d’une enquête séparée. Nul doute qu’il existe de nombreuses belles exceptions ; des foyers tranquilles dont les familles sont élevées dans l’éducation et l’exhortation du Seigneur ; mais s’il est vrai, comme certains d’entre nous le craignent, qu’il y a une tendance parmi les parents des classes moyennes et supérieures à délaisser l’éducation religieuse de leurs enfants, nous devons nous demander, Quelle est la raison ? et, Quel est le remède ? On attribue de nombreuses raisons à ce prétendu manquement au devoir parental – les revendications sociales, le tempérament rétif des jeunes gens et leur impatience à l’égard de l’enseignement religieux, et bien d’autres choses encore. Mais ces raisons sont insuffisantes. Les parents sont, dans l’ensemble, très conscients de leurs responsabilités ; peut-être n’y a-t-il jamais eu de génération plus sérieuse et consciencieuse que les jeunes parents de notre temps. Cependant, ces jeunes parents réfléchis ne s’appliquent pas à enseigner la religion à leurs enfants en priorité.
Le discrédit jeté sur la Bible. – Le fait est que notre vie religieuse a souffert, et que notre caractère national souffrira bientôt, du discrédit jeté sur la Bible par des critiques défavorables. Nous considérons à juste titre la Bible comme la somme complète de nos Livres Sacrés. Nous n’avons absolument rien à enseigner d’autre que ce que nous y trouvons écrit. Mais nous ne nous tournons plus vers la Bible avec la confiance d’antan : notre religion se transforme en un sentiment difficile à transmettre ; nous attendons que les jeunes la conçoivent eux-mêmes. En attendant, nous leur donnons une culture esthétique de façon à développer ces besoins de l’âme qui sont normalement satisfaits par le culte. Toute la superstructure de la pensée religieuse « libérale » est misérablement bancale, et il n’est pas étonnant que l’on hésite à l’exposer à la lance d’Ithuriel du jeune esprit déterminé et curieux. Car nous aimons cette habitation fragile que nous avons construite. Elle ressemble un peu à la vieille maison de nos ancêtres, et nous nous y accrochons avec un sentiment de tendresse que la jeune génération pourrait ne pas comprendre.
“Les miracles n’existent pas. » – Sommes-nous donc sans abri ? Nous le sommes indubitablement, sur la base d’une hypothèse – cette hypothèse que seul une brillante romancière peut présenter dans son aspérité nue – « Les miracles n’existent pas. » L’esprit cultivé est plus fondamentalement logique que nous ne sommes enclins à le supposer. Enlevez la clé de voûte du miracle et l’arche s’effondre sur nous. La vénération ostentatoire pour la Personne du Christ, séparée de l’élément miraculeux « mythique », n’est, hélas, qu’un sentiment fallacieux envers une conception qui a évolué d’elle-même. Supprimez le « miraculeux », et tout le tissu du christianisme disparaît ; et ce n’est pas tout, que devons-nous faire de cette révélation plus ancienne : « L’Éternel, l’Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant » ? Nous disons : « Cela, nous le gardons ; mais il n’y a pas de miracle ; et, du Christ, n’avons-nous pas l’inimitable Sermon sur la montagne – une revendication suffisante de notre allégeance ? » Non, nous ne l’avons pas ; on nous apprend à prier, à considérer les lys dans les champs, les oiseaux dans le ciel, et à nous souvenir que les cheveux de notre tête sont tous comptés. Nous avons ici la doctrine de la relation personnelle à Dieu, de la providence de Dieu destinée à chacun d’entre nous, qui est l’essence même du miracle. Si « les miracles n’existent pas », c’est de la folie et de la présomption que d’attendre quoi que ce soit de la providence et d’appeler par la prière le moindre changement dans le cours des événements, qui est fixé par une loi inévitable. L’esprit cultivé est rigoureusement logique, même si un effort de volonté peut nous dissuader de mettre en application nos déductions et ainsi nous éviter des erreurs fatales. Que nous reste-t-il ? Un Dieu qui, par conséquent, ne peut avoir de relation personnelle avec vous ou moi, car une telle relation relèverait du miracle ; un Dieu dont la prière, face à une telle certitude, devient blasphématoire. Comment osons-nous nous approcher du Très-Haut avec des demandes que, dans la nature des choses (telle que nous la concevons), Il lui est impossible d’accorder ?
Notre conception de Dieu dépend des miracles. – Nous ne pouvons pas prier, nous ne pouvons pas avoir confiance, et pourtant nous ne sommes pas complètement impies ; nous pouvons admirer, adorer, vénérer, dans la plus grande humilité. Mais comment ? Qu’allons-nous adorer ? L’Être Divin ne peut nous être révélé que par Ses attributs ; Il est un Dieu d’amour et un Dieu de justice, plein de compassion et de bonté, lent à la colère et généreux en miséricorde. Mais ce sont des attributs qui ne peuvent se concevoir qu’en action, d’Être divin à être humain. Comment être gracieux et miséricordieux si ce n’est envers un être qui a besoin de grâce et de miséricorde ? Admettez que la grâce et la miséricorde puissent modifier la moindre circonstance de l’existence d’un homme, spirituelle ou temporelle, et vous admettrez toute la question des « miracles » ; c’est-à-dire, vous admettrez qu’il est possible pour Dieu d’agir autrement que par les lois inévitables que nous sommes capables de reconnaître. Refusez d’admettre « l’élément miraculeux », et le berger d’Israël s’éloigne de nous ; nous restons orphelins dans un monde en ruine.
Tels sont les enjeux de cette question du « miracle » avec laquelle nous aimons badiner, avec un sourire par-ci, un haussement d’épaules par-là, et un ricanement tout particulier pour l’histoire du troupeau de pourceaux qui se précipita des pentes escarpées dans la mer, parce que nous pensons en savoir tant sur les pensées obscures de la création brute – vivant sous nos yeux, certes, mais curieusement, qui dépasse notre entendement. Admettons l’existence des miracles, c’est-à-dire l’action volontaire d’un Dieu Personnel, et qui osera définir des limites ?
La loi naturelle et les miracles. – Combien de temps resterons-nous entre deux opinions, celle de la loi et celle du témoignage ? Acceptons hardiment l’alternative que propose Hume, même si elle est arrogante. Qu’il en soit ainsi : « Aucun témoignage ne suffit pour établir un miracle, sauf si le témoignage est de telle sorte que sa fausseté serait encore plus miraculeuse que le fait qu’il essaie d’établir. » Nous croyons que le Christ est ressuscité le troisième jour et qu’il est monté au ciel ; ou bien nous acceptons l’hypothèse, bien plus incroyable, que “Dieu n’existe pas” ; ou bien, de toute façon, la révélation de Dieu, dans son adorable Personnalité, n’a plus lieu d’être pour nous. Il n’y a pas de voie médiane. La loi naturelle, telle que nous la concevons, n’a rien à voir avec ces questions ; non pas que Dieu abroge ses lois, mais que notre connaissance de la « loi naturelle » est si limitée et si superficielle que nous sommes incapables de décider si une rupture du cercle étroit dans lequel notre connaissance est enfermée, est ou n’est pas une ouverture dans un cercle plus large, où ce qui nous apparaît comme une exception extraordinaire ne fait qu’illustrer la règle générale.
Nous ne voulons pas sous-estimer les fruits solides de la critique biblique, même la plus adverse. Ce devrait être un grand gain pour la vie spirituelle ; que désormais un miracle soit accrédité, non seulement par le fait qu’il est enregistré dans l’histoire sacrée, mais par sa conformité essentielle avec le Caractère divin ; tout comme, s’il est possible de comparer respectueusement les choses humaines avec les choses divines, nous dirions d’un ami : « Oh, il ne ferait jamais cela ! » ou « C’est tout à fait son genre ». Mis à l’épreuve par ce test, comme les miracles du Christ sont peu ostentatoires, mais simples et humblement utiles ; comme il est absolument divin
“d’avoir tout pouvoir, et d’être comme n’en ayant aucun ! »
Comme les miracles du Christ sont bien faits. – L’esprit qui est imprégné de l’histoire de l’Évangile dans toute sa douce rationalité, qui a absorbé les lueurs les plus confuses et les plus abîmées de la Lumière du Monde comme elle se manifeste dans l’histoire de l’Ancien Testament, sera peut-être le moins tenté par la déloyauté du « doute honnête » ; car c’est une déloyauté envers la relation la plus étroite et la plus sacrée de toutes, bien que nous devons reconnaître que ce doute est l’infirmité des esprits nobles. Croyant que la foi vient avec la compréhension, et que la compréhension vient grâce à l’écoute de la parole de Dieu, que l’homme est établi dans la foi chrétienne de la façon qu’il en a été instruit dans son enfance, la question suprême, pour nous, est de savoir comment garantir le fait que les enfants soient bien formés dans les Écritures par leurs parents, et qu’ils en poursuivent l’étude avec intelligence, révérence et plaisir.
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CHAPITRE 11 LA FOI ET LE DEVOIR (CRITIQUES D’OUVRAGES)
Les parents comme éducateurs de la morale
Les lois de la Nature et les voies des hommes. – L’éducation, si on la conçoit correctement, est la science de la vie, et toute tentative de formuler cette science doit être saluée avec intérêt et avec une gratitude proportionnelle à son succès. Partout, des esprits réfléchis s’emploient à apporter leur contribution à cette grande œuvre, sous l’un ou l’autre de ses aspects, physique, social, religieux. Nous comprenons d’emblée que chaque tentative pour résoudre des problèmes scientifiques et sociaux, ou des questions de foi, nous aide à comprendre ces “lois de la nature” et ces « voies des hommes”, l’amour et l’attitude obéissante de la volonté que M. Huxley considère comme étant le seul résultat concret de l’éducation.
Considérons trois ouvrages importants suivant ces lignes. L’un traite des problèmes de la morale « séculière » d’un point de vue américain ; le second du problème global de l’éducation nationale d’un point de vue français et « scientifique ». Le troisième n’a pas la prétention d’être un ouvrage éducatif. Il traite des « voies de l’homme », mais des voies de l’homme dans leur rapport avec les voies et la volonté de Dieu. C’est-à-dire qu’il traite des sources profondes dont découlent les problèmes de la vie. Comme le véritable pédagogue travaille de l’intérieur vers l’extérieur, il trouvera probablement beaucoup d’aide dans un ouvrage dont la perspective sur la vie est celle de la « foi ».
L’instruction morale des enfants. – M. Felix Adler, dans The Moral Instruction of Children, entreprend une tâche qui n’a rien de facile en se proposant de résoudre le problème de l’instruction morale non sectaire. Il apporte à ce travail des qualifications inhabituelles – une vision large, une formation philosophique, et cet amour éclectique de la littérature et de la connaissance que l’on trouve dans les livres qui est essentiel au professeur de morale. L’ouvrage que nous avons sous les yeux devrait être sur les étagères des parents instruits, non pas nécessairement pour être englouti tout entier comme un « guide absolu », mais pour être étudié avec une attention minutieuse et une certaine liberté de choix quant aux conseils de perfectionnement qui méritent d’être suivis, et ceux qui peuvent être rejetés parce qu’ils ne correspondent pas au plan de la pensée éducative que le parent a déjà établi pour lui-même. M. Adler est très sérieusement handicapé dès le départ. Il écrit pour les écoles américaines, dans lesquelles la première condition de l’instruction morale est qu’elle ne doit pas être sectaire. Il interprète cela, à tort ou à raison, comme excluant tout enseignement théiste quel qu’il soit ; c’est-à-dire que l’enfant pour lequel il écrit n’encourt pas de sanctions autres que celles qu’il trouve dans son propre sein. Par exemple : ”L’instructeur de morale à l’école est responsable d’enseigner à ses élèves la matière de la morale, mais il n’a pas à s’occuper des sanctions de celle-ci. Il dit à l’élève : ‘Tu ne mentiras pas.’ Il tient pour acquis que l’élève sent la force de ce commandement, et reconnaît qu’il doit y obéir. Pour ma part, je soupçonnerais de chicanerie et d’intentions malhonnêtes tout garçon ou toute fille qui me demanderait : ‘Pourquoi ne dois-je pas mentir ?’ Je dresserais devant un tel enfant le devoir dans toute sa terrible majesté. Le droit de raisonner sur ces questions ne peut être concédé qu’une fois que l’esprit a atteint une certaine maturité. »
Il n’y a pas de sens infaillible du « devoir ». – D’où vient la terrible majesté du devoir ? Croire que le sens du devoir est inné est une erreur qui a engendré beaucoup de mal. De nos jours, il est courant de penser qu’il est juste de faire ce que l’on croit juste ; ou, comme on le dit souvent, qu’un homme fait tout ce qu’on peut attendre de lui lorsqu’il agit selon ses « lumières ». Or, une très légère connaissance de l’Histoire démontre que toutes les persécutions et la plupart des outrages, de l’Inquisition aux Thugs, sont le résultat de cette même majesté du « devoir », lorsqu’elle fait entendre sa voix dans le sein d’un individu ou d’une communauté. Essayer de traiter de la morale sans traiter des sanctions de la morale, c’est travailler à partir de la circonférence plutôt que du centre.
Moses, Moses, und immer Moses! dit un pédagogue allemand de l’école moderne, qui écrit avec un vif dédain sur le système de l’ancienne école, dans lequel dix ou douze, et, dans certains États allemands, quinze ou seize heures par semaine étaient consacrées à l’enseignement de la Bible. Nous, en Angleterre, et eux, en Amérique, nous rebellons également contre la Bible comme livre de classe. Les pédagogues disent qu’il y a tant d’autres choses à apprendre, que cette étude prolongée de la littérature sacrée est une grave perte de temps ; d’autre part, beaucoup de personnes du corps religieux objectent qu’il n’est pas bon de traiter la Bible comme un vulgaire livre de classe.
La Bible, une œuvre littéraire classique. – Il est curieux que seulement quelques éducateurs reconnaissent la Bible pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une œuvre littéraire classique d’une beauté et d’un intérêt merveilleux ; qu’en dehors de ses sanctions Divines et de son enseignement religieux, de tout ce que nous entendons par « Révélation », la Bible, en tant que simple instrument d’éducation, est, pour le moins, aussi précieuse que les classiques de la Grèce ou de Rome. Il y a de la poésie, dont le rythme apaise jusqu’aux esprits blasés, incapables de prendre plaisir à tout autre chose. Il y a de l’histoire, fondée sur des lignes si larges et si claires, sur une justice si lente, si sûre et si impartiale envers les nations, sur des récits de péchés et de repentirs nationaux, que l’étudiant se rend compte, comme dans aucune autre histoire, de la solidarité de la race, de la fraternité et, si l’on peut dire, de la singularité des nations. Il y a de la philosophie qui, de toutes les philosophies qui ont été proposées, est la seule adéquate à l’interprétation de la vie humaine. Nous ne disons pas un mot ici de ce qui est la raison d’être de la Bible, de son enseignement religieux, de sa révélation de Dieu à l’homme ; mais, pour ne souligner qu’un point supplémentaire, toutes les littératures du monde réunies sont totalement incapables de nous donner un système d’éthique, en précepte et en exemple, en motif et en sanction, aussi complet que celui dont nous avons hérité dans la Bible.
La Bible taboue dans l’éducation. – Depuis environ 1700 ans, la Bible est le livre d’école de l’Europe moderne ; son enseignement, transmis directement ou indirectement, de manière plus ou moins pure, a été la base sur laquelle reposait toute la superstructure de la formation non seulement religieuse mais éthique et, dans une certaine mesure, littéraire. Aujourd’hui, la Bible, en tant que livre de leçons, est taboue, et les pédagogues sont appelés à produire ce qui doit la remplacer dans la formation des idées et du caractère. C’est la tâche à laquelle s’attelle M. Adler ; et s’il réussit, c’est évidemment parce que son propre esprit est imprégné de la tradition biblique et de la loi sacrée qu’il ne se sent pas autorisé à exposer à ses élèves. Mais ce parti pris rend son travail très utile et stimulant pour les parents qui désirent prendre la Bible comme base et sanction de cet enseignement moral qu’ils sont heureux de compléter par d’autres sources.
Pouvons-nous recommander aux parents la suggestion suivante ? –
Journal d’une mère. – « Les parents et les enseignants devraient s’efforcer de répondre à des questions telles que : Quand les premiers signes du sens moral apparaissent-ils chez l’enfant ? Comment se manifestent-ils ? Quel est le développement émotionnel et intellectuel de l’enfant à différents âges, et comment correspond-il à son développement moral ? A quel moment la conscience entre-t-elle en scène ? A quels actes ou omissions l’enfant applique-t-il les termes de bien ou de mal ? Si des observations de ce genre étaient faites avec soin et dûment consignées, la science de l’éducation disposerait d’une quantité considérable de matériel dont on pourrait sans doute déduire de précieuses généralisations. Chaque mère, en particulier, devrait tenir un journal dans lequel elle noterait les phases successives de la croissance physique, mentale et morale de son enfant, en accordant une attention particulière aux aspects moraux ; ainsi, les parents seraient en mesure de prévoir à temps le caractère de leurs enfants, d’entretenir en eux tous les germes du bien et, par de promptes précautions, de supprimer, ou du moins de restreindre, les mauvais. »
Les contes de fées et leur utilisation. – Nous sommes heureux de constater que M. Adler réhabilite les contes de fées. Il dit, à juste titre, qu’une grande partie de l’égoïsme dans le monde est due, non pas à une réelle dureté de cœur, mais à un manque d’imagination ; et il ajoute : « Je soutiens que l’on a gagné quelque chose, voire beaucoup, si un enfant a appris à faire sortir les souhaits de son cœur, pour ainsi dire, et à les projeter sur l’écran de l’imagination. » Les Märchen allemands occupent la première place à ses yeux. Il dit qu’ils représentent l’enfance de l’humanité, et c’est pour cette raison qu’ils plaisent toujours aux enfants.
« Mais comment traiter ces Märchen ? Quelle méthode employer pour les adapter à notre objectif particulier ? Mon premier conseil est de raconter l’histoire. Ne la donnez pas à lire à l’enfant. L’enfant, lorsqu’il écoute les Märchen, lève des yeux grands ouverts vers le visage de la personne qui raconte l’histoire, et frémit au contact de la vie antérieure de la race, qui rencontre ainsi la sienne. » Autrement dit, notre auteur estime, à juste titre, que les traditions doivent être transmises oralement. Cela vaut la peine d’être noté. Son deuxième conseil est tout aussi important. « N’enlevez pas, dit-il, la cerise morale du gâteau du conte de fées, mais laissez l’enfant l’apprécier dans son ensemble. […] Traitez l’élément moral comme un incident, mettez-le en valeur, mais de façon accessoire. Cueillez-le comme une fleur au bord du chemin. »
Le troisième conseil de M. Felix Adler est d’éliminer des histoires tout ce qui est simplement superstitieux, tout ce qui n’est qu’une relique de l’ancien animisme, et, encore une fois, tout ce qui est répréhensible pour des raisons morales. À cet égard, il aborde la question controversée de savoir jusqu’à quel point nous devons informer les enfants de l’existence du mal dans le monde.
« Mon opinion personnelle, dit-il, est que nous ne devrions parler à l’enfant que des formes mineures du mal, physique ou moral, qu’il connaît déjà. » Pour cette raison, il exclurait toutes les histoires de marâtre cruelle, de père contre nature, etc., même si la plupart d’entre nous feraient probablement une exception en faveur de Cendrillon et de sa charmante version allemande Aschenbrödel. Je suis encline à penser que les contes de fées perdent de leur vigueur et de leur charme lorsqu’ils sont apprêtés pour les enfants ; et que Wordsworth a raison de considérer que la connaissance même du mal, transmise dans les contes de fées avec un certain charme, est utile pour éviter aux enfants des chocs douloureux et préjudiciables dans la vie réelle.
Les fables. – Selon notre auteur, les fables devraient constituer la base de l’enseignement moral au deuxième stade, probablement lorsque les enfants quittent la nurserie. Nous avons tous grandi avec les Fables d’Esope ; et « Le chien dans la mangeoire », « Les grenouilles qui demandent un roi », « La grenouille et la cigogne » sont passés dans le langage courant de notre pensée. Mais il est intéressant de se rappeler que les fables dites d’Esope sont infiniment plus anciennes que le célèbre conteur grec et qu’elles sont, pour la plupart, d’origine asiatique. On nous rappelle qu’il est important de garder cette origine de la fable en mémoire, et de faire preuve de discernement dans le choix de celles que nous utilisons pour transmettre des idées morales à nos enfants.
M. Adler rejetterait des fables telles que « Le chêne et le roseau », « Le pot de terre et le pot de fer », « Le chevreau et le loup qui joue de la flûte », car elles respirent la soumission et la peur orientales. Mais peut-être pour la raison même que la colonne vertébrale britannique est peu disposée à s’incliner devant l’homme ou les circonstances, les leçons de vie recueillies par des peuples ayant d’autres habitudes et d’autres pensées peuvent être tout particulièrement utiles à l’enfant anglais. Quoi qu’il en soit, nous perdrions certaines des fables les plus charmantes si nous supprimions tout ce qui a la saveur de la sagesse de l’Orient. Les fables que M. Felix Adler recommande tout particulièrement sont celles qui mettent en avant la vertu, pour l’éloge que nous pouvons en faire, ou le mal, pour que nous puissions le censurer, comme la Lâcheté dans la fable du « cerf et du faon » ; la Vanité, dans le « Le paon et la grue » ; la Cupidité, dans « Le chien qui porte de la viande ».
« Dans la troisième partie de notre cours primaire, dit-il, nous utiliserons des histoires choisies dans la littérature classique des Hébreux, et plus tard dans celle de la Grèce, en particulier L’Iliade et L’Odyssée.”
Les histoires de la Bible. – C’est ici que nous commençons à être en désaccord avec notre auteur. Nous ne devons pas présenter les histoires bibliques comme ayant une valeur morale similaire aux mythes de la Grèce antique ; nous ne devons pas non plus différer leur introduction jusqu’à ce que l’enfant ait suivi un cours de morale par l’intermédiaire des contes de fées et des fables. Ces douces histoires devraient remplir son imagination dès son plus jeune âge ; il aurait dû entendre la voix du Seigneur Dieu dans le jardin à la fraîcheur du soir ; il aurait dû être un spectateur impressionné lorsque les anges montaient et descendaient sur l’oreiller de pierre de Jacob ; il aurait dû suivre le Christ à travers le champ de blé le jour du sabbat, et s’asseoir dans les rangs des multitudes affamées – tout ceci il y a si longtemps que ces scènes sacrées formeraient maintenant le fond inconscient de ses pensées. Tout est possible au petit enfant, et l’influence du spirituel sur notre monde matériel, les problèmes difficiles, les paroles dures, qui sont une offense, dans le sens biblique du mot, pour ses aînés, ne présentent aucune difficulté à la foi totale de l’enfant. Nous ne devrions pas dire, bien au contraire, que toute histoire biblique est adaptée aux enfants simplement parce qu’il s’agit d’une histoire biblique ; nous ne devrions pas non plus analyser avec trop de soin, ni séparer avec trop de clarté ce que nous appelons l’histoire de ce qui peut être dit ainsi : « Il ne leur parlait point sans parabole ».
L’enfant n’est pas un étudiant en exégèse. L’enseignement moral, les révélations spirituelles, les belles images de la Bible sont les choses qui l’intéressent, et il ne peut en avoir trop. Comme le dit M. Adler : « Le récit de la Bible est saturé d’esprit moral, les questions morales sont partout au premier plan. Le devoir, la culpabilité et son châtiment, le conflit entre la conscience et le tempérament, sont les thèmes principaux. Le peuple hébreu semble avoir été doté de ce qu’on peut appeler un génie moral, insistant en particulier sur les devoirs filiaux et fraternels. Or ce sont précisément ces devoirs qui doivent être inculqués aux jeunes enfants. »
Voyons comment notre auteur utiliserait les récits de la Bible. Nous n’avons la place que pour quelques extraits : « Il était une fois deux enfants, Adam et Eve. Adam était un garçon à l’allure noble et agréable » […] « Il faisait si chaud que les enfants n’avaient jamais besoin d’aller à l’intérieur » […] « Et le serpent continuait à chuchoter, ‘Prends-en une bouchée, personne ne te verra.' » […] « Toi, Adam, tu dois apprendre à travailler, et toi, Eve, à être patiente et à faire preuve d’abnégation pour les autres », etc.
Nous laissons à nos lecteurs le soin de décider si cette “adaptation” améliore le récit biblique, et si c’est réellement le genre de choses qui fait appel à l’imagination d’un enfant.
La rythmique de la phraséologie biblique est charmante pour un enfant. – M. Ruskin nous dit que son style incomparable est entièrement dû à sa familiarité précoce avec les classiques de la Bible. C’est une erreur d’adapter les histoires bibliques dans un anglais simplifié, même si le narrateur s’en tient aux faits du récit. Le rythme et la cadence de la phraséologie biblique sont tout aussi charmants pour un enfant que pour ses aînés, sinon plus. Lisez votre histoire biblique à l’enfant, petit à petit ; faites-lui raconter avec ses propres mots (en restant aussi proche que possible des mots de la Bible) ce que vous avez lu, et ensuite, si vous voulez, parlez-en ; mais pas trop. Surtout, ne vous laissez pas tenter par un « commentaire pratique de chaque verset de la Genèse », pour reprendre le titre d’un ouvrage récemment publié. Voici deux points sur lesquels il semble utile de s’arrêter.
Les récits de miracles doivent-ils être utilisés pour l’instruction morale ? – Est-il opportun de raconter aux enfants les miracles de la Bible à une époque où leur possibilité est si vivement discutée ? En premier lieu, tout ce que les savants les plus avancés ont à opposer aux « miracles », c’est qu’ils n’ont pas, personnellement, rencontré de tels phénomènes ; mais ils sont les premiers à admettre que rien n’est impossible et qu’aucune expérience n’est définitive. En second lieu, en ce qui concerne l’enseignement moral et spirituel que dispense le récit du miracle, il importe peu que, dans ce cas particulier, le miracle soit reconnu comme un fait historique, ou que, au contraire, il est vrai qu' »Il ne leur parlait point sans parabole ». C’est la vérité essentielle du récit, et non la vérité historique, qui importe à l’enfant. Celui qui s’aventure à dire : « Ceci est possible ; cela ne l’est pas », est un critique audacieux, bien en avance sur les connaissances scientifiques de son temps.
Faut-il mettre la Bible toute entière entre les mains d’un enfant ? – Le deuxième point qui mérite notre attention en ce qui concerne l’enseignement de la Bible est le suivant : faut-il prendre la Bible dans son intégralité ou la présenter aux enfants selon leur capacité à la comprendre ? Il y a dans la Bible des récits que nous ne mettrions certainement pas entre les mains des enfants s’il s’agissait d’un autre livre. Nous devrions sérieusement nous demander si nos enfants pourraient être protégés des suggestions du mal que nous plaçons délibérément devant eux ; ou bien s’il existe une loi Divine exigeant que la Bible toute entière – qui n’est pas seulement la Parole de Dieu, mais aussi un recueil des écrits juridiques, littéraires, historiques, poétiques, philosophiques, éthiques et polémiques d’une nation – soit placée entièrement et immédiatement entre les mains d’un enfant curieux, dès qu’il est capable de lire. Quand notre respect superstitieux pour le simple texte des Écritures nous permettra-t-il de découper la Bible pour la lire dans des livres distincts, comme toute autre littérature ? Ceci nous permettrait, pour les enfants en tout cas, de présenter des passages “purgés” de ce qui n’est pas adapté à leur âge et même d’ôter des passages tout à fait inintéressants, comme, par exemple, les longues généalogies. Comme il serait agréable que chaque anniversaire soit accompagné du cadeau d’une nouvelle Bible, dont la difficulté augmenterait d’année en année, magnifiquement reliée et illustrée, et imprimée en caractères clairs et attrayants, sur du bon papier. On peut imaginer l’enfant chrétien rassemblant sa bibliothèque de livres sacrés avec beaucoup de joie et d’intérêt, et faisant une étude diligente et ravie du volume de l’année au moment fixé. La meilleure chose à faire est peut-être de lire petit à petit (l’Ancien Testament en tout cas) aux enfants, aussi joliment que possible, en leur demandant ensuite de raconter l’histoire en utilisant autant que possible les mots de la Bible.
Les règles morales du Pentateuque. – Mais pour en revenir à M. Adler, voici une suggestion précieuse : « Il faut apprendre aux enfants à observer des images morales avant d’essayer d’en déduire des principes moraux. Néanmoins, certaines règles simples peuvent être données aux plus jeunes – et même, doivent leur être données – pour les guider. Or, dans la législation attribuée à Moïse, nous trouvons un certain nombre de règles adaptées aux enfants, et un recueil de ces règles pourrait être fait à l’usage des écoles, comme par exemple : Vous ne mentirez pas, vous ne vous tromperez pas les uns les autres, vous n’accepterez pas de corruption, vous n’irez pas raconter des histoires à vos camarades », et ainsi de suite – un recueil très utile de seize règles en guise de spécimen.
Plus loin, nous lisons : « L’histoire de la vie de David est pleine d’intérêt dramatique. On peut l’organiser en une série d’images. Premier tableau, David et Goliath – c’est-à-dire l’habileté opposée à la force brute, ou le châtiment mérité d’un tyran. » Imaginez le résultat d’un tel enseignement “moral”, stérile, commun, ne laissant aucune place à la discussion, et auto-complaisant !
L’Iliade et L’Odyssée. – Quand il parle de L’Iliade et de L’Odyssée, M. Adler fait quelques remarques intéressantes : « Mon père, soucieux de faire de moi un homme de bien, m’a fait apprendre tous les poèmes d’Homère », fait dire Xénophon à l’un de ses personnages ; et ceci peut nous inspirer sur la manière dont les grandes épopées peuvent servir d’exemple de vie et d’instruction des mœurs.
Quoi de plus inspirant que l’histoire d’Ulysse pour le garçon en quête d’aventures ? Et quoi de plus stimulant pour le courage, la prudence, la présence d’esprit, que les évasions du héros ? « Ulysse est le type même de la sagacité et de la bravoure ; son esprit fourmille d’inventions. » Les éléments éthiques de L’Odyssée seraient l’affection conjugale, la conduite filiale (Télémaque), la présence d’esprit et la vénération envers les grands-parents (Laertes). On aurait pu ajouter les relations amicales avec les personnes à charge, comme l’illustre la belle histoire de la nourrice Euryclée reconnaissant Ulysse alors que sa femme restait assise, le visage impassible. L’amitié, encore, dans l’histoire du chagrin d’Achille pour Patrocle.
La faiblesse originelle de la « morale laïque ». – M. Adler traite les histoires d’Homère avec plus de grâce et de sympathie, et avec moins de transgressions impitoyables, qu’il ne le fait pour celles de la Bible ; mais ici encore nous retrouvons la faiblesse originelle de la morale « laïque ». L’Iliade et L’Odyssée doivent être considérés comme des poèmes religieux sinon ils sont sans valeur. Le motif entier est religieux ; chaque événement est dirigé par une force surnaturelle. L’inspiration héroïque fait entièrement défaut si l’on ne tient pas compte du fait que les personnages agissent et souffrent avec un courage et une force d’âme exceptionnels, uniquement parce qu’ils ont voulu agir et souffrir, en toutes choses, selon la volonté des dieux. Le consentement de leur volonté à l’égard de ce qu’ils ont deviné, même obscurément, de la volonté divine, est la qualité véritablement inspirante des héros d’Homère ; et ici, tout comme dans l’enseignement de la moralité biblique, l’éthique “séculière” est à blâmer.
Les leçons sur le devoir. – La troisième partie de l’ouvrage de M. Adler est consacrée aux leçons sur le devoir. Ici encore nous avons d’excellents conseils et des illustrations attrayantes. « L’enseignant doit toujours considérer l’habitude morale comme allant de soi. Il ne doit jamais faire comprendre à ses élèves qu’ils sont sur le point d’examiner, par exemple, s’il est mal ou non de mentir. Le commandement contre le mensonge est assumé, et son obligation reconnue dès le départ. » Nous sommes tout à fait d’accord avec cela, et nous aimons particulièrement l’utilisation apparemment involontaire du mot « commandement », qui reconnait la question en jeu, à savoir que l’idée du devoir est relative et dépend d’une Autorité suprême et intime, qui englobe les pensées du cœur et les problèmes de la vie.
Encourager un enfant à apprendre. – L’histoire d’Hillel, illustrant le devoir d’acquérir des connaissances, est fort charmante, et elle est profondément intéressante pour le psychologue, car elle montre qu’un désir de connaissance naturellement implanté est, pour la nature humaine, un des déclencheurs de l’action. Les motifs proposés pour la quête de la connaissance sont pauvres et insuffisants : réussir dans la vie, gagner de l’estime, se satisfaire, et même pouvoir, éventuellement, profiter aux autres, ne sont pas des motifs convaincants. L’enfant qui est encouragé à apprendre, parce que c’est son devoir particulier dans l’état de vie auquel il a plu à Dieu de l’appeler, possède les motifs les plus forts que l’on puisse concevoir, en ce sens qu’il fournit ce qui lui est demandé par l’Autorité Suprême.
Cette seule note de faiblesse se retrouve tout au long de l’analyse du sujet. L’homme qui se noie est censé s’enjoindre « d’être courageux, parce qu’en tant qu’être humain vous êtes supérieur aux forces de la Nature, parce qu’il y a quelque chose en vous – votre moi moral – sur lequel les forces de la Nature n’ont aucun pouvoir, parce que ce qui vous arrive dans votre vie privée n’est pas important ; mais il est important que vous revendiquiez la dignité de l’humanité jusqu’au dernier souffle. » C’est une assez bonne interprétation ; mais comme est plus noble l’attitude de l’homme qui lutte avec courage pour sauver la vie que Dieu lui a donnée !
La valeur morale du travail manuel. – Le chapitre sur l’influence du travail manuel mérite d’être pris en considération. La phrase de conclusion est la suivante : « Il est réconfortant et encourageant de penser que le travail technique, qui est la source de notre enrichissement matériel, peut aussi devenir, lorsqu’il est employé pour l’éducation des jeunes, le moyen d’élargir leur virilité, de vivifier leur intelligence et de renforcer leur caractère. »
Si j’ai analysé l’ouvrage de M. Adler de manière aussi complète, c’est parce qu’il s’agit de l’une des tentatives les plus sérieuses et les plus réussies que je connaisse pour présenter un cours d’éthique gradué convenant aux enfants de tous âges. Bien que je sois en désaccord avec l’auteur sur le point très important des sanctions morales, je recommande cet ouvrage à la lecture des parents. Le parent chrétien présentera certainement la pensée de la Loi en relation avec un Législateur, et complétera les mille suggestions précieuses qu’il trouvera ici par sa propre conviction que le « devoir » vient du Seigneur Dieu.
Un enseignement moral bâclé. – Mais même l’enfant chrétien souffre de ce que l’on peut appeler un enseignement moral bâclé. Les défaillances du bien sont une source de chagrin et de surprise pour le moraliste aussi bien que pour l’âme chrétienne qui fait de son mieux et qui échoue souvent. Nous pouvons admettre que la tentation et le péché soient inséparables de notre condition actuelle ; mais qu’un chrétien sincère et sérieux soit habituellement coupable de manquer de sincérité, de franchise, de justice envers le caractère et les opinions d’autrui, qu’il soit immodéré dans la censure, et – osons le dire – impitoyable dans la critique, cela peut être imputé, non pas à la nature humaine faillible, mais à une éducation défectueuse.
L’importance de l’enseignement de l’éthique. – L’idée d’éthique n’a jamais été présentée à l’esprit de façon juste et complète sur ces points vulnérables. L’homme est incapable d’accorder le poids voulu aux opinions d’autrui, parce que l’enfant n’a pas été instruit du devoir de franchise. Il n’y a guère de doute qu’une instruction soigneuse, méthodique, morale, avec de nombreux exemples – et, inutile d’ajouter – inspirée par la pensée que « Dieu le veut », devrait, si elle pouvait être généralisée, avoir un effet appréciable sur l’élévation du caractère national. C’est pourquoi nous saluons avec gratitude cette contribution à l’éthique pratique de la nurserie et de l’école telle que nous l’offre l’ouvrage de M. Adler sur l’instruction morale des enfants.
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 12 LA FOI ET LE DEVOIR
Les revendications de la philosophie comme instrument d’éducation
La pensée pédagogique anglaise tend vers le naturalisme. – Depuis que Locke a établi une école de pensée éducative anglaise, basée sur la philosophie anglaise, notre tendance a porté exclusivement vers le naturalisme, si ce n’est le matérialisme, à l’exclusion d’un élément vital dans l’éducation – la force de l’idée.
Madame de Staël est l’auteure d’un passage remarquable concernant cette tendance de la philosophie anglaise qui, bien que nous ne soyons pas disposés à admettre ses conclusions en bloc, devrait certainement nous faire réfléchir, et nous amener à nous demander si nous ne devrions pas sagement modifier les tendances de notre pensée nationale en nous ouvrant aux influences étrangères :
Madame de Staël au sujet de Locke. – « Hobbes a pris à la lettre la philosophie qui fait dériver toutes nos idées des impressions des sens ; il n’a pas craint les conséquences, et il a dit hardiment que l’âme était soumise à la nécessité comme la société l’est au despotisme. Le culte de tous les sentiments élevés et purs est tellement consolidé en Angleterre par les institutions politiques et religieuses, que les spéculations de l’esprit tournent autour de ces colonnes imposantes sans jamais les ébranler. Hobbes n’avait donc que peu de partisans dans son propre pays ; mais l’influence de Locke fut plus universelle. Comme il avait un caractère moral et religieux, il ne se permit aucun des raisonnements corrupteurs qui découlaient nécessairement de sa métaphysique ; et la plupart de ses compatriotes, en l’adoptant, eurent, comme lui, la noble inconséquence de séparer les résultats des principes, tandis que Hume et les philosophes français, après avoir admis le système, l’appliquèrent d’une manière beaucoup plus logique.
« La métaphysique de Locke n’a eu d’autre effet sur les esprits en Angleterre que de ternir leur originalité naturelle ; quand bien même elle tarirait la source des grandes pensées philosophiques, elle ne pourrait pas détruire le sentiment religieux, qui peut si bien y suppléer ; mais cette métaphysique accueillie dans le reste de l’Europe, l’Allemagne exceptée, fut une des principales causes de l’immoralité dont on a formé une théorie pour mieux en assurer la pratique.”
Nos efforts en matière d’éducation n’ont pas de but précis. – Il est bon que nous reconnaissions la continuité de la pensée anglaise en matière d’éducation, et que nous percevions que nous avons en Spencer et Bain les descendants directs des premiers philosophes. La principale faiblesse dans notre tentative de formuler une science de l’éducation est que nous ne réalisons pas que l’éducation est l’aboutissement de la philosophie. Nous traitons de la question et ignorons la source. Par conséquent, nos efforts manquent de continuité et d’un but précis. Nous nous contentons d’une suggestion par-ci, d’un conseil pratique par-là, sans même nous préoccuper du schéma de vie dont ces conseils et ces suggestions découlent.
Nous sommes au bord du chaos. – La traduction par M. Greenstreet du remarquable ouvrage de M. Fouillée ne devrait pas être sans effet sur les questions brûlantes de notre époque. Comme le dit bien le traducteur dans sa préface : « L’esprit de réforme est dans l’air ; la question de la conservation du grec dans les universités n’est qu’une ondulation de la grande vague qui semble prête à déferler sur nous et à effacer les traits caractéristiques de notre système national d’éducation. […] Un simple coup d’œil sur les diverses formes de systèmes éducatifs existant en Europe et en Amérique suffit à montrer à l’œil observateur à quel point nous nous trouvons au bord du chaos. »
Mais nous sommes aussi à l’aube d’une révolution éducative. – Ce sont là des paroles lucides et pleines de sagesse, mais ne désespérons pas pour autant, comme si la fin de toutes choses était proche. Nous commençons à reconnaître que l’éducation est la science appliquée de la vie, et que nous disposons de matière suffisante, grâce à la philosophie des époques qui nous ont précédées et la science actuelle, pour formuler un code éducatif qui nous permette d’ordonner la vie de nos enfants et de réglementer la nôtre. Nous n’avons pas besoin d’aspirer à un code complet et exhaustif de lois éducatives. Cela nous viendra en temps voulu, lorsque l’humanité se sera, pour ainsi dire, accomplie. En attendant, nous avons assez de choses à faire si nous voulons bien le croire. Ce que nous devons faire, c’est rassembler et ordonner nos ressources ; mettre la première chose en évidence et toutes les choses dans l’ordre, et considérer que l’éducation n’est ni plus ni moins que l’application pratique de notre philosophie. Ainsi, si nous voulons que notre pensée éducative soit saine et efficace, nous devons observer la philosophie qui la sous-tend, et nous devons être en mesure de rattacher chaque conseil perfectionnant l’éducation des enfants à l’une ou l’autre des deux écoles de philosophie dont elle est nécessairement le résultat.
Notre système d’éducation doit-il être issu du naturalisme ou de l’idéalisme ? – Notre système d’éducation doit-il être issu du naturalisme ou de l’idéalisme, ou bien y a-t-il une media via ? C’est la question à laquelle M. Fouillée se propose de répondre avec l’esprit d’un pédagogue philosophe. Il examine ses prémisses et tire ses déductions avec une franchise, une culture, une perspicacité philosophique qui gagnent la confiance du lecteur. Il est sans aucun doute d’accord avec l’arbitre qui, dans un match de cricket, dit qu’il faut être juste envers les deux camps, avec une légère préférence pour le sien. M. Fouillée prend parti pour la culture classique, qu’il préfère à la culture scientifique. Mais il n’est pas un simple partisan ; il a des raisons philosophiques pour justifier sa foi, et son examen de la question de l’éducation nationale est instructif et inspirant, aussi bien pour le parent réfléchi que pour l’instituteur.
Le point de vue éthique dans l’éducation. – Dans son préambule, M. Fouillée explique son approche du sujet. Il dit,
« Ici comme dans toutes les grandes questions de philosophie pratique, Guyau a laissé sa marque et sa trace. […] Il a pris la question de haut et l’a posée sous une forme vraiment scientifique. ‘Étant donné les défauts et les mérites héréditaires d’une race, dans quelle mesure peut-on, par l’éducation, modifier l’hérédité existante au profit d’une hérédité nouvelle ?’ Car il ne s’agit de rien moins : ce ne sont pas seulement des individus qu’il faut instruire, c’est une race qu’il faut conserver et accroître. C’est donc sur les lois physiologiques et morales de la culture des races que doit reposer l’éducation. […] Le point de vue ethnique nous semble le vrai. Il faut, par l’éducation, créer des hérédités utiles à la race physiquement et intellectuellement. »
M. Fouillée commence par le commencement. Il examine le principe de la sélection, et montre que c’est un principe actif, non seulement dans la vie animale, mais dans la vie intellectuelle, esthétique et morale. Il démontre qu’il existe ce qu’on peut appeler une sélection psychologique, selon les lois de laquelle les idées les plus aptes gouvernent le monde ; et c’est à la lumière de cette vérité, de la sélection naturelle des idées et de leur énorme force, qu’il examine la question délicate des sujets et des méthodes d’éducation.
Aucune tentative n’a été faite pour unifier l’éducation. – M. Fouillée se plaint avec raison qu’aucune nation civilisée n’a tenté d’harmoniser ou d’unifier l’enseignement dans son ensemble. La controverse fait rage autour de questions tout à fait secondaires : l’enseignement doit-il être littéraire ou scientifique ? ou encore, faut-il enseigner les langues anciennes ou les langues modernes ? Mais la science et la littérature ne sont pas les seuls domaines concernés. Notre auteur introduit un nouveau sujet. Il dit ceci :
« Pour nous, nous nous demanderons si le lien des sciences et des lettres ne doit pas être cherché dans la connaissance de l’homme, de la société et des grandes lois de l’univers, c’est-à-dire dans les études morales, sociales, esthétiques et, en un mot, philosophiques. »
Les revendications de la philosophie en tant que moyen d’éducation. – Voici l’essentiel de l’enseignement que nous nous sommes efforcés de promouvoir au sein de la Parents’ Union et de ses divers organismes. « L’étude propre de l’humanité, c’est l’homme », est l’une de ces « pensées qui dépassent la pensée » que les poètes mettent en lumière ; et je peux personnellement témoigner du fait que la philosophie est le seul sujet grâce auquel l’intelligence et l’âme du jeune élève se développent de façon presque visible.
Une ligne de pensée particulièrement intéressante et originale, développée de façon très complète dans ce volume, est que, tout comme l’enfant, qui possède un penchant individuel, devrait voir ce penchant encouragé et « éduqué », il en va de même pour une nation :
“Si la science sociale rejette toute interprétation mystique de l’esprit commun qui anime une nation, elle ne rejette nullement la conscience réfléchie ou la divination spontanée que tout grand peuple a d’une fonction qui lui est dévolue.”
Une nation devrait être éduquée pour ses fonctions propres. – Voici une suggestion des plus fructueuses. Pensez à la pertinence d’un programme de formation physique, intellectuelle et morale, basé sur notre idéal du caractère anglais et de la destinée de la nation anglaise.
Le chapitre sur « La puissance de l’éducation et des idées-forces. La suggestion. L’hérédité. » est très précieux, car il met en relation le flot d’intuitions confuses avec les cent une merveilles hypnotiques qui nous soulèvent et nous entraînent chaque jour. M. Fouillée soutient que :
« La puissance de l’instruction et de l’éducation, que les uns exagèrent et les autres nient, n’est que la force des idées et des sentiments : on ne saurait donc apporter trop d’exactitude à déterminer d’abord l’étendue et les limites de cette force. C’est là une question psychologique qui est à la base même de la pédagogie. »
M. Fouillée néglige les bases physiologiques de l’éducation. – En un mot, M. Fouillée revient hardiment à la philosophie platonicienne ; il considère l’idée comme un tout, en philosophie et en éducation. Mais il revient les mains vides. La vague du naturalisme, peut-être aujourd’hui en reflux, ne lui a laissé aucun débris à part les fragments échoués de la théorie darwinienne. Or, c’est à cette vague de pensée, naturaliste, matérialiste, comme vous voudrez, que nous devons la découverte de la base physiologique de l’éducation.
Tant que nous croyions que la pensée était purement volatile, incapable d’agir sur la matière ou d’être influencée par la matière, nos théories de l’éducation restaient nécessairement vagues. Nous ne pouvions pas attraper notre Ariel ; alors comment pourrions-nous l’éduquer ? Or, à présent, nous savons grâce aux physiologistes que la volonté de notre petit esprit aérien touche le sol au moins du bout de ses orteils ; et plus encore, son pied n’est pas si léger car il laisse des traces derrière lui, comme une impression sur ce domaine du physique dans lequel nous nous sentons en quelque sorte chez nous. Nos pensées impalpables laissent leur empreinte sur la substance plutôt palpable du cerveau ; elles établissent, nous disent les physiologistes, des connexions entre les cellules nerveuses dont cet organe est composé ; en réalité, pour faire court, le cerveau « se développe en fonction des usages auxquels il est le plus tôt et le plus constamment soumis ». Ce fait ouvre une fonction de l’éducation que M. Fouillée effleure à peine, cette fonction si importante de la formation des habitudes – physiques, intellectuelles, morales. Comme nous l’avons bien dit : « Semez un acte, vous récolterez une habitude ; semez une habitude, vous récolterez un caractère ; semez un caractère, vous récolterez une destinée ». Et l’un des rôles essentiels de l’éducateur est de veiller à ce que les actes soient semés si régulièrement, si résolument et si méthodiquement que l’enfant puisse acquérir les habitudes d’une vie saine, en pensées et en actes, avec le minimum d’effort conscient.
Les petites vertus sont une question d’habitude. – Nous commençons seulement à découvrir à quel point les lois qui régissent notre existence sont bénéfiques. Éduquez l’enfant dans de bonnes habitudes et la vie de l’homme se déroulera selon ces habitudes, sans l’usure constante de l’effort moral causé par la prise de décisions. Une fois, deux fois, trois fois dans la journée, il devra encore, sans aucun doute, choisir entre le plus ardu et le plus facile, le meilleur et le moins bon des chemins. Mais toutes les petites vertus de la vie peuvent devenir des habitudes. Il a été élevé dans la courtoisie, la promptitude, la ponctualité, la propreté, la prévenance, et il pratique ces vertus sans effort conscient. Il est beaucoup plus facile de se comporter comme il en a l’habitude que de se créer une nouvelle ligne de conduite. C’est ainsi parce qu’il est gracieusement et miséricordieusement prévu que nos efforts éducatifs entraînent un enregistrement et une adaptation physiques, et que nous n’ayons à fournir un énorme effort moral qu’occasionnellement. « Semez une habitude, vous récolterez un caractère”, c’est-à-dire que la formation des habitudes est l’un des principaux moyens par lesquels nous modifions la disposition héréditaire de l’enfant afin qu’elle devienne le caractère de l’homme.
L’idée qui déclenche une habitude. – Mais même dans ce travail physiologique, la force spirituelle de l’idée a son rôle à jouer. En effet, une habitude se crée lorsqu’une idée initiale est suivie d’une longue séquence d’actes connexes. Vous dites à un enfant que le Grand Duc dormait dans un lit si étroit qu’il ne pouvait pas se retourner, parce que, disait-il, « quand vous voulez vous retourner, c’est qu’il est temps de se lever ». L’enfant ne veut pas se lever le matin, mais il veut être comme le héros de Waterloo. Vous le stimulez à agir sur cette idée jour après jour pendant un mois environ, jusqu’à ce que l’habitude soit prise, et cela devient aussi facile que de se lever en retard.
L’esprit peut-il agir sur la matière ? – Les fonctions de l’éducation peuvent être définies en deux catégories : (a) la formation des habitudes ; (b) la présentation des idées. La première dépend beaucoup plus que nous ne le reconnaissons des processus physiologiques. La seconde est purement spirituelle dans son origine, sa méthode et son résultat. N’est-il pas possible que nous ayons ici le point de rencontre des deux philosophies qui ont divisé l’humanité depuis que les hommes ont commencé à méditer sur leurs pensées et leurs actes ? Les deux sont justes ; les deux sont nécessaires ; les deux ont leur pleine utilité dans le développement d’un être humain vers ce qu’il a de meilleur. Le nœud de la pensée moderne, comme d’ailleurs de toute pensée profonde, est le suivant : est-il concevable que le spirituel ait une quelconque incidence sur le matériel ? Chaque problème, depuis l’éducation d’un petit enfant jusqu’à la doctrine de l’Incarnation, tourne autour de ce point. Concevez cette possibilité et tout est clair, depuis les merveilles illicites résultant de la suggestion hypnotique jusqu’aux miracles de notre foi. Il devient possible, mais non pas facile, de croire ce que l’on nous dit, à savoir que, par un effort de concentration enthousiaste de la pensée et du sentiment, les pieux sont parvenus à la représentation des stigmates sur leurs mains et leurs pieds. Avec une telle clef, rien n’est impossible à notre foi ; tout ce que nous demandons, c’est un précédent. Et, après tout, cette interaction de forces est la plus commune et la plus quotidienne de nos expériences. Qu’est-ce, sinon l’impact de l’esprit sur la matière, qui inscrit sur le visage de la personne cette empreinte de caractère et de conduite que nous appelons la contenance ? Et pas seulement sur le visage ; celui qui ne sait pas reconnaître un homme de dos est un piètre connaisseur de la nature humaine. Le sculpteur sait comment s’y prendre. Il y a un mémorial du regretté prince consort à Édimbourg, avec des groupes de statues représentant des personnes significatives rendant hommage au prince. Placez-vous de manière à avoir une vue de dos de n’importe lequel d’entre eux et les épaules du savant, du soldat, du paysan, de l’artisan, racontent sans équivoque le récit de leurs différentes vies. Qu’est-ce, sinon l’empreinte de l’esprit sur la matière ?
Il n’y a pas de voie intermédiaire. – Nous sommes toujours confrontés à un dilemme. Il n’y a pas de solution intermédiaire possible. Les physiologistes ont clairement établi que le cerveau est préoccupé par la pensée. Non, plus que ça, la pensée peut se dérouler sans aucune volonté de la part du penseur. De plus, une grande partie de nos meilleurs travaux artistiques et littéraires sont le résultat de ce qu’on appelle la cérébration inconsciente. Maintenant, nous devons admettre l’une des deux choses suivantes. Ou bien la pensée est un processus du cerveau matériel, une « une forme de mouvement” de plus, comme le prétendent les matérialistes, ou bien le cerveau matériel est l’agent de la pensée spirituelle, qui agit sur lui, disons, comme les doigts d’un musicien sur les touches de son instrument. Admettons-le et la question est réglée. L’impact du spirituel sur le matériel est un fait accepté.
L’individualité des enfants est sauvegardée. – Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, dans cette grande œuvre qu’est l’éducation, les parents et les enseignants ne sont, après tout, autorisés à jouer qu’un rôle subalterne. On peut mener un cheval à l’abreuvoir mais on ne peut pas le forcer à boire ; de la même façon, vous pouvez présenter les meilleures idées à l’esprit de l’enfant, mais vous ne savez pas le moins du monde lesquelles il acceptera et lesquelles il rejettera. Et c’est une bonne chose que cette garantie de son individualité soit implantée en chaque enfant. Notre rôle est de veiller à ce que son assiette éducative soit constamment remplie d’idées appropriées et inspirantes, et nous devons ensuite laisser à l’enfant le soin de prendre ce qu’il veut, et autant qu’il le veut. Néanmoins, nous devons sérieusement porter attention au moindre signe de satiété, surtout lorsque les idées que nous présentons sont morales et religieuses. Si nous persistons malgré ces signaux, il se peut que l’enfant ne veuille plus jamais s’asseoir devant ce plat.
L’importance des idées marquantes. – Sachant que notre pouvoir à présenter les idées est limité, nous devrions prêter plus attention à la nature des idées placées devant nos enfants. Nous ne nous contenterons pas de leur apprendre la géographie, l’histoire, le latin, etc., mais nous nous demanderons quelles idées marquantes sont présentées dans chacune de ces études, et comment ces idées affecteront le développement intellectuel et moral de l’enfant. Nous serons donc disposés à aborder avec calme et sérieux la question de l’éducation telle que l’a présentée M. Fouillée. Nous diffèrerons sans doute de lui sur bien des points de détail, mais nous serons très probablement enclins à nous ranger à sa conclusion qui affirme que, loin d’être un sujet de simple utilité, la science morale et sociale transmise par l’histoire, la littérature, ou d’autres moyens, est le seul enseignement que nous n’ayons pas le droit d’écarter du programme d’études d’un « être qui respire de façon réfléchie ».
Les tableaux d’études donnés en annexe sont d’une extrême valeur. Chaque sujet est traité selon ce que l’on peut appeler le point de vue idéal.Un esprit scientifique. – « Deux choses sont nécessaires. Il faut d’abord, dans l’étude de chaque science, introduire l’esprit et la méthode philosophiques, les vues d’ensemble, la recherche des principes et des conclusions les plus générales ; il faut ensuite ramener les diverses sciences à l’unité par un enseignement sérieux de la philosophie, qui sera non moins obligatoire pour les élèves des sciences que pour les élèves des lettres. […] Il est des vérités scientifiques, dit Descartes, qui sont des batailles gagnées ; racontez aux jeunes gens les principales et les plus héroïques de ces batailles : vous les intéresserez ainsi aux résultats mêmes des sciences, et vous développerez chez eux l’esprit scientifique au moyen de l’enthousiasme pour la conquête de la vérité ; vous leur ferez comprendre la puissance de raisonnement qui a amené les découvertes actuelles et en amènera d’autres. Quel intérêt prendraient l’arithmétique et la géométrie si on joignait un peu de leur histoire à l’exposition de leurs principales théories, si on assistait aux efforts des Pythagore, des Platon, des Euclide, ou, plus tard, des Viète, des Descartes, des Pascal, des Leibniz ! Les grandes théories, au lieu d’être des abstractions mortes et anonymes, deviendraient des vérités vivantes, humaines, ayant leur histoire, comme une statue qui est de Michel-Ange, comme un tableau qui est de Raphaël. »
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 13 LA FOI ET LE DEVOIR
L’homme vit par la foi, tourné vers Dieu et vers l’Homme
Les choses « sacrées » et les choses « profanes » : une classification irréligieuse. – Nos esprits ont une petite résistance involontaire à tout enseignement qui évoque les choses profondes de la foi au sein de la sphère des lois qui régissent notre développement en tant qu’êtres humains. Nous préférons que la relation entre Dieu et l’âme, dans laquelle se trouve notre vie, soit complètement « surnaturelle » ; qu’elle soit arbitraire, incompréhensible, contraire à la raison, séparée des lois communes de la vie. Si, en ceci, nous nous égarons, c’est malgré tout avec révérence. Notre pensée peut être pauvre et fruste, mais notre désir est de sanctifier le Nom divin, et nous ne connaissons aucun autre moyen de le distinguer du reste. Mais, bien que nous nous égarions avec révérence, nous nous égarons néanmoins et, dans le monde spirituel comme dans le monde qui nous entoure, le motif n’excuse pas l’acte. Cette conception erronée de nos relations avec Dieu nous fait perdre le sens de l’unité de notre vie. Nous prenons conscience d’une classification tout à fait contre nature et irréligieuse entre les choses sacrées et les choses profanes. Nous ne sommes pas complètement unis à Dieu. Certaines vies magnifiques ne présentent aucune trace de cette séparation, leurs objectifs se limitent aux choses que nous appelons sacrées. Mais de nombreuses personnes réfléchies et sérieuses ressentent cruellement le besoin d’une conception de la relation divine qui embrasse toute la vie humaine, qui rende sacrés aussi l’art, la science, la politique, toutes ces préoccupations et toutes ces pensées d’hommes obéissants, engagés dans la grande évolution, l’évolution du Royaume de Dieu.
Chaque homme développe sa propre philosophie. – Notre pensée religieuse, comme notre pensée éducative, est, bien plus que nous ne l’imaginons, le résultat de notre philosophie personnelle. Et ne nous imaginons pas que la philosophie est seulement destinée à quelques hommes. Au contraire, toute âme vivante développe sa propre philosophie de vie : celle qu’elle s’approprie à partir de la pensée commune de son temps, modifiée par ses propres expériences.
Il serait intéressant de retracer l’effet sur la pensée religieuse des deux grandes écoles de philosophie, l’Idéaliste et la Naturaliste, mais cela dépasse les capacités de l’auteure et notre propos ici ; nous devons nous limiter à ce qui est tout de suite utile. Le nœud du problème actuel est que la philosophie naturaliste étant à son apogée, et les choses de notre religion étant tout à fait idéalistes, beaucoup de nobles natures sont en révolte, sentant qu’elles ne peuvent honnêtement accepter comme vérité ce qui s’oppose à la raison humaine. D’autres, pour qui la foi religieuse est une chose fondamentale, mais qui sont néanmoins en contact avec la pensée et les découvertes actuelles, adoptent un compromis plus ou moins honnête avec eux-mêmes, et affirment qu’il y a certaines questions qu’ils n’examineront pas, les questions séculières étant seules ouvertes à un examen minutieux. Or, ce n’est pas, comme nous l’entendons si souvent, que les choses vont mal, que le christianisme s’affaiblit, qu’il y a un antagonisme inhérent entre les faits de la vie naturelle et ceux de la vie spirituelle. C’est notre propre philosophie qui a besoin d’être ajustée. Nous avons réussi, d’une manière ou d’une autre, à détourner la vie de son objectif ; nous avons commencé par des idées initiales fausses, et nous avons pris les déductions logiques qui en découlent pour des vérités essentielles. Nous n’avons pas compris que les pouvoirs de raisonnement ne se préoccupent pas de la vérité morale ou spirituelle, ni même de ce que nous appelons des faits, mais simplement des déductions logiques à partir de n’importe quelle prémisse acceptée par l’esprit.
Tout échange de pensées appartient au domaine des idées. – Dans notre examen de l’ouvrage de M. Fouillée, L’enseignement au point de vue national, nous avons essayé de montrer que les deux systèmes de philosophie qui ont jusqu’ici divisé le monde, l’ont fait parce que les deux ont raison, mais qu’aucun n’a exclusivement raison. La matière et l’esprit, la force et l’idée, travaillent ensemble à l’évolution du caractère. Le cerveau, en quelque sorte, enregistre matériellement les idées qui inspirent la vie. Mais le cerveau n’est pas à l’origine de ces idées. Elles sont spirituelles par nature et sont transmises spirituellement, que ce soit au moyen de la page d’un livre, d’un regard, du contact d’une main, ou par ce saint mystère de l’inspiration de l’Esprit Divin, dont nous ne pouvons dire d’où il vient ni où il va. Une fois que nous reconnaissons que toutes les pensées qui respirent et les mots qui brûlent sont de nature spirituelle, et font appel au spirituel qui est en nous – qu’en fait, tous les échanges de pensées et de sentiments appartiennent au domaine des idées, véhiculées spirituellement, les grands mystères de notre religion cessent d’être tenus à l’écart de notre vie quotidienne. Si l’ami qui est assis à côté de nous communique avec nous, d’esprit à esprit, par un rapide échange d’idées, est-il difficile de croire qu’il en est de même entre l’Esprit de Dieu et l’esprit de l’homme ? Plus la sympathie entre les âmes humaines est profonde, moins les mots sont nécessaires. Il est facile à partir de cette idée de se représenter la plus intime et la plus heureuse de toutes les relations, la conversation entre l’âme pieuse et son Dieu.
Il est évident et naturel que le Père des esprits ait libre accès aux esprits des hommes. – Rien ne peut être plus évident, réel, naturel, nécessaire, que le Père des esprits maintienne gracieusement un accès si intime et une conversation avec les esprits des hommes.
“Qui me donnera, Seigneur, de vous trouver seul
——
vous me parliez seul, et moi à vous, comme un ami parle à son ami, et s’assied avec lui à la même table ?”
est toujours l’aspiration de l’âme pieuse. Cette aspiration perpétuelle à une communion la plus intime possible, qu’elle soit exprimée ou non, est la prière de la foi. Une imagination vaine et frivole, dit le sceptique, engendrée par le cœur, comme lorsque Narcisse s’est épris de son reflet ! Qu’avons-nous à répondre à ceci ? Rien. Celui qui ne comprend pas qu’il aime dans son frère, non pas la forme matérielle, mais l’être spirituel dont ce corps est une expression, comment peut-il comprendre que l’Esprit de Dieu attire avec une force irrésistible l’esprit de l’homme qui est, en fait, l’homme dans son intégralité ? Car, après tout, qu’est-ce que le corps, sinon le vêtement que l’esprit façonne à ses usages ?
La plupart d’entre nous choisissent la tolérance. – Accepter les apparences extérieures, ignorer la réalité spirituelle, telle est la voie la plus facile. Dire que la prière est lancée en l’air, comme un enfant lance son cerf-volant, pour retomber ensuite ; dire que les hommes sont les jouets des circonstances, sans pouvoir déterminer leur propre destin ; que telle et telle croyance sont des vérités égales, et que le culte du Christ ou du Bouddha est une simple affaire de climat et de conditions ; cette tolérance facile se présente à de nombreux esprits de nos jours.
Thackeray sur l’attitude facile et sceptique. – « A quoi cette vie facile et sceptique mène-t-elle un homme ? […] A quoi, disons-nous, mène ce scepticisme ? Il mène l’homme à un honteux isolement et à un égoïsme d’autant plus honteux qu’il est aimable, plein de sérénité et absolument dépourvu de conscience. La conscience ! Qu’est-ce que la conscience ? Pourquoi accepter le remords ? Qu’est ce que la foi publique ou privée ? Les mythes sont tous enveloppés de monstrueuses traditions. Si, voyant et reconnaissant les mensonges de ce monde comme vous ne les voyez, Arthur, que trop clairement, vous vous soumettez à eux sans autre protestation qu’un éclat de rire ; si, plongé dans votre facile sensualité, vous laissez passer à côté de vous, sans être ému, tout le misérable monde gémissant ; si le combat pour la vérité se livre, et que tous les hommes d’honneur arrivent armés sur le terrain, rangés d’un côté ou de l’autre, pendant que vous seul restez sur votre balcon à fumer votre pipe loin du bruit et du danger, mieux vaudrait que vous fussiez mort, que vous n’eussiez jamais existé, plutôt que de faire preuve d’une si sensuelle lâcheté.”
L’homme vit par la foi, tourné vers Dieu et vers l’Homme. – L’ouvrage du chanoine Henry Charles Beeching, Eleven Sermons on Faith, offre un contraste rafraîchissant avec cette sorte de sadducéisme moderne. Selon lui, la foi n’est pas mystique, surnaturelle, un développement exceptionnel ; c’est la base commune de nos relations les uns avec les autres. Le crédit, la confiance, l’assurance – le cadre de la société repose sur ces éléments. « Je ne peux pas vous faire confiance » – quelle pire chose pouvons-nous dire à quelqu’un ? La loi reconnaît le droit de chaque homme à la confiance de ses semblables et fait en sorte qu’un homme soit considéré comme innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée. L’ensemble de nos systèmes commerciaux et bancaires ne sont que d’énormes systèmes de crédit et seul un sur cent, ou un sur mille, échoue à supporter ce crédit. La vie familiale et sociale repose sur un crédit d’une autre nature, appelons-le crédit moral, et seule une personne sur cent ou une sur mille perd cette confiance. Si l’une d’elles, par-ci par-là, donne lieu à la jalousie, à la méfiance, au soupçon, alors l’exception confirme la règle. Dans ses rapports avec les hommes, l’homme vit selon cette notion de crédit ; dans ses rapports avec Dieu, l’homme vit par la foi. Utilisons le même mot dans les deux cas, et disons que l’homme est un être spirituel, et que dans toutes ses relations, orientées vers Dieu ou vers l’homme, il vit par la foi. Comme la foi devient une chose simple et facile ! Comme c’est facile surtout pour les enfants qui font confiance à tout le monde et tendent une main confiante à tout guide. Si seulement nous pouvions nous débarrasser de l’idée matérialiste que nous n’avons pas à comprendre les choses spirituelles, et que croire en Dieu est une chose tout à fait différente que de faire confiance à un ami, comme il nous serait facile de répondre aux questions que nous laissons ébranler notre foi.
La foi est la simple confiance de l’être humain en l’Être divin. – Mais le Royaume de Dieu vient sur nous avec puissance. Abattons seulement cette barrière insensée de la chair ; comprenons que nos relations mutuelles sont des relations d’esprit à esprit, que les paroles et les écrits ne sont que les signes extérieurs et visibles d’idées spirituellement véhiculées, et comme la présence de Dieu autour de nous devient inévitable, constante et universelle. La foi est donc la simple confiance de l’être humain en l’Être divin. Nous réalisons avec une joie craintive qu’Il connaît notre sentier et notre coucher, et est au fait de toutes nos voies – non pas avec l’œil austère d’un juge, mais avec le regard affectueux, quoique critique, d’un parent. Il est donc facile de comprendre les incessantes conversations, toujours inspirantes, de l’Esprit divin avec l’esprit de l’homme – comment, matin après matin, il éveille aussi notre oreille ; comment Son inspiration et Son instruction parviennent à l’homme au niveau auquel il est capable de les recevoir. Ce n’est plus une énigme pour nous que le sauvage non instruit montre de doux traits de pitié et de générosité, « car son Dieu l’instruit et l’enseigne ». Nous ne sommes pas déconcertés quand nous entendons parler d’un homme juste qui lève son visage vers le ciel et dit : « Dieu n’existe pas », parce que nous savons qu’Il fait briller Son soleil sur le mal comme sur le bien, et que la mesure exacte de lumière morale et de conduite qu’un homme s’ouvre à recevoir lui est donnée gratuitement. Il peut fermer les yeux et dire « Il n’y a pas de soleil », mais il n’en est pas moins réchauffé, nourri et réconforté par la lumière qu’il nie. Telle est la foi dans laquelle nous voudrions élever nos enfants, ce sentiment fort et passionné de la chère proximité de notre Dieu. Affermis dans cette conviction, nous nous intéresserons aux controverses de notre époque mais elles ne nous épuiseront pas, car nous sommes à l’abri de tout doute dès que nous connaissons Celui en qui nous avons placé notre confiance.
La foi, une science de l’âme qui demande à être étudiée. – La foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la Parole de Dieu. Nous ne progressons dans cette connaissance de l’âme que dans la mesure où nous l’étudions ; et tous ceux d’entre nous qui élèvent des enfants doivent être reconnaissants pour chaque mot de soutien et de compréhension qui leur ouvre les yeux sur les réalités spirituelles. Dans cette optique, les parents seront heureux de lire et de méditer les Sermons. Une pensée profonde est transmise dans un langage simple et pur. Les sermons sont écrits du point de vue de la pensée actuelle, ils ne sont pas du tout sentimentaux, ni même incitatifs, mais ils sont très fortifiants et vivifiants. On les lit et on poursuit son chemin en se réjouissant d’avoir un sens aigu de la réalité des choses invisibles. Peut-être ce résultat est-il dû à la présentation par M. Beeching du caractère naturel de la foi.
Le caractère naturel de la Foi. – « Il est à noter que si notre Seigneur exige toujours la Foi, il n’offre aucune définition de cette Foi ; il y a donc une présomption qu’il ait voulu signifier par Foi ce que les hommes entendent ordinairement par là. Et cette présomption s’accroît si l’on se rappelle que la Foi en notre Seigneur a commencé par être une foi dans les qualités humaines avant que ces qualités ne soient considérées comme divines. La foi des Apôtres s’est accrue sous l’entraînement attentif de notre Seigneur, tant en profondeur qu’en ampleur ; mais entre la première attraction qui a tiré Pierre (disons) de ses filets, et la dernière déclaration de son culte sur les rives de Génésareth, il n’y a pas eu de rupture de continuité. En effet, comme pour nous assurer que la foi humaine de l’Apôtre ne s’était pas, après la Résurrection, ‘changée en autre chose’ et n’était pas devenue une vertu théologique indéfinie, nous trouvons le mot utilisé pour l’exprimer qui, de tous les mots qui œuvrent pour exprimer la foi, est le plus profondément teinté de sentiment humain : ‘Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne m’aiment ceux-ci ?’ Nous devons donc nous demander ce que, d’homme à homme, on entend communément par Foi, et alors nous pourrons examiner si notre explication s’accorde avec les différents passages des Évangiles. »
La foi n’est pas une impulsion spontanée. – L’extrait ci-dessus, de la préface particulièrement approfondie et instructive, illustre ce que nous entendons par le caractère naturel de la foi ; non pas celle qui vient d’elle-même et par elle-même, mais celle qui est acceptable, appropriée et propre à notre nature, peu importe quand et comment elle arrive. Car, comme le dit M. Beeching, « comme la foi n’est pas une impulsion spontanée, mais le jaillissement du cœur d’un homme en réponse à la pression enveloppante des ‘Bras Éternels’, sa récompense est de sentir plus profondément, et toujours plus profondément, leur soutien divin. »
Les onze sermons portent sur : L’objet de la foi, Le culte de la foi, La vertu de la foi, La nourriture de la foi, La foi nationale, L’œil de la foi, L’oreille de la foi, L’activité de la foi, La douceur de la foi, La discipline de la foi, La foi en l’Homme.
La compassion du Christ. – Dans son examen de « L’objet de la foi », M. Beeching demande : « À quoi ressemble-t-Il donc ? Quel est le visage qui brille sur nous depuis les pages de l’Evangile ? Tournons-nous vers elles et voyons.” Et nous lisons la façon dont Jésus, ému de compassion, toucha les yeux des deux aveugles assis au bord du chemin à la sortie de Jéricho. Comment le Christ eut de la compassion pour d’autres choses que les maladies corporelles. “Le Christ a aussi pitié de l’ignorance, de l’errance sans but des hommes selon leurs propres désirs, sans Maître à suivre, et de la fatigue de l’esprit qu’une telle vie entraîne.” Encore une fois, « le Christ a de la compassion non seulement pour la maladie et l’ignorance, mais aussi pour le péché – pour le pécheur qui se repent. » Et nous lisons l’histoire de la femme dont les péchés, qui étaient nombreux, furent pardonnés, car elle avait beaucoup aimé. Nous voyons encore le visage du Christ tourné vers ce jeune homme dont il est dit : « Jésus, l’ayant regardé, l’aima ». “La compassion pour la souffrance, l’ignorance et le repentir, l’amour pour l’enthousiasme, voilà ce que nous avons vu dans le visage du Christ. » Voici un autre regard divin que nous sommes invités à contempler : la façon dont le Seigneur a tourné son regard vers Pierre. “Pouvez-vous imaginer avec quel visage notre Seigneur a regardé Pierre, qui l’avait renié trois fois, alors que celui-ci avait affirmé avec confiance qu’il resterait avec Lui jusqu’à la mort ? Je voudrais que ce visage brille sur nous, quel que soit le reproche que nous lui adressons, lorsque nous le renions en paroles ou en actes, afin que nous puissions nous souvenir et pleurer nous aussi. » Oh comme le cœur s’élève devant un enseignement comme celui-là – la simple représentation du Christ tel qu’il a marché parmi les hommes. Notre Seigneur a bien dit : « Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi ». Ce qui est dommage, c’est que Lui, le magnifique, soit si rarement élevé à notre contemplation. Peut-être, lorsque nos maîtres nous inviteront à contempler le visage du Christ, comprendrons-nous la pleine signification de cette profonde parole. Il attirera tous les hommes, parce qu’il n’est pas possible pour une âme humaine de résister à la beauté divine une fois qu’elle est présentée honnêtement et pleinement à son regard.
Le culte de la foi. – Le sermon sur le « Culte de la foi » indique que « le culte du Christ consiste à s’incliner avec amour, émerveillement et reconnaissance devant la bonté la plus parfaite que le monde ait jamais connue, et à croire que cette bonté est l’image explicite de Dieu le Père. » Tous les objectifs et tous les idéaux qui ne sont pas ceux du Christ sont clairement opposés à un tel culte, et l’homme qui entretient des idéaux différents ne peut se dire chrétien. Après avoir examiné cette attitude de l’esprit envers le Christ, qui appartient à l’adoration de la foi, le reste du sermon est très pratique. On aimerait qu’un écrivain qui connaît si bien les ressorts émotionnels ait profité de cette occasion pour nous amener à cette « adoration du cœur » qui est plus chère à Dieu ; mais, en réalité, tout le volume maintient cette tendance. Il est bon de se rappeler que « l’accomplissement complet et volontaire de n’importe quel devoir, aussi humble ou exalté soit-il, est comme l’offrande d’encens au Christ, agréable et plaisant ».
Le sermon sur la « Vertu de la foi » est extrêmement important et instructif. L’auteur s’attarde sur le « déplorable jargon » avec lequel nous nous déclarons « misérables pécheurs », combinant les « sentiments des Pharisiens dans la parabole avec les expressions du publicain ».
La vertu est une certaine disposition de l’esprit de l’homme envers l’Esprit de Dieu. – « Le discours du Christ au sujet de la nature pécheresse de l’homme est tout à fait exempt d’imprécisions et d’hyperboles ; lorsqu’Il blâme, Il blâme pour des fautes précises que nous pouvons reconnaître, et Il est si loin de prétendre que les hommes ne peuvent rien faire de bon, qu’Il suppose toujours que l’homme, dans son état de dépendance vis-à-vis de Dieu, a le pouvoir de faire ce qui est juste. ‘Quiconque fait la volonté de Mon Père qui est aux cieux, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère.’ […] Mais la question demeure : comment, compte tenu de nos défauts actuels, le Christ peut-Il parler de l’un de nous comme d’un juste, ici et maintenant ? C’est à cette question que saint Paul a répondu en écrivant deux de ses plus grandes épîtres. Sa réponse est que, selon le Christ, un homme est considéré comme juste, non pas en fonction de ses actes, mais en fonction de sa foi en Dieu. La vertu humaine n’est pas un verdict sur le bilan d’une vie, mais elle est reconnue à un homme, à tout moment, à partir d’une certaine disposition de son esprit envers l’Esprit de Dieu ; une disposition de confiance, d’amour, de révérence, la disposition d’un fils obéissant envers un bon père. […] La vertu, dans sa seule signification possible pour les hommes, signifie croire et faire confiance à Dieu. »Les enseignements de ces sermons devraient être utiles aux parents. – Je n’ai pas la place de reprendre en détail tous les enseignements de ce petit volume inspirant ; mais je le recommande aux parents. N’ont-ils pas besoin de nourrir leur vie spirituelle ? N’ont-ils pas besoin de s’interroger sur leur connaissance des mystères de notre foi ? Ne doivent-ils pas avoir leurs idées bien claires sur la relation suprême, afin qu’elles puissent être expliquées aux enfants ? D’ailleurs, nous avons vu qu’il est du devoir de l’éducateur de mettre la première chose en avant, et toutes les choses dans l’ordre ; une seule chose est nécessaire, c’est que nous « ayons foi en Dieu » ; libérons nos pensées de l’imprécision et nos conduites de la versatilité, si nous voulons aider les enfants vers cette vie supérieure. Dans ce but, nous accueillons volontiers un enseignement qui est nourrissant plutôt que stimulant, et qui doit apporter une aide réelle pour « marcher sobrement dans les voies pures de l’Évangile. »
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CHAPITRE 14 LES PARENTS SONT SOUCIEUX DE DONNER L’IMPULSION HÉROÏQUE
Le poème épique inspire une vie noble. – “Représenter, comme seul l’art peut le faire, la beauté et la joie de vivre, la beauté et la béatitude de la mort, la gloire de la bataille et de l’aventure, la noblesse du dévouement pour une cause, un idéal, une passion même – la dignité de la résistance, la qualité sacrée du patriotisme, telle est mon ambition ici », dit l’éditeur de Lyra Heroica dans sa préface. Nous avons tous le sentiment qu’une telle expression de « sentiments plus simples, d’émotions plus élémentaires » devrait être librement utilisée dans l’éducation des enfants – qu’en fait, le poème épique est une source d’inspiration pour une vie noble que l’on ne trouve guère ailleurs ; et nous sommes également conscients que ce n’est que dans la “jeunesse” des peuples que ces émotions élémentaires trouvent une libre expression par le chant. En examinant notre propre littérature de ballades nous y trouvons beaucoup d’éléments appropriés, mais ils sont trop occasionnels et trop peu reliés entre eux ; ainsi, bien que nous préférerions que les enfants soient imprégnés de patriotisme et d’héroïsme depuis une même source, nous pensons que cela n’est pas faisable. Nous n’avons pas de ressources véritablement anglaises, comme on dit, pour une éducation de ce genre, et nous nous rabattons sur une des traductions subtiles et pleines d’esprit des mythes d’Homère, qui ont été publiées spécialement pour les enfants.
Beowulf, notre Ulysse anglais. – Mais que se passerait-il s’il s’avérait que nous possédions notre propre Homère, notre propre Ulysse ? M. Stopford Brooke a fait une grande découverte pour nous qui considérons toutes choses du point de vue de l’enfant. Il ne serait probablement pas ravi d’apprendre que son History of Early English Literature, qui constitue un complément inestimable à la bibliothèque de l’étudiant et de l’homme de lettres, puisse être utilisé comme nourriture pour les enfants. Quoi qu’il en soit, voici un ouvrage que nous attendions depuis longtemps. Les émotions élémentaires et les aventures héroïques des premiers Anglais ont été mises en vers et en récits étranges et mystérieux comme le plus sauvage des contes de fées, et cependant chaque ligne est imprégnée du tempérament anglais et de la vertu anglaise qui forment les héros. Beowulf, le héros du grand poème éponyme, n’était pas précisément anglais, mais il vécut là d’où les Anglais venaient et il fut rapidement adopté comme le héros national et ses exploits furent chantés dans toutes les grandes salles.
Beowulf est prudent et patient. – Le poème, dit M. Stopford Brooke, composé de trois mille cent quatre-vingt-trois vers, est divisé en deux parties se déroulant à cinquante ans d’intervalle ; la première relate les grandes actions de Beowulf contre le monstre Grendel et sa mère ; la seconde, la conquête du dragon par Beowulf, sa mort et son enterrement. On nous dit que nous pouvons à juste titre revendiquer le poème comme étant anglais, que c’est dans notre langue et dans notre pays seulement qu’il est préservé. Le héros Beowulf est le fils de parents braves et nobles, et il fait preuve à la fois d’une douceur et d’une témérité hors du commun. Lorsqu’il se rend chez Hrothgar pour vaincre Grendel, il est question de sa sagesse autant que de sa force. La reine le supplie de conseiller ses fils en toute amitié, en lui disant : « À ta persévérance est due ta gloire, et tu jouis de ta force avec la modération de l’esprit. […] Tu seras longtemps agréable à tes peuples ; tu seras leur soutien, et l’appui des héros ! » Personne, dit-on, ne pouvait régler les problèmes avec plus de sagesse que lui. Lorsqu’il meurt, il repense à sa vie, et ce à quoi il pense le plus, ce ne sont pas ses grands exploits guerriers, mais sa patience, sa prudence, sa capacité à se dominer et à éviter de nouvelles inimitiés.
« Patiente encore aujourd’hui avec tes maux ». – « Chacun de nous doit subir la mort, dit-il ; que celui qui le peut se couvre de gloire avant sa fin ! La gloire est la meilleure récompense de celui qui succombe. […] Patiente encore aujourd’hui avec tes maux, car j’espère qu’ils prendront bientôt fin. » Telle était la philosophie de ce héros, légendaire ou non, qui vécut quelques siècles après Jésus Christ, avant que Sa religion n’ait fait son chemin parmi les tribus du Nord.
« Je n’ai pas prêté de faux serments ». – Noble comme Nelson, il possédait également sa grande détermination. Ce qu’il entreprenait, il le faisait sans penser à autre chose qu’à aller jusqu’au bout. La peur lui était totalement inconnue, et il semble, comme Nelson, avoir motivé ses capitaines par son courage. « Je n’ai pas prêté de faux serments », dit-il en mourant ; ainsi, il conserva également son honneur en restant fidèle à son seigneur. A pied, seul, en première ligne, tant qu’il vécut, il assura la défense de son roi. Il resta loyal même quand son seigneur mourut, et cela à ses dépens, car quand le royaume lui fut offert, il refusa et forma Heardreg, le fils du roi, à la guerre et à la connaissance, il le protégea avec bienveillance et honorablement, et le vengea quand il fut tué. Il resta généreux, car il fit don de tous les cadeaux qu’il avait reçus ; courtois, car il donna même à ceux qui avaient été désobligeants envers lui ; et il se montra toujours noble et sérieux avec les femmes. Surtout, il vécut pour la guerre, car voici ce qu’on dit de lui : « C’est ainsi que doit faire celui qui cherche une longue gloire au milieu des batailles et qui n’a pas souci de sa vie. » “La gloire ou la mort », s’écrie-t-il, et lorsque Wiglaf vient l’aider à combattre le dragon, et que Beowulf est enveloppé par les flammes, Wiglaf lui rappelle le but de toute sa vie.
« Bats-toi avec courage !”. – « Cher Beowulf, bats-toi avec courage ! souviens-toi de ce que tu disais dans ta jeunesse, de la promesse que tu as faite de ne pas laisser chanceler ton honneur parmi les hommes ; résiste de toute ta force ; je t’aiderai dans cette tâche. » “Ce sont là, ajoute M. Stopford Brooke, les qualités de l’homme et du héros, et j’ai pensé que cela valait la peine de s’y attarder, parce qu’elles représentent l’ancien idéal anglais, la virilité qui plaisait au peuple anglais avant même qu’il n’arrive en Grande-Bretagne, et parce que, dans toutes nos histoires depuis l’époque de Beowulf, c’est-à-dire depuis environ mille deux cents ans, nous les retrouvons, sur terre comme sur mer, dans les vies des guerriers anglais que nous admirons plus particulièrement. »
L’idéal anglais. – “Mais ce n’est pas seulement l’idée d’un héros que nous avons dans Beowulf, c’est aussi l’idée d’un roi, le gouverneur juste, le politicien avisé, le bâtisseur de la paix, le défenseur de son propre peuple au prix de sa vie, ‘le bon roi, le roi populaire, le roi bien-aimé, le gardien de la guerre de son pays’, le détenteur de trésors pour le besoin de son peuple, le héros qui pense à la mort de ceux qui naviguent sur la mer, le guerrier noble et terrible, qui est inhumé dans les lamentations de son peuple. »
Nous sommes très reconnaissants envers M. Stopford Brooke d’avoir mis cet idéal héroïque de la jeunesse de notre nation à la portée des non-initiés. Mais comment avons-nous pu laisser passer mille ans et plus sans jamais nous inspirer de ce noble idéal pour donner une impulsion à la vie de nos enfants ? Nous avons beaucoup de héros anglais, dira-t-on : nous n’avons pas besoin de ce grand héros ressuscité d’un passé lointain. Nous ne manquons pas, en effet, de héros dont nous pouvons être fiers mais, pour une raison ou une autre, ils n’ont pas souvent fait l’objet de ballades écrites de façon à nourrir le cœur des enfants et des non-initiés.
Les enfants devraient connaître Beowulf. – Nous devons bien sûr être reconnaissants envers Tennyson pour notre Arthur, et Shakespeare pour notre Henri V, mais nous pensons que les parents sentiront l’âme de leurs enfants plus en lien avec Beowulf qu’avec ces deux autres héros, sans doute parce que les légendes de la jeunesse d’une nation sont les pages d’histoire qui touchent le plus facilement un enfant ; et Beowulf appartient à un stade de civilisation plus jeune même que celui d’Arthur. Nous espérons que l’auteur de Early English Literature publiera un jour l’intégralité du poème traduit dans un souci pédagogique particulier pour les enfants, entrecoupé de son propre enseignement lumineux tel que nous le trouvons ici. Le caractère pittoresque de la métrique confère un style ancien qui ramène le lecteur, avec beaucoup de talent, à l’époque lointaine du poème.
Nous avons déjà cité en grande partie cette History of Early English Literature, mais un extrait plus complet donnera peut-être une meilleure idée de l’ouvrage et de son utilité réelle pour les parents. Le coût de ces deux volumes assez onéreux devrait être rentabilisé si ne serait-ce qu’un seul enfant était inspiré pour émuler les qualités héroïques qui y sont chantées.
L’action du poème. – « L’action du poème commence avec le voyage de Beowulf vers la côte danoise. Le héros a entendu dire que Hrothgar, le chef des Danois, est tourmenté par Grendel, un monstre dévoreur d’hommes. Lorsque les guerriers d’Hrothgar dorment à Héorot – la grande salle qu’il a construite – ils sont saisis, déchiquetés et dévorés. ‘Je délivrerai le roi’, pensa Beowulf, lorsqu’il entendit le récit des marins voyageurs. ‘Par-delà le chemin des cygnes, je trouverai Hrothgar puisque ce prince renommé a besoin d’hommes.’ Ses camarades le poussèrent à l’aventure, et quinze d’entre eux furent prêts à en découdre avec lui ; il y avait aussi un marin habile qui les conduisit à la limite des terres. Le bateau était tiré sur la grève, au pied de la falaise. Puis :
“Les guerriers étaient prêts ; ils montèrent sur la proue. Les courants faisaient tordre la mer contre le rivage. Les guerriers portèrent au milieu du navire des équipements magnifiques, puis, commençant leur expédition volontaire, poussèrent leur navire au large. Poussé par un bon vent le navire fendit comme un oiseau les flots de la mer, en sorte que, vers la même heure du jour suivant, il arriva à un endroit d’où les navigateurs aperçurent la terre et virent briller les falaises, les rochers escarpés et les vastes promontoires marins : la mer était traversée et le voyage à sa fin.
“C’est ainsi que se passa le voyage qui prendra fin dans un fjord encerclé de falaises et de grands promontoires ; un paysage semblable aux terres qu’ils avaient quittées. Lorsque Beowulf regagne son pays, le navire fait entendre des craquements sous la poussée des hommes. Il est lourdement chargé de riches armures, de chevaux et de présents. Le mât se dresse à une grande hauteur, sur les trésors accumulés d’Hrothgar. La voile est fixée par un cordage, le vent n’écarte pas de sa course le navire au collier d’écume ; il franchit les courants de l’océan de sorte que les guerriers aperçoivent les falaises des Geats, ces promontoires familiers. Le navire, que le vent agite, s’approche de la terre, et le ‘gardien du port qui, depuis longtemps guettait leur retour’ – l’une des nombreuses touches humaines du poème – ‘est bientôt près du rivage, attache solidement la barque au moyen des cordes des ancres, de peur que la violence des flots ne l’entraîne au loin.’ […] Au bout de la baie dans laquelle Beowulf naviguait, se trouvait une rive basse, sur laquelle il fit avancer son navire, l’étrave en avant. Des planches furent installées de part et d’autre de la proue ; les Wederas sautèrent sur le rivage, attachèrent leur navire, leurs cuirasses s’entrechoquant tandis qu’ils se déplaçaient. Puis ils remercièrent Dieu de ce que les voies des vagues leur avaient été faciles. […] Du haut de la muraille, le garde-côte des Scyldings, monté sur son cheval, vit les étrangers porter à terre leurs boucliers brillants et leur attirail militaire. Il descendit, étonné, jusqu’à la mer, et brandissant sa lance avec force, leur demanda :
“Qui êtes-vous donc, vous qui conduisez ainsi, couverts de cottes de mailles et de parures guerrières, ce haut navire par-dessus le détroit de la mer ? […] Jamais je n’ai vu un plus puissant chevalier que celui qui est au milieu de vous avec ses habits de guerre ; un homme vulgaire ne porterait pas de pareilles armes ; il doit être intrépide si son apparence ne me trompe pas.”
« Beowulf répondit qu’il était l’ami de Hrothgar et qu’il venait le libérer de ‘Grendel, le cruel ennemi des nuits sombres’. Il avait pitié de Hrothgar, qui était vieux et bon. Pourtant, alors qu’il parlait, le sentiment teuton de l’inévitable Wyrd traversa son esprit, et il ne sut pas si Hrothgar pourrait échapper au chagrin. ‘Si encore, dit-il, le destin permet qu’il lui échappe ; un prompt et favorable retour des choses lui adviendrait, et le brûlant souci pour lui, se calmerait.’ Le garde-côte leur montra alors le chemin, et promit de veiller sur leur navire. La terre s’éleva du rivage, et ils marchèrent jusqu’à la crête vallonnée, derrière laquelle se trouvait Héorot. »
Nos nobles ancêtres – Anciennes énigmes anglaises. – The History of the Early English Literature nous entraîne dans d’autres plaisants domaines. Nous y trouvons deux ou trois spécimens des énigmes des vieux bardes qui, avec les sagas, nous donnent des images particulièrement vivantes de la vie et des pensées, des manières et des mots de nos ancêtres que nous sommes trop prompts à considérer comme « grossiers », mais qui nous sont dépeints ici comme nobles, doux et larges d’esprit ; des hommes et des femmes que nous-mêmes, leurs descendants, pouvons nous réjouir d’honorer.
I. Voici l’énigme du glaive de Cynewulf.
« Je suis une merveilleuse créature façonnée pour la guerre ;
Chère à mon Seigneur et magnifiquement parée :
Mon haubert est richement coloré, et un laçage métallique
Scintille autour du joyau de mort que mon maître m’a donnée :
Celui qui m’exhorte, moi qui suis une grande aventurière,
À le suivre dans ses conquêtes.
Alors je porte un trésor,
Froid au-dessus des jardins, à travers le jour étincelant ;
Moi, l’ouvrage des forgerons ! Souvent, je tue des êtres vivants avec des armes de guerre ! Un roi me couvre
De trésors et d’argent ; il m’honore dans sa grande salle,
Il ne retient pas ses éloges ! Il vante mes exploits
Devant les nombreux héros qui boivent l’hydromel.
Il me garde captive, puis me libère à nouveau,
Pour que je me précipite ; je suis fatiguée des voyages,
Maudite parmi les armes.”
Énigme XXI
II. Le heaume raconte :
« Je porte la misère ;
Où qu’il me conduise, celui qui tient la lance !
Sur moi, toujours debout, frappent les torrents (de pluie) ;
Les grêlons durs (me heurtent), les cristaux de givre me couvrent ;
Et la neige (tourbillonnant en flocons) tombe sur moi. »
Énigme LXXIX, 6-10.
Il est inutile de dire un mot de plus sur la valeur littéraire et l’importance du grand ouvrage de M. Stopford Brooke. « Rien ne vaut le cuir », et les parents considèrent toutes les choses qui se présentent à eux sous l’angle de l’éducation. Ceci est une mine d’or.
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 15 EST-CE POSSIBLE ?
L’attitude des parents face aux questions sociales
Une crise morale. – Les aspects économiques du grand projet philanthropique qui soulagea opportunément la conscience nationale avant l’arrivée de l’hiver rigoureux de 1891, ne relèvent peut-être pas de notre compétence ; mais il comporte des aspects éducatifs sur lesquels nous sommes, dans une certaine mesure, tenus de nous pencher. En premier lieu, les enfants de nombreux foyers entendent dire « Je ne crois pas que » l’on puisse chasser le naturel, il revient toujours au galop. Le plan du général Booth a mis cette question en évidence de façon étonnamment directe ; et ce que les enfants entendent dire aujourd’hui à table et au coin du feu au sujet d’un tel effort philanthropique, influencera, probablement toute leur vie, leur attitude à l’égard de tout effort philanthropique et missionnaire. De plus, nous-mêmes, qui agissons dans une certaine mesure in loco parentis pour les personnes en détresse sur le plan de l’esprit, du corps ou du patrimoine, nous voyons obligés d’examiner notre propre position. Dans quelle mesure nous donnons et travaillons afin de satisfaire notre conscience, et dans quelle mesure nous croyons à la possibilité d’un rétablissement instantané et complet des personnes moralement dégradées, telles sont les questions qui, aujourd’hui, s’imposent à nous. Nous devons être prêts à dire oui ou non ; nous devons prendre parti pour ou contre des possibilités qui devraient élever l’effort philanthropique au rang de passion ardente. Le fait est que ce grand projet nous a imposé une sorte de crise morale dont les effets sont manifestes.
Nous aussi, nous aimons notre frère. – Que le projet nous paraisse ou non approprié, opportun et prometteur, une chose est sûre : il nous a révélés à nous-mêmes, et cela sous un jour agréable. Il nous a permis de découvrir que nous aussi, nous aimons notre frère, que nous aussi, nous nous soucions de « l’homme brisé » avec la même tendresse du Christ, aussi minime soit elle. La fraternité humaine n’est pas une imagination du cerveau ; et nous avons aimé notre frère à toutes les époques – le malade, le pauvre, le captif et le pécheur aussi ; mais les peureux, les sceptiques et les paresseux parmi nous – c’est-à-dire la plupart d’entre nous – ont détourné les yeux des maux pour lesquels nous ne voyions aucun recours. Mais lorsqu’une promesse de salut fut offerte, plus adéquate, sans doute, que toutes celles qui avaient été proposées jusque-là, alors la solidarité de l’humanité s’est affirmée ; notre frère brisé n’est pas seulement proche et cher ; il est lié à nous, et celui qui le soulage et le fait renaître est aussi notre libérateur.
« L’idolâtrie de la taille”. – La première bouffée d’enthousiasme passée, nous nous demandons si nous ne sommes pas, après tout, entraînés par ce que Coleridge appelle « l’idolâtrie de la taille » ? En quoi ce projet diffère-t-il de dix mille autres, si ce n’est par l’échelle colossale sur laquelle l’expérience doit être tentée ? Et peut-être devrions-nous concéder d’emblée que cet espoir de délivrance est « le même, mais en plus grand », que celui qui est déjà mis en œuvre de manière efficace dans de nombreux coins sans soleil du grand vignoble. En effet, le grand projet comporte de grands risques – risques auxquels échapperait un travail plus discret. Néanmoins, sous certains aspects, le remède, en raison de son ampleur et de son caractère inclusif, est novateur.
Jusqu’à présent, nous avons aidé les malheureux dans des circonstances impossibles, nous ne les avons pas aidés à en sortir. Notre aide n’a représenté qu’une goutte d’eau dans l’océan, atteignant seulement des centaines ou des milliers de personnes parmi les millions dans le besoin. Malgré tout, nous ne pouvons pas continuer ainsi ; nous donnons aujourd’hui et nous refusons demain ; pire encore, notre don même est un préjudice, car il réduit le pouvoir et l’inclination à l’autonomie. Ou bien faudrait-il lancer une petite industrie amateur afin de rendre notre peuple indépendant ? Cette petite industrie peut parfois être une aumône dissimulée, et empiéter sur les industries régulières et les droits des autres travailleurs.
Cui Bono ? – De temps en temps une lueur d’espoir jaillit, de temps en temps une âme et un corps sont sauvés ; mais les travailleurs les plus acharnés apprécient le bruit des roues qui leur évite d’entendre l’éternel Cui Bono ? Il y a tant à faire et si peu de moyens. Mais ce plan – compte tenu de l’ampleur de ses ressources, de l’organisation et de la discipline qu’il promet, du gouvernement fort et juste, de la contrainte morale de bien faire – compte tenu de tout cela, et de l’énorme effectif de travailleurs déjà prêts à l’exécuter, même le pessimiste le plus sombre parmi nous concèdera que le plan du général Booth peut valoir la peine d’être essayé. « Mais, dit-il,
CROYONS-NOUS EN LA CONVERSION ?”
Peut-on changer le caractère ? – Tout repose sur le cadre que l’auteur du projet crée dès le début. Voilà l’essentiel. Si l’on donne assez d’argent, assez de terres, assez d’hommes, si l’on équipe et si l’on dirige cette horde grouillante d’incompétents, on peut parvenir à une sorte de fonctionnement, même si celui-ci est exécuté de façon mécanique. Mais, « lorsque le caractère et les défauts d’un homme constituent les raisons de sa chute, ce caractère doit être changé et sa conduite modifiée si l’on veut obtenir des résultats bénéfiques permanents. » L’ivrogne doit devenir sobre ; le criminel, honnête ; le débauché, chaste. La question cruciale est de savoir si cela est possible.
La problématique de notre époque. – Est-il possible qu’un homme se défasse complètement de son ancienne personnalité et devienne une nouvelle créature, avec de nouveaux objectifs, de nouvelles pensées, voire de nouvelles habitudes ? La possibilité d’une telle transformation constitue la vieille affirmation du christianisme. Le combat doit se dérouler ici, et non sur le terrain de l’inspiration du texte sacré. La problématique urgente de notre époque, soit « Que pensez-vous du Christ ? », dépend de la puissance avec laquelle l’idée du Christ attire et force l’attention, et de la présence du Christ pour vivifier et élever ne serait-ce qu’une seule âme humaine avilie et tourmentée.
Beaucoup d’entre nous croient avec exaltation que le « tout pouvoir » qui est remis entre les mains de notre Maître comprend le pouvoir de redresser, de renforcer et d’embellir chaque roseau humain cassé. Nous en avons de nombreuses preuves, à commencer par nous-mêmes. Mais bon nombre parmi nous, et non des moindres, considèrent, avec Robert Elsmere, que « les miracles n’existent pas ».
Le miracle essentiel. – Les miracles qui ont été reconnus servent de points de repère pour la discussion ; le miracle essentiel est la transformation totale et immédiate d’un être humain. C’est de cette possibilité que doit dépendre le salut du monde ; et cela, beaucoup ne peuvent l’accepter, non pas parce qu’ils ont la tête dure et sont pervertis, mais parce que cela va à l’encontre de la loi naturelle telle qu’ils la connaissent. Des preuves ? Des exemples à n’en plus finir ? Toute l’histoire de l’Église chrétienne comme preuve ? Oui, mais l’histoire de l’Église est en dents de scie ; et, en ce qui concerne les exemples individuels, nous ne doutons pas de la véracité des détails ; seulement, personne ne connaît toute la vérité ; quelque arrangement dans le passé, quelque motif dans le présent, dissimulé par inadvertance, peuvent modifier notre vision d’un tel exemple.
Le sceptique honnête. – C’est, en quelque sorte, la position du sceptique honnête, qui, s’il le pouvait, croirait de tout cœur au plan du général Booth et, par conséquent, à la convertibilité de toute la race humaine. Améliorer la situation, même de millions de personnes, n’est qu’une question relative à l’ampleur des mesures prises, à la sagesse de l’administration. Mais la nature humaine elle-même, la nature humaine dépravée, est, pour lui, la variable qui fait obstacle. L’homme peut-il vraiment changer sa nature ?
LA LOI QUI EST CONTRE NOUS : L’HÉRÉDITÉ.
Les dépravés par hérédité. – Qui sont-ils ceux que le général Booth entreprend allègrement de remodeler et de rendre aptes aux conditions d’une vie pieuse, juste et sobre ? Écoutons l’histoire de la vie de plusieurs d’entre eux avec ses propres mots :
« Les déchets du cloaque humain. »
« Des petits, dont les parents sont habituellement ivres. […] Qui forment leurs idées de divertissement en observant la débauche nocturne.”
« La grossièreté des propos de beaucoup d’enfants de certaines de nos écoles publiques pourrait difficilement être surpassée, même à Sodome et Gomorrhe. »
Et l’enfance – conservons le mot ! – des enfants d’aujourd’hui est similaire à l’enfance de leurs parents, de leurs grands-parents, qui sait ? de leurs arrière-grands-parents. Ceux-ci sont, sans doute, les pires ; mais il faut s’occuper des pires d’abord, car si ceux-ci passent entre les mailles du filet curatif, les foules plus inertes que dépravées passeront aussi par les trous. En premier lieu, donc, le plan englobe les dépravés par hérédité ; il propose de mélanger avec les autres une classe qui n’a hérité que d’une accumulation inconcevable et incalculable de penchants et de propensions vicieuses. Et cela, en dépit de cette conception de l’hérédité qui s’empare tranquillement de l’esprit public, et qui pousse de nombreux parents réfléchis à s’abstenir de fournir de grands efforts pour façonner le caractère de leurs enfants.
Ceux d’entre nous qui se sont intéressés au fonctionnement de la loi de l’hérédité, jusqu’à ce qu’elle nous semble arrivée à son terme, sans être modifiée ni contrôlée par d’autres lois, peuvent être pardonnés de douter d’un plan qui a, pour toute première condition, la régénération des dépravés, des dépravés par propension héréditaire.
LA LOI QUI EST CONTRE NOUS : L’HABITUDE.
Le dépravé par habitude invétérée. – L’usage est une seconde nature, disons-nous. Une habitude, vaut dix natures ; elle commence par ressembler à une toile d’araignée et finit par devenir un câble. « Oh, vous vous y habituerez » dit-on, quelle que soit l’habitude en question. Osons-nous regarder en face les habitudes de ces gens ? Il ne s’agit pas seulement de paroles grossières, d’actes impies ; ce qui compte, c’est la manière dont nous pensons, la parole et l’acte ne sont que le résultat ; ce sont les pensées fréquentes d’un homme qui façonnent ce que nous appelons son caractère. Et pour ceux-là, pouvons-nous raisonnablement douter que toute l’imagination, dont leur cœur fait preuve, soit continuellement mauvaise ? Nous disons que l’usage est une seconde nature, mais examinons ce que nous entendons par cette expression ; quelle est la philosophie de l’habitude dans la mesure où elle nous a été révélée. Le siège de l’habitude est le cerveau, la matière grise du cerveau. Et l’histoire d’une habitude se résume à ceci : « Le cerveau de l’homme se développe en fonction des modes de pensée dans lesquels il est habituellement exercé ». Que la pensée « immatérielle » façonne le cerveau « matériel » ne doit pas nous surprendre ni nous scandaliser, car ne voyons-nous pas de nos propres yeux que la pensée immatérielle façonne le visage, forme ce que nous appelons la physionomie, ravissante ou répugnante, selon la façon de penser qu’elle adopte ? Le comment de cette croissance du cerveau n’est pas encore connu, et ce n’est ni le moment ni l’endroit pour en discuter ; mais, en gardant à l’esprit cette adaptation structurelle à l’habitude confirmée, nous sommes en droit de nous demander quelle chance aurait un système qui présente comme première condition la régénération des dépravés, dépravés non seulement par propension héréditaire, mais par habitude invétérée ininterrompue ?
LA LOI QUI EST CONTRE NOUS : LA CÉRÉBRATION INCONSCIENTE.
Les pensées se pensent d’elles-mêmes. – Ceux qui ont l’habitude d’écrire savent ce que c’est que de s’asseoir et de “dévider”, sans plan ni préméditation, page après page, des textes clairs, cohérents, prêts à être imprimés et nécessitant à peine une révision. Nous avons entendu parler d’un avocat qui rédigea dans son sommeil un avis lucide éclairant une affaire des plus difficiles ; d’un mathématicien qui élabora dans son sommeil un calcul qui le déconcerta à son réveil. Nous savons que Coleridge rêva de « Kubla Khan » pendant une sieste après le déjeuner, ligne par ligne, et qu’il l’écrivit à son réveil. Qu’indiquent ces exemples, et mille autres semblables ? Rien de moins que ceci : bien que l’ego, si important soit-il, doive, sans aucun doute, « aider » à produire la pensée initiale sur un sujet donné, le « cerveau » et “l’esprit » gèrent ensuite l’affaire entre eux, et les pensées, pour ainsi dire, se pensent d’elles-mêmes ; non pas à la manière d’un pendule qui oscille de gauche à droite dans le même intervalle d’espace, mais à la manière d’une voiture roulant sur une route, traversant continuellement des paysages différents. C’est une idée étonnante – mais n’avons-nous pas d’abondantes preuves internes de cet état de fait ? Nous savons tous qu’il y a des moments où nous ne pouvons pas réprimer les pensées qui se pensent d’elles-mêmes, bien qu’elles chassent le sommeil, la paix et la joie. Face à cette loi, bénigne dans la mesure où elle nous soulage du travail de réflexion et de décision concernant les affaires de la vie quotidienne, mais terrible lorsqu’elle dépasse notre pouvoir de contrôle et de diversion, quel espoir pour ceux dont le cerveau débauché est envahi de pensées viles, involontaires, automatiques, qui courent toujours avec une effrayante rapidité dans la même voie bien établie ? Vraiment, cette perspective est effroyable. Quel espoir pour ces personnes ?
Imaginations dépravées. – Et que dire d’un système dont la première condition est la régénération des dépravés – dépravés, non seulement par propension héréditaire et par habitude invétérée, mais réduits à cet état de, disons-le, vice inévitable – quand la « cérébration inconsciente », produit sans relâche des idées perverties ? Toutes ces choses jouent contre nous.
LA LOI QUI EST EN NOTRE FAVEUR : LES LIMITES DE LA DOCTRINE DE L’HÉRÉDITÉ.
Mais le dernier mot de la Science est plein d’espoir, et elle en possède d’autres et même de meilleurs. Les pères ont mangé des raisins verts, mais il n’est pas nécessaire que les dents des enfants en soient agacées. L’âme qui pèche, c’est celle qui mourra, a dit le prophète d’antan, et la Science se hâte d’apporter son « Néanmoins ».
Modification acquise et non transmise. – Le corollaire nécessaire de la dernière présentation de la théorie de l’évolution est que : les modifications de la structure qui sont acquises ne sont pas transmises. Nous saluons cette bonne nouvelle ; en prendre conscience, c’est comme se réveiller d’un affreux cauchemar. L’homme qui, en ayant continuellement des pensées criminelles, a modifié la structure de son cerveau de manière à l’adapter au courant de ces pensées, ne transmet pas nécessairement cette modification à son enfant. Il n’y a pas d’adaptation dans le cerveau du nouveau-né pour faire place aux mauvaises pensées. En un mot, l’enfant d’un dépravé peut naître aussi apte et capable de bien vivre que l’enfant d’un juste. Les modifications inhérentes sont transmises, cela est vrai, et la limite entre modifications inhérentes et modifications acquises n’est peut-être pas facile à définir. Mais, quoi qu’il en soit, il y a de quoi garder espoir. L’enfant du dépravé peut avoir un aussi bon départ dans la vie, en ce qui concerne son droit de naissance, que l’enfant du juste.
L’éducation est plus forte que la nature. – L’avenir de l’enfant ne dépend pas tant de sa lignée que de son éducation, car l’éducation est plus forte que la nature, et aucun être humain ne doit se laisser submerger par le désespoir. Nous ne devons pas perdre l’espoir de régénérer des vicieux à cause de la crainte d’un héritage de propension irrésistible au mal.
LA LOI QUI EST EN NOTRE FAVEUR : « ON TRIOMPHE D’UNE HABITUDE PAR UNE AUTRE HABITUDE ».
Mais l’habitude ! C’est déjà bien suffisant de savoir que l’usage est une seconde nature et que l’homme est un paquet d’habitudes ; mais il est encore plus désespérant d’examiner la raison d’être de l’habitude, et de s’apercevoir que l’énorme force de l’habitude à laquelle nous sommes liés, implique une modification structurelle, un façonnement des tissus du cerveau à la pensée dont l’habitude est le signe et l’expression extérieurs. Une fois qu’une telle évolution a eu lieu, ce qui est fait ne peut être défait : l’homme n’a-t-il pas pris forme pour le reste de sa vie lorsque ses façons de penser sont imprimées dans la substance de son cerveau ?
Non, ce n’est pas parce qu’une habitude a été formée et enregistrée dans le cerveau qu’une habitude contraire ne peut pas être formée et enregistrée à son tour. Voici maintenant le jour du salut, physiquement parlant, parce qu’une habitude appartient à notre présent ; elle peut être prise dès maintenant, formée en un mois, confirmée en trois mois, et devenir le caractère de l’homme en un an.
Préparation naturelle au salut. – Les nouvelles pensées se développent dans une nouvelle partie du cerveau, et « on triomphe d’une habitude par une autre habitude » ; voilà la préparation naturelle au salut. Les mots sont très anciens, ce sont ceux de Thomas a Kempis, mais il nous a été donné de percevoir aujourd’hui, littéralement, leur signification physique. Un seul train d’idées peut être actif à la fois ; les anciennes connexions des cellules sont rompues, et la Nature bienveillante rebâtit sur d’anciennes ruines, même s’il s’agit de fondements ruinés depuis plusieurs générations. AUCUNE ROUTE ne se crée sur la voie occupée par le trafic intense des pensées impies. De nouveaux tissus se forment ; la blessure est guérie et, à l’exception peut-être d’une cicatrice, d’une petite sensibilité, cet endroit est intact et sain comme le reste.
C’est ainsi qu’on triomphe d’une habitude par une autre habitude : il n’y a pas de conflit, pas de dispute, pas de débat. Assurez à la nouvelle idée une introduction solide, et elle accomplira tout le reste d’elle-même. Elle se nourrira et grandira ; elle croîtra et se multipliera ; elle suivra son cheminement de son propre chef ; elle débouchera dans ce courant de pensée automatique, inconscient et involontaire, de l’homme qui façonne son caractère. Voici un homme nouveau ! Il faut que vous naissiez de nouveau, nous dit-on ; et nous disons d’ailleurs, avec un sentiment de connaissance supérieure des lois de la nature : comment un homme peut-il naître de nouveau ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ? Ce serait un miracle, et nous sommes convaincus que « les miracles n’existent pas ».
La conversion n’est pas un miracle. – Et voici qu’enfin, le miracle de la conversion apparaît clairement à notre entendement borné. Nous nous apercevons que la conversion, aussi soudaine soit-elle, n’est pas du tout un miracle – nous utilisons le mot miracle pour décrire ce qui se produit en opposition à la loi naturelle. Au contraire, nous découvrons que chaque homme porte dans sa substance physique l’évangile de la réhabilitation perpétuelle, ou en tout cas, toujours possible, et nous découvrons comment, dès le début, la Nature était préparée à répondre à l’exigence de la Grâce. La conversion est-elle possible ? demandons-nous ; et la réponse est qu’il s’agit, pour ainsi dire, d’une fonction qui est présente de façon latente dans notre constitution physique, et qui n’attend que le contact d’une idée puissante pour être éveillée. En vérité, Son commandement est extrêmement large, et s’élargit de jour en jour avec chaque nouvelle révélation de la Science.
Plusieurs conversions au cours d’une vie. – Un homme peut, et c’est le cas de la plupart des hommes, subir ce processus de réhabilitation plusieurs fois dans sa vie. Chaque fois qu’une idée assez forte est introduite pour détourner ses pensées de tout ce qui a précédé (si nous pouvons le dire ainsi), l’homme devient une nouvelle créature : lorsqu’il est « amoureux », par exemple ; lorsque les fascinations de l’art ou de la nature s’emparent de lui. Une nouvelle responsabilité peut entraîner une conversion soudaine et complète :
Le dernier souffle avait à peine quitté le corps de son père
Que son extravagance, en lui mortifiée,
Sembla expirer aussi. Oui, à ce moment même,
La raison apparut comme un ange,
Et chassa de lui le coupable Adam,
Faisant de sa personne un paradis
Destiné à envelopper et à contenir de célestes esprits !
Voici une image – psychologiquement correcte, du moins, Shakespeare ne fait pas d’erreur en matière de psychologie – d’une conversion absolue et immédiate. La conversion peut être pour le pire, hélas, et non pour le meilleur, et la valeur de la conversion dépend de la valeur intrinsèque de l’idée par l’intermédiaire de laquelle elle est réalisée. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’homme porte dans sa structure physique les conditions de la réhabilitation ; des conditions, pour autant que nous puissions les concevoir, toujours en état de marche, toujours prêtes à être mises en œuvre.
La « conversion » n’est pas contraire à la loi naturelle. – C’est pourquoi, bien que la « conversion » au sens biblique – sens sur lequel les organisateurs s’appuient pour conduire efficacement ce plan – soit un miracle de la grâce divine dans la mesure où elle témoigne d’un signe et d’un prodige, elle n’est pas un miracle au sens populaire en ce qu’elle serait extérieure et opposée au fonctionnement de la « loi naturelle ». La conversion s’inscrit entièrement dans le plan divin, même si nous choisissons de limiter notre vision de ce plan aux éclairs « peu nombreux, timides et faibles » que la Science est pour l’instant capable de jeter sur les mystères de l’être. Mais est-ce bien tout ? Non, ce n’est rien de plus que le vestibule obscur de la Nature vers le temple de la grâce ; il ne s’agit pas, cependant, de dire ici un mot de la grandeur du “mystère de la piété » ; de la protection du Père, du salut et de la demeure du Fils, de la sanctification de l’Esprit ; il ne s’agit pas non plus de parler des « esprits méchants dans les lieux célestes ». Le but de ce petit essai est d’examiner l’affirmation selon laquelle ce que nous appelons conversion serait contraire à la loi naturelle ; et nous le faisons en tenant compte, non seulement du plan du général Booth, mais de tout effort philanthropique.
L’espoir montre des arguments toujours plus forts en faveur de la régénération des vicieux. Non seulement nous n’avons plus besoin d’être accablés par la crainte d’un héritage de propensions invincibles au mal, mais la force de l’habitude de toute une vie peut être vaincue par la puissance d’une idée, de nouvelles habitudes de pensée peuvent être créées sur-le-champ, et celles-ci peuvent être entretenues et encouragées jusqu’à ce que cette habitude qui vaut dix natures devienne l’habitude de la nouvelle vie, et que les pensées qui, pour ainsi dire, se pensent à longueur de journée soient des pensées de pureté et de bonté.
LA LOI QUI EST EN NOTRE FAVEUR : LA PUISSANCE D’UNE IDÉE.
“Un Juif n’a-t-il pas des yeux ? un Juif n’a-t-il pas des mains, des organes, des proportions, des sens, des affections, des passions ?”
Conditions de la puissance d’une idée. – En ce qui concerne la réhabilitation d’un homme, le facteur externe est toujours une idée, d’une puissance telle qu’elle peut être saisie avec avidité par l’esprit et, par conséquent, faire une impression sur la substance nerveuse du cerveau. La puissance d’une idée dépend du fait qu’elle corresponde à un désir ou à une affection de l’homme. L’homme désire la connaissance, par exemple, ainsi que le pouvoir, l’estime, l’amour, et de la compagnie ; il a aussi en lui des capacités d’amour, d’estime, de gratitude, de révérence, de bonté. Il a un besoin inavoué de trouver un but auquel consacrer le bien qui est en lui.
La pertinence des idées incluses dans le christianisme. – L’idée qui fait fermement appel à l’un de ses désirs et de ses affections primaires doit nécessairement rencontrer une réponse. Une telle idée et une telle capacité sont faites l’une pour l’autre ; séparées, elles n’ont pas de sens, comme une tête de fémur et son cotyle ; ensemble, ils forment une articulation, efficace de mille façons. Mais l’homme totalement dépravé n’est-il pas capable de gratitude, par exemple ? Si, il l’est, la dépravation est une maladie, un état morbide ; l’homme lui-même est en arrière-plan, capable de guérir. Ce n’est guère le lieu de les considérer, mais pensez un instant à l’adéquation des idées qui sont résumées dans la pensée du Christ pour être ensuite présentées à la pauvre âme dégradée : l’aide et la compassion divines pour son corps négligé ; l’amour divin pour sa solitude ; le pardon divin au lieu de la honte de son péché ; l’estime divine pour son mépris de soi ; la bonté et la beauté divines pour susciter l’amour et la loyauté qui est en lui ; l’histoire de la Croix, l’élévation, à laquelle aucune âme humaine ne peut résister si elle est bien racontée. Une fois l’idée divine reçue, la vie divine est transmise, elle croît, elle est nourrie et entretenue par le Saint-Esprit. L’homme est une nouvelle créature, avec d’autres buts, d’autres pensées, une vie tournée vers les autres. Les choses du passé ont disparu, tout est nouveau, l’être physique incarnant, pour ainsi dire, la nouvelle vie de l’esprit.
Nous sommes donc en droit de croire que la « conversion » est si inhérente à la constitution physique et spirituelle de l’homme qu’elle est inévitable pour chacun d’entre nous, si toutefois les idées représentées par le Christ sont convenablement introduites dans l’âme.
La question ne porte donc pas sur la possibilité de convertir les plus dépravés, ni sur la puissance des idées à présenter, mais bien sur le pouvoir de présenter ces idées de telle sorte qu’un homme reconnaisse et saisisse la plénitude du Christ comme le complément nécessaire au vide dont il a conscience.
LES HABITUDES D’UNE VIE SAINE.
Nécessité d’un traitement curatif. – L’homme est converti mais le travail n’est pas terminé. Ces pécheurs excessifs ne sont pas seulement pécheurs, mais malades ; des pathologies morbides se sont installées dans le cerveau, et chacun a besoin, comme n’importe quel malade, d’un traitement individuel comme pour une longue maladie. Pendant un mois, trois mois, six mois, il ne faut pas les laisser seuls. Le traitement curatif est une condition absolue du succès, et c’est ici que la coopération humaine est sollicitée dans ce qui est avant tout, et en définitive, l’œuvre de Dieu. Il y a des endroits dans le cerveau où les mauvaises pensées ont depuis longtemps suivi leur cours ; et ces endroits douloureux ont besoin de temps, un temps béni, pour guérir. Cela signifie que toute circulation des anciennes pensées doit être absolument interrompue, et ce à n’importe quel prix.
Pensez à l’Armée de Vigilance qui doit toujours être sur le qui-vive pour détourner les yeux des patients de la vision du mal ; car, une seule suggestion, de boisson, d’impureté, et, illico presto, les anciennes pensées se déchaînent, et le travail de guérison doit recommencer. Il n’y a pas d’autre moyen d’écarter ces pensées que d’administrer les pensées de la nouvelle vie avec vigilance, une par une, à mesure qu’elles sont nécessaires et qu’elles peuvent être adoptées ; de les offrir avec une fraîcheur engageante, dans une forme réconfortante, jusqu’à ce qu’enfin la période anxieuse de soins soit terminée, que les habitudes d’une vie saine soient établies et que le patient soit capable de se tenir debout et de travailler pour sa propre subsistance. Ce n’est pas une tâche à entreprendre d’un bloc. Le soin spirituel d’une population malade du péché, même physiquement, n’est pas une mince affaire. Et si elle n’est pas entreprise de manière systématique, et réalisée de manière efficace, le projet échouera forcément. Qui est compétent pour ces choses-là ? Peut-être personne, mais un grand corps d’infirmières formées pour soigner les esprits malades, avec l’expérience et la méthode propres à une vocation professionnelle, est certainement une qualification appropriée pour cette tâche herculéenne.
L’AISANCE DE LA DISCIPLINE.
Nous comprenons aisément qu’à l’époque où les monarques étaient plus despotiques qu’aujourd’hui, on se réfugiait dans un couvent pour la facilité d’accomplir la volonté d’un autre plutôt que la sienne ! N’est-ce pas là l’attrait de la vie conventuelle d’aujourd’hui, et n’est-ce pas là la raison pour laquelle l’idée de l’Armée du Salut est puissamment attrayante pour certains d’entre nous qui savent pourtant que chaque personne a tort de renoncer à sa responsabilité d’ordonner et de mener sa propre vie ?
Le soulagement d’être inclus dans une organisation solide. – Mais pour ceux, très impulsifs et à la volonté faible, qui n’ont aucun pouvoir pour faire le bien qu’ils ne désirent que vaguement et faiblement, oh, comme il est commode d’être acceptés dans une organisation forte et bienfaisante, d’avoir leurs allées et venues, leurs faits et gestes, décidés pour eux ! L’organisation, la réglementation, rappelons-nous, ont fait un héros de Tommy Atkins. Et tous ces gens ont en eux la capacité d’être des héros, car lorsque l’agitation et la rébellion sont maîtrisées, ils se réjouissent plus que tout autre de la facilité de faire simplement ce qu’on leur demande. C’est là un grand secret de puissance que de traiter ces personnes, déchues puis rétablies, comme des enfants ; car quel est le but de la discipline familiale, de cette obéissance qui a été décrite comme « le devoir tout entier d’un enfant » ? N’est-ce pas de faciliter le chemin de l’enfant, tant que sa volonté est faible et sa conscience immature, que de lui inculquer les habitudes d’une vie saine, dans laquelle il est aussi facile de bien faire que pour une locomotive de rouler sur ses rails ? C’est exactement ce que nécessitent les besoins de ces pauvres enfants plus âgés : être déchargés de leurs responsabilités et avoir du temps pour leur développement. Et, toute possibilité existante d’organiser et de discipliner une telle mixité de population doit nous apparaître comme une adaptation de “l’offre » à « la demande », adaptation surpassant toute autre action.
Le travail et l’air frais sont de puissants agents. – La grâce salvatrice du travail et le pouvoir de guérison de l’air frais devraient jouer leur rôle dans la réhabilitation des « submergés ». Mais il ne nous appartient pas d’examiner les méthodes proposées par le Général Booth, ni d’estimer ses chances de succès. Nous nous préoccupons uniquement des enfants. L’opinion des enfants à l’égard des bonnes œuvres peut dépendre dans une large mesure de la manière dont les principes sous-jacents leur sont expliqués dans un cas typique. Quel que soit l’organisme, faites en sorte que les enfants soient certains que l’œuvre est l’œuvre de Dieu, qu’elle doit être accomplie grâce à la force de Dieu, selon les lois de Dieu : que c’est à nous de nous familiariser avec les lois que nous allons élaborer, et qu’après avoir fait tout ce que nous pouvions, nous attendons l’inspiration de la vie divine, comme le cultivateur diligent attend le soleil et l’averse.
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CHAPITRE 16 DISCIPLINE
Une réflexion importante pour les parents
Discipline ne signifie pas punition. – « Quel rôle joue la discipline dans votre système d’éducation ? ». Nous devrions saluer cette question comme le signe d’un certain intérêt si nous n’étions pas tout à fait certains que notre interlocuteur emploie le mot discipline comme euphémisme pour parler de punition. Cette conviction nous donne envie de protester. En premier lieu, nous n’avons pas de système d’éducation. Nous soutenons que les grandes choses, comme la nature, la vie, l’éducation, sont « claquemurées, encagées, confinées », dès lors qu’elles sont systématisées. Nous avons une méthode d’éducation, il est vrai, mais la méthode n’est rien de plus qu’un moyen d’arriver à une fin, et elle est libre, souple, adaptable comme la Nature elle-même. La méthode a quelques lois globales suivant lesquelles les détails prennent forme, comme on forme naturellement son comportement selon la loi établie que le feu brûle. Le système, au contraire, a une infinité de règles et d’instructions sur ce que vous devez faire et comment vous devez le faire. En matière d’éducation, la méthode suit humblement la Nature ; elle se tient à l’écart et lui laisse le champ libre.
Une méthode n’est pas un système. – Le système guide la Nature, l’assiste, la complète, s’empresse d’entreprendre les tâches que la Nature a fait siennes depuis que le monde existe. La Nature dote-t-elle chaque jeune être, enfant ou chaton, d’une merveilleuse capacité de jeu inventif ? Non, dit Dame Système, mais je peux aider : j’inventerai des jeux pour l’enfant et je les faciliterai, et je ferai un plus grand usage de son pouvoir que la Nature seule ne saurait le faire. Dame Système apprend donc à l’enfant à jouer, et il y prend plaisir ; mais, hélas, il n’y a pas de jeu en lui, pas d’initiative, quand il est livré à lui-même ; et ainsi de suite, tout au long de la démarche. Dame Système est pointilleuse et zélée et produit des résultats énormes… chez l’enseignant !
Une sage passivité. – La méthode favorise une « sage passivité ». Vous regardez le professeur et vous êtes à peine conscient qu’il fait quelque chose. Les enfants prennent l’initiative, mais, d’une certaine manière, le résultat est en eux et non en l’enseignant. Ils se développent, deviennent chaque jour de plus en plus des personnes dotées de
« La raison intègre, la volonté tempérée,
L’endurance, la perspicacité, la force et l’habileté.”
Tels sont les fruits dorés qui mûrissent sous les yeux du parent qui sait distinguer le rôle de la Nature de celui de l’éducateur, qui suit avec sympathie et dévouement l’exemple de la Grande Mère.
« Oh, alors vous n’incluez pas la discipline. C’est bien ce que je pensais. J’ose dire que ce serait une bonne chose de laisser les enfants livrés à eux-mêmes et de les rendre heureux. Les enfants sont toujours bons quand ils sont heureux, n’est-ce pas ? » Pas si vite, cher lecteur. Celui qui veut suivre un grand chef doit, lui-même, faire de son mieux, Ohne Hast ohne Rast ; et le guide divin que nous appelons la Nature compte de nombreux disciples, mais le chemin est escarpé et difficile à trouver, et ce travail ardu ne doit en aucun cas être confondu avec une tranquille promenade sur des chemins que nous aurions nous-même tracés.
Le parent qui veut éduquer ses enfants, au sens large du terme, se doit d’avoir une réflexion élevée et une vie humble ; la pensée la plus élevée possible pour l’esprit humain et la vie la plus simple et honnête possible.
Cette conception de la discipline, par exemple, constitue l’une des grandes idées qui doivent guider et diriger la vie, plutôt que de se résumer à une consigne facile à retenir et à appliquer de temps en temps. Si Tommy est méchant, fouettez-le et envoyez-le au lit – est une sorte de consigne toute faite, pratique à avoir sous la main, et c’est le genre de chose que beaucoup de gens entendent par discipline. Nous ne dirions pas que la punition ne doit jamais être utilisée, bien au contraire. Nous ne dirions pas non plus qu’il ne faut jamais prendre de médicaments. Mais la punition, comme le médicament, n’est qu’un incident occasionnel dans le pire des cas, et la punition comme le médicament sont réduits au minimum dans la mesure où nous assurons la santé du corps et de l’esprit. Nous n’avons pas l’intention d’établir des canons pour la punition. M. Herbert Spencer n’a peut-être pas eu le dernier mot, mais il nous a donné une règle assez commode pour avancer.
La punition par les conséquences. – Un enfant devrait être puni par les conséquences naturelles de son infraction. Appliquer cette suggestion au pied de la lettre entraînerait souvent un préjudice durable pour l’enfant, voire fatal, sur le plan corporel et mental. On ne peut pas laisser l’enfant indolent être puni par l’ignorance, ni l’enfant volontaire et aventureux se casser un membre ; mais, dans la mesure où l’on reconnaît que les punitions sont nécessaires, la nature de l’infraction donne un indice sur la punition appropriée. L’enfant qui ne mange pas son porridge est privé de sa prune. C’est là une punition en nature, peut-être la plus proche des conséquences naturelles, qu’il est souhaitable d’essayer.
Les enfants apprécient les punitions. – Mais les parents doivent reconnaître que les enfants apprécient quelque peu les punitions. Ils y trouvent des occasions, si fréquentes dans les histoires, si rares dans la vie réelle, de faire preuve d’un beau courage. L’enfant qui subit une punition s’amuse souvent énormément, parce qu’il se respecte intensément.
L’héroïsme dans l’application des peines. – Il y a une part d’héroïsme dans le fait de supporter une peine susceptible de faire disparaître tout sentiment de contrition pour l’infraction ; et le petit bonhomme courageux qui supporte sa peine d’un air désinvolte n’est nullement un jeune délinquant rebelle et endurci ; c’est un économiste en opportunités qui tire le meilleur parti de ce qui lui arrive, pour sa propre éducation. La détresse de sa mère, la désapprobation de son père, sont des choses tout à fait différentes, qui ne compensent pas cette hardiesse. De telles réflexions conduisent à éviter d’utiliser la baguette, non pas par excès de sensibilité à la souffrance physique de l’enfant, car nous devons être rigoureux avec lui si nous voulons en faire un homme, mais purement parce qu’il n’est pas facile de trouver une punition qui ne contrecarre pas ses propres objectifs.
Un acte répréhensible suivi de ses propres sanctions. – La gifle légère et judicieuse avec laquelle la mère traite le petit enfant lorsqu’il est vilain, est souvent efficace et éducative. Elle change le courant des pensées du bébé, et il n’a plus envie de tirer les cheveux de sa sœur. Mais la gifle ne devrait-elle pas être un dernier recours lorsqu’il n’y a plus d’autre moyen de changer ses pensées ? Avec l’enfant plus âgé, une théorie de la punition repose moins sur la nécessité de changer les pensées du coupable que sur l’espoir de former une nouvelle association d’idées, c’est-à-dire de certaines peines et sanctions inévitablement attachées à certaines formes de méfaits. C’est là, nous le savons trop bien, un enseignement de la vie, qui ne doit pas être négligé dans l’éducation. L’expérience de chacun d’entre nous prouve que toute violation de la loi, en pensée ou en acte, est accompagnée de ses propres sanctions, immédiates ou lointaines, et l’enfant qui n’est pas élevé pour savoir que “tout acte a des conséquences, en temps voulu” est envoyé à sa première campagne sans entraînement et sans formation, une recrue brute.
Nous soutenons deux choses : (a) que le recours à la punition peut être évité dans la plupart des cas ; et (b) que la crainte de la punition est rarement aussi puissante que le plaisir de l’acte répréhensible en question.
La punition n’est pas réformatrice. – Si la punition était automatiquement réformatrice et capable de nous guérir de tous ces « péchés que nous voulons commettre », le monde serait meilleur, car aucun péché n’échappe à sa punition. Le fait est que, la punition n’est pas inutile mais elle est inadéquate et atteint à peine notre but, qui est, non pas de punir la faute, mais de corriger le défaut de caractère dont la faute est le résultat. Jemmy dit des mensonges et nous le punissons ; et par là nous lui faisons remarquer l’offense ; mais, probablement, aucune punition ne pourrait être assez radicale pour guérir Jemmy de dire des mensonges à l’avenir ; et c’est pourtant là ce qu’il faut viser. Non, nous devons aller plus loin ; nous devons trouver quel est le point faible du caractère, quelle mauvaise habitude de pensée conduit Jemmy à dire des mensonges, et nous devons traiter cette mauvaise habitude de la seule manière possible, en formant l’habitude opposée, c’est-à-dire la pensée honnête, qui fera de Jemmy un homme honnête en grandissant. « Je crois que je n’ai jamais dit un mensonge depuis », dit une dame, décrivant la seule conversation au cours de laquelle son père l’a guérie du mensonge lorsqu’elle était enfant, en établissant une toute nouvelle façon de penser.
Les bonnes habitudes sont les meilleurs guides. – Ce que nous entendons par discipline, ce ne sont pas de simples punitions occasionnelles, mais la vigilance et l’effort constants qui forment et conservent les habitudes d’une vie saine ; et, de ce point de vue, il n’y a pas plus adeptes de la discipline que les parents qui suivent nos préceptes. Toute habitude de courtoisie, de considération, d’ordre, de propreté, de ponctualité, de vérité, est un guide en elle-même, et ordonne la vie avec la plus infaillible diligence.
Une habitude est à la fois si facile à former, et si efficace pour nous contraindre. De nombreux parents travailleraient avec diligence si, pour chaque mois de travail, ils pouvaient doter un de leurs enfants d’une grosse somme d’argent. Mais, en un mois, un parent peut commencer à former chez son enfant une habitude d’une telle valeur que l’argent est une bagatelle en comparaison. Nous avons souvent insisté sur le fait que l’éducateur bénéficie de cette grande découverte de la science moderne, à savoir que chaque habitude de vie crée, pour ainsi dire, un enregistrement matériel dans les tissus du cerveau. Nous savons tous que nous pensons comme nous avons l’habitude de penser et que nous agissons comme nous avons l’habitude d’agir. Depuis que l’homme a commencé à observer les voies de son propre esprit, cette loi de l’habitude est connue de tous, et les parents et les autres éducateurs d’enfants en tiennent plus ou moins compte. L’enfant bien élevé a toujours été soigneusement formé aux bonnes habitudes. Mais ce n’est que de nos jours qu’il a été possible d’établir des lois précises pour la formation des habitudes. Jusqu’à présent, la mère qui désirait former ses enfants à telle ou telle bonne habitude se trouvait gênée par un certain sens de la fatalité.
« Répéter sans cesse ». – « Je suis sûre que je lui répète sans cesse” – de garder ses tiroirs rangés, ou de tenir sa tête droite et parler gentiment, ou d’être rapide et prudente lorsqu’elle fait une course, dit la pauvre mère, les larmes aux yeux ; et en effet, ce fait de “répéter sans cesse » est un processus fatigant pour la mère ; ennuyeux, car sans espoir. Elle continue à « répéter » pour délivrer son âme, car elle a depuis longtemps cessé d’espérer un résultat : et nous savons combien le travail sans espoir est pénible. Mais il est possible que sa mère ne sache même pas à quel point ce fait de « répéter sans cesse », sans résultat, est indiciblement pénible pour l’enfant. Au début, il est irritable et impatient à cause des paroles stériles, puis il s’accommode de l’inévitable et finit par à peine se rendre compte que la chose a été dite. Pour ce qui est de l’impression sur son caractère, de la formation d’une habitude réelle, tout ce travail ne donne aucun résultat ; l’enfant fait la chose quand il ne peut pas s’en empêcher, et se dérobe aussi souvent qu’il le peut. Et la pauvre mère déçue se dit : « Je suis sûre que j’ai essayé autant que n’importe quelle autre mère de donner de bonnes habitudes à mes enfants, mais j’ai échoué. » Mais elle n’est pas complètement découragée. Les enfants n’ont pas les habitudes qu’elle souhaitait leur inculquer, mais ils grandissent avec un cœur affectueux, une bonne nature, et deviennent des jeunes gens brillants, certainement des enfants dont il n’y a pas lieu d’avoir honte. Il n’en reste pas moins que le sentiment d’échec de la mère est une monition dont il faut tenir compte. Nos échecs dans la vie sont probablement dus, pour la plupart, aux défauts de nos qualités ; et, par conséquent, il ne suffit pas d’envoyer les enfants dans le monde avec pour seul héritage le caractère qu’ils ont reçu de leurs parents.
Quelques conseils pratiques. – Permettez-moi de donner quelques conseils pratiques et précis à un parent qui souhaite sérieusement corriger une mauvaise habitude. Premièrement, rappelons-nous que cette mauvaise habitude a été imprimée dans le cerveau. Deuxièmement, il n’y a qu’un seul moyen d’effacer cette impression : la suspension absolue de l’habitude pendant un laps de temps considérable, disons six ou huit semaines. Troisièmement, pendant cet intervalle, une nouvelle croissance, de nouvelles connexions cellulaires, se produisent d’une manière ou d’une autre, et le siège physique du mal subit une guérison naturelle. Quatrièmement, le seul moyen d’assurer cette pause est d’introduire une nouvelle habitude aussi attrayante pour l’enfant que la mauvaise habitude que vous vous proposez de guérir. Cinquièmement, comme la mauvaise habitude découle généralement du défaut d’une qualité chez l’enfant, il ne devrait pas être difficile, pour le parent qui connaît le caractère de son enfant, d’introduire la bonne habitude contraire. Sixièmement, prenez un moment seul avec votre enfant et mettez-le dans la confidence. Introduisez, par le récit ou l’exemple, l’idée stimulante, et obtenez la volonté de l’enfant. Septièmement, ne lui dites pas de faire la nouvelle chose, mais veillez tranquillement et joyeusement à ce qu’il la fasse dans toutes les occasions possibles, pendant des semaines si nécessaire, tout en stimulant l’idée nouvelle, jusqu’à ce qu’elle s’empare de l’imagination de l’enfant. Huitièmement, veillez à ce que la mauvaise habitude ne se reproduise pas. Neuvièmement, si l’ancienne faute se reproduit, ne l’excusez pas. Faites en sorte que la punition, et surtout le sentiment de distance entre vous, soient fortement ressentis. Que l’enfant ressente la honte non seulement d’avoir mal agi, mais d’avoir mal agi alors qu’il était parfaitement facile d’éviter le mal et de faire le bien. Surtout, « veillez à prier » et apprenez à votre enfant à compter sur l’aide divine dans ce combat de l’esprit, mais aussi à comprendre la nécessité incontestable de ses propres efforts.
Un enfant indiscret. – Susie est une petite fille curieuse. Sa mère est surprise et rarement ravie de constater que sa fille est constamment en train d’explorer, et les domestiques disent qu’elle espionne et qu’elle est indiscrète. Sa mère est en train de discuter avec un visiteur ou avec la nourrice : Susie apparaît à ses côtés, surgie d’on ne sait où. Une lettre confidentielle est lue à haute voix : Susie est déjà à portée de voix. La mère pense qu’elle a rangé un certain livre là où les enfants ne peuvent pas le trouver : Susie va le chercher. Elle informe son mari que la cuisinière a demandé un congé de deux jours : Susie s’empresse de lui expliquer tous les tenants et aboutissants de l’affaire. « Je ne sais vraiment pas quoi faire de cette enfant. Il est difficile de faire preuve d’autorité et de dire que l’on ne devrait pas savoir ceci ou cela. Chaque situation est en soi assez inoffensive, mais c’est un peu pénible d’avoir une enfant qui est toujours à la recherche de ragots. » Oui, c’est fatigant, mais ce n’est pas une raison pour désespérer, ni pour penser du mal de Susie, encore moins pour accepter l’inévitable.
Le défaut de sa qualité. – Considérant cette agaçante curiosité comme le défaut de sa qualité, la mère se met à la recherche de cette qualité, et voilà que Susie est réhabilitée. Le problème de l’enfant est un désir démesuré de connaissances, qui a été gâché et qu’on a laissé se dépenser sur des sujets indignes. Au moment propice, présentez à Susie quelque étude délicieuse, de la nature, par exemple, qui mettra à profit sa tendance à la curiosité. Une fois que la nouvelle idée a pris possession de la petite fille, une petite conversation devrait suivre sur l’indignité de remplir ses pensées avec des sujets insignifiants de sorte que rien de vraiment intéressant ne peut y entrer. Pendant des semaines, veillez à ce que l’esprit de Susie soit trop occupé par de grands sujets pour pouvoir s’occuper des petits ; et, une fois que l’habitude de la curiosité aura été contrôlée, encouragez l’esprit actif de l’enfant à travailler progressivement sur des choses qui en valent la peine. La curiosité inappropriée de Susie cessera bientôt d’être une épreuve pour ses parents.
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CHAPITRE 17 SENSATIONS ET SENTIMENTS
Les sensations peuvent être éduquées par les parents
Le bon sens. – Les enfants dont les parents n’ont que peu de connaissances théoriques sur la valeur nutritionnelle des aliments sont souvent bien nourris ; leurs parents s’en remettent à ce qu’ils appellent le bon sens ; et le résultat est, dans l’ensemble, meilleur que si l’on accordait une attention scientifique au régime alimentaire de la famille. Mais ce bon sens a généralement pour base une idée scientifique, même si celle-ci peut être oubliée, et lorsque cette idée est devenue le fondement de l’habitude, elle a plus de valeur et fonctionne d’une manière plus simple que lorsqu’elle en est encore au stade de l’expérience. De la même façon, il est bon de connaître le fonctionnement de la nature humaine de telle façon que nous utilisons nos connaissances sans même réaliser que nous les possédons. Si nous n’avons pas une bonne connaissance du sujet, nous devons absolument l’étudier, même si nous devons pour cela faire des expériences. La plupart des gens supposent que les sensations, les sentiments et les émotions d’un enfant sont des questions qui se règlent d’elles-mêmes. En effet, nous avons tendance à utiliser ces trois termes sans distinction, sans y attacher d’idées très claires. Mais ils couvrent, collectivement, un champ éducatif très important ; et bien que le bon sens, c’est-à-dire les jugements formés à partir de connaissances héritées, nous aide souvent à agir sagement sans savoir pourquoi, nous agirions probablement plus sagement si nous agissions rationnellement.
L’origine des sensations. – Considérons d’abord le sujet des sensations. Nous parlons de sensations de froid, de chaleur et de douleur, et nous avons tout à fait raison. Nous parlons aussi de sensations de peur et de sensations de plaisir, et nous avons souvent tort. Les sensations ont leur origine dans les impressions reçues par les différents organes des sens – l’œil, la langue, les narines, l’oreille et la surface de la peau – et sont transmises par les nerfs sensoriels, certains vers la moelle épinière et d’autres vers la région inférieure du cerveau. De nombreuses sensations nous sont inconnues. Lorsque nous prenons conscience de nos sensations, c’est parce que des messages sont envoyés par des fibres nerveuses, agissant comme des fils télégraphiques, du système sensoriel au cerveau pensant ; et cela se produit lorsque nous accordons notre attention à l’un des multiples messages transportés par les nerfs sensoriels. La physiologie des sens est un sujet trop compliqué pour être abordé ici, mais il est extrêmement intéressant, et le petit livre du professeur Clifford, Seeing and Thinking (Macmillan), y constitue une très bonne introduction. Les sens étant les Cinq Portes de la Connaissance, pour reprendre le titre d’un petit livre que beaucoup d’entre nous ont lu dans leur jeunesse, une personne intelligente devrait être consciente des sensations qu’elle éprouve et être capable de réagir en conséquence.
Les sensations doivent être traitées comme ayant un intérêt objectif. – Nous reconnaissons tous que la formation des sens est une partie importante de l’éducation. Une mise en garde s’impose : dès le début, les sensations de l’enfant doivent être traitées comme des questions d’intérêt objectif et non subjectif. La marmelade, par exemple, est intéressante, non pas parce qu’elle est “bonne” – un fait sur lequel il ne faut pas s’attarder – mais parce qu’on peut y discerner des saveurs différentes ainsi que l’influence de l’huile sécrétée par l’écorce de l’orange. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet ; mais un élément utile de l’éducation consiste à amener l’enfant à s’intéresser aux objets qui produisent ses sensations plutôt qu’à lui-même, en tant que récepteur de ces sensations.
Les leçons de choses tombées en désuétude. – L’objectif des leçons de choses est d’aider l’enfant, par un examen attentif d’un objet donné, à découvrir tout ce qu’il peut sur cet objet en utilisant ses différents sens. Des informations générales sur l’objet sont ajoutées et ne sont retenues que parce que les sens de l’enfant ont été exercés et son intérêt éveillé. Les leçons de choses sont un peu tombées en désuétude ces temps-ci, pour deux raisons. D’abord, on présente aux enfants de misérables spécimens qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’objet in situ et qui sont susceptibles de transmettre des idées inadéquates, voire fausses. Ensuite, les leçons de choses sont fréquemment utilisées comme un moyen d’initier les enfants à des mots difficiles, tels que opaque et translucide, notions qu’ils n’intègrent d’eux-mêmes que le jour où ils en ont besoin, de manière fortuite. Mais l’abus de ce type d’enseignement ne doit pas nous faire négliger son utilisation. Aucun enfant ne peut grandir sans un enseignement quotidien sur les choses qui l’entourent, que ce soit de façon formelle ou informelle. Plus cet enseignement sera approfondi, plus l’enfant deviendra intelligent et observateur. Il est singulier de constater à quel point peu de personnes sont capables de développer une curiosité intelligente pour les objets les plus attrayants, sauf si leur intérêt est stimulé de l’extérieur.
La leçon de choses du bébé. – Le bébé est un merveilleux professeur en matière de leçons de choses. Certes, son seul élève est sa propre petite personne, mais ses progrès sont étonnants. Au début, il ne voit aucune différence entre l’image d’une vache et l’animal vivant ; grand et petit, loin et proche, dur et mou, chaud et froid, tout est pareil pour lui ; il veut mettre la lune dans son tablier, s’asseoir sur l’étang, toucher de son doigt la flamme de la bougie, non pas parce qu’il est une sotte petite personne, mais parce qu’il ignore tout de ce qui compose ce monde inintelligible. Comme il travaille dur ! Il frappe avec sa cuillère pour essayer de produire un son ; il la suce pour en goûter la saveur ; il la tripote et découvre, sans doute, si elle est dure ou molle, chaude ou froide, rugueuse ou lisse ; il la fixe avec le regard insistant qu’ont les enfants, afin d’en saisir l’aspect ; c’est une vieille amie et un objet de désir quand il la revoit, car il a découvert qu’il y a beaucoup de joie dans une cuillère. Cela se poursuivra avec beaucoup d’assiduité pendant quelques années, au terme desquelles le bébé aura acquis une connaissance suffisante du monde pour se comporter de manière très digne et rationnelle.
L’enseignement de la Nature. – C’est ce qui se passe lorsque la Nature enseigne ; et pendant les cinq ou six premières années de sa vie, toutes les choses, surtout ce qui est en mouvement, est pour l’enfant un objet de curiosité intelligente – la rue ou le champ est un panorama de délices, le chien du berger, la charrette du boulanger, l’homme avec sa brouette, l’intéressent au plus haut point. Il a mille questions à poser, il veut tout savoir ; il a, en fait, un appétit démesuré de connaissances. Mais on a tôt fait de remédier à tout cela : on l’occupe avec des livres au lieu de l’occuper avec des choses, on évoque d’autres désirs à la place du désir de savoir ; et l’on réussit à élever un homme qui n’est pas observateur (et une femme qui est encore moins observatrice), qui ne discerne aucune différence entre un orme, un peuplier et un tilleul, et qui passe à côté de nombreux plaisirs de la vie. D’ailleurs, comment se fait-il que le bébé n’exerce pas intentionnellement son odorat ? Il fronce son petit nez quand on lui apprend à renifler une fleur, mais ce n’est que pour s’amuser, il n’expérimente pas naturellement pour savoir si les choses ont une odeur. Cependant, chacun de ses autres sens lui procure une vive joie. Sans aucun doute le petit nez est, naturellement, très actif ; alors son inertie en la matière pourrait-elle être un défaut héréditaire ? Il se pourrait bien que nous nous autorisions tous à avoir des narines peu exercées. Si tel est le cas, les mères devraient se pencher sur la question et élever leurs enfants non seulement à recevoir, ce qui est un acte involontaire et imprécis, mais à percevoir les odeurs dès le premier instant.
L’éducation des sens. – Deux points requièrent notre attention dans l’éducation des sens : nous devons aider l’enfant à s’éduquer selon les principes de la Nature, et nous devons veiller à ne pas supplanter et évincer la Nature et ses méthodes par ce que nous appelons l’éducation. Les leçons de choses doivent être fortuites, et c’est là que la famille a un grand avantage sur l’école. Il est pratiquement impossible que l’école dispense autre chose que des leçons bien définies ; alors que dans l’environnement familial, ce type d’enseignement est lié à l’apparition de l’objet lui-même. L’enfant qui trouve ce merveilleux et bel objet, un nid de guêpes, attaché à une branche de mélèze, reçoit sa leçon de choses sur place, de son père ou de sa mère. La couleur grise, la forme ronde et symétrique, la disposition en bilboquet, la texture qui ressemble à du papier, la taille relative, la douceur relative, l’odeur ou l’absence d’odeur, l’extrême légèreté, le fait qu’il ne soit pas froid au toucher – ces détails et cinquante autres encore, l’enfant les découvre sans aide, ou avec seulement un mot, ici et là, pour diriger son observation. On ne trouve pas un nid de guêpes tous les jours, mais on peut apprendre beaucoup de choses de chaque objet commun, et le plus commun est le meilleur, celui qui est naturellement sous les yeux de l’enfant, un morceau de pain ou de charbon, une éponge.
Les avantages de l’enseignement en famille. – En premier lieu, il n’est pas nécessaire, en famille, de faire un examen exhaustif de chaque objet ; on pourrait parler d’une qualité de ceci, d’une autre qualité de cela. Nous mangeons notre pain et notre lait et nous remarquons que le pain est absorbant. Nous continuons notre expérience afin d’explorer d’autres choses que nous savons être également absorbantes. Nous faisons ce que nous pouvons pour comparer ces choses afin de savoir si elles sont plus ou moins absorbantes que le pain. Ceci est extrêmement important : la personne qui n’est pas observatrice déclare qu’un objet est léger, et considère qu’elle a énoncé un fait ultime ; la personne observatrice fait la même déclaration, mais elle a en tête une échelle relative de mesure, et son jugement a d’autant plus de valeur qu’elle compare, en silence, une série de choses avec lesquelles cet objet se révèle être relativement léger.
Termes positifs et comparatifs. – Il est important que les enfants apprennent à reconnaître que haut, bas, doux, amer, long, court, agréable, etc., sont des termes comparatifs, tandis que carré, rond, noir, blanc sont des termes dits positifs, dont l’application n’est pas affectée par la comparaison avec d’autres objets.
L’usage inconsidéré des épithètes. – Le soin apporté à cette notion contribue à un meilleur développement moral et intellectuel : la moitié des désaccords dans le monde proviennent d’un usage inconsidéré des épithètes. “Diriez-vous que votre pain (au dîner) était léger ou lourd ?” L’enfant répondra probablement : « Plutôt léger. » « Oui, nous ne pouvons dire qu’une chose est légère qu’en la comparant à d’autres ; par rapport à quoi le pain est-il léger ? » « Une pierre, un morceau de charbon, de fromage ou de beurre de la même taille. » « Mais il est lourd par rapport à : une part de génoise, un morceau d’éponge, de liège, de pierre ponce, » etc. « Que pensez-vous qu’il pèse ? » « Une once, une once et demie. » « Nous vérifierons après le dîner ; vous feriez mieux de prendre un autre morceau et de le garder », et la pesée après le dîner constitue une opération réjouissante. La capacité à évaluer un poids vaut la peine d’être cultivée. L’autre jour, nous avons entendu parler d’un monsieur à qui l’on demanda, lors d’une foire, de deviner le poids d’un énorme gâteau. Il le soupesa et dit qu’il pesait dix-huit livres et quatorze onces, ce qui était le poids exact. Cæteris paribus, on a plus de respect pour l’homme qui a fait cette estimation juste que pour la personne imprécise qui aurait suggéré que le gâteau pouvait peser dix livres.
Estimer le poids. – Le courrier, des paquets de livres, une pomme, une orange, une courge, toutes les choses que l’on rencontre dans la journée, sont autant d’occasions de pratiquer ce genre d’enseignement par l’objet, c’est-à-dire de s’exercer à juger du poids relatif et absolu des objets par la force d’opposition qu’ils exercent à notre force musculaire, perçue grâce à notre sens du toucher. Petit à petit, les enfants apprennent que le poids relatif des objets dépend de leur densité relative, puis nous leur parlons de l’étalon de poids.
Estimer la taille. – De la même manière, il faut apprendre aux enfants à mesurer les objets à l’œil. Quelle est la hauteur de ce chandelier ? Quelle est la longueur et la largeur de ce cadre ? et ainsi de suite – puis vérifier leurs affirmations. Quelle est la circonférence de ce bol ? de ce cadran d’horloge ? de ce parterre de fleurs ? Quelle est la taille d’untel et d’untel ? Quelle est la hauteur, en mains, des chevaux qu’ils connaissent ? Divisez un morceau de bois, une feuille de papier en moitiés, tiers ou quarts, à l’œil ; posez un bâton de marche à angle droit avec un autre ; détectez quand un tableau, un rideau, etc., dévie de la perpendiculaire. Ce genre de pratique permettra aux enfants d’acquérir ce que l’on appelle un œil correct, ou juste.
Discerner les sons. – Une oreille attentive et sensible est une autre faculté qui ne vient pas de la Nature ou, si c’est le cas, elle est trop souvent perdue. Combien de sons pouvez-vous distinguer dans un silence soudain à l’extérieur ? Nommons-les dans l’ordre, du plus ténu au plus fort. Distinguez les notes des oiseaux, les cris d’alarme et les chants, les quatre ou cinq sons distincts que l’on entend dans le courant d’un ruisseau. Cultivez la précision dans la distinction des bruits de pas et des voix ; dans le discernement, les yeux fermés, de la direction d’où provient un son, dans laquelle se déplacent des pas. Reconnaissez les véhicules qui passent grâce au bruit qu’ils font : camion, voiture, attelage. La musique est, sans aucun doute, le vecteur par excellence de cette éducation de l’oreille. Le « Child Pianist » de Mme Curwen propose aux parents un travail soigneusement gradué qui permet une telle éducation. Même si un enfant ne deviendra jamais un musicien professionnel, acquérir une oreille développée et correcte joue un rôle important dans l’éducation musicale.
Discerner les odeurs. – Nous n’attachons pas assez d’importance à la sensibilité aux odeurs, que ce soit pour protéger la santé ou comme source de plaisir. La moitié des gens que l’on connaît ne font aucune différence entre l’atmosphère d’une grande pièce soit-disant « aérée », dont les fenêtres ne sont jamais ouvertes, et celle d’une pièce dans laquelle un courant d’air est ménagé à intervalles fréquents. Pourtant, la santé dépend en grande partie d’une perception fine de la pureté de l’atmosphère. Les odeurs qui sont à l’origine de la diphtérie ou de la typhoïde sont perceptibles, même si elles sont légères, et un nez entraîné à détecter les plus petites particules malodorantes dans la nourriture, les vêtements ou le logement, est, pour celui qui le possède, une garantie contre la maladie.
Ensuite, les odeurs pénètrent plus facilement que d’autres perceptions sensorielles dans ces –
“Sensations douces,
Émoi du sang, émoi que le cœur partageait,”
et qui ajoutent tant à notre bonheur, parce qu’elles s’unissent facilement à nos joies purement intangibles grâce aux liens d’association. « Je ne sens jamais de gaillet odorant sans que cela me rappelle… », voici le genre de chose que nous entendons et que nous prononçons continuellement, mais nous ne prenons pas le temps de réaliser que nous attribuons une double joie à l’odeur du gaillet (ou peut-être est-ce, hélas !, de la mélancolie) : la joie des influences agréables présentes lorsque nous cueillons la fleur, et la joie probablement plus personnelle que nous rappelle cet autre moment. Chaque nouvelle odeur perçue est une source, sinon d’alerte, de satisfaction ou d’intérêt récurrent.
Nous ne connaissons que trop peu de choses des odeurs qu’offre le printemps. Ce n’est qu’au printemps dernier que l’auteure de ces lignes a appris à reconnaître deux odeurs délicieuses et particulières, tout à fait nouvelles pour elle, celle des jeunes rameaux de mélèze, qui ont à peu près le même type et la même intensité de parfum que la fleur du lilas, et l’agréable arôme musqué du buis. Les enfants devraient être entraînés à fermer les yeux, par exemple, lorsqu’ils entrent dans un salon, et à découvrir, grâce à leur odorat, quelles fleurs parfumées s’y trouvent ; ils devraient distinguer les odeurs libérées par une averse de pluie dans le jardin –
« Les parfums embaument les chambres des maisons, les étagères sont inondées de parfums,
Et j’inhale moi-même la suavité, que je connais, que j’apprécie,
——
« L’atmosphère qui n’est pas parfum, qui n’a pas goût d’une essence distillée
Sied à ma bouche depuis toujours, j’en suis amoureux fou,
——
« Vertes ou sèches, je hume les feuilles, l’odeur du rivage, des
rochers sombres de la mer, celle du foin dans la grange, »
Le poète américain a probablement fait plus que quiconque pour exprimer le plaisir que l’on peut éprouver grâce aux odeurs. Il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine ; nous n’avons même pas encore établi une gamme des odeurs, comme celle des sons et des couleurs.
Discerner les saveurs. – Les saveurs, elles aussi, offrent un large éventail pour affiner son discernement. A première vue, il semble difficile de cultiver le sens du goût sans faire de l’enfant un gourmand ; mais le fait est que les fortes saveurs qui titillent le palais détruisent ce pouvoir de perception. Le jeune enfant qui se nourrit encore de lait prend, sans doute, plus de plaisir aux saveurs que le convive habitué aux délices d’un cordon bleu. En même temps, il est préférable de faire du goût une source d’intérêt plutôt que de plaisir sensuel pour les enfants : il vaut mieux qu’ils essaient de discerner une saveur les yeux fermés plutôt que de les laisser penser ou dire que les choses sont « bonnes » ou « mauvaises ». Ce genre d’attitude capricieuse doit être découragé. Il n’est pas bon de faire manger à un enfant ce qu’il n’aime pas, car cela n’aurait pour résultat que de lui faire détester ce plat pour toujours ; mais lui faire sentir qu’il fait preuve d’un manque de maîtrise de soi et de maturité, lorsqu’il exprime son dégoût pour une nourriture saine, devrait avoir un effet sur le long terme.
La gymnastique sensorielle. – Nous avons à peine effleuré les différentes formes de leçons de choses, faisant appel tantôt à un sens, tantôt à un autre, qui devraient être dispensées chaque jour dans la famille. Nous sommes enclins à considérer l’Indien natif d’Amérique comme une personne peu instruite ; il est, au contraire, très instruit dans la mesure où il est capable de distinguer les différentes impressions sensorielles et d’agir sur elles d’une manière qui déconcerte l’Européen instruit par les livres. Il serait bon que les parents éduquent un enfant, pendant les six premières années de sa vie, en tout cas, sur le modèle de ce « Peau-rouge ». En plus des quelques points que nous avons mentionnés, il devrait être capable de distinguer les couleurs et leurs nuances ; les degrés relatifs de chaleur dans la laine, le bois, le fer, le marbre, la glace ; il devrait apprendre à lire un thermomètre ; il devrait distinguer les objets selon leur degré de dureté ; il devrait avoir un œil et un toucher qui reconnaissent les textures ; il devrait, en fait, être capable d’obtenir autant de renseignements sur un objet en quelques minutes d’étude quant à sa forme, sa couleur, sa texture, sa taille, son poids, ses qualités, ses composantes et ses caractéristiques, qu’il pourrait en apprendre en lisant les nombreuses pages d’un livre. Nous abordons le sujet par le biais des sens de l’enfant plutôt que par celui des objets à étudier, car nous avons en vue les quelques essais ponctuels, dont le but est de donner une formation approfondie aux différents sens. La connaissance de la Nature et des objets naturels est une chose différente et doit être abordée un peu différemment. Un garçon qui observe un scarabée ne sollicite pas consciemment ses différents sens sur le scarabée, mais laisse le scarabée prendre l’initiative, ce que le garçon suit avec respect : mais le garçon qui a l’habitude de faire une gymnastique sensorielle quotidienne en apprendra beaucoup plus sur le scarabée que celui qui n’est pas entraîné ainsi.
Les jeux sensoriels. – Les leçons de choses planifiées diffèrent de ces exercices fortuits en ce sens qu’un objet est en quelque sorte analysé par chacun des sens à tour de rôle, et que chaque atome d’information qu’il peut fournir en est extrait. Un bon procédé consiste à faire de ce type de leçon un jeu. Faites circuler votre objet – un morceau de pain, par exemple – et laissez chaque enfant raconter un fait qu’il a découvert par le toucher ; puis par l’odorat ; ensuite, par le goût ; et par la vue. Les enfants sont très ingénieux à ce genre de jeu et c’est l’occasion de leur transmettre des mots nouveaux, comme friable, élastique, lorsqu’ils demandent qu’on les aide à exprimer avec un mot une découverte qu’ils ont faite. Les enfants apprennent ainsi à penser avec exactitude, à distinguer le friable du cassant ; et toute information courante qui leur est offerte au cours de ces exercices devient une possession pour toujours. Un bon jeu qui constitue une leçon de choses, convenant à une fête d’anniversaire, consiste à disposer sur une table cent objets inconnus des enfants. Conduisez ensuite le petit groupe dans la pièce, laissez-lui trois minutes pour faire le tour de la table. Quand les enfants ont quitté la pièce, faites-leur écrire ou dire tout bas le nom des objets dont ils se souviennent. Certains enfants se souviendront facilement de cinquante ou soixante objets.
Le meilleur et le plus agréable exercice des sens naît sans doute d’une tendre familiarité avec le monde de la nature, mais les types d’exercices que nous avons indiqués rendent les perceptions plus fines, et sont très appréciés des enfants. Il ne faut pas laisser ces sensations influencer exagérément la conscience subjective de l’enfant, c’est le point essentiel à garder à l’esprit.
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 18 SENSATIONS ET SENTIMENTS
Les sentiments peuvent être éduqués par les parents
“Ces formes belles,
Pendant ma longue absence, ont été pour mes yeux
Autres qu’un paysage aux regards d’un aveugle ;
Seul sous un toit, souvent, ou parmi le fracas
Des bourgs et des cités, d’elles me sont venues,
À des moments lassés, des sensations douces,
Émoi du sang, émoi que le cœur partageait,
Qui s’ouvrait un chemin jusqu’à l’esprit lui-même,
Lui rendant calme et force ; aussi, des sentiments
De plaisir, échappant à la mémoire, et qui
Peut-être sont parmi les causes plus profondes
De la meilleure part d’une existence bonne :
Les menus actes, innommés, vite oubliés,
De tendresse et d’amour.”
W. Wordsworth, Tintern Abbey.
Les sensations qui nous reviennent. – L’intuition – en quelque sorte la démarche scientifique d’un grand poète – fait partie de ces choses sur la terre et dans le ciel que notre philosophie n’a pas encore rêvées. Wordsworth nous dit que, après plusieurs années, ces formes magnifiques (de l’abbaye de Tintern) lui ont procuré certaines sensations. Or, nous serions enclins à penser que les sensations ne peuvent être qu’immédiates, ressenties à l’instant où l’objet est exposé aux sens. Mais le poète a, comme d’habitude, absolument raison : nous pouvons avoir des sensations qui nous reviennent, aussi bien que des sensations immédiates ; car une sensation consciente dépend de la perception d’une impression dans les centres sensoriels, et cette perception peut être évoquée, non seulement par une sensation immédiate, mais aussi par une association qui rappelle l’image imprimée, de façon permanente, par la sensation originale. Wordsworth a merveilleusement raison lorsqu’il parle du plaisir répété que nous procurent de douces sensations. “Seul sous un toit, souvent, ou parmi le fracas des bourgs et des cités », un contact soudain émerge de chaînes d’association et lui apporte la joie apaisante d’un tableau : des « formes » avec toutes les grâces de la symétrie, de l’harmonie, de la vénérable antiquité, dans le cadre toujours frais et gracieux d’un beau paysage. L’œil de son esprit est infiniment comblé ; l’oreille de son esprit, qui n’est plus consciente du vacarme des villes, entend le clapotis de la rivière Wye, les chants des oiseaux, le mugissement du bétail et les sons plus discrets du petit peuple des insectes. Il perçoit à nouveau l’odeur de la reine des prés, il sent la fraîcheur de l’herbe ; et tout cela est une sensation aussi absolue que lorsqu’elle a été transmise pour la première fois à sa conscience via ses organes sensoriels.
Il faut conserver les souvenirs de plein air. – Il y a donc de nombreuses bonnes raisons pour lesquelles nous devrions remplir la mémoire des enfants de nombreuses images de plein air, qu’ils seront capables de rappeler plus tard, et qui leur procureront ainsi un plaisir intense. Notre souci constant doit être de faire en sorte qu’ils regardent, écoutent, touchent et sentent ; et le moyen d’y parvenir est une action sympathique de notre part : ce que nous regardons, ils le regarderont ; les odeurs que nous percevons, ils les percevront aussi. Nous avons entendu parler, l’autre jour, d’une petite fille qui voyageait en Italie avec ses parents à l’époque des voyages en diligence. Les parents de l’enfant étaient consciencieux, le temps était précieux, et ne devait en aucun cas être gaspillé dans la simple oisiveté du voyage. Aussi la gouvernante et la petite fille avaient-elles le coupé pour elles seules, avec accès à toutes les affaires de la salle de classe. La petite fille y faisait ses calculs, apprenait sa géographie, probablement les comtés de l’Angleterre, et tout le reste, en perdant le moins de temps possible en curiosité oisive sur les « beaux royaumes » qu’elle traversait. Cette histoire montre que nous faisons des progrès, mais nous sommes encore loin de reconnaître pleinement que notre rôle dans l’éducation des enfants doit être subordonné à celui de la Nature elle-même.
Les souvenirs agréables, source de bien-être physique et de restauration mentale. – Poursuivons l’étude de ce témoignage psychologique d’une étonnante précision et d’une exquise beauté : le poète nous dit ensuite que ces douces sensations sont “l’émoi du sang, l’émoi que le cœur partageait”. Cette affirmation est, curieusement, fidèle à la réalité : une sensation agréable provoque la relaxation des fibres nerveuses qui entourent les capillaires ; le sang circule librement, le cœur bat plus vite, le sentiment de bien-être est accru. La gaieté, l’allégresse s’installent, et la grisaille du jour et le vacarme de la ville n’existent plus pour nous. Les souvenirs heureux sont, pour ainsi dire, un élixir de vie, capables, lorsqu’ils se présentent, de nous placer dans un état de bien-être physique.
Mais ce n’est pas tout. Wordsworth parle de ces souvenirs comme s’ouvrant “un chemin jusqu’à l’esprit lui-même, lui rendant calme et force” : l’esprit lui-même, parce que moins corporel, moins affecté par les conditions physiques, mais tout de même si intimement lié au cerveau physique, que la condition de l’un doit régir l’autre. L’esprit et le cerveau ont peut-être été épuisés par la récurrence insistante d’une ligne de pensée unique ; quand, soudain, suite au déclenchement d’un mécanisme d’association, des images délicieuses traversent “l’esprit lui-même” : le courant de la pensée est détourné vers des canaux nouveaux et délicieux, et la fatigue et l’épuisement du cerveau lui rendent “calme et force”.
Si de simples sensations peuvent nous apporter tant de bonheur, de rafraîchissement mental et de bien-être physique, aussi bien quand on les ressent que par la suite, quand on se les rappelle un nombre infini de fois, il en découle qu’une part importante de notre travail d’éducateur est de préserver l’acuité des perceptions des enfants et de peupler leur mémoire d’images heureuses.
La distinction entre les sensations et les sentiments. – Le poète poursuit sa recherche et fait une distinction très nette ; il ne retrouve pas seulement des « sensations douces », mais aussi les « sentiments de plaisir échappant à la mémoire”. Très peu de personnes sont capables de faire la distinction entre les sensations et les sentiments produits par une image remémorée grâce à une association. La psychologie de Wordsworth n’est pas seulement belle, elle est aussi très juste, et la distinction qu’il établit est importante pour l’éducateur. La vérité est que les « sentiments » sont démodés à l’heure actuelle : The Man of Feeling est une personne sans importance. S’il existe encore, il reste dans l’ombre, sachant, grâce à cette vivacité de perception qui lui est propre, que chaque infime efflorescence, propre à son caractère, serait promptement réduite en bouillie par quelque manieur de marteau. The Man of Feeling doit s’en féliciter lui-même ; il a laissé ses sentiments devenir fantastiques ; ses douces sensibilités se sont emballées ; il a voulu dire pathos et a dit bathos ; son caractère est devenu exacerbé. Or, pour se préserver, la Société coupe toujours le membre offensant, de sorte que The Man of Feeling n’est plus.
Les sentiments devraient être objectifs et non subjectifs. – Ce n’est pas la seule attaque que les « sentiments » doivent supporter. Tant que les sentiments restent objectifs, ils sont, comme le velouté rosé de la pêche, l’ultime perfection d’un beau caractère. Mais lorsqu’ils deviennent subjectifs, lorsque chaque sentiment se préoccupe de l’ego, alors, comme dans le cas des sensations, des pathologies s’installent ; la personne commence par être « trop sensible », l’hystérie s’ensuit, peut-être même la mélancolie, et une vie peut ainsi être complètement gâchée. George Eliot illustre cette subjectivité des sentiments grâce à une belle image. Elle nous raconte qu’un ami philosophe lui avait fait remarquer que si vous approchez une bougie allumée de la surface d’un miroir ou d’une plaque d’acier couverte de minuscules rayures allant dans toutes les directions, toutes ces rayures aléatoires semblent s’ordonner et rayonner à partir de la flamme centrale. Il en va de même pour la personne dont les sentiments ont été autorisés à servir sa conscience égoïste : toutes les choses du ciel et de la terre sont « ressenties » dans la mesure où elles influencent sa propre personnalité.
Ce que sont et ne sont pas les sentiments. – Que sont les sentiments ? C’est peut-être l’expression de Coleridge, « une vague appétence de l’esprit », qui les définit le mieux, et nous pouvons clarifier nos idées grâce à une analyse négative. Les sentiments ne sont pas des sensations parce qu’ils n’ont pas de connexion évidente avec les sens. Ils doivent être distingués des deux grandes affections (l’amour et la justice) parce qu’ils ne s’exercent activement sur aucun objet. Ils sont distincts des désirs parce qu’ils ne demandent aucune gratification ; et ils se distinguent des opérations intellectuelles que nous appelons pensées, parce que, tandis que la pensée découle d’une idée, est active et aboutit à un résultat, les sentiments, eux, proviennent de perceptions, ils sont passifs et ne progressent pas.
Chaque sentiment a un côté positif et un côté négatif. – Chaque sentiment a un côté positif et un côté négatif, et ce, à des degrés presque infiniment variés : plaisir, déplaisir ; valorisation, dénigrement ; enthousiasme, appréhension ; admiration, mépris ; assurance, hésitation ; défiance, complaisance ; et ainsi de suite, à travers de nombreuses nuances de sentiments plus délicates à nommer, et d’autres encore, si délicates que le langage est un instrument trop approximatif pour les exprimer.
Les sentiments ne sont ni moraux ni immoraux. – Nous remarquerons que tous ces sentiments partagent des points communs. Aucun n’est distinctement moral ou immoral ; ils ne sont pas arrivés au stade de la pensée définie ; ils existent vaguement dans ce qui semble être une région intellectuelle semi-consciente. Pourquoi, alors, devons-nous nous préoccuper de cette partie peu connue de cette terra incognita que nous appelons la nature humaine ? Ce « pourquoi » est la question du philosophe en prose – notre poète voit plus loin. Dans ce qui est l’un des plus délicats passages poétiques, il parle des sentiments de plaisir échappant à la mémoire comme ayant une influence notable sur la vie d’un homme bon, comme étant les sources de “menus actes, innommés, vite oubliés, de tendresse et d’amour”.
Le lien entre les sensations échappant à la mémoire et les actes. – Même le sentiment de « plaisir échappant à la mémoire« , ce sentiment d’un plaisir dont on ne se souviendrait pas, intangible, indéfini, produit cet élan du cœur qui pousse l’homme bon à faire des « actes de bonté et d’amour », aussi menus, aussi innommés et aussi vite oubliés que les sentiments qui les font naître. Car il est possible que le sentiment “source” soit stimulé si légèrement que l’on retrouve le sentiment d’un plaisir antérieur sans retrouver la sensation, ni l’image qui a produit la sensation, mais seulement le sentiment vague du plaisir. C’est un peu comme lorsqu’on entend le mot « Lohengrin », on ne s’attend pas nécessairement à retrouver la sensation du plaisir musical, mais juste un peu du plaisir que cette sensation a procuré.
Ces actes insignifiants représentent “la meilleure part d’une existence bonne”. – Bien qu’ils soient innommés, le poète n’hésite pas à classer ces actes insignifiants comme « la meilleure part d’une existence bonne ». Mais ce n’est que du cœur de l’homme bon que sortent ces bonnes actions, car, comme nous l’avons dit, les sentiments ne sont pas moraux en eux-mêmes ; ils agissent sur ce qui est là, et le point qui nous occupe est que l’influence des sentiments est à la fois puissante et indirecte. Pourquoi le souvenir de l’abbaye de Tintern devrait-il pousser un homme bon à faire quelques petits actes de tendresse ? Nous ne pouvons que donner la réponse ultime que « Dieu nous a faits ainsi », qu’un sentiment de plaisir, même oublié, incite l’homme bon à puiser dans le précieux trésor de son cœur pour faire preuve de tendresse et d’amour. Il suffit de penser à ce qui résulte des sentiments négatifs pour nous convaincre du bien-fondé de la psychologie du poète. Supposons que nous ne soyons pas vraiment mécontents, mais plutôt maussades, moroses, aucunement animés par des sentiments de plaisir : demandons-nous si, dans l’état actuel de nos sentiments, nous serions enclins à prodiguer une quelconque effusion d’amour et de tendresse à nos voisins.
La perception des caractères est l’un de nos plus beaux sentiments. – Voici un autre aspect des sentiments, d’une très grande importance pour nous qui avons la charge de l’éducation des enfants.
“Je ne vous aime pas, Docteur Fell,
Je ne peux pas en donner la raison,”
est un sentiment que nous connaissons tous assez bien, et c’est, en fait, cette perception intuitive des caractères – l’un de nos plus beaux sentiments et l’un de nos meilleurs guides dans la vie – qui a trop tendance à être martelée par l’effort constant d’abaisser nos sensibilités à l’explicite et au concret. On se demande pourquoi les gens se plaignent d’amis infidèles, de domestiques indignes de confiance et d’affections déçues. Si les sentiments étaient conservés dans leur authenticité et leur simplicité, il ne fait guère de doute qu’ils nous fourniraient une base de référence sur le caractère des personnes que nous rencontrons, ce qui nous éviterait d’une part des exigences excessives et d’autre part des déceptions.
L’orateur joue sur les sentiments. – L’orateur aime jouer sur la gamme des sentiments. Il donne des arguments au passage, il égaye son discours par des métaphores et des comparaisons. Mais pour son effet final, il compte sur l’impression qu’il a pu produire sur les sentiments de son auditoire, et le résultat lui donne raison.
L’enthousiasme. – Nos menus actes innommés, mais aussi les grands desseins de notre vie, naissent de nos sentiments. L’enthousiasme lui-même n’est pas une pensée, bien qu’il surgisse lorsque nous sommes
“poussés par le ravissement d’une pensée soudaine » ;
c’est un état incandescent et malléable des forces de notre nature, pendant lequel toute chose nous est possible, et nous n’attendons qu’une impulsion. L’enthousiasme à son stade le plus précoce est inconséquent, incohérent, dépourvu de but, et pourtant c’est l’état à partir duquel tous les grands buts de la vie prennent forme. Nous ressentons, nous pensons, nous disons, nous faisons ; c’est la genèse de la plupart de nos activités.
En éduquant les sentiments, nous modifions le caractère. – Mais nos sentiments, comme nos pensées, dépendent de ce que nous sommes. Nous ressentons les choses selon notre nature, et ce qu’il faut remarquer, c’est que nos sentiments peuvent être éduqués et qu’en éduquant les sentiments, nous modifions le caractère. Un risque grave, à notre époque, est que la tâche délicate d’éduquer soit remplacée par celle, beaucoup plus facile, d’émousser les sentiments. C’est le résultat presque inévitable d’un système où l’éducation est donnée en masse ; mais il n’est pas inéluctable car le ton d’un directeur ou d’une maîtresse se transmet presque certainement à toute une école. Cependant, il se peut que le parfait épanouissement des sentiments ne puisse être préservé que par une culture individuelle pertinente, et qui incombe donc nécessairement aux parents.
Le sixième sens du Tact. – L’instrument à employer dans cette démarche est toujours le même – le sixième sens béni du Tact. Il est possible de susciter le sentiment que l’on désire par un simple regard, un geste ; de le dissiper entièrement par la grossièreté d’une parole. Notre silence, notre sympathie, notre perception, donnent de la place et du poids aux sentiments appropriés, et, de même, découragent et font fuir honteusement le sentiment qui ne mérite pas sa place.
Méfions-nous des mots. – Mais méfions-nous des mots ; utilisons nos yeux et notre imagination dans nos rapports avec les enfants ; voyons ce qu’ils ressentent et aidons-les grâce à notre sensibilité. Mais les mots, même les mots d’éloge et de tendresse, touchent cette délicate fleur de la nature comme avec un doigt ardent, et voilà qu’elle disparaît. Réfléchissons soigneusement aux sentiments que nous voulons stimuler et à ceux que nous voulons réprimer chez nos enfants, puis, une fois notre décision prise, taisons-nous. Nous connaissons tous la réticence, comme lorsqu’on touche une blessure, avec laquelle les enfants reçoivent un mot bien intentionné d’un ami dépourvu de tact.
Un sentiment est communiqué par la sympathie. – Le sens du spirituel est notre seul guide dans cette sphère des sentiments, mais c’est seulement avec cela que nous pouvons accorder les esprits des enfants à de grandes questions, en sachant qu’ils sont capables de toutes les grandes choses. Nous souhaitons qu’ils révèrent. Or, la révérence est un sentiment avant de devenir une pensée ou un acte, et c’est un sentiment communicable, mais communicable comme la lumière d’une torche, uniquement par contact. Le sentiment de révérence remplit nos propres âmes lorsque nous voyons un oiseau sur son nid, un vieil homme à la porte de sa chaumière, une église dans laquelle se sont concentrées les aspirations d’un village pendant de nombreuses années. Nous ressentons, les enfants sentent notre sentiment, et ils ressentent aussi ; un sentiment est communiqué par la sympathie, et probablement d’aucune autre manière. L’ignoble habitude du dénigrement est d’abord un sentiment. Il est assez facile d’inspirer chez les enfants cette autre attitude de sentiment qu’appellent la justesse et la bonté de la chose considérée, et nous savons tous qu’il est facile d’apprécier ou de dénigrer une même chose. Ces deux sentiments illustrent à eux seuls l’importance de la démarche délicate que nous avons en vue, car parmi les nuances de caractère, aucune ne tend plus à différencier les personnes que celle de percevoir une cause de satisfaction ou une cause de mécontentement dans le même objet ou la même personne.
Les personnes se distinguent par leur capacité à apprécier ou à dénigrer. – L’habitude d’apprécier est une cause de joie tranquille pour son possesseur, et d’aisance et de contentement pour les personnes qui l’entourent. L’habitude de dénigrer, au contraire, bien qu’elle procure une petite excitation agréable parce qu’elle sert la vanité de l’ego (je n’aime pas cette personne ou cette chose, donc je sais mieux ou je suis meilleur que les autres), perturbe la tranquillité et met la personne en disharmonie avec elle-même et avec son environnement ; dénigrer ne procure pas de joie durable. Mais même en abordant les sentiments de cette catégorie, nous devons nous rappeler que le tact, la sympathie et le sentiment communicable sont nos seuls outils ; les sentiments ne sont pas des pensées à raisonner ; ils ne sont ni moraux ni immoraux et ne méritent ni nos louanges ni nos blâmes ; nous ne saurions être trop prudents dans nos rapports avec les enfants, ni trop attentifs au fait que la moindre inadvertance peut blesser un tendre sentiment en train d’éclore.
Le danger du persiflage. – L’habitude du persiflage et du badinage dans les conversations familiales comporte un certain risque : de temps en temps est tout à fait bon et sain, mais ce genre de jeu doit être utilisé avec beaucoup de tact, surtout par les adultes. Les enfants se comprennent si bien les uns les autres qu’il y a beaucoup moins de risques que leurs sentiments soient blessés par l’écolier tourmenteur que par l’adulte plus bienveillant.
Gérer les sentiments des jeunes est une tâche délicate. – Il n’y a qu’un seul cas où les sentiments ne peuvent pas avoir le champ libre, c’est lorsqu’ils reflètent la conscience de l’ego. Ces sentiments que l’on appelle communément sensibilité – c’est-à-dire la susceptibilité, la promptitude à percevoir le désintérêt ou l’affront, la condamnation ou l’approbation – lorsque qu’ils appartiennent à un caractère bon et délicat, sont, par nature, moins méritoires, et nécessitent une conduite très prudente, de peur de créer des pathologies. Ignorer judicieusement est un art, et la jeune fille qui désire savoir ce que vous avez pensé d’elle lorsqu’elle a dit ceci ou fait cela n’a pas besoin qu’on lui dise brutalement que vous n’avez pas pensé à elle du tout. Il lui suffit de remarquer que votre regard est fixé sur quelque chose qui vous est indifférent à tous les deux, elle comprend l’allusion, cesse de s’observer, et rien n’est dit qui puisse la faire souffrir. Il semble que ce soit une loi immuable que nos sentiments, comme nos sensations, doivent trouver leur occupation dans les choses extérieures ; dès qu’ils sont repliés sur eux-mêmes, le mal est fait. Composer avec les susceptibilités des jeunes gens est l’une des tâches les plus délicates qui nous incombe à nous, les adultes, que nous soyons parents ou amis. La sympathie sans discernement est très dangereuse, et la franchise d’opinion est très préjudiciable ; nous voguons entre Charybde et Scylla et nous devons progresser humblement et prudemment dans cette tâche délicate de gérer les sentiments des enfants et des jeunes gens. Notre garde-fou est de chérir en nous « l’âme douce et tendre », sensible au contact de Dieu, et capable de s’occuper de manière douce et tendre des enfants, êtres fins et délicats qu’ils sont.
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CHAPITRE 19 “QU’EST-CE QUE LA VÉRITÉ ?”
Discrimination morale exigée des parents
En tant que nation, nous perdons autant que nous gagnons en sincérité. – Il semblerait que nous, les Anglais, ne soyons plus considérés comme un peuple sincère. C’est une accusation affligeante, et cependant, nous ne pouvons pas la nier. Il est possible que notre civilisation se trouve à un stade qui ne tende pas à produire le beau courage de la vérité absolue. Celui qui ne craint rien est généralement sincère, et une nation élevée parmi les actions chevaleresques de la guerre ose être sincère. Mais nous vivons en temps de paix, nous ne sommes plus appelés à défendre la vérité de notre parole par la force de notre main. Lorsque nous parlons, c’est sans véritable sens des responsabilités, parce que personne ne nous demande de rendre des comptes ; et, si nous disons la vérité, c’est grâce à la franchise de notre cœur et la droiture de notre vie. En d’autres termes, il se peut que nous perdions, en tant que nation, l’habitude de la vérité à laquelle, il y a longtemps, les enfants de ce pays étaient formés, même si c’était de façon rude et directe ; mais nous grandissons, et la vérité à notre époque est peut-être de meilleure qualité que la sincérité plus générale d’autrefois. De nos jours, la vérité est vraiment la fleur blanche d’une vie irréprochable, et non le simple résultat d’un caractère courageux. Le travail qui nous incombe est d’élever nos enfants selon cette forme supérieure de vérité. Nous ne traitons plus tel ou tel mensonge ou telle ou telle tromperie comme un mal spécifique, pour lequel nous n’avons qu’à appliquer la lotion ou le cataplasme approprié ; nous le traitons comme un symptôme, comme l’indication d’un défaut radical de caractère que nous nous efforçons de corriger.
L’opinion sans la connaissance, dit Darwin, n’a pas de valeur, et pour traiter la tendance au mensonge des enfants, il faut avoir beaucoup de connaissances dans un domaine particulier. Traiter un enfant de novo, le placer sous un microscope moral, enregistrer nos observations, et formuler des opinions basées sur cet enfant, et sur bien d’autres que nous pouvons observer, est, peut-être, un travail public utile et important. Mais c’est un travail pour l’expert qualifié, plutôt que pour le parent ou l’enseignant déjà bien occupé.
L’enfant, en tant qu’être humain, est probablement à son meilleur. – Il ne suffit pas de faire preuve de bon sens et de bonnes intentions dans cet art très délicat qu’est l’étude de l’enfant. Nous ne pouvons pas nous permettre de rejeter la sagesse du passé et de recommencer à zéro avec l’effort de collecter et de systématiser, en espérant accomplir davantage, dans le court laps de temps qui nous est imparti, que ce que les siècles nous ont apporté.
Car, en effet, l’enfant est un être humain, immature certes, mais peut-être un être humain à son meilleur. Qui, parmi nous, possède de tels dons pour voir, connaître, comprendre, imaginer, et de telles capacités pour aimer, donner, croire, comme le petit enfant ? La plus grande louange que nous pouvons faire aux plus sages et aux meilleurs d’entre nous est de dire qu’ils sont aussi frais et enthousiastes dans leurs intérêts et leurs passions que de jeunes enfants.
En ce qui concerne le mensonge : deux théories. – En ce qui concerne le mensonge, par exemple, le bon sens spontané a tendance à partir de l’une des deux théories suivantes : ou bien l’enfant est né sincère et il faut qu’il le reste ; ou bien l’enfant est né menteur et il faut l’en guérir. De nos jours, l’opinion populaire penche fortement en faveur de la première théorie ; et comme nous ne percevons que ce que nous croyons, la tendance est peut-être de tenir un peu trop pour acquis la sincérité et l’honneur absolus des enfants. Si vous voulez que vos enfants soient sincères, vous devez, bien sûr, les traiter comme s’ils étaient sincères et croire qu’ils le sont. Mais, tout de même, la sagesse ne devrait pas faire l’autruche. La génération précédente considérait leurs enfants comme étant nés menteurs, et quoi de plus susceptible de les y inciter que ce préjugé ? De nos jours, il est possible que notre manque de sincérité soit dû à l’enseignement dogmatique avec lequel nos ancêtres ont été élevés.
Un enfant naît sans vertu ni vice. – La sagesse des temps passés, c’est-à-dire la philosophie, et la science actuelle, surtout la physiologie, et plus particulièrement ce que nous pouvons appeler la psychophysiologie, nous montrent que ces deux positions sont fausses, et que toutes les théories fondées sur l’une ou l’autre de ces positions, ou à mi-chemin entre les deux, doivent nécessairement être fausses aussi. Un enfant ne naît ni bon ni mauvais. Il n’a absolument ni vertu ni vice lorsqu’il vient au monde. Il a certes des tendances, mais celles-ci ne sont pas plus vertueuses ou vicieuses que la couleur de ses yeux. Même l’enfant d’un menteur ne naît pas nécessairement menteur, car nous sommes convaincus que les tendances acquises ne se transmettent pas. Mais il y a quand même une remarque à faire. L’enfant né d’une famille qui, de génération en génération, s’est trouvée dans une position d’assujettissement, peut avoir moins de prédispositions à la vérité que l’enfant d’une famille qui a appartenu pendant des générations à la classe dirigeante. De même que, dans le monde naturel, toutes les substances doivent être décomposées en leurs éléments avant de pouvoir être traitées chimiquement, dans le monde moral, si nous voulons traiter une faute, il est préférable d’identifier la propriété élémentaire de la nature humaine qui en est l’origine probable.
Le mensonge n’est pas élémentaire, mais secondaire et symptomatique. – Or, le mensonge, même dans ses pires formes, n’est nullement élémentaire. L’ambition est élémentaire, tout comme l’avarice, la vanité, la gratitude, l’amour et la haine. Mais le mensonge naît de causes secondaires. Le traitement en est d’autant plus difficile. Il ne s’agit plus de dire : l’enfant a menti, punissez-le ; mais de se demander : quel est le point faible de son caractère, ou quel est le défaut de son éducation qui a provoqué l’habitude de mentir, si c’est une habitude ? Comment, non pas punir le mensonge, mais traiter le défaut dont il est le symptôme ? Dans cette perspective, considérons la très intéressante classification des mensonges que nous a présentée un pédagogue américain.
1. Pseudophobie – Traitement. – Janet pense avoir peut-être jeté un coup d’œil sur l’ardoise de Mary et avoir vu la réponse à sa question. Une comparaison des deux ardoises montre qu’elle ne l’a pas fait, et que Janet, dans l’effort de se sauver d’un mensonge, en a finalement raconté un. Ce genre de scrupules morbides est un œil d’Argus pour d’autres formes de péché. J’ai connu une jeune fille malade de quatorze ans qui était terriblement malheureuse parce qu’elle ne pouvait pas s’agenouiller sur son lit pour faire ses prières. Était-ce là le « péché impardonnable » ? demandait-elle avec une terreur non feinte. Je suis d’accord avec l’auteur en question, quant à la fréquente apparition de cette forme de détresse, et également en ce qui concerne son origine, non pas morale mais physique. Je dirais aussi qu’elle est plus fréquente chez les filles que chez les garçons, et chez l’enfant instruit à la maison que chez l’enfant instruit à l’école. Des intérêts sains, une vie au grand air, des travaux manuels passionnants et agréables, des occupations généralement par les choses plutôt que par les réflexions, et l’évitement de tout mot ou allusion qui pourrait conduire à la conscience de soi ou à l’habitude de l’introspection, feront probablement beaucoup pour aider le jeune malade à traverser cette étape difficile de sa vie.
2. Le mensonge héroïque. – Le mensonge héroïque est, par excellence, le mensonge de l’écolier, et il est né, non pas d’un amour du mensonge, mais d’un manque d’équilibre moral ; c’est-à-dire que le garçon a été laissé libre de se forger son propre code éthique. On demande au petit Tom Brown : « Qui a renversé l’encre ?” “C’est moi », répond-il, car Jack Spender, le vrai coupable, est son héros du moment. La fidélité à un ami est une vertu bien plus élevée aux yeux de Tom que la simple vérité. Et comment Tom peut-il savoir, si on ne lui a pas appris, qu’il est inadmissible de chérir une vertu au détriment d’une autre ? Si l’on considère le peu d’enseignement clair, précis et fiable que les enfants reçoivent sur les questions d’éthique, c’est un miracle que la plupart des gens élaborent leur propre code moral ou code d’honneur.
3. La vérité pour les amis, le mensonge pour les ennemis. – Un mensonge de cette catégorie diffère du mensonge héroïque surtout parce qu’il ne comporte pas de risque pour celui qui le profère. Cette classe de mensonges, encore une fois, montre l’ignorance morale que nous sommes si lents à reconnaître chez les enfants parce que nous confondons l’innocence avec la vertu. Il est tout à fait naturel pour un enfant de croire que la vérité est relative, et non absolue, et que le fait qu’un mensonge en soit un ou pas dépend de la personne à laquelle on s’adresse. Les enfants sont dans la position du « Pilate qui se moque ». Qu’est-ce que la vérité ? demandent-ils inconsciemment.
4. Le mensonge inspiré par l’égoïsme. – Il s’agit d’une forme de mensonge pour laquelle un traitement superficiel est tout à fait vain. Le mensonge et le vice dont il est l’instrument sont tellement liés qu’il est impossible de les séparer. Le professeur Stanley Hall fait bien remarquer que l’école est un terrain fertile pour ce genre de mensonge. Mais c’est à l’égoïsme et non au mensonge qu’il faut s’attaquer. Soignez le premier, et le second disparaît, sans autre motif. Comment ? C’est une question difficile. Seule une forte impulsion vers l’héroïsme du désintéressement, initiée et soutenue par la grâce de Dieu, délivrera le garçon ou la fille du vice de l’égoïsme dont le mensonge est le serviteur tout trouvé. Mais ne désespérons pas ; chaque garçon et chaque fille est réceptif à cette impulsion, et est capable d’un effort héroïque. La prière, la patience et l’attention portée aux occasions de transmettre l’idée stimulante ne seront pas vaines. Chaque garçon et chaque fille est un héros en puissance. Il n’y a pas de pire infidélité que celle qui consiste à renoncer à l’espoir de corriger un défaut de caractère, si mauvais soit-il, chez une jeune créature. Toutefois, heureux les parents qui n’ont pas permis à l’égoïsme et à la vertu (que ce soit sous la forme de la sincérité ou sous un autre nom) de s’affronter. Il est facile de donner une direction aux tendances d’un enfant ; il est terriblement difficile de modifier le caractère d’un homme.
5. Le mensonge de l’imagination et du jeu – dus à une imagination non nourrie – leçons pour dire la vérité. –
Je croisai un jour la petite Muriel au parc. L’enfant n’était pas tournée vers moi et je ne connaissais pas son amie. J’étais moi-même accompagnée, et je pensais que Muriel ne m’avait pas remarquée. La petite fille rentra chez elle et dit à sa mère que je l’avais embrassée et que je lui avais demandé des nouvelles de la famille. Quel pouvait être le motif de l’enfant ? Elle n’en avait aucun. Son imagination active avait répété le petit dialogue qui aurait pu avoir lieu le plus naturellement du monde, et ce dialogue était si réel pour elle qu’il masquait les faits. La réalité, la vérité, pour Muriel, était ce qu’elle imaginait avoir eu lieu. Elle n’avait probablement aucun souvenir des faits réels. Ce genre de manquement à la véracité verbale est excessivement fréquent chez les enfants imaginatifs, et nécessite une attention et un traitement rapides ; mais pas selon les lignes qu’un parent hâtif et vertueux pourrait être enclin à adopter. Il n’est pas ici question d’indignation morale. Ce sont les parents et non l’enfant qui sont en faute. Il est probable que l’imagination vorace de l’enfant ne soit pas dûment et quotidiennement alimentée par la nourriture qui lui convienne, des contes de fées dans les premiers temps, des romans plus tard. Laissons les enfants croire que les nuages de gloire qu’ils traînent, viennent de l’endroit où tout est possible, où toute chose agréable peut se produire. Reconnaissons que nos pauvres limites de temps et d’espace ainsi que les lois de la matière les irritent au plus haut point, et emprisonnent l’âme libre comme un oiseau sauvage dans une cage. Si nous refusons de donner à l’enfant des exutoires dans le domaine de la fantaisie, où tout est possible, le délicat Ariel de son imagination continuera à travailler, confiné dans nos limites étroites, sur nos pauvres tâches, et chaque parcelle de notre vie étroite sera rejouée avec mille variations susceptibles d’être plus vives et intéressantes que les piètres événements. Ces variantes seront par conséquent, plus susceptibles de rester dans la mémoire de l’enfant comme les faits qu’il rapportera quand on lui demandera de dire la vérité. Quel est le remède ? Donnez à l’enfant la possibilité d’entrer librement dans le royaume de l’imaginaire et d’y vivre dans la joie et l’abondance. Qu’il imagine chaque vallon peuplé de fées, chaque île habitée par un Robinson Crusoé. Qu’il dote chaque oiseau et chaque bête d’intérêts humains, dont il vous fera part lorsque la chère marraine fée arrive et fait les présentations. Soyons heureux et réjouissons-nous que tout soit possible aux enfants, reconnaissant, dans cet état qui est le leur, leur aptitude à recevoir, à croire et à comprendre les choses du royaume de Dieu, ce que, hélas !, nous ne pouvons plus faire. L’âge de la foi est un grand temps d’ensemencement, sans doute conçu spécialement, dans le plan Divin, pour que les parents puissent mettre leurs enfants à la portée des choses de l’Esprit avant que le contact avec le monde ne les ait matérialisées.
En même temps, plus l’enfant est imaginatif, plus il est essentiel que les limites du royaume de l’imaginaire soient clairement définies, et que l’on insiste sur l’exactitude de la vérité dans tout ce qui concerne le monde plus étroit où vivent les adultes. Il s’agit tout simplement d’une éducation soignée : des leçons quotidiennes sur l’exactitude des déclarations, sans aucun effroi ni indignation vertueuse à l’égard des inexactitudes, mais un encouragement chaleureux et affectueux à l’enfant qui délivre un long message avec précision, qui vous dit exactement ce que Miss Brown a dit et rien de plus, ce qui s’est passé à la fête de Harry sans aucunes fioritures. Chaque jour offre la possibilité d’une douzaine de petites leçons au moins, et, progressivement, la beauté plus sévère de la vérité apparaîtra à l’enfant dont l’âme est déjà possédée par la grâce de la fiction.
6. Mythomanie. – Nous n’avons pas grand-chose à dire à ce sujet, si ce n’est que nous conseillons aux parents de surveiller l’endroit où l’on ouvre la digue. Il ne fait aucun doute que cette condition est pathologique et qu’elle appelle un traitement curatif plutôt qu’une punition. Mais nous pensons qu’on ne devrait tout simplement pas laisser cette condition se développer. La jeune fille qui a su gagner l’estime pour ce qu’elle est vraiment et ce qu’elle fait vraiment n’est pas tentée de « faire semblant », et le garçon qui a trouvé un exutoire pour ses énergies, physiques et mentales, n’a plus d’énergie pour les “balivernes”. C’est une des situations qui montre combien il est important pour les parents de se familiariser avec cette frontière délicate de la nature humaine qui touche le matériel et le spirituel. Comment la pensée spirituelle et le cerveau matériel interagissent-ils ; comment le cerveau et les nerfs sont-ils interdépendants ; comment l’air frais et la nourriture saine affectent-ils l’état du sang qui nourrit les nerfs ; comment les nerfs peuvent-ils à nouveau exercer une influence tyrannique sur tout ce que nous incluons dans la « santé physique » ; ce sont des questions que le parent devrait connaître s’il veut éviter que la dégradation décrite comme mythomanie ne s’installe chez l’un de ses enfants.
Les signes de la mythomanie. – Il est bon que ceux qui s’occupent d’enfants connaissent un ou deux signes évidents de cette maladie mentale, comme le regard furtif que l’on jette sous des paupières mi-closes pour voir comment vous prenez tout cela, et le récit fluide, accompagné d’un regard préoccupé légèrement absent, qui indique que le locuteur est en train d’inventer les faits qu’il raconte.
Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les mensonges passagers, les mensonges proférés sous le coup de la terreur, ainsi que quelques autres types de mensonges qui semblent fréquents, comme les mensonges pour parader (la vantardise), les mensonges par négligence (l’inexactitude), et, pire que tout, les mensonges par malveillance (le faux témoignage).
Les enfants doivent être éduqués à dire la vérité. – Il est bon, cependant, d’attirer l’attention des parents sur ce sujet ; car, bien qu’un enfant puisse avoir plus d’aptitudes qu’un autre, ni la sincérité ni les tables de multiplication ne viennent de manière innée. L’enfant qui semble être parfaitement sincère l’est parce qu’il a été soigneusement formé à la vérité, même de manière indirecte et inconsciente. Il est plus important de cultiver l’habitude de la vérité que de s’occuper du risque du mensonge.
L’enseignement moral doit être aussi simple, direct et précis que l’enseignement intellectuel ; il doit être assorti de sanctions religieuses, stimulé par des impulsions religieuses, mais ne doit pas se limiter aux interdictions de la loi ni aux sanctions qui frappent le transgresseur.
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CHAPITRE 20 EN DÉFENSE DU POURQUOI
Les parents sont responsables de la compétitivité des examens
Nous nous demandons, pourquoi ? – Comme la bergeronnette de M. Ward Fowler, nous nous demandons depuis longtemps, Pourquoi ? Nous nous sommes demandé pourquoi des sous-vêtements en lin ? et voilà qu’ils tombent en désuétude. Nous nous sommes demandé pourquoi tous ces jupons ? et voilà qu’on n’en met plus. Nous nous demandons pourquoi ? à propos des tapis, des fauteuils et de tout ce qui accompagne une vie luxueuse, et il est probable qu’en 1910, seules quelques-unes de ces choses seront encore utilisées. Il est juste de s’intéresser à ce pourquoi pratique plutôt qu’à un problème du genre « Pourquoi la bergeronnette remue-t-elle la queue ?”. Ce dernier aboutit à de vaines suppositions et à un pseudo-savoir empli de vanité. Mais si le Pourquoi ? nous conduit à dire : « Parce que nous ne devrions pas ; alors faisons ce que nous devrions faire ». Ce genre de Pourquoi ? est un tisonnier ravivant un feu mourant.
Tom va à l’école pour avoir une bonne place en classe. – Pourquoi Tom Jones est-il envoyé à l’école ? Pour être éduqué, bien sûr, disent ses parents. Et Tom est envoyé à l’école avec le fervent espoir qu’il obtienne une bonne place. Mais jamais on ne mentionne les plaisirs de l’apprentissage, ou les mondes glorieux de la Nature et de la pensée auxquels, vraisemblablement, ses études devraient l’ouvrir. « Applique-toi à être un bon garçon et à avoir une bonne place en classe », disent ses parents à Tom le matin ; et sa petite âme s’anime d’un but précis. Il ne décevra pas son père, et sa mère sera fière de lui. Il sera le meilleur de sa classe. Il sera même le meilleur de toute l’école, il recevra des prix et d’autres choses, et ce sera très amusant ! Tommy ne dit rien de tout cela, mais sa mère le voit dans ses yeux et bénit le brave petit garçon. Tommy va donc à l’école, heureux, porté par les espoirs de son père et les bénédictions de sa mère.
Tom réussit ses « examens ». – Quelque temps après, arrive un bulletin de notes, qui est surtout satisfaisant parce que Tommy a gagné six places ; il avance encore dans le classement, il gagne des prix, des récompenses, et enfin des bourses. Avant d’avoir atteint l’âge de douze ans, Tommy est capable de payer l’ensemble de sa future scolarité grâce à son habileté dans cette industrie de la jeunesse populairement connue sous le nom d’Examens. Maintenant, il vise plus haut ; des « examens » toujours, mais des « examens » riches en possibilités, des « examens » qui lui permettront de poursuivre sa carrière universitaire. Son succès est à peu près certain, parce qu’on prend l’habitude de passer des examens comme si c’était un métier. Ses parents sont félicités, Tom est plus ou moins un héros à ses propres yeux et à ceux de ses camarades. Des examens pour toujours ! Hip, hip, hip ! Il n’y a jamais eu de moyen plus facile pour un jeune de se distinguer, à condition qu’il soit envoyé dans le monde en ayant hérité d’au moins un peu de l’intelligence de ses parents. Pour le garçon qui n’a pas cette chance – eh bien, il peut toujours aller dans les Colonies et cela fera de lui un homme.
Les filles font de même. – Les filles suivent de près. Le « Junior », le « Senior », le « Higher », l' »Intermediate », le « B.A. », et tout ce que vous voulez, marquent les étapes de la vie de la plupart des filles. C’est mieux, dites-vous, que de ne pas avoir de repères du tout. Incontestablement. Mais le fait que la réussite d’un examen, peu importe lequel, soit le but vers lequel la plupart de nos jeunes gens tendent avec une hâte fébrile et une anxiété injustifiée, peut nous amener à demander, Pourquoi ?
Tout d’abord, les gens vont rarement au-delà de leurs propres objectifs. Leur but est de réussir, pas de savoir ; « ils bachotent pour réussir, et non pour savoir, ils réussissent mais ils ne savent pas », dit M. Ruskin ; et la plupart d’entre nous qui connaissent le « candidat typique” admettront qu’il y a une part de vérité dans cette épigramme. Il y a, sans aucun doute, des gens qui réussissent et qui savent aussi, mais, même dans ce cas, on peut se demander si réussir est le moyen le plus direct, le plus simple, le plus naturel et le plus efficace d’acquérir des connaissances, ou si les personnes qui réussissent et qui savent ne sont pas ces esprits vifs et originaux qui feraient passer le chameau par le le chas d’une aiguille ou qui prendraient la lune avec leurs dents.
La tendance à réviser intensivement. – Si l’on excepte le magnifique pouvoir de résistance de l’esprit humain, qui garantit que la plupart des personnes restent inchangées après des périodes de révisions intenses, dépourvues de toute opinion à l’égard de quelque activité intellectuelle que ce soit, ces révisions intensives ont tendance à mettre en danger l’individualité, ce droit de naissance incomparablement précieux que chacun porte en nous. Le fait même qu’un examen soit public oblige tous ceux qui s’y présentent à étudier les mêmes choses et de la même façon.
Aucun choix quant aux matières ou à la manière d’étudier. – On prétendra que les études en dehors du programme d’examen ne sont soumises à aucune restriction, et que l’orientation des études peut être pleinement choisie, même dans le cadre du programme ; mais c’est une erreur. Quels que soient les examens publics auxquels se soumet une école, tout l’élan des élèves et du personnel tend vers la grande épreuve. En ce qui concerne la manière d’étudier, elle est décrétée par le style des questions posées dans une matière donnée ; et le style est souvent ennuyeux parce qu’il est plus facile et plus juste de donner des notes sur des faits précis que sur de simples ébullitions de fantaisie ou de génie. Il en résulte qu’il n’y a absolument aucun choix quant aux matières ou à la manière d’étudier pour la plupart des garçons et des filles qui vont à l’école, ni pour beaucoup de ceux qui travaillent à la maison. En effet, le confort d’un programme fixe est si grand que les parents comme les enseignants sont heureux de s’en accommoder.
La tyrannie des concours a le soutien des parents. – Il semble donc que le garçon soit asservi au maître d’école, le maître d’école à l’examinateur, et les parents se contentent d’approuver. Ne seraient-ils pas stupéfaits s’ils se retrouvaient dans cette histoire un peu comme l’homme qui a parlé en prose toute sa vie sans le savoir ? La tyrannie des concours bénéficie en grande partie du soutien des parents, mais pas complètement. Les enseignants font leur part avec courage. Mais, d’abord, les enseignants qui ne sont pas soutenus par les parents dans ce domaine n’ont aucun pouvoir ; ils ne peuvent présenter aucun candidat, à part leurs propres fils et filles. Ensuite, nous n’hésitons pas à dire que tout le système leur est imposé (même si ce n’est probablement pas contre leur volonté) à cause de certaines vilaines qualités de la nature humaine présentes chez les parents. L’ignorance, l’oisiveté, la vanité, l’avarice, ne sont pas attrayantes ; et si nous, qui avons foi dans les parents, avons la témérité de suggérer de telles parts d’ombres au père qui s’enorgueillit du succès de son garçon, nous ajouterons que ceux d’entre nous qui ne sont pas parents, sont encore plus à blâmer, qu’il est terriblement difficile d’aller à contre-courant des idées du moment et que « le mal est fait par manque de réflexion ».
Le mal réside dans la compétition. – L’ignorance est excusable, mais l’ignorance volontaire est coupable, et il est temps pour le parent attentif de faire son propre examen et de voir si, oui ou non, il est de son devoir de prendre position contre le système des examens compétitifs. Remarquez bien, le mal réside dans la compétition, pas dans l’examen lui-même. Si le vieil axiome est vrai, que l’esprit ne peut rien connaître d’autre que ce qu’il produit sous forme d’une réponse à une question qu’il s’est lui-même posé, il est relativement vrai que les connaissances transmises de l’extérieur doivent être testées de l’extérieur. Certainement, le travail sur un programme donné, testé par un examen final, est la condition d’une connaissance certaine et d’un progrès régulier. Tout ce que nous demandons, c’est que l’examen ne soit pas compétitif.
L’examen est nécessaire – mais il doit concerner toute l’école. – On dira qu’il est injuste de considérer comme compétitifs des examens publics tels que ceux des universités, examens qui ont fait beaucoup pour élever le niveau de l’éducation de la classe moyenne, surtout chez les filles, et qui ne débouchent ni sur un prix ni sur un classement. Ils sont rarement compétitifs, il est vrai, dans le sens d’une récompense extérieure pour le candidat chanceux ; mais, heureusement, nous ne sommes pas si éloignés de la droiture originelle qui veut que la Distinction soit sa propre récompense. L’élève est prêt à travailler, et à juste titre, pour l’honneur d’une réussite qui le distingue comme faisant partie de l’élite de son école. Les écoles elles-mêmes rivalisent pour savoir laquelle enverra le plus grand nombre de candidats et sortira avec le plus grand nombre d’honneurs, de bourses et autres. Ces distinctions font l’objet d’une grande publicité, et le parent qui cherche une école pour son garçon est tout à fait prêt à l’envoyer là où les chances de distinction sont les plus grandes. Les examens qui concernent toute l’école et où chaque garçon a sa place sur la liste, bonne ou mauvaise, sont autre chose ; bien que ces examens fassent également appel au principe d’émulation, il faut bien noter que ce n’est pas de façon excessive.
Les désirs primaires. – Mais pourquoi remettre en question une incitation au travail aussi utile que le concours ? Il y a certains faits que l’on peut attribuer à tout être humain qui n’est pas, comme disent les paysans, « défectueux ». Tout le monde veut s’élever ; quelle que soit la place que nous occupons, nous visons celle au-dessus. Tout le monde veut devenir riche, ou, en tout cas, plus riche ; que cette richesse que l’on choisisse d’acquérir soit de l’argent ou des œuvres d’art. Tout le monde cherche la compagnie de ses semblables ; si ce n’est pas le cas, nous le taxons de misanthrope et disons, pour utiliser une autre expression populaire et révélatrice, « Il n’est pas normal ». Nous voulons tous exceller, être meilleur que les autres, que ce soit lors d’une partie de tennis ou d’un examen. Nous voulons tous avoir accès à la connaissance, bien que certains d’entre nous se contentent de connaître les affaires de leurs voisins, tandis que d’autres aimeraient volontiers connaître le mouvement des astres. Nous voulons tous, du sergent en galons au commandant décoré, que les gens aient une bonne opinion de nous. Or, les différents désirs de pouvoir, de richesse, de socialisation, d’excellence, de connaissance, d’estime, sont les premiers ressorts de l’action de tout être humain. Touchez l’un d’eux, chez le sauvage ou le savant, et vous ne manquerez pas d’obtenir une réponse. Le moujik russe assiège un voyageur de questions sur les pays qu’il a vus, parce qu’il veut savoir. Le petit garçon risque ses billes en jouant parce qu’il veut en gagner. La crémière met un ruban neuf parce qu’elle veut être admirée, et que c’est la seule forme d’estime qu’elle connaisse. Tom conduit quand les enfants jouent aux chevaux parce qu’il veut dominer. Maud travaille d’arrache-pied pour son examen parce qu’elle veut exceller, et que “réussir » est la marque de l’excellence, c’est-à-dire de ceux qui excellent.
Ni vertueux ni vicieux. – Ces désirs ne sont ni vertueux ni vicieux. Ils nous sont communs et nécessaires à tous, et semblent jouer le même rôle envers notre être spirituel que les appétits envers notre existence matérielle ; c’est-à-dire qu’ils stimulent chez nous l’effort constant qui est la condition du progrès et, en même temps, la condition de la santé. Nous savons à quel point stagne l’âme qui pense que rien ne mérite un effort.
Ils incitent à l’effort. – Il est bien médiocre celui qui se satisfait d’être battu à chaque fois. Nous ne contestons pas plus le principe de l’émulation que celui de la respiration. L’un est aussi naturel et aussi nécessaire que l’autre, et aussi peu susceptible d’être jugé moralement. Mais il est de la responsabilité de l’éducateur de reconnaître qu’un enfant vient au monde avec plusieurs cordes à son arc ; et que le jeu perpétuel sur une seule corde pendant toutes les années de l’adolescence est un mal, non pas parce que l’émulation est un principe vicieux, mais parce que l’équilibre du caractère est détruit par la stimulation constante de ce seul désir aux dépens des autres.
La curiosité est aussi puissante que l’émulation. – Le principe divinement implanté de la curiosité est tout aussi fort, tout aussi naturel, tout aussi certain d’éveiller une réaction dans la jeune âme. L’enfant veut savoir ; inlassablement, désespérément ; il pose toutes sortes de questions sur tout ce qu’il rencontre, il harcèle ses aînés et ses maîtres, et on lui dit parfois de ne pas déranger, d’être un bon garçon et de ne pas poser de questions. Mais la plupart du temps, nous nous efforçons de répondre aux questions de Tommy dans la mesure de nos moyens, et nous sommes tristement honteux d’être si vite dépassés par son insatiable curiosité pour les objets et les phénomènes naturels. Tommy a sa récompense.
L’étendue des connaissances d’un enfant. – L’exploit éducatif le plus surprenant accompli au sein de la famille est la masse de connaissances, sur tout ce qui est à sa portée, que Tommy a acquis à la fin de sa sixième année. “Il en sait autant que moi sur ceci, cela, et d’autres choses encore”, dit son père étonné et admiratif. Emmenez-le au bord de la mer et, en une semaine, il vous dira tout sur la pêche au chalut et au maquereau, sur les habitudes des pêcheurs et sur tout ce que son esprit curieux peut découvrir par lui-même. Il vous parlera de sable, de coquillages, de marées et de vagues, mais, pauvre petit garçon, il a besoin d’aide pour acquérir ce genre de connaissances, et il n’y a personne pour les lui donner. Cependant, il découvre tout ce qu’il peut sur tout ce qu’il voit et entend, et accumule une quantité surprenante de connaissances exactes sur les choses et leurs propriétés.
Pourquoi l’écolier n’est-il plus curieux. – Lorsque Tommy va à l’école, ses parents se trouvent soulagés de ses incessants Pourquoi ? Ils sont probablement si heureux d’être libérés qu’il ne leur vient pas à l’esprit de se demander pourquoi Tommy ne se demande plus Pourquoi ? Jusqu’à maintenant, la Nature était en action. Elle était autorisée à stimuler le désir le plus apte à favoriser sa croissance mentale, tout comme, si on la laissait faire, elle lui donnerait cet appétit vigoureux qui devrait favoriser sa croissance physique. Elle l’a fait à sa manière. Le désir de savoir est le ressort d’action le plus actif dans l’enfance de Tommy. Mais ensuite il va à l’école. La connaissance est un pur plaisir pour Tommy. Laissez ses leçons le toucher en fonction de sa nature – et non en fonction de certains sujets d’enseignement – et le petit garçon n’a pas le choix. Il ne peut s’empêcher d’apprendre et d’aimer apprendre, « parce que c’est dans sa nature ».
Cette tâche de présenter à Tommy des connaissances conformes à sa nature est cependant difficile et délicate. Aucun maître d’école, pas plus que n’importe quel parent, n’est disposé à donner à Tommy ce qu’il désire en matière de connaissances essentielles. Ainsi, il était une fois, supposons-le, un pédagogue à qui l’on découvrit une voie nouvelle et plus facile. Le matin, le pauvre homme fut déconcerté par les questions des garçons qui voulaient savoir. Comment un homme, qui avait si bien réussi ses études, pouvait-il satisfaire ces intelligences avides ? Dans un rêve, il fut révélé à Cognitus qu’il existait une autre voie, plus facile. Le désir de connaissance n’est pas le seul désir dans le cœur des enfants.
Chaque garçon veut exceller. – De la même façon qu’il veut savoir, il veut exceller, faire mieux que les autres. “Chacun d’entre eux veut être le premier d’une manière ou d’une autre – le premier dans les jeux, sinon en classe. » Or, Cognitus était un philosophe ; il savait qu’en règle générale, un seul désir est suprêmement actif à un moment donné dans le cœur d’un garçon ou d’un homme. Suscitez leur émulation et que tous fassent la même chose de la même manière pour voir qui y arrive le mieux. Les garçons ne voudront plus savoir ; ils recevront leur part d’apprentissage de manière régulière, et ils s’en sortiront vraiment mieux que s’ils étaient animés par l’esprit de recherche en constante ébullition. Eurêka ! Une découverte ; l’honneur et la renommée pour le maître et les garçons – pas besoin de coups de bâton ou de sanctions car l’émulation est la meilleure des disciplines – et un travail régulier et tranquille, sans aucune excursion fatigante dans de nouveaux domaines auxquels conduit la soif de connaissance. « Comme les parents seront contents », dit Cognitus, car il sait que l’amour paternel, de temps en temps, se nourrit dans la vanité paternelle, et que l’enfant qui réussit est aimé.
Il est plus facile de stimuler l’émulation que la curiosité. – Qui sait, le visionnaire Cognitus a peut-être vu en rêve les bourses d’études et les récompenses financières qui aideront à remplir la poche de Paternus, ou, en tout cas, en diminueront les pertes. Voici, en effet, une meilleure voie, sur laquelle Paternus et Cognitus pourraient bien consentir à marcher ensemble. Tout le monde est heureux, tout le monde est content, personne ne s’inquiète, l’enfant a beaucoup appris. Que voulez-vous de plus ? Juste une chose, honorable Cognitus : ce vif désir de connaissance, ce Pourquoi ? incessant avec lequel Tommy est entré à l’école, et grâce auquel il aurait dû conserver sa curiosité au sujet de toutes les choses bonnes, grandes et sages tout au long des années qui lui ont été données pour poser les bases de son caractère, les années de sa jeunesse.
Mais le garçon n’est plus intéressé par la connaissance. – Nous ne savons pas tout au sujet de Cognitus, mais nous sommes à peu près sûrs qu’il a abouti à ce résultat par un consensus d’opinion, et sur l’insistance des parents. Personne n’est à blâmer pour un état de choses qui constitue un énorme progrès par rapport à ce qui existait auparavant. Seulement, les connaissances progressent, et il est grand temps de reconsidérer nos principes éducatifs et de refondre nos méthodes. Nous devons absolument nous débarrasser du système des concours si nous ne voulons pas être réduits à l’effroyable médiocrité que nous voyons, en Chine, par exemple, s’abattre sur un empire soumis à ce genre d’examens.
Un empire dominé par les examens. – Il est probable que le monde n’ait jamais vu de meilleurs pédagogues que ceux qui dirigent actuellement nos écoles, tant de garçons que de filles. Mais l’originalité, l’esprit d’initiative de ces hommes et de ces femmes très compétents sont pratiquement inutilisés. Les écoles sont dominées par les examens, et les chefs d’établissement ne peuvent pas opérer de grands changements. Commençons par croire les uns en les autres, les parents dans les enseignants et les enseignants dans les parents. Les parents et les enseignants n’ont qu’un seul désir, celui de faire progresser le caractère de l’enfant. Tous gémissent sous les limites du système actuel. Ayons courage, ainsi une action unie et concertée renversera ce Juggernaut que nous avons créé.
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CHAPITRE 21 PLAN D’UNE THÉORIE DE L’ÉDUCATION PROPOSÉ AUX PARENTS
Chaque classe de la société doit avoir son idéal. – L’une des déclarations perspicaces de M. Matthew Arnold peut nous aider à redéfinir la portée et les méthodes de l’éducation. Dans A French Eton (page 61), il dit : « L’éducation de chaque classe de la société a, ou devrait avoir, son idéal, déterminé par les besoins de cette classe et par ce à quoi elle est destinée. On peut imaginer une société si uniforme qu’une seule éducation conviendrait à tous ses membres ; nous n’avons pas de société de ce genre, pas plus qu’aucun pays européen. […] Si l’on considère la société anglaise à l’heure actuelle, on peut dire que l’idéal que doit suivre l’éducation de chacune de ses classes, le but que l’éducation de chacune d’elles doit particulièrement s’efforcer d’atteindre, est différent.”
Cette remarque, qui nous laisse sceptiques, nous aide, néanmoins, à définir notre position. Dans cette question de la différenciation des classes, nous pensons avoir des bases scientifiques suffisantes pour nous permettre d’établir notre propre ligne de pensée. Les Pères (pourquoi n’aurions-nous pas des Pères pédagogues aussi bien que des Pères théologiens ?) ont élaboré, pour la plupart, leur pensée éducative en pensant d’abord aux enfants des pauvres.
Les enfants pauvres ont besoin d’un vocabulaire étendu. – Comme les enfants auxquels il avait affaire avaient un vocabulaire limité et un pouvoir d’observation non exercé, Pestalozzi leur a appris à voir, puis à dire : « Je vois un trou dans le tapis. Je vois un petit trou dans le tapis. Je vois un petit trou rond dans le tapis. Je vois un petit trou rond avec un bord noir dans le tapis », et ainsi de suite ; et un tel entraînement peut effectivement être bon pour ces enfants. Mais qu’en est-il des enfants dont nous nous occupons ? Nous croyons aujourd’hui, sur des bases scientifiques, à la doctrine de l’hérédité, et il est certain que, dans ce domaine, l’expérience confirme nos idées.
Ce n’est pas le cas des enfants de parents lettrés. – Punch a mis le doigt sur cet état de choses. « Viens voir la tchou-tchou, mon chéri.” « Tu veux dire la locomotive, grand-mère ?”. En réalité, l’enfant de quatre ou cinq ans a un vocabulaire courant plus étendu et plus précis que celui de ses aînés, et il enrichit constamment ce vocabulaire avec une rapidité surprenante ; par conséquent, enrichir le vocabulaire d’un enfant de cette classe sociale ne fait pas partie de son éducation directe. Encore une fois, nous savons que rien n’échappe à l’observation attentive des petites personnes. Ce ne sont pas leurs facultés de perception que nous devons former, mais l’habitude de l’observation méthodique et de l’enregistrement précis.
Des générations de labeur physique ne sont pas propices au développement de l’imagination. Il peut donc être utile d’apprendre des jeux aux enfants des classes ouvrières, de leur faire jouer des petites pièces de théâtre, jusqu’à ce que, peut-être, ils soient capables d’inventer eux-mêmes ces petites pièces !
C’est valable pour l’imagination. – Mais pour les enfants des classes cultivées – le danger pour eux est plutôt de vivre excessivement dans le monde de l’imaginaire. Une seule phrase d’une leçon ou d’une conversation, la moindre esquisse d’un personnage historique, et ils y joueront pendant une semaine, inventant des incidents sans fin. Comme Tennyson, lorsqu’il était enfant, ils raconteront pendant des semaines le siège et la défense d’un château (représenté par un monticule, avec des bâtons pour la garnison) ; et un enfant absorbé par ces intérêts plus larges ressent une perte sensible de dignité lorsqu’il bat des ailes comme un pigeon ou sautille comme un agneau, bien que, sans aucun doute, il fasse ces choses avec plaisir pour le professeur qu’il aime. Chez les enfants de parents instruits, l’imagination est avide de nourriture et non pas avide de culture, et l’éducation n’a pas à se préoccuper directement, pour eux, du développement des pouvoirs de conception. Ensuite, en ce qui concerne les pouvoirs de raisonnement de l’enfant, la plupart des parents ont fait des expériences de ce genre. Tommy a cinq ans. Sa mère lui a parlé du câble de l’Atlantique et lui a dit qu’elle ne savait pas comment il était isolé ; Tommy a fait remarquer le lendemain matin qu’il y avait pensé et que l’eau elle-même était peut-être un isolant. Loin d’avoir besoin de développer les facultés de raisonnement de leurs enfants, la plupart des parents disent : « Oh, que les dieux nous donnent ce don » – de pouvoir répondre à l’éternel « pourquoi » de l’enfant intelligent.
Le développement des facultés est important pour les enfants ignorants et déficients. – En un mot, le développement de ce qu’on appelle les facultés de l’enfant est le principal travail de l’éducation lorsqu’il s’agit d’enfants ignorants ou autrement déficients ; mais les enfants de parents instruits ne sont jamais ignorants dans ce sens. Ils s’éveillent au monde, avides de connaissances, et avec des facultés aiguisées ; aussi le principe de l’hérédité nous oblige à revoir notre idée du rôle de l’éducation, et à reconnaître que l’enfant de parents intelligents naît avec un héritage de facultés qui se développent d’elles-mêmes.
Mais pas pour les enfants de parents éduqués. – L’éducation se divise donc naturellement entre l’éducation des enfants de parents lettrés et l’éducation des enfants de parents non lettrés. En fait, cette question de classe, que nous sommes tous désireux d’éluder dans la vie courante, se pose concrètement dans l’éducation. Il est nécessaire de personnaliser et de dire que telle partie de l’éducation est la plus importante pour cet enfant ou cette classe, mais qu’elle n’est pas la priorité pour un autre enfant ou une autre classe.
L’éducateur doit former des habitudes. – Si la science limite notre champ d’action en ce qui concerne le développement des soi-disant facultés, elle l’étend dans la même mesure concernant les habitudes. Nous n’avons pas ici de nouvelle doctrine à proclamer. « L’habitude triomphe d’une autre habitude », disait Thomas a Kempis, et c’est tout ce que nous avons à dire ; seulement, les physiologistes nous ont fait comprendre la raison d’être de cette loi de l’habitude. Nous savons que former chez son enfant de bonnes habitudes de pensée et de comportement est le principal devoir d’un parent, et que cela peut être fait pour chaque enfant de manière définitive et dans des limites de temps données. Mais cette question a déjà été traitée, et nous n’avons pas besoin de faire plus que de rappeler aux parents ce qu’ils savent déjà.
Nourrir d’idées. – Nourrir quotidiennement un enfant d’idées aimantes, justes et nobles est, à notre avis, l’autre devoir des parents. L’enfant, une fois qu’il a reçu l’Idée, l’assimile à sa manière et l’intègre dans le tissu de sa vie ; et une seule phrase prononcée par sa mère peut lui donner une disposition qui fera de lui, ou tendra à faire de lui, un peintre ou un poète, un homme d’État ou un philanthrope. L’objet des leçons devrait être essentiellement double : former l’enfant à certaines habitudes mentales, telles que l’attention, la précision, la rapidité, etc., et le nourrir d’idées qui pourront porter des fruits dans sa vie.
Nos principaux objectifs. – Il y a d’autres principes d’éducation que nous gardons à l’esprit et que nous appliquons, mais pour le moment il vaut la peine de nous concentrer sur le fait qu’un de nos objectifs est d’accentuer l’importance de l’éducation dans les deux domaines de la formation des habitudes et de la présentation des idées ; et, comme corollaire, de reconnaître que le développement des facultés n’est pas un point capital pour les classes cultivées, parce que c’est un travail qui a été fait pour leurs enfants au cours d’une génération antérieure.
Nous reconnaissons les principes matériels et spirituels de la nature humaine. – Mais comment tout cela fonctionne-t-il ? Est-ce concret ? Est-ce une question d’actualité ? Elle est nécessairement concrète parce qu’elle reconnaît pleinement les deux principes de la nature humaine, le matériel et le spirituel. Nous sommes prêts à admettre tout ce que le biologiste le plus avancé affirmerait. S’il dit : « La pensée n’est qu’une forme de mouvement”, nous n’en sommes pas surpris. Nous savons que quatre-vingt-dix-neuf pensées sur cent qui nous traversent l’esprit sont involontaires, le résultat inévitable de ces modifications du tissu cérébral que l’habitude a installées. L’homme méchant a des pensées méchantes, l’homme magnanime de grandes pensées, parce que nous pensons tous comme nous avons l’habitude de penser, et la Physiologie nous montre pourquoi. D’autre part, nous reconnaissons que l’esprit qui est en nous est plus grand que la matière qu’il gouverne. Toute habitude a son commencement. Le commencement, c’est l’idée qui vient avec un émoi et qui prend possession de nous.
Nous reconnaissons l’Éducateur Suprême. – L‘idée est la force motrice de la vie, et c’est parce que nous reconnaissons la puissance spirituelle de l’idée que nous nous inclinons avec révérence devant le fait que Dieu le Saint-Esprit est Lui-même l’Éducateur Suprême, s’occupant de chacun de nous séparément dans les choses que nous appelons sacrées et celles que nous appelons profanes. Nous sommes ouverts à l’impact spirituel des idées, qu’elles nous parviennent par la page d’un livre, la voix humaine, ou par des signes invisibles.
Les études ont de la valeur dans la mesure où elles présentent des idées fructueuses. – Mais les idées peuvent être bonnes ou mauvaises ; et choisir entre les idées qui se présentent est, comme on nous l’a enseigné, la seule responsabilité de l’être humain. C’est le pouvoir de choisir ce que nous voulons donner à nos enfants. Nous nous demandons : « Y a-t-il une idée féconde qui sous-tend telle ou telle étude dans laquelle les enfants sont engagés ? ». Nous ne croyons plus que le développement des facultés soit la priorité ; et un « sujet » qui n’est pas issu d’une grande pensée de la vie, sera habituellement rejeté comme n’étant pas nourrissant, pas fructueux ; tandis que nous conserverons généralement les études qui forment les habitudes d’une pensée claire et ordonnée. Il y a des gymnastiques de l’esprit dont l’objet est d’exercer ce que nous appelons les facultés, ainsi que de nous former à l’habitude d’une pensée claire et ordonnée. Les mathématiques, la grammaire, la logique, etc., ne sont pas purement disciplinaires ; elles développent le muscle intellectuel. Nous ne rejetons nullement les sujets habituels de l’éducation, mais nous les apprécions bien plus pour les traces d’habitudes intellectuelles qu’ils laissent dans le tissu cérébral que pour leur valeur dans le développement de certaines « facultés ».
La connaissance de la Nature. – Ainsi, notre première pensée en ce qui concerne la connaissance de la Nature est que l’enfant devrait avoir une connaissance personnelle vivante des choses qu’il voit. Il nous importe davantage qu’il sache distinguer les bistortes des persicaires, l’épervière du pissenlit, qu’il sache où trouver telle ou telle chose et comment elle se présente, vivante et en croissance, que de parler d’épigyne et d’hypogyne. Tout cela a sa place, mais devrait venir plus tard, après que l’enfant ait vu et étudié la chose vivante in situ, et qu’il ait copié la couleur et la forme du mieux qu’il pouvait.
Les leçons de choses. – Ainsi en est-il des leçons de choses : nous ne tenons pas à développer son sens de l’observation sur des fragments de choses diverses, qu’il qualifiera d’opaque, de cassant, de malléable, etc. Nous préférons éviter d’émousser ainsi sa curiosité et le laisser réceptif et respectueux pour ces occasions de poser des questions et d’engager la conversation avec ses parents sur l’écluse de la rivière, la faucheuse, le champ labouré, qui offrent une vraie graine à l’esprit de l’enfant et n’en font pas un petit prétentieux capable de tout raconter.
Nous avons une grande confiance dans les bons livres. – Une fois de plus, nous savons qu’il existe un patrimoine de pensées dans lequel nous trouvons toutes les grandes idées qui ont changé le monde. Nous tenons par-dessus tout à donner la clé de ce patrimoine à l’enfant. L’éducation actuelle, dit-on, ne crée pas de lecteurs. Nous sommes déterminés à ce que les enfants aiment les livres, c’est pourquoi nous ne nous interposons pas entre le livre et l’enfant. Nous lui lisons ses Tanglewood Tales et, lorsqu’il est un peu plus âgé, ses Vies de Plutarque, sans les découper ou les diluer, afin que l’esprit de l’enfant puisse absorber ce qui lui est présenté comme il le peut.
Nous n’admettons pas la « nature enfantine ». – Nous nous efforçons de faire en sorte que notre enseignement et notre manière de nous occuper des enfants soient conformes à la nature, leur nature et la nôtre, car nous n’admettons pas ce que l’on appelle la « nature enfantine ». Nous croyons que les enfants sont des êtres humains dans ce qu’ils ont de meilleur et de plus charmant, mais aussi dans ce qu’ils ont de plus faible et de moins sage. Nous veillons à ne pas diluer la vie pour eux, mais à leur en présenter des portions en quantités telle qu’ils puissent les recevoir sans peine.
Nous tenons à l’individualité : nous tenons compte de la proportion. – En un mot, nous sommes inébranlables en ce qui concerne la dignité et l’individualité de nos enfants. Nous reconnaissons une croissance constante et régulière, sans étapes de transition. Cet enseignement est d’actualité, mais il est aussi vieux que le bon sens. Nous affirmons que notre bon sens repose sur une base physiologique, que nous donnons une raison à tout ce que nous faisons, et que nous reconnaissons « la science de la proportion des choses », que nous mettons la priorité sur l’essentiel, que nous n’essayons pas d’en faire trop, mais que nous laissons du temps et de la place pour que la Nature, ainsi qu’une Puissance supérieure à la Nature, puissent faire leur travail.
Nous pensons que les enfants ont droit à la connaissance. – Un autre principe permet de les guider et de les stimuler. Nous ne disputons pas à Kant le fait que l’esprit possède certaines connaissances a priori, ni à Hume qui affirme que l’esprit détient des idées innées. La proposition la plus satisfaisante semble être que l’esprit a, pour ainsi dire, des adaptations préhensiles à chaque domaine de la connaissance universelle. Nous constatons que les enfants s’emparent avec avidité de toutes les connaissances qui leur sont présentées, et nous soutenons donc qu’un programme d’études large et généreux leur est dû.
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CHAPITRE 22 UN CATÉCHISME DE LA THÉORIE DE L’ÉDUCATION
Le caractère est un accomplissement. – La philosophie qui sous-tend tout projet éducatif ou social étant réellement la partie essentielle de ce projet, il serait bon d’exposer, si modestement que ce soit, quelques fragments de la pensée sur laquelle nous avons fondé notre enseignement.
Nous croyons –
Que les dispositions, l’intelligence, le génie, sont naturels.
Que le caractère est un accomplissement, le seul accomplissement pratique possible pour nous-mêmes et pour nos enfants.
Que tout progrès réel, dans la famille, l’individu ou la nation, se fait suivant le caractère.
Que, par conséquent, l’éducation a pour mission principale de diriger et d’aider l’évolution du caractère.
Mais peut-être pouvons-nous préciser notre pensée en formalisant un peu de l’enseignement de l’Union :
Caractère et disposition.
L’origine de la conduite. – Qu’est-ce que le caractère ?
Le résultat ou le résidu de la conduite.
C’est-à-dire qu’un homme est ce qu’il est en fonction des pensées qu’il s’est autorisé, des paroles qu’il a prononcées, des actes qu’il a accomplis.
Comment la conduite se forme-t-elle ?
Généralement, par nos modes de pensée habituels. Nous pensons comme nous avons l’habitude de penser, et, par conséquent, nous agissons comme nous avons l’habitude d’agir.
Comment, encore une fois, se forment ces habitudes de pensée et d’action ?
Le plus souvent, en fonction des dispositions héréditaires. L’homme qui est généreux, obstiné, colérique, pieux, l’est, en général, parce que ce trait de caractère est présent dans sa famille.
Les moyens de modifier ces dispositions. – Existe-t-il des moyens de modifier les dispositions héréditaires ?
Oui ; le mariage, pour la race humaine ; l’éducation, pour l’individu.
L’histoire d’une habitude.
Comment corriger une mauvaise habitude qui trouve son origine dans une disposition héréditaire ?
Par la bonne habitude contraire : comme l’a dit Thomas a Kempis, « on triomphe d’une habitude par une autre habitude ».
La genèse d’une habitude. – Retracez la genèse d’une habitude.
Tout acte procède d’une pensée. Toute pensée modifie quelque peu la structure matérielle du cerveau. C’est-à-dire que la substance nerveuse du cerveau se forme suivant les pensées que nous pensons. L’habitude de l’acte découle de l’habitude de la pensée. La personne qui pense : « Oh, ça ira », « Oh, ça n’a pas d’importance », prend l’habitude d’un travail négligé et imparfait.
Correction de la mauvaise habitude. – Comment peut-on corriger une telle habitude ?
En introduisant la ligne de pensée contraire, qui conduira à l’action contraire. “Il faut faire ceci correctement, parce que… »
Suffit-il de penser une seule fois à cette idée ?
Non, le stimulus de l’idée nouvelle doit être appliqué jusqu’à ce qu’elle se sente, pour ainsi dire, chez elle dans le cerveau, et qu’elle surgisse involontairement.
Pensée involontaire.
Qu’entendez-vous par pensée involontaire ?
Le cerveau travaille sans cesse, il pense toujours, ou plutôt il est toujours sollicité par la pensée, comme le sont les touches d’un instrument par les doigts d’un musicien.
La personne a-t-elle conscience de toutes les pensées que le cerveau élabore ?
Non, seulement de celles qui sont nouvelles et « marquantes ». L’ancienne « façon de penser » familière vit dans le cerveau sans que le penseur en ait conscience.
La conduite dépend de la cérébration inconsciente. – Quel nom donne-t-on à cette pensée inconsciente ?
La cérébration inconsciente (ou involontaire).
Pourquoi est-elle importante pour l’éducateur ?
Parce que la plupart de nos actions émanent des pensées dont nous ne sommes pas conscients, ou, en tout cas, qui sont involontaires.
Existe-t-il un moyen de modifier la tendance de la cérébration inconsciente ?
Oui, en la détournant vers un nouveau canal.
La « cérébration inconsciente » de l’enfant gourmand se porte sur les gâteaux et les sucreries : comment y remédier ?
En introduisant une nouvelle idée – le plaisir de faire plaisir à quelqu’un avec ces bonnes choses, par exemple.
Les ressorts de l’action.
L’enfant avide est-il capable de recevoir une telle idée nouvelle ?
Très certainement ; car la bienveillance, le désir de faire du bien aux autres, est un des ressorts d’action de tout être humain qu’il suffit de solliciter pour nous faire agir.
Donnons un exemple de cela.
Bienveillance. – Mungo Park, mourant de soif, de faim et de fatigue dans un désert africain, se trouva à proximité d’une tribu cannibale. Il se donna pour perdu, mais une femme de la tribu le trouva, eut pitié de lui, lui apporta du lait, le cacha et le nourrit jusqu’à ce qu’il soit rétabli et puisse prendre soin de lui-même.
Existe-t-il d’autres ressorts d’action que l’on puisse actionner avec efficacité chez tout être humain ?
Oui, il y a ainsi le désir de connaissance, de socialisation, de distinction, de richesse ; l’amitié, la gratitude, et bien d’autres encore. En fait, pour inciter un être humain à une conduite qui soit bonne et noble, il est nécessaire d’actionner un ressort sensible.
Comment, alors, l’être humain peut-il faire le mal ?
Malveillance. – Parce que les bons sentiments ont leur contraire, les mauvais sentiments, des ressorts qui attendent eux aussi d’être actionnés. La malveillance s’oppose à la bienveillance. Il est facile d’imaginer que la femme sauvage imprévisible aurait été parmi les premières à dévorer l’homme dont elle prit soin, si l’un des membres de sa tribu avait stimulé les pulsions de violence qu’elle portait en elle.
Face à ces pulsions intérieures, quel est le devoir de l’éducateur ?
Se familiariser avec les ressorts d’action de l’être humain, et les exploiter avec tant de sagesse, de tendresse et de modération que l’enfant sera insensiblement conduit vers les habitudes d’une vie juste.
Les habitudes d’une vie juste.
Les habitudes des personnes « bien élevées ». – Nommez quelques-unes de ces habitudes.
La diligence, la révérence, la douceur, la sincérité, la promptitude, la propreté, la courtoisie ; en fait, les vertus et les grâces qui appartiennent aux personnes qui ont été « bien élevées ».
Suffit-il de stimuler une fois une impulsion, par exemple la curiosité ou le désir de connaissance, pour que l’habitude s’installe ?
Non ; le stimulus doit être répété et l’action doit être exécutée à maintes reprises avant que l’habitude ne se forme.
Quelle erreur courante les gens commettent-ils en ce qui concerne la formation des habitudes ?
Ils autorisent les écarts ; ils apprennent à un enfant à « fermer la porte derrière lui » vingt fois, et lui permettent de la laisser ouverte la vingt-et-unième fois.
Avec quel résultat ?
Le travail doit être recommencé, car la croissance du tissu cérébral en fonction de la nouvelle habitude (formation des connexions cellulaires) a été perturbée. Le résultat est à peu près le même lorsque le processus de régénération des tissus qui referme une plaie est perturbé.
Il faut donner du temps à la formation d’une habitude. – L’éducateur devrait donc « se donner du temps » pour former des habitudes ? Combien de temps faut-il pour guérir une mauvaise habitude et former la bonne habitude contraire ?
Peut-être qu’un mois ou six semaines de traitement attentif et incessant peuvent suffire.
Mais un tel traitement n’exige-t-il pas une quantité impossible de soins et de vigilance de la part de l’éducateur ?
Oui, mais pas plus que pour la guérison de certaines maladies corporelles comme la rougeole ou la scarlatine par exemple.
Les pensées et les actions d’un être humain pourraient donc être régulées mécaniquement, pour ainsi dire, en établissant les bonnes connexions nerveuses dans le cerveau ?
Cela n’est vrai que dans la mesure où il est vrai de dire que les touches d’un piano produisent de la musique.
Les pensées se succèdent. – Mais les pensées, qui peuvent être représentées par les doigts du musicien, ne suivent-elles pas aussi leur cours sans que le penseur en ait conscience ?
Elles le font effectivement ; ce ne sont pas de simples songes, vagues et sans conséquence, mais des pensées qui se succèdent avec plus ou moins de logique, selon l’entraînement préalable du penseur.
Pouvez-vous illustrer cela ?
On sait que les mathématiciens réfléchissent à des problèmes complexes dans leur sommeil, que les bardes improvisent, que les auteurs “produisent » sans préméditation, sans intention délibérée d’écrire telle ou telle chose. Les pensées s’enchaînent selon l’habitude de penser qui s’est installée préalablement dans le cerveau du penseur.
Vers de nouveaux développements. – Est-ce que les pensées tournent autour d’un sujet comme un cheval dans un moulin ?
Non ; plutôt comme un cheval qui tire un chariot le long de la même route, mais dans un paysage toujours changeant.
La pensée initiale. – Si l’on suit cette logique, l’important serait donc de savoir comment on commence à penser sur tel ou tel sujet ?
Précisément ; la pensée ou la suggestion initiale touche en quelque sorte le ressort qui met en mouvement une succession, ou un train d’idées, qui peut être sans fin ; des pensées qui sont, pour ainsi dire, élaborées dans le cerveau presque sans que le penseur en ait conscience.
Ces pensées, ou ces idées successives, sont-elles aléatoires ou permettent-elles de tirer une conclusion ?
Elles aboutissent à la conclusion logique qui doit résulter de l’idée initiale.
La puissance de raisonnement peut donc être mise en œuvre involontairement ?
Oui, la seule préoccupation de cette puissance est, apparemment, de tirer la conclusion rationnelle de toute idée qui lui est présentée.
Cela permet de tirer des conclusions logiques. – Mais ce pouvoir d’arriver presque inconsciemment à des conclusions logiques et rationnelles n’est-il pas le résultat de l’éducation et, plus probablement, de générations cultivées ?
Il existe à un degré plus ou moins grand selon le degré de discipline et d’exercice ; mais il n’est nullement le résultat de l’éducation telle que le mot est communément compris : en témoigne l’anecdote suivante.
« Alors que le capitaine Head traversait les pampas de l’Amérique du Sud, son guide l’arrêta soudain et, pointant son doigt vers le ciel, s’écria : « Un lion ! ». Surpris par une telle exclamation, accompagnée d’un tel geste, il leva les yeux et perçut avec difficulté, à une hauteur incommensurable, un groupe de condors, planant en cercle à un endroit particulier. Sous ce groupe, hors de sa vue et de celle du guide, se trouvait la carcasse d’un cheval, et au-dessus de cette carcasse se tenait, comme le guide le savait bien, un lion, que les condors regardaient avec envie depuis leur hauteur dans les airs. Le signal des oiseaux était pour lui ce que la seule vue du lion aurait été pour le voyageur – une pleine assurance de sa présence. Voici un acte de pensée qui n’a posé aucun problème au penseur, qui lui a été aussi facile que de lever les yeux au ciel, mais qui, pour nous, peu habitués à ce phénomène, aurait exigé de nombreuses étapes et un certain travail de réflexion.”
La « raison » agit sans volonté. – Ce qu’on appelle la « raison » est-elle donc innée chez les êtres humains ?
Oui, elle est innée et s’exerce sans volonté de la part de chacun, mais elle gagne en puissance et en précision à mesure qu’elle est cultivée.
Elle n’est pas un guide de conduite infaillible. – Si la raison, surtout la raison entraînée, arrive à la bonne conclusion sans aucun effort de volonté de la part du penseur, serait-elle en pratique un guide de conduite infaillible ?
Au contraire, la raison est vouée à poursuivre une suggestion jusqu’à sa conclusion logique. Une grande partie de l’histoire des persécutions religieuses et des querelles familiales et internationales repose sur la confusion qui existe dans la plupart des esprits entre ce qui est logiquement inévitable et ce qui est moralement juste.
Mais selon cette doctrine, toute théorie, quelle qu’elle soit, pourrait être considérée comme logiquement inévitable ?
Exactement ; l’idée initiale une fois reçue, la difficulté est, non pas de prouver qu’elle est défendable, mais d’empêcher l’esprit de prouver qu’elle l’est.
Pouvez-vous illustrer ce point ?
L’enfant qui se laisse aller à la jalousie à l’égard de son frère est presque effrayé par le flot de preuves convaincantes qui l’envahissent, démontrant que sa colère est justifiée. Parti d’un simple soupçon le matin, le petit Caïn se retrouve le soir en possession de preuves irréfutables que son frère lui est injustement préféré : et,
« Tout semble infecté par ce que l’infecté voit,
De même que tout semble jaune à l’œil qui a la jaunisse.”
Mais supposons que l’enfant ait des raisons valables d’être jaloux ?
Il a une idée de départ, et sa raison est tout aussi capable d’en tirer des conclusions logiques, que ce soit vrai ou non.
Y a-t-il une preuve historique de cette théorie surprenante ?
Confusion entre le bien logique et le bien moral. – Tout échec dans la conduite des individus et des nations est peut-être dû à la confusion qui existe entre ce qui est logiquement juste, tel qu’établi par la raison, et ce qui est moralement juste, tel qu’établi par la loi extérieure.
Cette distinction est-elle reconnue dans la Bible ?
Tout à fait ; les transgresseurs de la Bible sont ceux qui font ce qui est juste à leurs propres yeux, c’est-à-dire ce que leur raison approuve. La pensée moderne considère, au contraire, que tout homme est digne de faire ce qui est juste à ses yeux, d’agir « selon ses lumières », « d’obéir aux exigences de sa raison ».
Par exemple ?
Il y a quelque temps, une mère dont la cruauté avait causé la mort de son enfant a été moralement acquittée devant une cour de justice parce qu’elle avait agi « selon un sens erroné du devoir ».
Erreur due à un sens erroné du devoir. – Mais n’est-il pas possible de commettre une erreur à cause d’un sens erroné du devoir ?
Non seulement possible, mais inévitable, si un homme accepte sa « propre raison » comme son législateur et son juge. Prenons un cas d’école, le cas du crime le plus grave commis sur la terre. Il ne fait aucun doute que les personnes qui ont causé la mort de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ont agi selon un sens erroné du devoir. « Il est dans votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas », disaient, raisonnablement, les chefs patriotiques des Juifs ; et ils ont traqué avec acharnement jusqu’à la mort cet Homme dont l’ascendant sur les gens du peuple et les soit-disant prétentions à la royauté étaient pleins de danger pour la nation soumise. « Ils ne savent ce qu’ils font », a dit Celui qui est la Vérité.
Il faut enseigner aux enfants la connaissance de soi.
Tout cela est peut-être important pour les philosophes, mais qu’est-ce que cela a à voir avec l’éducation des enfants ?
Un enfant devrait savoir ce qu’il est en tant qu’être humain. – Il est temps que nous revenions à l’enseignement de Socrate : « Connais-toi toi-même », exhortait le sage, en toute occasion ; et nous aurons progressé lorsque nous comprendrons que, pour un enfant, la connaissance de soi – de ce qu’il est en tant qu’être humain – constitue une grande partie de son éducation.
Il est difficile de comprendre pourquoi ; l’introspection maladive ne fait-elle pas beaucoup de mal ?
L’introspection est maladive lorsque la personne s’imagine que tout ce qu’elle trouve en elle lui est propre en tant qu’individu. Savoir ce qui est commun à tous les hommes est un bon remède contre l’introspection malsaine.
Comment cela fonctionne-t-il ?
Cette connaissance est une protection. – Savoir reconnaître les limites de la raison est une protection dans tous les devoirs et toutes les relations de la vie. L’homme qui sait que la loyauté est son premier devoir dans toute relation, et que des pensées douteuses, rancunières, désagréables l’empêcheront d’être loyal, parce que ces pensées, une fois acceptées, sembleront justes et rempliront tout le champ de la pensée, alors celui-là sera sur ses gardes et s’interdira toute fantaisie suspecte.
Cette règle de vie devrait-elle affecter la relation suprême ?
En vérité, oui ; si un homme n’admet pas le moindre soupçon de méfiance à l’égard de son père et de sa mère, de son enfant et de sa femme, comment le pourrait-il à l’égard de Celui qui est plus qu’eux, et plus que tous, le « Seigneur de son cœur » ? « La loyauté nous en garde » est la réponse à toute potentielle remise en question de Sa vérité.
Contre le « doute honnête ». – Mais quand d’autres, que vous devez révérer, vous interrogent et vous parlent de leur « doute honnête » ?
Vous connaissez l’histoire de leur doute, et vous pouvez le prendre pour ce qu’il vaut – le fait qu’il trouve son origine dans la suggestion qui, une fois admise, doit atteindre une conclusion logique même si c’est une fin tragique. « Veillez à ne pas tomber dans la tentation », a dit le Seigneur, qui n’avait pas besoin qu’on le Lui dise, car Il savait ce qui se trouvait dans les hommes.
L’homme en tant qu’agent libre.
Si l’homme est la créature des habitudes qu’il forme avec soin ou qu’il permet par négligence, si ses pensées mêmes sont involontaires et ses conclusions inévitables, il cesse d’être un agent libre. Autant admettre d’emblée que « la pensée est une forme de mouvement”, et cesser de considérer l’homme comme un être spirituel capable de se réguler. N’est-ce pas le cas ?
La recherche biologique peut difficilement empiéter sur nos idées si nous gardons en tête que l’homme est un être spirituel dont les organes matériels agissent en obéissant à des idées immatérielles ; que, par exemple, comme la main écrit, le cerveau pense, obéissant ainsi à des idées stimulantes.
La vie se nourrit d’idées. – L’idée naît-elle d’elle-même ?
Probablement pas ; il semblerait que, tout comme la vie matérielle est alimentée par une nourriture appropriée venant de l’extérieur, la vie immatérielle est alimentée par sa nourriture, à savoir des idées transmises spirituellement.
Les mots « idée » et « suggestion » peuvent-ils être utilisés comme des synonymes ?
Seulement dans la mesure où les idées véhiculent des suggestions à réaliser avec des actes.
Quel rôle joue l’homme lui-même dans la réception de cette nourriture immatérielle ?
Comme quelqu’un qui se tient sur le seuil pour admettre ou refuser les morceaux de choix qui doivent nourrir sa famille.
Le libre arbitre dans l’accueil des idées. – Ce libre arbitre dans l’accueil ou le rejet des idées est-il la limite de la responsabilité de l’homme dans la conduite de sa vie ?
Il est probable que oui, car une idée une fois reçue doit suivre son cours, à moins qu’elle ne soit remplacée par une autre idée, accueillie encore une fois grâce à l’exercice de la volonté.
L’origine des idées.
Comment les idées prennent-elles naissance ?
Elles apparaissent comme des émanations spirituelles d’êtres spirituels ; ainsi, un homme transmet à un autre l’idée qui est une partie intégrante de lui-même.
Comment les idées sont transmises. – L’intervention d’une présence corporelle est-elle nécessaire à la transmission d’une idée ?
En aucun cas ; les idées peuvent être transmises par une image ou une page d’un livre ; les objets naturels transmettent des idées, mais, peut-être, l’idée initiale dans ce cas peut toujours être attribuée à un autre esprit.
L’Éducateur suprême. – La subsistance spirituelle des idées provient donc directement ou indirectement des autres êtres humains ?
Non, et c’est là la grande découverte que l’éducateur est appelé à faire. Dieu, le Saint-Esprit, est Lui-même l’Éducateur suprême de l’humanité.
Comment ?
Il ouvre l’oreille de l’homme, matin après matin, pour que celui-ci entende ce qu’il y a de meilleur dans la mesure où il est capable de l’entendre.
Concernant les choses naturelles et spirituelles. – Les idées suggérées par le Saint-Esprit sont-elles limitées à la sphère de la vie religieuse ?
Non ; Coleridge, parlant de Colomb et de la découverte de l’Amérique, attribue l’origine des grandes inventions et découvertes au fait que « certaines idées du monde naturel sont présentées à des esprits choisis par une Puissance supérieure à la Nature elle-même ».
Y a-t-il dans la Bible des enseignements qui soutiennent ce point de vue ?
Oui, en grande partie. Ésaïe, par exemple, dit que le laboureur sait comment effectuer les opérations successives de l’élevage, « car Dieu le dirige dans son jugement et l’instruit. »
Toutes les idées qui ont une origine purement spirituelle sont-elles des idées de bien ?
Malheureusement, non ; la triste expérience de l’humanité est que les idées du mal sont aussi transmises spirituellement.
Quel est le rôle de l’homme ?
Choisir le bien et refuser le mal.
Cette conception éclaire la doctrine chrétienne. – Cette doctrine des idées comme nourriture spirituelle nécessaire à la vie immatérielle éclaire-t-elle les doctrines de la religion chrétienne ?
Oui ; le Pain de Vie, l’Eau de Vie, la Parole par laquelle l’homme vit, la « nourriture que vous ne connaissez pas », et bien d’autres choses encore, cessent d’être des expressions figuratives, si ce n’est que nous devons employer les mêmes mots pour nommer la subsistance de l’homme qu’elle soit corporelle ou intangible. Nous comprenons, en outre, comment les idées qui émanent de notre Seigneur et Sauveur, qui sont de Son essence, sont la nourriture et la boisson spirituelles de Son peuple croyant. Ce n’est plus une « parole dure », ni une parole obscure, que de dire que nous devons soutenir notre moi spirituel par Lui, comme notre corps par le pain.
La coopération divine en matière d’éducation. – Quel est l’impact pratique de cette doctrine des idées pour l’éducateur ?
Il sait qu’il lui appartient de présenter à l’enfant une nourriture quotidienne d’idées ; qu’il peut lui donner la bonne idée initiale dans chaque étude, et dans chaque relation et chaque devoir de la vie ; surtout, il reconnaît la coopération divine dans la direction, l’enseignement et la formation de l’enfant.
Les fonctions de l’éducation.
Comment résumeriez-vous les fonctions de l’éducation ?
L’éducation est une discipline, c’est-à-dire la discipline des bonnes habitudes auxquelles l’enfant est formé. L’éducation est une vie, nourrie d’idées ; et l’éducation est une atmosphère, c’est-à-dire que l’enfant respire l’atmosphère émanant de ses parents, celle des idées qui gouvernent leur propre vie.
Le rôle des leçons dans l’éducation. – Quel rôle les leçons et le travail effectués dans la salle de classe en général jouent-ils dans l’éducation ainsi considérée ?
Ils devraient fournir l’occasion d’inculquer la discipline de nombreuses bonnes habitudes et transmettre à l’enfant des idées initiales d’intérêt pour ses diverses études, de sorte que la poursuite de la connaissance dans ces domaines devienne un objectif de vie et un plaisir pour lui.
Un programme d’études. – L’enfant a-t-il une aptitude naturelle à la connaissance ?
Oui ; il semblerait qu’il ait une affinité naturelle pour toutes les connaissances et qu’il doive donc bénéficier d’un généreux programme d’études.
Quel est le devoir des parents et des autres personnes qui considèrent ainsi l’éducation avec sérieux, comme un levier permettant d’élever le caractère, presque indéfiniment ?
Peut-être leur incombe-t-il de s’efforcer consciencieusement de favoriser tous les moyens mis en œuvre pour répandre les opinions qu’ils défendent, en étant confiants que la race humaine qui a été rachetée est capable d’un « progrès en ce qui concerne le caractère et la vertu” tel qu’il n’en a pas encore été réalisé ou même imaginé. « L’éducation est une atmosphère, une discipline, une vie. »
Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr
CHAPITRE 23 D’OÙ VENONS-NOUS ET VERS OÙ ALLONS-NOUS ?
Une question pour les parents – 1. D’où venons-nous ?
Les progrès de l’Union Nationale d’Éducation des Parents. – « L’Union se développe, écrit un observateur, sans bruit ni agitation, par sa propre force » ; et elle fait des progrès singulièrement rapides. A l’heure actuelle, des milliers d’enfants de parents réfléchis et instruits sont élevés, plus ou moins consciemment et indiscutablement, selon les lignes de l’Union. Les parents qui lisent la Parents’ Review ou d’autres publications de la Société, les parents qui appartiennent à nos diverses branches ou à nos autres agences, et les parents qui sont influencés par ces parents sont de plus en plus nombreux ; et tous ont une chose en commun – l’ardeur des personnes qui développent des idées stimulantes.
Son importance. – Il n’est guère possible de surestimer la force de ce groupe de parents instruits. Quand nous pensons au rôle que les enfants élevés sous cette influence joueront un jour dans la direction et le gouvernement du pays, nous sommes solennellement investis d’une grande responsabilité, et il nous incombe de nous poser, une fois de plus, les deux questions fondamentales qui devraient, de temps à autre, servir à juger chaque mouvement – D’où venons-nous ? et Vers où allons-nous ?
D’où venons-nous ? L’homme qui est satisfait de son lieu de résidence n’a aucun désir de bouger, et le simple « mouvement » signifie que nous ne sommes pas satisfaits, et que nous sommes définitivement en route vers d’autres objectifs que ceux communément acceptés. Sur un seul point, nous risquons-nous à faire un retour en arrière.
L’héritage du passé. – Des hommes et des femmes extrêmement bons ont été élevés par nos grands-pères et nos grands-mères, et même par nos mères et nos pères ; et les personnes âgées et sages parmi nous, bien qu’elles nous observent avec une grande sympathie, éprouvent le sentiment inexprimé que les hommes et les femmes ont été créés à partir d’un moule ancien qu’il nous sera difficile d’améliorer. Ce n’est pas le fruit du hasard, ni du manuel d’orthographe ou des Catéchismes de Pinnock, depuis longtemps relégués dans les limbes comme ils le méritent.
Les enfants sont des personnes responsables. – L’enseignement d’autrefois était aussi mauvais qu’il pouvait l’être, l’éducation était donnée de façon aléatoire, sans tenir compte de la physiologie et de la psychologie ; mais nos grands-pères et nos grands-mères suivaient un principe salvateur que, depuis deux ou trois décennies, nous nous efforçons de perdre. Ceux de l’ancienne génération reconnaissaient les enfants comme des êtres raisonnables, des personnes d’esprit et de conscience, comme eux, mais qui avaient besoin de leurs conseils et de leur contrôle, car ils n’avaient ni connaissance ni expérience. En témoignent les vieux livres d’enfants bizarres qui nous sont parvenus ; ils s’adressaient avant tout aux enfants comme à des personnes raisonnables, intelligentes et responsables (terriblement responsables !). Ceci représente assez bien la situation de la vie domestique de la dernière génération. Dès que le bébé avait pris conscience de son environnement, il était considéré comme une personne moralement et intellectuellement responsable. Or, l’un des secrets du pouvoir dans les relations avec nos semblables est de comprendre que la nature humaine fait ce qu’on attend d’elle et est ce qu’on attend d’elle. Nous ne voulons pas dire qu’on croit qu’elle fait et qu’elle est, avec la foi tendre et stupide que Mrs Hardcastle a accordée à son cher Tony Lumpkin. L’espérance touche une autre corde, la corde du « Je suis, je peux, je devrais« , qui doit vibrer dans chaque poitrine humaine, car « c’est dans notre nature ». Les hommes et les femmes capables et fiables que nous connaissons tous ont été élevés selon ce principe.
Aujourd’hui, nous n’en sommes plus certains. – Mais maintenant ? Aujourd’hui, de nombreux enfants, dans de nombreux foyers, sont encore élevés selon les anciennes traditions, mais sans la certitude inébranlable d’autrefois. D’autres pensées occupent les esprits. Un bébé est une énorme huître (dit un éminent psychologue) dont l’activité consiste à se nourrir, à dormir et à grandir. Même le professeur Sully, dans son livre le plus charmant, est partagé. Les enfants l’ont séduit, l’ont convaincu, sans aucun doute, qu’ils sont comme nous, et même plus. Mais il est évolutionniste et se sent obligé de faire suivre à l’enfant les principes de l’évolution. C’est pourquoi le petit être est censé passer par mille étapes de développement moral et intellectuel, le menant de la condition de sauvage ou de singe à celle d’être humain intelligent et cultivé. Si les enfants ne se conforment pas gentiment à cette théorie, c’est leur faute, et le professeur Sully aime trop les enfants pour ne pas nous les présenter tels qu’ils sont, avec de petits intermèdes de la théorie selon laquelle ils devraient évoluer. Je n’ai absolument aucune théorie à avancer et je suis, pour des raisons scientifiques, disposée à accepter les théories des psychologues évolutionnistes. Mais les faits sont trop puissants pour moi.
Le travail intellectuel de la première année de l’enfant. – Si l’on considère l’énorme travail intellectuel que l’enfant accomplit au cours de sa première année pour s’adapter aux conditions d’un monde nouveau, pour apprendre à discerner entre loin et près, solide et plat, grand et petit, et mille autres qualités et limites de ce monde déroutant, on ne s’étonne pas que John Stuart Mill sache parler le grec à cinq ans, qu’Arnold, à trois ans, connaisse les portraits de tous les rois et reines d’Angleterre, ou qu’un bébé musical ait un répertoire étendu des classiques de la musique.
L’intelligence des enfants. – Je soulignais un jour le fait que tout enfant peut apprendre à parler deux langues à la fois avec la même facilité, lorsqu’un monsieur déclara qu’il avait un fils missionnaire à Bagdad, marié à une Allemande, et que leur petit garçon de trois ans exprimait tout ce qu’il avait à dire avec la même aisance en trois langues – allemand, anglais et arabe, parlant à chaque personne dans sa propre langue. « Mamie, qui est-ce que Dieu préfère, les petites filles ou les petits garçons ? » demanda une petite fille de quatre ans, pensive. « Oh, les petites filles, bien sûr », répondit Mamie, avec le désir bienveillant de faire plaisir. « Alors, si Dieu préfère les petites filles, pourquoi Dieu lui-même n’était-il pas une petite fille ? » Lequel d’entre nous, ayant atteint les derniers stades de l’évolution, aurait trouvé un argument plus irréfutable ? Si la même petite fille demandait une autre fois, en observant les merles sur les cerises : « Mamie, si les abeilles font du miel, les oiseaux font-ils de la confiture ? », ce ne serait pas une question inepte, et cela prouve seulement que nous, les personnes plus âgées, sommes ennuyeuses et insensibles à certains mystères de la Nature comme le fait que les abeilles fassent du miel.
Les enfants sont très doués mais ignorants. – C’est ainsi que sont les enfants : leur intelligence est plus vive, leur logique plus sûre, leur capacité d’observation plus alerte, leur sensibilité morale plus rapide, leur amour, leur foi et leur espoir plus abondants ; en somme, ils sont en tous points semblables à nous, quoique beaucoup plus encore ; et pourtant ils sont parfaitement ignorants du monde et de ce qui le compose, de nous et de nos manières, et surtout de la façon de contrôler, de diriger et d’exprimer les possibilités infinies dont ils sont dotés à la naissance.
Heureux et bon, ou bon et heureux. – Notre conception de l’enfant détermine nos relations avec lui. Pour s’amuser est la règle de vie de l’enfant propre à la théorie de l’”huître”, et la plupart des livres de nos enfants tout comme nos théories d’éducation sont d’ailleurs basés sur cette règle. « Oh ! il est si heureux », disons-nous, et nous nous en contentons, croyant que s’il est heureux, il sera bon ; et c’est vrai dans une large mesure. Mais autrefois, la théorie était la suivante : si vous êtes bon, vous serez heureux ; et c’est un principe qui marque la clé de l’effort, et qui est valable, non seulement pendant le « stade d’évolution » qu’est l’enfance, mais pour toute la vie, maintenant et après. L’enfant qui a appris à « faire de son mieux » (comme le dit le Prayer Book) a appris à vivre.
Notre conception de l’enfant est ancienne, celle de l’éducation est nouvelle. – D’où vient notre conception de l’enfant ? Il est –
« Un être qui respire de façon réfléchie,
Un voyageur entre la vie et la mort, » –
Si cette conception est ancienne – elle est celle de nos aïeux – notre conception des objectifs et des méthodes de l’éducation est, elle, nouvelle. Elle n’a été rendue possible que dans les dernières décennies du siècle dernier, parce qu’elle repose d’une part sur les derniers progrès de la Biologie, et d’autre part sur le puissant secret de ces derniers temps, à savoir que la matière est l’agent opérationnel de l’esprit, et que l’esprit forme, façonne, et est le seigneur absolu de la matière, aussi capable d’affecter les circonvolutions matérielles du cerveau que d’influencer ce qu’on appelait autrefois le cœur.
Sachant que le cerveau est le siège physique de l’habitude, et que la conduite et le caractère sont le résultat des habitudes que nous laissons s’installer, sachant aussi qu’une idée stimulante initie une nouvelle habitude de pensée, et par conséquent, une nouvelle habitude de vie, nous comprenons que le grand travail de l’éducation est d’inspirer aux enfants des idées stimulantes en ce qui concerne les relations de la vie, les différents domaines de la connaissance, les sujets de réflexion et qu’il importe de donner notre pleine attention à la formation de ces habitudes de la vie saine, qui sont le résultat de ces idées stimulantes.
Coopération divine. – Dans cette grande œuvre, nous cherchons et trouvons assurément la coopération de l’Esprit Divin, que nous reconnaissons, dans un esprit assez nouveau pour la pensée moderne, comme l’Éducateur Suprême de l’humanité en ce qui concerne les choses dites profanes, tout autant que celles dites sacrées.
Deux travaux d’éducation. – Nous sommes libres de donner toute notre énergie à ces deux grands travaux d’éducation, inspirer des idées et former des habitudes, car, sauf dans le cas des enfants quelque peu mentalement déficients, nous ne considérons pas que le « développement des facultés » fasse partie de notre travail, étant donné que les facultés des enfants sont déjà beaucoup plus développées que les nôtres.
Un test pour les systèmes. – Nous avons aussi en notre possession un test pour les systèmes que nous rencontrons, et nous pouvons ainsi nous prononcer sur leur valeur éducative. Par exemple, il y a quelque temps, le London School Board a organisé une exposition de travaux d’élèves, et un projet en particulier, qui venait de New York et représentait une semaine de travail (sur le modèle « herbartien ») dans une école, a suscité un grand intérêt. Les enfants avaient travaillé pendant une semaine sur « une pomme ». Ils l’avaient modelée avec de l’argile, peinte au pinceau, piquée, représentée avec des baguettes (la forme pentagonale du péricarpe) et brodé les contours de sa forme sur du carton. Les garçons et les filles plus âgés avaient modelé un pommier et fabriqué une petite échelle pour y grimper et cueillir les pommes, une brouette pour transporter les pommes, et bien d’autres choses du même genre. Tout le monde s’est exclamé : « Comme c’est joli, comme c’est ingénieux, quelle bonne idée ! » et est reparti avec l’idée que ceci, enfin, était de l’éducation. Mais nous nous interrogeons : « Quelle était l’idée directrice ?”. La forme extérieure et le contenu intérieur d’une pomme sont des sujets que les enfants connaissaient déjà très bien. Quelles habitudes mentales ont été acquises par le travail de cette semaine ? Ils ont certainement appris à regarder la pomme, mais pensez à toutes les choses avec lesquelles ils auraient pu se familiariser dans le même temps. Il est probable que les enfants ne s’ennuyaient pas consciemment, parce que l’enthousiasme des enseignants les poussait à continuer. Mais, pensez-y –
« Du lapin chaud et du lapin froid,
Du lapin jeune et du lapin vieux
Du lapin tendre et du lapin dur, »–
sans doute ces enfants en avaient-ils assez – des pommes en tout cas. Ce cours sur les pommes est très instructif pour nous car il souligne la tendance de l’esprit humain à accepter et à se réjouir de n’importe quel système soigné qui produira des résultats immédiats, plutôt que d’évaluer chaque petite leçon pour savoir si elle favorise ou non l’un ou l’autre de nos grands principes éducatifs.
Progresser avec son époque. – Vers où allons-nous ? Notre « d’où venons-nous » nous amène à un « vers où allons-nous » plein de possibilités infiniment réjouissantes. Puisque chacun d’entre nous travaille à l’avancement de la race humaine par l’intermédiaire de l’enfant que nous éduquons, nous examinons attentivement dans quelles directions cet avancement est attendu et indiqué, et nous procédons avec détermination en nous efforçant d’éduquer nos enfants de manière à ce qu’ils progressent avec leur époque. « Ne pouvez-vous pas discerner les signes des temps ? ». Une nouvelle Renaissance s’annonce, d’une importance indicible par rapport à la précédente ; et nous élevons nos enfants pour qu’ils dirigent, guident et contribuent par tous les moyens au progrès – un progrès à pas de géant – que le monde est sur le point d’accomplir. Mais « vers où allons-nous » est une question trop vaste pour être posée à la fin d’un chapitre.
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CHAPITRE 24 D’OÙ VENONS-NOUS ET VERS OÙ ALLONS-NOUS ?
2. Vers où allons-nous ?
Évolutions physiques et psychiques. – Les biologistes ont conduit les personnes réfléchies à suivre sans hésitations le grand bouleversement de la pensée, résumé par le terme évolution. Ces personnes sont maintenant convaincues que l’homme est l’aboutissement de longs processus ; et ce qui est encore plus curieux, c’est que chaque enfant, de sa conception à sa naissance, semble, à travers sa propre personne, passer par un nombre incroyable d’étapes de ce processus évolutif. La prise de conscience de cette vérité a fait une grande impression sur l’esprit des hommes. Nous avons le sentiment de faire partie d’un processus, et d’être appelés, en même temps, à y contribuer, non pas pour nous-mêmes à proprement parler, mais pour toute partie du monde sur laquelle s’exerce notre influence ; surtout pour les enfants qui nous sont particulièrement confiés. Mais il arrive un moment, comme nous l’avons vu, où nous devons nous lever et protester. L’évolution physique de l’homme n’admet aucun doute ; l’évolution psychique, par contre, non seulement n’est pas prouvée, mais toute la force probante des preuves existantes semble aller dans la direction opposée.
La grandeur des enfants. – L’ère du matérialisme a fait son temps ; nous reconnaissons que la matière est une force, mais une force entièrement soumise, et que c’est l’esprit de l’homme qui façonne et utilise sa substance matérielle à sa propre manière et à ses propres fins. Qui peut dire quelle est la voie de l’esprit ? C’est peut-être l’une des questions ultimes sur lesquelles l’homme n’a pas encore pu spéculer à bon escient ; mais lorsque nous considérons les pouvoirs presque illimités que possède un enfant, d’aimer et de faire confiance, de discriminer et d’appréhender, de percevoir et de connaître, et que nous les comparons aux sensibilités émoussées et à l’appréhension plus lente de l’homme ou de la femme adulte du même calibre, nous ne sommes certainement pas enclins à penser que la croissance de moins vers plus, et de petit vers grand, caractérise la vie spirituelle : c’est-à-dire cette partie de nous qui aime et adore, raisonne et pense, apprend et applique la connaissance. Il semble plutôt que ce soit vrai pour chaque enfant à son niveau, comme pour l’Enfant divin, car Il lui donne l’Esprit sans mesure.
La sagesse, la compréhension des relations. – Il est intéressant de constater que la philosophie de la Bible est toujours largement en avance sur les idées les plus récentes. « Il croissait en sagesse et en stature », nous dit-on. Mais qu’est-ce que la sagesse, est-ce la philosophie ? N’est-ce pas la compréhension des relations ? D’abord, il nous faut comprendre les relations du temps, de l’espace et de la matière, la philosophie naturelle qui constituait une si grande partie de la sagesse de Salomon ; puis, petit à petit, et de plus en en plus, nous développons cette philosophie morale qui détermine nos relations d’amour, de justice et de devoir les uns envers les autres ; plus tard, peut-être, nous étudions le profond et déroutant sujet des relations intérieures de notre propre être composite, la philosophie mentale. Et dans tout cela et au-delà de tout cela, nous appréhendons, lentement et piètrement, la relation la plus élevée de toutes, la relation à Dieu, que nous appelons religion. C’est dans cette science des relations entre les choses que réside ce que nous appelons la sagesse, et la sagesse ne naît dans aucun homme – apparemment pas même dans le Fils de l’homme Lui-même.
La sagesse croît, mais pas l’intelligence. – Il croissait en sagesse, percevant doucement et graduellement toutes les relations de la vie ; mais le pouvoir d’appréhender, l’esprit fort, subtil et perspicace, dont la fonction est de saisir et de comprendre, de s’approprier et d’utiliser toutes les relations qui lient toutes les choses à toutes les autres choses – cela Lui fut donné sans mesure ; et, nous pouvons le croire avec révérence, cela nous est aussi donné sans mesure.
Les différences entre les hommes. – Qu’il y ait des différences dans les mesures des hommes, dans leur stature intellectuelle et morale, est assez évident ; mais nous devrions réaliser que ce sont des différences de natures et non de degrés, et qu’elles dépendent de ce que nous appelons avec désinvolture les lois de l’hérédité, qui font que l’homme, sous ses divers aspects, constitue cet ensemble parfait que l’on peut concevoir pour l’humanité. Ceci est tout à fait différent de la notion d’une faible et petite mesure de cœur et d’intelligence chez l’enfant, censée croître par degrés jusqu’au robuste et noble développement spirituel qui, selon le psychologue évolutionniste, devrait caractériser l’être humain adulte.
L’ignorance n’est pas l’impuissance. – Ce sont là des considérations bien pratiques et bien simples pour toute personne chargée d’élever un enfant, et qui ne doivent pas être écartées sous prétexte que ce sont des principes abstraits et dont la discussion ne servirait qu’à aiguiser l’esprit des érudits. En fait, nous ne réalisons pas ce que sont les enfants. Nous les sous-estimons. Selon le mot divin, nous les « méprisons », et ce, même avec les meilleures intentions du monde, parce que nous confondons l’immaturité de leurs corps et leur ignorance absolue des relations entre les choses avec un manque de pouvoir spirituel. Mais c’est probablement pendant l’enfance, cette période que nous considérons d’un sourire supérieur, quoique bienveillant, que la puissance intellectuelle est la plus vive, le sens moral le plus fort, la perception spirituelle la plus grande.
L’enfant possède déjà son plein potentiel. – L’enfant est une personne ayant déjà son plein potentiel, présent maintenant, en ce moment précis – il n’a pas à être développé après bien des années et bien des efforts de l’éducateur ; il est effectivement plus important de diriger et d’utiliser ce riche pouvoir spirituel que de développer les facultés de l’enfant. On ne saurait trop insister sur le fait que l’éducation que nous donnons aux enfants dépendra, nolens volens, de la conception que nous nous faisons d’eux. Si nous les considérons comme des instruments aptes et capables d’accomplir le dessein Divin dans la progression du monde, nous nous efforcerons de discerner les signes des temps, de percevoir dans quelles directions nous sommes entraînés, et de préparer les enfants à poursuivre l’œuvre du monde, en leur donnant des idées vivifiantes concernant, au moins, certains domaines de cette œuvre.
Nous vivons pour faire progresser la race humaine. – Étant maintenant d’accord sur le fait que les enfants et nous-mêmes vivons pour faire progresser la race humaine, que notre travail s’adresse immédiatement à eux et, par leur intermédiaire, à tous, et qu’ils sont parfaitement aptes à recevoir les idées qui les inspireront pour leur vie, nous devons maintenant nous demander dans quelles directions nous allons essayer d’établir une activité spirituelle chez les enfants.
Notre origine (d’où venons-nous) dans la puissance de l’enfant, notre destination (vers où allons-nous) dans la pensée du jour. – Nous avons cherché à établir notre origine dans la puissance de l’enfant, nous allons chercher notre destination dans la pensée vivante du jour, qui indique probablement les directions dans lesquelles la race humaine fait des progrès. Nous constatons que tous les hommes, partout dans le monde, s’intéressent vivement à la science, que le monde attend et observe les grandes découvertes ; nous aussi, nous attendons et observons, croyant, comme l’a dit Coleridge il y a longtemps, que les grandes idées de la Nature sont communiquées aux esprits déjà préparés à les recevoir par une Puissance supérieure à la Nature elle-même.
Tous les hommes s’intéressent à la science. – Lors d’une récente réunion de The British Association, le président a déploré que le progrès de la science soit grandement entravé par le fait que nous n’avons plus de naturalistes de terrain – des observateurs proches de la Nature telle qu’elle est. Un journal littéraire a fait une remarque lamentable à ce sujet. Tout est écrit dans les livres, disait ce journal, si bien que nous n’avons plus besoin d’aller dans la Nature. Or, la connaissance de la Nature que nous tirons des livres n’est pas une vraie connaissance ; l’utilité des livres est d’aider le jeune étudiant à vérifier des faits qu’il a déjà vus par lui-même. Soyons, avant toute chose, des amoureux de la Nature ; une connaissance intime de tous les objets naturels à sa portée, est la première, et probablement, la meilleure partie de l’éducation d’un enfant. Tout au long de sa vie, il sera apaisé par –
« Le baume de la respiration,
Le silence et le calme,
Des choses muettes et insensibles. »
Les enfants formés à l’observation. – En ce qui concerne la science, il est en mesure de faire exactement le travail qui est le plus utile ; il sera un observateur de première main de la Nature, attentif et aimant, enregistrant les faits, et libre de toute avidité de conclusions.
Une nouvelle conception de l’Art ; les grandes idées exigent du grand Art. – En examinant de nouveau le domaine de l’Art, nous croyons discerner les signes des temps. Certains d’entre nous commencent à apprendre la leçon qu’un prophète a été chargé de donner à cette génération, ou à la précédente. Nous commençons à comprendre que la simple technique, aussi parfaite soit-elle – qu’il s’agisse du rendu de carnations, de sculptures en marbres ou d’une composition musicale d’une extrême difficulté – n’est pas nécessairement du grand Art. Nous commençons à comprendre que l’Art n’est grand qu’en proportion de la grandeur de l’idée qu’il exprime, tandis que ce que nous demandons à l’exécution, à la technique, c’est qu’elle soit adaptée à l’idée qui l’inspire. Mais ces grands thèmes ont-ils quelque chose à voir avec l’éducation des enfants ? Oui, ils ont tout à voir. Tout d’abord, nous ne devons permettre à aucun pseudo Art de se trouver dans la même maison que nos enfants ; ensuite, nous devons soumettre nos goûts et nos opinions les plus superficiels à des tests tels que ceux que nous avons indiqués, sachant que les enfants absorbent nos pensées, que nous le voulions ou non ; enfin, nous inspirerons à nos enfants ces grandes idées qui créeront nécessairement une demande pour le grand Art.
Les enfants devraient apprendre à prendre soin des livres. – En littérature, nous avons des objectifs précis en vue, à la fois pour nos propres enfants et pour le monde à travers eux. Nous souhaitons que les enfants grandissent en trouvant joie et rafraîchissement dans le goût, la saveur d’un livre. Et par livre, nous n’entendons pas n’importe quel texte imprimé et relié, mais un ouvrage possédant certaines qualités littéraires capables de susciter chez le lecteur ce plaisir des sens que procure un bon mot littéraire. Nous sommes malheureusement en train de perdre le plaisir de la forme littéraire. Nous sommes tellement pressés de connaître des faits ou d’être émoustillés par des théories, que nous ne prenons plus le temps de nous attarder sur la simple élaboration d’une pensée. Mais c’est une erreur, car les mots ont le pouvoir de nous ravir et de nous inspirer. Si nous n’étions pas myopes comme des taupes, nous aurions découvert depuis longtemps une vérité clairement indiquée dans la Bible, à savoir que ce qui est dit une fois avec une parfaite justesse ne peut plus jamais être redit, et devient dès lors un pouvoir vivant dans le monde. Mais en littérature, comme en art, nous demandons plus qu’une forme simple. De grandes idées couvent dans le chaos de notre pensée et celui qui arrivera à exprimer ce que nous pensons tous, nous apparaîtra comme un enseignant envoyé par Dieu.
Les enfants devraient être nourris avec ce qu’il y a de meilleur. – Concernant les enfants ? Ils doivent grandir avec ce qu’il y a de meilleur. Il ne devrait jamais y avoir une période dans leur vie où ils soient autorisés à lire ou à écouter des bêtises ou des lectures simplifiées. Ils méritent d’être à tout moment en présence de pensées nobles, bien exprimées, de contes inspirants, bien racontés. Que les « Songs of Innocence » de Blake soient leur référence en matière de poésie ; Defoe et Stevenson, pour la prose ; et nous formerons une génération de lecteurs qui exigeront de la littérature, c’est-à-dire l’expression belle et appropriée d’idées stimulantes et d’images de la vie. Peut-être qu’une lettre expliquant que, dans cette famille, les parents préfèrent que les enfants ne reçoivent pas de livres en cadeau, aidera grandement dans cette entreprise !
La solidarité de la race humaine. – Pour illustrer un point de plus, je dirai qu’on se tend la main de toutes parts suivant l’idée exprimée par les mots “la solidarité de la race humaine”. Nous ne nous sommes probablement jamais autant sentis en relation absolue avec tous les hommes du monde ; tout ce qui est humain nous est précieux, le passé nous appartient comme le présent, et nous nous attardons tendrement sur les témoignages de la personnalité d’hommes et de femmes qui ont vécu il y a des siècles. Un poète américain exprime ce sentiment avec l’intensité de l’Ouest, mais il n’exagère pas quand il nous dit qu’il est le soldat blessé au combat, qu’il est le galérien et qu’il est le héros venu à la rescousse, que chaque pouls humain est son pouls, chaque chute sa chute et chaque victoire morale son triomphe. L’auteure de ces lignes se souvient du moment où la conviction de la solidarité féminine lui est apparue d’une manière qu’elle ne l’oubliera jamais. Elle se rendait en voiture d’une gare de Londres à une autre, et vit une femme ivre transportée sur une porte. Elle sut, par le choc de la douleur et les larmes que lui causa cette scène, que cette femme n’était pas extérieure à elle, mais qu’elle faisait mystérieusement partie d’elle – de son être même. C’était une perception nouvelle pour une jeune fille, une perception qui ne la quitterait plus. De telles prises de conscience arrivent probablement à la plupart d’entre nous, et quand elles arrivent aux Grands Cœurs du monde, nous obtenons nos Elizabeth Fry, nos Wilberforce, nos Florence Nightingale. Des actes de pitié ont été accomplis à travers toutes les époques chrétiennes, et, en réalité, partout où le cœur humain a pu s’exprimer librement. Mais éprouver de la pitié pour autrui et être conscient, même si ce n’est que vaguement, que cet autre est, sans conteste, indissolublement lié à nous-mêmes – ce sont deux réalités. Nous osons croire que c’est là le stade auquel est parvenue l’éducation de l’humanité de nos jours, telle qu’elle est divinement conduite. En d’autres temps, les hommes faisaient le bien pour l’amour de Dieu ou pour sauver leur âme ; ils agissaient avec droiture, parce qu’il leur convenait d’être justes dans tous leurs rapports ; mais les motifs qui nous animent dans nos relations mutuelles sont maintenant plus intimes, plus tendres, plus indéfinissables, plus impérieux. Quels seront les enjeux lorsque nous aurons enfin compris cette nouvelle page du Livre de la Vie ? Nous ne pouvons le prédire ; mais nous pouvons espérer que le Royaume de Dieu vienne sur nous.
Les enfants devraient être élevés avec l’idée d’aider les autres. – En étudiant avec respect ces signes des temps, quelles indications pouvons-nous trouver pour nous guider dans l’éducation des enfants ? Il faut permettre à la tendre sympathie de l’enfant de s’exprimer sous forme d’aide et de bonté envers toute vie qui le touche de près ou de loin. J’ai connu une petite fille de cinq ans qui rentrait de sa promenade accablée par la détresse. On lui demanda : « Que se passe-t-il, H. ? ». Un petit « Rien » rapide, avec la réserve typique de sa famille, fut tout ce qu’on put obtenir d’elle pendant quelques minutes ; mais une caresse la fit craquer et, dans un élan de pitié, elle sanglota : « Un pauvre homme, pas de maison, pas de nourriture, pas de lit sur lequel se reposer ! ». Aussi jeune soit-elle, la révélation du lien qui unit les êtres humains l’avait atteinte ; elle ne faisait qu’un avec le mendiant et souffrait avec lui. Les enfants doivent, bien sûr, être protégés de la souffrance intense, mais malheur à la mère ou à la nourrice qui protégerait, en l’endurcissant systématiquement, le cœur de l’enfant. Cette petite fille eut le soulagement d’aider, et alors la douleur de la compassion cessa d’être trop forte pour elle.
On ne devrait pas parler des “imposteurs” aux enfants. – Quelle que soit notre opinion sur le monde et la nature humaine, prenons garde à ne pas souffler le mot « imposteur » à l’oreille d’un enfant, jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour comprendre que si l’homme est un imposteur, cela ne fait que le rendre l’objet d’une pitié plus profonde et d’une aide plus sage – une aide dont le but n’est pas de soulager mais de réformer.
Servir est une faveur. – Là encore, les enfants sont ouverts à la vanité comme à toutes les autres mauvaises dispositions possibles propres à la nature humaine. Il faut les éduquer à donner et à aider sans qu’ils aient l’impression que c’est de la bonté de leur part. Il est très facile de les maintenir dans l’attitude d’esprit naturelle à l’enfant, à savoir que servir est une faveur pour celui qui sert, car il n’a pas la prétention absolue d’être en mesure de distribuer des bienfaits à autrui. Il faut élargir le champ de la sympathie de l’enfant, son amour doit s’étendre au loin et au proche, au riche et au pauvre ; la détresse dans les autres pays et la détresse à la maison doivent l’interpeller de la même manière ; et l’aide qu’il apporte doit toujours lui coûter. Lorsqu’il sera assez âgé, il faudra lui faire découvrir les leçons de choses dans les journaux.
La fin ne justifie pas les moyens. – Il devrait savoir que les atrocités en Arménie, par exemple, sont la cause d’un véritable chagrin dans les foyers anglais ; qu’il y a des cas de bien et de mal théoriques pour les nations comme pour les individus qui ne sauraient en aucun cas être justifiés ; que secourir notre prochain d’une détresse mortelle est une fin valable, et que celui qui est tombé entre les mains de brigands est par conséquent notre prochain, que ce soit en tant que nation ou en tant qu’individu. N’élevons pas nos enfants en les surprotègeant, par crainte des ravages de la pitié sur leur cœur tendre. Faites-leur connaître toute détresse qui se présenterait naturellement à eux, et laissez-les soulager leur propre peine en allégeant comme ils le peuvent les souffrances qu’ils ressentent. Les enfants ne nous ont pas été donnés avec des possibilités infinies d’amour et de pitié pour que nous étouffions les sources de cette pitié et que nous les formions à endurcir leur cœur. Il nous appartient, au contraire, de préparer ces petits ministres de la grâce à la révélation plus vaste et plus complète du royaume des cieux qui vient sur nous.
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CHAPITRE 25 LA GRANDE PRISE DE CONSCIENCE DEMANDÉE AUX PARENTS
“Le Livre voûté” de Ruskin. – M. Ruskin rendit un grand service à la pensée moderne, en interprétant pour nous le plan harmonieux et ennoblissant d’éducation et de philosophie tracé sur le quart de ce qu’il appelle le “Livre voûté” c’est-à-dire la Chapelle Espagnole attachée à l’Église de Santa Maria Novella, à Florence.
Beaucoup de mes lecteurs ont probablement étudié, sous la direction de M. Ruskin, les leçons édifiantes des fresques qui en couvrent le plafond et les murs ; mais tous aimeraient qu’on leur rappelle les enseignements qu’ils ont médités avec révérence et émerveillement. « La descente du Saint-Esprit se trouve sur la gauche (de la voûte) quand on entre. La Madone et les disciples sont réunis dans une chambre, à l’étage. Au-dessous, les Parthes, les Mèdes, les Elamites, etc., les entendent parler dans leurs propres langues. À l’avant-plan, trois chiens ; leur signification symbolique marque la participation des animaux inférieurs à la douceur répandue par l’effusion de l’Esprit du Christ. […] Sur cette fresque et sur celle qui lui fait face se trouvent représentés, par la main de Simone Memmi, le pouvoir éducateur de l’Esprit de Dieu et le pouvoir rédempteur du Christ de Dieu, en ce monde, tels que les comprenait alors Florence.
« Nous commencerons par le côté intellectuel, au-dessous de l’effusion du Saint-Esprit. Dans la pointe de l’arc, se trouvent les trois Vertus Évangéliques. Sans elles, dit Florence, vous ne pouvez posséder aucune science. Sans Amour, Foi et Espérance… pas d’intelligence. Sous celles-ci, sont rangées les quatre Vertus Cardinales. […] Tempérance, Prudence, Justice, Force. Au-dessous, se trouvent les principaux prophètes et les apôtres. […] Sous la ligne des prophètes, comme des puissances évoquées par leurs voix, sont rangées les figures symboliques des sept sciences théologiques, ou spirituelles, et des sept sciences géologiques, ou naturelles. Aux pieds de chacune d’elles, se trouve le Maître qui l’enseigna le mieux au monde. »
Les sept sciences naturelles. – J’espère que le lecteur continuera à étudier le « Livre voûté » de M. Ruskin dans Les Matins à Florence : il est plein de suggestions et d’enseignements merveilleux. Notre préoccupation immédiate est celle des sept figures symboliques représentant les sciences naturelles, et de la figure du Maître-enseignant de chacune d’elles. Tout d’abord, nous avons la Grammaire, une figure gracieuse qui enseigne à trois enfants florentins ; et, en dessous, Priscien. Ensuite, la Rhétorique, forte, calme et détachée ; et, en dessous, Cicéron avec un visage tout à fait magnifique. Ensuite, la Logique, avec une pose parfaite et un beau visage ; et en dessous, Aristote – une expression de réflexion intense dans ses yeux mi-clos. Ensuite, la Musique, la tête inclinée dans l’intention d’écouter les accents doux et solennels qu’elle produit avec son instrument antique ; et en dessous, Tubal-Caïn, et non Jubal, l’inventeur de l’harmonie – peut-être le plus parfait exemple de l’impact que l’Art puisse avoir sur l’âme d’un homme à peine civilisé. L’Astronomie lui succède, l’expression majestueuse et la main levée ; et à ses pieds, Zoroastre, extrêmement beau – « son type persan, raffiné, est encore adouci par sa chevelure soyeuse, laborieusement tressée ». Ensuite, la Géométrie, regardant vers le bas, considérant quelque problème pratique, avec son équerre de charpentier à la main, et sous elle, Euclide. Et enfin, l’Arithmétique, levant deux doigts en calculant, et sous elle, Pythagore enveloppé dans la science des nombres.
« Les pensées de Dieu sont plus vastes que l’esprit humain”,
mais ici nous avons un éventail d’esprits si larges quant à l’étendue de leur intelligence, si profonds quant à leur perspicacité, que nous sommes presque étonnés de réaliser que nous avons là, représentés sur ces murs, une juste indication des pensées de Dieu. Examinons un instant la conception de l’éducation dans notre propre siècle.
L’éducation n’est pas “religieuse” et “laïque”. – En premier lieu, nous divisons l’éducation en deux catégories : religieuse et laïque. Les plus pieux d’entre nous insistent sur l’éducation religieuse aussi bien que sur l’éducation laïque. Beaucoup d’entre nous sont satisfaits de se passer complètement d’éducation religieuse, et se contentent de ce que nous appelons séculier, et que nous rendons séculier, dans le sens où nous entendons ce terme, c’est-à-dire entièrement limité aux usages de ce monde visible.
La grande prise de conscience. – De nombreux chrétiens poussent un peu plus loin l’idée ; ils conçoivent, un peu confusément, que même la grammaire et l’arithmétique peuvent être utilisées pour Dieu. Mais la grande prise de conscience que nous devons faire est de réaliser que Dieu le Saint-Esprit est lui-même, personnellement, Celui qui transmet la connaissance, Celui qui instruit la jeunesse, Celui qui inspire le génie. Cette conception nous est si étrangère que nous croyons vraiment qu’il est irrévérencieux de penser que le Saint-Esprit coopère avec nous lorsque nous enseignons des notions telles que l’arithmétique. Mais les Florentins du Moyen Âge allèrent au-delà : ils croyaient non seulement que les sept Arts Libéraux étaient entièrement sous l’influence directe du Saint-Esprit, mais également que toute idée féconde, toute conception originale, que l’on parle d’Euclide, de grammaire ou de musique, était une inspiration directe du Saint-Esprit ; et ce, sans égard pour le fait que la personne ainsi inspirée pensait être à l’origine de l’idée, ou, au contraire, reconnaissait la provenance de son inspiration. Ces sept représentations sont celles de personnes que nous devrions globalement catégoriser comme païens, et que nous serions facilement enclins à considérer comme échappant à l’inspiration divine. Il est vraiment difficile de saisir l’étonnante hardiesse de ce plan d’éducation du monde que Florence accepta avec une foi si candide.
La connaissance, tout comme la vertu, est divine. – Mais nous ne devons pas accepter aveuglément une idée, même inspirante. Ces gens du Moyen Âge avaient-ils raison avec leur plan et leur conception de la connaissance ? Platon fait allusion à une telle pensée en affirmant que la vertu est la connaissance, et que si la vertu est divine dans son origine, la connaissance l’est aussi. L’Égypte antique était aussi très claire à ce sujet. “Pharaon dit à ses serviteurs : Trouverions-nous un homme comme celui-ci, ayant en lui l’esprit de Dieu? ». Ce roi d’Égypte ne considérait pas le bon sens pratique et la connaissance des affaires courantes, ainsi que la manière de faire face aux urgences, comme des enseignements indignes de l’Esprit de Dieu. « L’Esprit de Dieu le saisit et il prophétisa avec eux », nous dit-on de Saül, et nous pouvons croire que c’est l’histoire de toute grande invention et de toute grande découverte des secrets de la Nature. « David donna à Salomon, son fils […] le modèle de toutes les choses qui lui avaient été inspirées par l’Esprit qui était avec lui, pour les parvis de la maison de l’Eternel. » Nous avons ici une indication sur la source de chaque conception de la beauté exprimée dans des œuvres d’art.
Science, art et poésie « par l’Esprit ». – Mais l’Esprit divin ne s’occupe pas seulement des grands thèmes de la science, de l’art et de la poésie. Il nous vient parfois à l’esprit de nous demander qui a, le premier, inventé la manière d’utiliser les éléments les plus fondamentaux de la vie. Qui fut le premier à découvrir le moyen de produire du feu, d’assembler du bois, de fondre des minerais, de semer des graines, de moudre du grain ?
Les idées venant des choses communes. – Nous ne pouvons pas imaginer vivre sans connaître ces choses ; et pourtant, chacune d’elles fut une grande idée lorsqu’elle fit son apparition dans l’esprit de l’homme qui la conçut. D’où lui vint cette première idée ? Heureusement, on nous l’explique, dans un cas si représentatif qu’il est la clef de tous les autres : –
“Le laboureur passe-t-il tout son temps à labourer pour semer, à défoncer et herser son coin de terre ? Après avoir aplani la surface, ne jette-t-il pas la nigelle, ne répand-il pas le cumin ? Puis il met le blé, le millet, l’orge et l’épeautre en bordure. Son Dieu lui a enseigné cette règle et l’a instruit. On n’écrase pas la nigelle avec le traîneau, on ne fait pas passer sur le cumin les roues du chariot. C’est avec un bâton qu’on bat la nigelle, et le cumin se bat au fléau. Lorsqu’on foule le froment, on ne s’attarde pas à l’écraser ; on met en marche la roue du chariot et son attelage, on ne le broie pas. Tout cela est un don de Yahvé Sabaot, merveilleux conseil qui fait de grandes choses.”
« Dieu l’instruit ». – Dans les choses de la science, dans les choses de l’art, dans les choses de la vie quotidienne, son Dieu, à lui, lui enseigne et l’instruit, son Dieu, à elle, lui enseigne et l’instruit. Que ce soit la clef pour la mère de l’éducation de chaque garçon et de chaque fille ; et non pas de ses enfants ; l’Esprit divin ne travaille pas avec une multitude, mais avec chaque enfant individuellement. Parce qu’Il est infini, le monde entier ne représente pas une école trop grande pour ce Maître infatigable. Et parce qu’Il est infini, il peut donner toute son attention infinie à chacun de ses nombreux élèves. Nous ne nous réjouissons pas suffisamment de la richesse que nous apporte la nature infinie de notre Dieu.
Les sujets enseignés par la voie divine. – Et quels sont les sujets qui sont sous la direction de ce Divin Professeur ? La foi, l’espérance et la charité de l’enfant – nous le savions déjà ; sa tempérance, sa justice, sa prudence et sa force d’âme, nous l’aurions deviné ; sa grammaire, sa rhétorique, sa logique, sa musique, son astronomie, sa géométrie, son arithmétique – nous l’aurions oublié si ces maîtres florentins ne nous l’avaient rappelé ; son habileté pratique dans l’utilisation d’outils et d’instruments, depuis le couteau et la fourchette jusqu’au microscope, et dans la gestion judicieuse de toutes les affaires de la vie – cela vient aussi du Seigneur, qui est merveilleux dans ses conseils et excellent dans son travail. Son Dieu l’instruit et l’enseigne. Que la mère visualise cette pensée enveloppant son nouveau-né, et qu’elle n’envisage pour son enfant qu’une instruction guidée par la coopération divine. Mais nous devons nous rappeler qu’ici comme partout, l’Esprit infini et tout-puissant de Dieu travaille dans certaines limites.
Notre coopération est indispensable. – Notre coopération semble être la condition indispensable de toutes les œuvres divines. Nous le reconnaissons dans ce que nous appelons les choses spirituelles, c’est-à-dire les choses qui ont trait plus particulièrement à nos rapprochements avec Dieu ; mais ce qui est nouveau pour nous, c’est que la grammaire, par exemple, peut être enseignée soit de manière à solliciter et à obtenir la coopération du Divin Maître, soit de manière à exclure Sa présence éclairante de la salle de classe. Nous ne disons pas que les vertus spirituelles peuvent être démontrées par le professeur et encouragées chez l’enfant au cours d’une leçon de grammaire ; cela est sans doute vrai, et il faut s’en souvenir ; mais le point essentiel est sans doute que l’enseignement de la grammaire par ses idées directrices et ses principes simples, l’enseignement vrai, direct et humble de la grammaire, sans pédanterie et sans verbiage, est, nous osons le croire, accompagné de la puissance illuminatrice du Saint-Esprit, dont émane toute la connaissance.
L’enseignement qui invite et celui qui repousse la coopération divine. – Le contraire est également vrai. Un enseignement qui enveloppe l’esprit de l’enfant dans des replis de mots trop nombreux pour que sa pensée puisse s’en laisser pénétrer, qui lui donne des règles, des définitions et des tableaux à la place des idées – ceci est un enseignement qui exclut et rend impossible la coopération divine.
Le désaccord dans nos vies est résolu. – Cette grande prise de conscience résout le désaccord dans nos vies dont la plupart d’entre nous sont plus ou moins conscients. Nous sommes disposés à subordonner les choses matérielles aux choses de l’esprit ; en tout cas, nous sommes disposés à faire des efforts dans ce sens. Nous pleurons sur nos échecs et essayons à nouveau, et nous reconnaissons qu’ici se trouve l’Armageddon pour chaque âme humaine. Mais il y a là des terres contestées. La vie spirituelle n’est-elle pas exigeante, ne requiert-elle pas notre seul intérêt et la concentration de nos énergies ? D’un autre côté, les exigences de l’intellect – l’esprit, du sens esthétique – le goût, nous pressent de toute urgence. Nous avons besoin de réfléchir, nous avons besoin de savoir, nous avons besoin de nous réjouir du beau et de le créer. Et si toutes les ardentes pensées qui s’agitent dans l’esprit des hommes, toutes les belles conceptions auxquelles elles donnent naissance, sont des choses distinctes de Dieu, alors il en va de même pour nous, notre vie est distincte, séparée de Dieu, notre être est divisé entre séculier et religieux, ce qui crée désaccord et trouble. Nous pensons que c’est là la source fertile du manque de foi de notre époque, surtout dans les esprits jeunes et ardents. Les exigences de l’intellect sont pressantes ; la vie intellectuelle est une nécessité à laquelle on ne peut renoncer à aucun prix. Il leur est impossible de reconnaître en eux-mêmes une double nature, une double spiritualité, pour ainsi dire ; et, s’il y a des revendications qui s’opposent définitivement aux revendications de l’intellect, ces autres revendications doivent être écartées ; alors le jeune homme ou la jeune femme, plein de promesses et d’énergie, devient un libre-penseur, un agnostique, comme vous voulez. Si la relation intime, la relation du Maître et de l’élève dans toutes les choses de l’esprit et de l’intellect, est pleinement reconnue, nos pieds sont mis au large ; il y a de la place pour un développement libre dans toutes les directions, et ce développement libre et joyeux, qu’il concerne l’intellect ou le cœur, est reconnu comme un mouvement vers Dieu.
Nous sommes préservés du péché intellectuel autant que du péché moral. – Des activités variées, menées dans un but commun, apportent l’harmonie et la paix dans nos vies ; de plus, cette perception des rapports intimes de l’Esprit divin avec notre esprit dans les choses de l’intellect, aussi bien que dans celles de la nature morale, nous rend aussi vivement conscients dans un cas que dans l’autre des suggestions insidieuses de l’esprit du mal ; nous devenons conscients de la possibilité du péché intellectuel comme du péché moral ; nous percevons que dans la région de la raison pure, également, il nous incombe de veiller à ne pas tomber dans la tentation. Nous nous réjouissons de l’expansion de l’intelligence et de l’expansion du cœur, de l’aisance et de la liberté de celui qui est toujours en contact avec le Maître inspirant, chez qui se trouvent des réserves infinies de savoir, de sagesse et de vertu, gracieusement mises à notre disposition.
L’harmonie dans nos efforts. – Une telle prise de conscience de l’œuvre du Saint-Esprit en tant qu’éducateur de l’humanité, dans les domaines intellectuel, moral et spirituel, nous donne « de nouvelles pensées de Dieu, de nouveaux espoirs du Ciel », un sentiment d’harmonie dans nos efforts et d’acceptation de tout ce que nous sommes. Quel obstacle se dresse entre nous et la réalisation de cette vie bénie ? Ceci : nous ne nous percevons pas comme des êtres spirituels incarnés dans des corps, vivants, sensibles, tout à la fois un piège et une joie pour nous, mais qui ne sont, après tout, que les organes et les interprètes de notre intention spirituelle. Lorsque nous réaliserons que nous avons des relations d’esprit à esprit avec l’ami à côté de qui nous sommes assis, avec les personnes qui répondent à nos besoins, nous pourrons nous rendre compte de l’incessant dialogue entre l’Esprit divin et notre esprit humain. Ce sera pour nous comme lorsque, au printemps, nous cessons de parler et de penser, pour découvrir le monde empli de chants d’oiseaux que nous n’avions pas entendu l’instant d’avant. De même, nous apprendrons à faire une pause dans nos pensées, et nous entendrons dans nos perplexités intellectuelles, aussi bien que morales, les tons clairs, doux, encourageants et inspirants de notre Guide spirituel. Nous ne parlons pas ici de ce qu’on appelle communément la vie religieuse, ou des démarches précises que nous faisons auprès de Dieu par la prière et la louange ; ces choses, tous les chrétiens les comprennent plus ou moins pleinement ; nous parlons seulement de la vie intellectuelle, dont le développement chez les enfants est le but de nos sujets et de nos méthodes d’instruction.
Les conditions de la coopération divine. – En supposant que nous soyons disposés à réaliser cette grande prise de conscience, que nous nous engagions à accepter et à inviter la coopération incessante de l’Esprit divin, chaque jour, à toute heure, dans, pour le dire résolument et clairement, le travail scolaire de nos enfants, comment devons-nous former notre propre conduite pour rendre cette coopération active, ou même possible ? Il nous est dit que l’Esprit est la vie ; par conséquent, ce qui est mort, sec comme de la poussière, de simples os nus, ne peut avoir aucune affinité avec Lui, ne peut qu’étouffer et tuer ses influences vitalisantes. Une première condition de cet enseignement vitalisant est que toute la pensée que nous offrons à nos enfants soit une pensée vivante ; aucun résumé sec de faits ne fera l’affaire ; une fois donnée l’idée vitalisante, les enfants accrocheront volontiers les faits à l’idée comme à une cheville capable de soutenir tout ce qu’il est nécessaire de retenir. Nous commençons en croyant que les enfants sont des êtres spirituels aux pouvoirs immenses – intellectuels, moraux, spirituels – capables de recevoir et de jouir constamment des intuitions de la conversation intime avec l’Esprit Divin.
L’enseignement doit être frais et vivant. – En pensant d’abord à l’enfant, nous nous rendrons compte que tout ce qui nous paraît plat et ennuyeux doit nécessairement l’être pour lui, et que tous les sujets, sans exception, peuvent être abordés d’une manière fraîche et vivante. Enseignons-nous la géographie ? L’enfant découvre avec l’explorateur, voyage avec le voyageur, reçoit des impressions nouvelles et vivantes d’un autre esprit qui reçoit directement ces impressions, et non pas après qu’elles aient été rendues fades et ennuyeuses par un processus de filtration à travers de nombreux esprits intermédiaires avant de trouver leur place dans un petit manuel. Apprend-il l’histoire ? Ce qui le préoccupe, ce ne sont pas des séries de noms et de dates, ni de belles petites histoires faciles à lire, ramenées, comme nous le disons à tort, au niveau de sa compréhension ; nous reconnaissons que sa capacité de compréhension est au moins égale à la nôtre, et que c’est seulement son ignorance des événements que nous devons aborder aussi lumineusement que nous le pouvons.
Les livres doivent être vivants. – Nous reconnaissons que l’histoire, pour lui, consiste à vivre la vie de ces fortes personnalités qui, à un moment donné, laissèrent leur empreinte sur leur époque et leur pays. Ce n’est pas le genre de choses que l’on peut tirer de beaux petits livres d’histoire pour enfants, qu’il s’agisse du « Little Arthur’s » ou des “Grandes lignes » de quelqu’un. Nous amenons l’enfant aux sources vivantes de l’histoire – un enfant de sept ans est tout à fait capable de comprendre Plutarque, dans les propres mots (traduits) de Plutarque, sans aucune dilution et avec peu d’explications. Donnez-lui une pensée vivante de ce genre, et vous rendrez possible la coopération de l’Enseignant vivant. L’enfant progresse à pas de géant, et vous vous en étonnez. Dans l’enseignement de la musique, encore une fois, laissez-le percevoir les belles lois de l’harmonie, la personnalité, pour ainsi dire, de la Musique, qui contemple l’enfant depuis les étranges petites notes noires, et la leçon de piano cessera d’être une corvée.
Aucun système précis n’est utile. – Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails ; chaque sujet possède sa méthode vivante, avec ce que Coleridge appelle « son idée directrice » en tête, et ce n’est que lorsque nous découvrons cette méthode vivante dans chaque cas qu’un sujet d’instruction devient l’éducation d’un enfant. Chaque sujet, chaque division d’un sujet, chaque leçon, en fait, doit être évalué avant d’être offert à l’enfant pour savoir s’il est vivant, vital, de nature à inviter l’Intellect vivant de l’univers.
Les enfants devraient disposer des meilleurs livres. – Une autre chose est d’une importance vitale ; les enfants devraient disposer de livres, de livres vivants ; les meilleurs ne sont pas trop bons pour eux ; et tout ce qui est moins que les meilleurs n’est pas assez bon ; s’il est nécessaire de faire des économies, renoncez à tout ce qui relève d’une vie douce et luxueuse avant de renoncer au devoir de fournir les livres, et aux changements fréquents de livres qui sont nécessaires pour stimuler constamment la vie intellectuelle de l’enfant. Nous n’avons pas besoin de parler de la nécessité d’une pensée vivante chez l’enseignant ; c’est seulement dans la mesure où il est intellectuellement vivant qu’il peut être efficace dans le merveilleux processus que nous appelons avec désinvolture « éducation ».
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CHAPITRE 26 L’ENFANT ÉTERNEL
Le conseil suprême de perfection destiné aux parents
“Les chanteurs de Noël !
Ils jouent lentement, pauvres âmes prudentes,
En pensant, mélancoliques, à la joie de Noël,
Inconscients de la manière dont leur musique emporte
Les tourments de l’année.
Et avec l’enchantement, la simple chanson,
Nos pensées comme celles de l’enfance sont offertes,
Quand nos cœurs battent à l’unisson
Avec toutes les étoiles du ciel.”
– John Davidson.
Les enfants sont essentiels à la joie de Noël. – En cette époque où le nivellement est à la mode, nous aimons à penser que tout le monde dispose de chances égales dans de nombreux domaines ; mais la joie de Noël, par exemple, n’est pas ressentie par tout le monde de la même façon. Il n’y a pas que ceux qui sont dans le besoin, dans la peine ou dans toute autre adversité qui ne s’assoient pas au festin de Noël, fait de joie et d’action de grâces ; car, en effet, la part de Benjamin est souvent servie à ceux qui sont dans la peine. Mais c’est grâce à la présence des enfants que nous réalisons l’idée de l’Enfant Éternel. Les enfants sont à l’aube de leur vie et nous pensons leurs pensées et nous nous réjouissons de leur joie ; et chaque mère sait, dans la plénitude de son cœur, ce que signifie la Naissance à Bethléem. Ceux d’entre nous qui n’ont pas d’enfants en perçoivent les échos. Nous écoutons l’histoire merveilleuse lue à l’église, les choristes la chantent, les cloches de l’église y font écho, les années passées nous reviennent, et nos cœurs sont doux et paisibles, joyeux et gais, aimants et tendres, comme ceux des petits enfants ; mais, hélas, seulement le temps que dure cette pensée éphémère. Trop vite, la monotonie de la vie quotidienne s’installe à nouveau en nous, et nous nous impatientons un peu, n’est-ce pas, face à la joie que Noël exige de nous.
Mais il n’en est pas ainsi lorsqu’il y a des enfants. La vieille, vieille histoire a toute sa fraîcheur originelle lorsque nous la racontons à des auditeurs enthousiastes ; lorsque nous l’écoutons nous-mêmes avec leur vif intérêt, elle devient aussi réelle et fraîche pour nous que pour eux. Les pensées difficiles tombent de nos yeux comme des écailles ; nous sommes à nouveau jeunes grâce à la jeune vie des enfants, qui, nous le savons de façon mystérieuse, représente la vie éternelle. Quel mystère ! Chaque mère qui tient un bébé dans ses bras, rendue sage pour le salut, ne ressent-elle pas avec un grand émerveillement que ce profond dicton est vrai pour elle aussi : “Voici ma mère » ?
Chaque bébé porte un évangile. – Car le petit enfant est le vrai Saint Christophe : en lui se trouvent la lumière et la vie du Christ ; chaque naissance est un message de salut, et un rappel que, nous aussi, nous devons nous rendre humbles et redevenir comme des petits enfants. C’est peut-être là le véritable secret du progrès du monde : chaque enfant vient au monde avec un évangile indispensable au cœur de ses parents. Que nous sommes, nous aussi, des enfants, les enfants de Dieu, qu’Il aimerait que nous soyons comme des enfants, est le message que le nouveau-né ne manque jamais de porter, même si nous n’y prêtons pas attention, même si nous l’oublions vite. Il est bon que les parents réfléchissent à ces choses, car l’état de l’enfant est sanctifié, et il appartient à ses parents de protéger le petit héritier de la bénédiction.
L’enfant est humble. – Il n’est pas possible de traiter en détail un sujet aussi vaste, mais il vaut peut-être la peine de caractériser deux ou trois des points de repère de cet état d’enfant ; car comment protéger ce que nous ne reconnaissons pas, et comment reconnaître ce à quoi nous n’avons pas accordé une attention délibérée ? La caractéristique de l’enfance est, avant toute chose, l’humilité. Ce que nous appelons innocence peut probablement s’expliquer par cette grâce – notre nature trouve l’idée repoussante jusqu’à ce que nous l’acceptions, et elle se révèle alors à nous comme étant de nature divine. Un vieil et saint écrivain eut une pensée lumineuse sur ce sujet de l’humilité.
“Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais qu’une seule humilité dans le monde entier, et c’est l’unique humilité du Christ, que chaque homme, depuis la chute d’Adam, tient du Christ lui-même. L’humilité est unique, dans le même sens et la même vérité que le Christ est unique, que le Médiateur est unique, que la Rédemption est unique. Il n’y a pas deux Agneaux de Dieu qui enlèvent les péchés du monde. Mais s’il y avait une autre humilité que celle du Christ, il y aurait autre chose que Lui qui pourrait enlever les péchés du monde.” Or, s’il n’y avait qu’une seule humilité dans le monde entier, et que cette humilité soit celle du Christ, et si notre Seigneur déclare que le petit enfant est humble lui aussi, n’est-ce pas en raison de la divinité qui l’habite, de la gloire qui est en l’enfant, que nous appelons innocence ?
L’humilité n’est pas relative, mais absolue. – Notre notion courante de l’humilité est inexacte. Nous la considérons comme une qualité relative. Nous nous rabaissons devant untel ou untel, nous nous inclinons devant le prince mais nous nous imposons face au paysan. C’est pourquoi nous n’apprécions pas la grâce de l’humilité à sa juste valeur, même dans nos moments les plus sincères. Il nous semble que cette humilité relative n’est guère compatible avec le respect de soi et l’indépendance de caractère qui s’impose. On nous a appris à reconnaître l’humilité comme une grâce chrétienne, et c’est pourquoi nous ne protestons pas ; mais cette incompréhension sème la confusion sur un sujet important. Car l’humilité est absolue et non relative. Il ne s’agit nullement de prendre notre place parmi nos semblables selon une échelle donnée, certains étant au-dessus de nous de plusieurs échelons et d’autres tout aussi éloignés en dessous. L’âme humble n’a pas la notion de supérieur ou inférieur, elle est tout aussi humble devant un nourrisson, une primevère, un ver, un mendiant, un prince.
C’est, si l’on y pense, l’état naturel des enfants. Toute personne et toute chose suscite leur intérêt ; mais la personne ou la chose en action est profondément intéressante. « Puis-je aller faire des pâtés de boue avec l’enfant des rues ? » demande le petit prince, ne discernant aucune différence avec lui-même ; et l’enfant des rues le rencontrerait avec la même sincérité.
Les enfants ne se dévalorisent pas. – Quel est le secret de cette humilité absolue, humble aussi bien envers le supérieur qu’envers l’inférieur, et ignorant les distinctions ? L’idée que nous nous faisons d’une personne humble est celle d’une personne qui parle d’elle-même avec mépris, qui dit, en se rabaissant : « Oh, je ne peux pas faire ceci ou cela, vous savez, je ne suis pas intelligent » ; « Je ne suis pas fait pour la politique, je n’ai ni pouvoir ni influence » ; « Ah ! Eh bien, j’espère qu’il sera un meilleur homme que son père, je n’ai pas beaucoup d’estime pour moi-même d’ailleurs » ; « Vos enfants ont de la chance ; je voudrais que les miens aient une telle mère, mais je ne suis pas assez intelligente ». Nous disons souvent de telles choses, en toute sincérité, sans le moindre soupçon du sentiment d' »Uriah Heep ». Ce que nous déplorons, c’est que ceux qui prononcent ces paroles ont tendance à penser qu’ils ont, de toute façon, la grâce salvatrice de l’humilité. Il vaut la peine de réfléchir au fait que de tels propos dévalorisants ne sont pas attribués à l’Exemple de cette « grande humilité » que nous devons suivre ; et s’il n’y a pas la moindre trace de ce genre d’humilité dans la vie divine, qui est toute humilité, alors nous devons revoir nos conceptions. Les enfants non plus ne se dévalorisent jamais ; c’est parce qu’ils sont humbles, et avec l’Exemple divin sous les yeux, et l’exemple de nos enfants, nous pouvons comprendre que l’humilité ne consiste pas à avoir peu d’estime pour nous-mêmes. C’est un principe supérieur, un état béni, que nous, les adultes, n’atteignons que de temps en temps, mais dans lequel les enfants demeurent perpétuellement, et la volonté de Dieu est que nous les y maintenions.
L’humilité inconsciente de soi. – L’humilité n’a ni grande ni petite opinion d’elle-même ; elle ne pense pas du tout à elle-même. C’est une qualité négative plutôt que positive, car c’est une absence de conscience de soi plutôt que la présence d’une vertu distinctive. La personne qui n’a pas conscience d’elle-même est capable de tous les humbles services, de toutes les souffrances pour les autres, d’une gaieté éclatante malgré les petites contrariétés et les soucis de la vie quotidienne. C’est la qualité qui fait les héros, et c’est la qualité qui fait les saints. Nous sommes capables de prier, mais nous ne sommes guère capables d’adorer ou de louer, de dire : « Mon âme exalte le Seigneur », tant que nous nous préoccupons de nous-mêmes au plus profond de notre cœur.
La religion chrétienne est objective. – La religion chrétienne est, de par sa nature même, objective. Elle offre à notre dévotion, à notre révérence, à notre service, à notre adoration et à notre plaisir, une Personne Divine, le Désir du monde. La simplicité, le bonheur et la croissance proviennent de l’effusion d’un cœur humain sur ce qui en est tout à fait digne. Mais nous nous méprenons sur nos propres besoins, nous sommes préoccupés par nos propres échecs et nos propres repentirs, nos multiples états de conscience. Notre religion est d’abord subjective, puis, dans la mesure de nos possibilités, objective. L’ordre devrait plutôt être d’abord objectif et ensuite, dans la mesure où nous avons le temps ou le souci de penser à nous-mêmes, subjectif.
Les enfants ont tendance à être objectifs. – Les enfants ont tendance à être tout à fait objectifs, pas du tout subjectifs, et c’est peut-être pour cela qu’on dit qu’ils sont les premiers dans le royaume des cieux. Nous ne pouvons pas mettre cette distinction philosophique de côté comme si elle n’avait aucune incidence sur la vie quotidienne. Elle est la clé de voûte de la formation des enfants. Dans la mesure où notre éducation tend à développer le principe subjectif, elle tend à placer nos enfants à un niveau inférieur d’intention, de caractère et d’utilité pendant toute leur vie ; tandis que dans la mesure où nous développons le principe objectif, avec lequel les enfants sont nés, nous les rendons capables d’amour, de service, d’héroïsme, d’adoration.
Chaque fonction peut avoir son développement subjectif ou objectif. – Il est curieux d’observer comment chaque fonction de notre nature si complexe peut avoir son développement subjectif ou objectif. L’enfant peut manger, boire et se reposer avec une indifférence absolue pour ce qu’il est en train de faire, ses parents veillant à ce que ces choses soient agréablement arrangées pour lui, mais prenant également soin que son attention ne soit pas tournée vers les plaisirs de l’appétit. Mais c’est là un point sur lequel nous n’avons guère besoin de nous arrêter, car les parents attentifs reconnaissent que les repas des enfants doivent être agréables et variés afin que l’enfant mange naturellement avec satisfaction et n’ait pas ou peu d’opinion sur ce qu’il mange ; c’est-à-dire que les parents veillent à ce que, en matière de nourriture, les enfants ne soient pas égocentriques.
La force d’âme. – Les parents sont peut-être moins conscients de l’importance de réguler les sensations de l’enfant. Nous embrassons encore la petite blessure pour consoler l’enfant, nous faisons beaucoup d’histoires pour une bretelle inconfortable ou une feuille de rosier qui irrite la peau tendre de l’enfant. Nous avons oublié les sept vertus chrétiennes et les sept péchés capitaux d’autrefois, et nous ne nous préoccupons pas beaucoup, dans l’éducation de nos enfants, de savoir si notre influence contribue au développement de la grâce de leur force d’âme. La force d’âme a ses fonctions supérieures et inférieures. Elle s’occupe des choses de l’esprit et des choses du corps, et l’on peut peut-être affirmer que la force d’âme sur le plan supérieur n’est possible que lorsqu’elle est devenue une habitude de la nature sur le plan inférieur. Un bébé peut être éduqué à la force d’âme, et il en sera d’autant plus heureux. Il faut apprendre à un enfant qu’il est indigne de prêter attention au froid ou à la chaleur, à la douleur ou à l’inconfort. Nous ne percevons pas les sensations auxquelles nous ne prêtons pas attention, et il est tout à fait possible d’oublier même un mauvais mal de dents dans un intérêt nouveau et vif. La santé et le bonheur dépendent en grande partie de l’indifférence à l’égard des sensations, et l’enfant que l’on encourage à dire : « J’ai si froid », « Je suis tellement fatigué », « Mon maillot me gratte », et ainsi de suite, risque de devenir une jeune fille hystérique ou un homme hypocondriaque ; car, et c’est une loi immuable, il en est de nos sensations comme de nos appétits, plus nous leur accordons notre attention, plus elles nous dominent, jusqu’à ce qu’une unique sensation de douleur ou d’inconfort léger domine tout notre champ de vision, nous rendant inconscient de toute joie dans la vie, de toute beauté sur la terre.
L’enfant égocentrique n’est plus humble. – Mais ce sont là les raisons mineures d’apprendre à l’enfant à supporter les petits désagréments et à ne pas s’en préoccuper. L’enfant à qui l’on a permis de devenir trop attentif à lui-même dans le domaine des sensations, comme dans celui des appétits, a perdu sa condition d’enfant, il n’est plus humble ; il est dans la position de penser à lui-même, au lieu de cette position infiniment bénie de ne pas avoir conscience du tout de lui-même. Nous ne devons pas non plus nous permettre de faire une exception à cette règle dans le cas du pauvre petit invalide. Pour lui, bien plus que pour l’enfant en bonne santé, il importe de l’entraîner à ne pas tenir compte de ses sensations ; et plus d’un brave petit héros souffre énormément sans y penser consciemment, et par conséquent, naturellement, souffre infiniment moins que s’il avait été incité à s’attarder sur ses souffrances. Nous disons “incité” parce que, bien qu’un enfant puisse pleurer à cause d’une détresse soudaine, il ne pense pas vraiment à ses douleurs, à moins que ses pensées ne soient tournées vers ses maux par ceux qui l’entourent.
Pas de régime spartiate. – Je ne conseille pas de régime spartiate. Il ne nous est pas permis d’infliger la dureté pour que les enfants apprennent à endurer. Notre souci est simplement de détourner leur conscience de leurs sensations. L’anecdote
bien connue de l’homme qui, avant l’époque du chloroforme, s’est fait couper la jambe sans ressentir de douleur consciente, parce qu’il avait résolument occupé son esprit à autre chose, est un exemple extrême mais instructif de ce qui peut être fait dans ce sens. En même temps, bien que l’on apprenne à l’enfant à ne pas en tenir compte, ses sensations doivent être soigneusement surveillées par ses aînés, car ceux-ci doivent tenir compte des signaux de danger que l’enfant lui-même doit apprendre à ignorer et agir en conséquence. Mais il est généralement possible de s’occuper des sensations d’un enfant sans qu’il sache qu’elles ont été observées.
La direction altruiste ou égoïste. – Les sensations ne sont qu’un exemple de la direction altruiste ou égoïste que peuvent prendre les différentes fonctions de la nature complexe de l’enfant. Ses affections, elles aussi, sont susceptibles de recevoir une direction subjective ou objective, selon les suggestions qui lui parviennent de l’extérieur. Chaque enfant vient au monde richement doté d’un puits d’amour, d’une fontaine de justice ; mais que le flot d’amour coule vers la droite ou vers la gauche, qu’il soit égoïste ou altruiste, cela dépend de la formation de l’enfant dans ses premières années. L’enfant à qui l’on enseigne dès le début les délices du don et du partage, de l’amour et du support, se dépensera toujours librement pour les autres, aimera et servira, n’aspirant à rien d’autre ; mais l’enfant qui constate qu’il est l’objet d’une attention, d’une considération, d’un amour et d’un service constants, devient égoïste, égocentrique, presque sans que ce ne soit de sa faute, tant ses pensées sont influencées par ceux qui l’entourent. Il en est de même de cette autre source, la justice, avec laquelle chaque enfant naît. Là encore, le courant peut couler dans une des deux directions, égoïste ou altruiste, mais pas dans les deux. La demande de justice de l’enfant peut ne concerner que lui, ou, dès le début, on peut aussi lui faire valoir les droits des autres.
« Ce n’est pas juste ! ». – Il se peut qu’on lui apprenne à se préoccuper de ses propres droits et des devoirs des autres, et, si c’est le cas, son état d’esprit est facilement discernable par les mots qui reviennent souvent sur ses lèvres : “Quel dommage ! » « Ce n’est pas juste ! ». Il peut aussi, en revanche, être tellement occupé par la notion de ses propres devoirs et des droits des autres que les revendications personnelles passent discrètement au second plan. Cette sorte ne sort que par la prière, mais il est bon de clarifier nos pensées et de savoir exactement ce que nous désirons pour nos enfants, car c’est seulement ainsi que nous pouvons travailler intelligemment à la réalisation de notre désir. Il est dommage de prier et d’entraver la réponse par notre propre action ; mais cela n’est, hélas, que trop possible.
Au cours de chaque fête de l’Enfant Éternel, que les parents réfléchissent à la meilleure façon de maintenir leurs propres enfants dans l’état d’enfant béni, en se rappelant que l’humilité que le Christ recommande chez les enfants est ce que l’on peut décrire, philosophiquement, comme le principe objectif par opposition au principe subjectif, et que, dans la mesure où un enfant devient conscient de lui-même dans une quelconque fonction de son être, il perd la grâce de l’humilité. Tel est le principe général ; l’application pratique nécessitera une vigilance constante et des efforts constants, surtout pendant les périodes de vacances, pour empêcher la famille et les amis de manifester leur amour pour les enfants d’une manière qui tendrait à développer la conscience de soi.
L’humilité est le conseil suprême de perfection. – Ce conseil d’humilité n’est pas un simple conseil de perfection, c’est probablement le conseil suprême de perfection ; et quand nous le soumettons aux parents, nous l’offrons à ceux pour qui aucun effort n’est trop difficile, aucun but trop élevé ; à ceux qui font le plus pour promouvoir le Royaume du Christ.
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APPENDICE
Questions à l’usage des étudiants.
CHAPITRE 1
La famille
1. Comment, et à propos de quoi, Rousseau a-t-il réussi à éveiller les parents ?
2. A quels égards la famille est-elle une communauté ?
3. Pourquoi, et en quoi, la famille doit-elle être sociale ?
4. Montrez comment la famille doit servir ses voisins plus pauvres.
5. De quelle manière la famille peut-elle servir la nation ?
6. Quel est l’ordre divin pour la famille en ce qui concerne les autres nations ?
7. Mentionnez des moyens d’assurer l’amitié avec les autres nations.
8. Que signifie l’expression « la restauration de la famille » ?
9. Enrichissez chacun des points abordés dans ce chapitre grâce à votre expérience personnelle.
CHAPITRE 2
Les parents en tant que souverains
1. A quels égards la famille est-elle une monarchie absolue ?
2. Montrez que la souveraineté des parents ne peut être déléguée.
3. Donnez quelques causes qui conduisent à l’abdication des parents.
4. En quoi consiste la majesté de la parentalité ?
5. Montrez que les enfants sont un bien public et un bien divin.
6. Définissez la portée et indiquez les limites de l’autorité parentale.
7. Commentez et développez un ou plusieurs des points ci-dessus à partir de vos connaissances et de votre expérience.
CHAPITRE 3
Les parents en tant que source d’inspiration
Les enfants doivent renaître à la vie de l’intelligence.
1. Expliquez et vérifiez l’affirmation selon laquelle les parents doivent une seconde naissance à leurs enfants.
2. Montrez exactement comment la science soutient cette allégation.
3. Quels sont les processus et les méthodes de cette seconde naissance ?
4. Résumez le point de vue du Dr Maudsley sur l’hérédité.
5. Distinguez disposition et caractère.
6. Que dit le Dr Maudsley à propos des effets structurels des « expériences journalières de l’individu » ?
7. Énumérez les articles de la charte éducative dont on peut affirmer que notre époque s’est dotée.
8. Faites d’autres commentaires sur l’un ou l’autre des points ci-dessus.
CHAPITRE 4
Les parents en tant que source d’inspiration
La vie de l’esprit se développe grâce aux idées
1. Résumez le chapitre précédent.
2. Pourquoi les conceptions éducatives du passé ne sont-elles pas nécessairement valables aujourd’hui ?
3. Expliquez et illustrez la théorie de Pestalozzi.
4. Et la théorie de Froebel.
5. En quoi le jardin d’enfants est-il une conception vitale ?
6. Mais la science évolue. Comment ce fait affecte-t-il la pensée éducative ?
7. Quelle est l’influence de l’hérédité sur l’éducation ?
8. L’éducation est-elle formatrice ? Discutez de cette question.
9. Prouvez que l’individu n’est pas à la merci de l’empirisme. Est-ce bénéfique ?
10. Pourquoi le terme « éducation » est-il inadéquat ?
11. Quelle est la force de l’expression « élever » ?
12. Donnez une définition adéquate, et montrez pourquoi elle est adéquate.
13. Montrez l’importance de la méthode comme moyen de parvenir à une fin.
14. Illustrez le fait que la vie de l’esprit se nourrit d’idées.
15. Qu’est-ce qu’une idée ?
16. Retracez l’essor et le développement d’une idée.
17. Illustrez la genèse d’une idée.
18. Une idée peut exister sous la forme d’une « appétence ». Donnez des exemples.
19. Montrez qu’un enfant s’inspire du quotidien qui l’entoure.
20. Décrivez et illustrez l’ordre et le progrès des idées définies.
21. Quelle est la doctrine platonicienne des idées ?
22. Montrez que seules les idées importent dans l’éducation.
23. Comment devrait se développer la formule éducative ?
24. Qu’est-ce que la « raison infaillible » ?
CHAPITRE 5
Les parents en tant que source d’inspiration
Les choses de l’esprit
1. Montrez que les parents sont nécessairement les révélateurs de Dieu à leurs enfants.
2. Montrez qu’ils doivent fortifier les enfants contre le doute.
3. De quelles manières peut-on s’y prendre ?
4. Pourquoi la première voie est-elle injuste ?
5. Montrez que les « évidences » ne sont pas des preuves.
6. Comment leur regard sur la pensée actuelle affecte-t-il les jeunes ?
7. Montrez que les enfants ont droit au “libre arbitre » dans la pensée.
8. Que peut-on faire en guise de préparation ?
9. De quelle manière faut-il apprendre aux enfants à être patients en ce qui concerne la science ?
10. La connaissance est progressive. Comment cela devrait-il affecter notre attitude mentale ?
11. Montrez que les enfants devraient apprendre certaines lois de la pensée.
12. Et qu’ils devraient traiter les pensées à mesure qu’elles leur viennent.
13. Sur quoi repose la requête des enfants ?
14. Montrez que les enfants devraient penser à Dieu comme un « refuge ».
15. Prouvez et illustrez grâce à votre propre expérience que l’esprit de l’enfant est un bon terreau.
16. Est-il vrai que les enfants souffrent d’un mécontentement profond ? Si oui, pourquoi ? Illustrez.
CHAPITRE 6
Les parents en tant que source d’inspiration
Idées fondamentales venant des parents
1. Quelle est la chose fondamentale que nous devons faire en ce monde ?
2. Citez deux idées de Dieu spécialement adaptées aux enfants.
3. “Nous devrions progresser lentement sur la dimension humaine”. Pourquoi ne sommes-nous pas d’accord ?
4. Distinguez la certitude logique du bien moral.
5. Comment la Crucifixion aurait-elle pu apparaître à un Juif consciencieux ? Et comment, à un Juif patriote ?
6. Montrez quelles idées fondamentales les enfants reçoivent de leurs parents.
7. Qu’avez-vous à dire sur les premiers pas d’un petit enfant vers Dieu ?
8. Discutez la question des formules archaïques dans les prières d’enfants.
9. Montrez que le « chant de triomphe royal » convient à un enfant.
10. Abordez également la notion de « combat du Christ contre le diable ».
11. « Comme il est difficile d’être chrétien.” Est-ce là l’expérience d’un enfant ?
CHAPITRE 7
Le parent en tant que maître d’école
1. Qu’est censé faire un maître d’école pour un garçon ?
2. Pour quelles raisons cette tâche est-elle confiée au maître d’école ?
3. Avec quelle catégorie d’enfants réussit-il ?
4. Pourquoi la discipline de l’école n’affecte-t-elle pas toujours la vie ?
5. Discutez de « Edward Waverley » comme un exemple de relâchement mental.
6. Montrez que nous ne sommes pas censés grandir dans un état de Nature.
7. Prouvez que la première fonction du parent est celle de la discipline.
8. Montrez que l’éducation est une discipline.
9. Distinguez la discipline de la punition.
10. Comment les disciples sont-ils attirés ?
11. Montrez que la discipline signifie des progrès constants selon un plan minutieux.
CHAPITRE 8
Cultiver le caractère
Les parents comme formateurs
1. Dans quelle mesure l’hérédité compte-t-elle ?
2. Montrez la valeur des opportunités en ce qui concerne les enfants.
3. Décrivez une curieuse expérience d’éducation.
4. Montrez que le caractère est un accomplissement.
5. Quels sont les deux façons dont nous disposons pour préserver la santé mentale ?
6. Montrez que le développement du caractère est l’œuvre principale de l’éducation.
7. Donnez quelques raisons plausibles de ne rien faire pour la formation du caractère.
8. Comment les progrès de la science affectent-ils la question ?
9. Quel est le devoir d’un parent envers un beau trait de famille ?
10. A l’égard de qualités uniques ?
11. Quelles sont les quatre conditions au soin ?
12. Donnez un exemple dans le cas d’un enfant ayant un penchant héréditaire pour les langues.
13. Montrez que le travail et l’usure du tissu cérébral sont nécessaires.
14. Soulignez le danger de l’excentricité.
15. Citez quelques causes de singularité chez les enfants.
16. Comment sauver nos « splendides échecs » ?
CHAPITRE 9
Cultiver le caractère
Le traitement des défauts
1. Quel est l’objet ultime de l’éducation ?
2. Quel est le rôle des parents en ce qui concerne les « défauts de leurs qualités » chez leurs enfants ?
3. Donnez quelques exemples d’enfants qui ont ainsi des défauts.
4. Indiquez le traitement spécial à appliquer dans chaque cas.
5. Montrez que les troubles moraux nécessitent une attention immédiate.
6. Montrez qu’“une habitude triomphe d’une autre habitude » est un évangile pour les parents.
7. De quelle manière existe-t-il un enregistrement tangible des efforts d’éducation ?
8. Prouvez que l’amour maternel ne suffit pas pour éduquer les enfants.
CHAPITRE 10
L’enseignement de la Bible
Les parents comme instructeurs de la religion
1. Pourquoi les Écoles du dimanche sont-elles nécessaires ?
2. Montrez que les parents devraient enseigner eux-mêmes la religion à leurs enfants.
3. Décrivez une initiative australienne similaire à l’Union des Parents.
4. Que dit le rapport du Comité sur l’éducation religieuse des classes moyennes et supérieures ?
5. Donnez quelques-unes des raisons pour lesquelles les parents échouent à enseigner la religion à leurs enfants.
6. Discutez du discrédit jeté sur la Bible.
7. Discutez de l’affirmation selon laquelle « les miracles n’existent pas ».
8. Montrez que notre conception de Dieu dépend des miracles.
9. Discutez des miracles comme étant contraires à la loi naturelle.
10. Montrez combien les miracles du Christ sont bien faits.
CHAPITRE 11
La foi et le devoir
Les parents comme éducateurs de la morale
1. Quel est, selon M. Huxley, le seul résultat pratique de l’éducation ?
2. Avons-nous un sens infaillible du « devoir » ?
3. Montrez la valeur éducative de la Bible en tant qu’œuvre littéraire classique.
4. Comment le journal d’une mère devrait-il être utilisé ?
5. Montrez comment utiliser les contes de fées dans l’instruction morale.
6. Les fables.
7. Les histoires de la Bible.
8. Pourquoi faut-il utiliser la phraséologie de la Bible dans l’enseignement ?
9. Faut-il utiliser les récits de miracles dans l’instruction morale ?
10. Faut-il mettre la Bible toute entière entre les mains d’un enfant ?
11. Donnez quelques règles morales à glaner dans le Pentateuque.
12. Montrez la valeur de L’Iliade et de L’Odyssée dans l’enseignement moral.
13. Quelle est la faiblesse originelle de la “morale laïque » ?
14. Que faut-il dire en faveur des leçons sur le devoir ?
15. Montrez la valeur morale du travail manuel.
16. Montrez les risques d’un enseignement moral bâclé.
17. Montrez l’importance d’un enseignement soigneux de l’éthique.
CHAPITRE 12
La foi et le devoir
Les revendications de la philosophie comme instrument d’éducation
1. Montrez que la pensée pédagogique anglaise tend vers le naturalisme.
2. Quel est le verdict de Madame de Staël sur Locke ?
3. Montrez que nos efforts en matière d’éducation n’ont pas de but précis.
4. Montrez que nous sommes au bord du chaos.
5. Montrez que nous sommes aussi à l’aube d’une révolution éducative.
6. Notre système d’éducation doit-il être issu du naturalisme ou de l’idéalisme ?
7. Que dire du point de vue éthique de l’éducation ?
8. Montrez que l’on n’a pas tenté d’unifier l’éducation.
9. Quelles sont les revendications de la philosophie en tant que moyen d’éducation ?
10. Montrez qu’une nation devrait être éduquée pour ses fonctions propres.
11. Comment les petites vertus deviennent-elles faciles ?
12. Comment une habitude est-elle déclenchée ?
13. L’esprit peut-il agir sur la matière ?
14. Comment l’individualité des enfants est-elle sauvegardée ?
CHAPITRE 13
La foi et le devoir
L’homme vit par la foi, tourné vers Dieu et vers l’Homme
1. Montrez que parler de choses « sacrées » et « profanes » constitue une classification irréligieuse.
2. Comment les échanges de pensée sont-ils maintenus ?
3. Pourquoi est-il évident et naturel que le Père des esprits ait un accès libre aux esprits des hommes ?
4. Pourquoi la tolérance facile est-elle perfide ?
5. Montrez que l’homme vit par la foi, tourné vers Dieu et vers l’Homme.
6. Décrivez la foi en Dieu.
7. Montrez que la foi est naturelle.
8. Montrez que la foi n’est pas une impulsion spontanée.
9. Qu’avez-vous à dire à propos du culte de la foi ?
10. Comment l’auteur en question définit-il la vertu ?
CHAPITRE 14
Les parents sont soucieux de donner l’impulsion héroïque
1. Quelle est la valeur du poème épique dans l’éducation ?
2. Montrez que Beowulf est notre Ulysse anglais.
3. Montrez qu’il représente l’idéal anglais.
4. Illustrez la noblesse de nos ancêtres.
5. Pouvez-vous citer quelques anciennes énigmes anglaises ?
CHAPITRE 15
Est-ce possible ?
L’attitude des parents face aux questions sociales
1. Montrez que nous sommes confrontés à une crise morale.
2. Comment cette crise montre-t-elle que nous aimons notre frère ?
3. Comment l’ »idolâtrie de la taille » nous affecte-t-elle ?
4. Cui bono ? Montrez-en l’effet paralysant.
5. Peut-on changer le caractère ?
6. Quelle est la problématique de notre époque ?
7. Quel est le miracle essentiel ?
8. Pourquoi l’espoir devrait-il faire défaut aux dépravés par hérédité ?
9. Pourquoi l’espoir devrait-il aussi faire défaut aux dépravés par habitude invétérée ?
10. Pourquoi l’espoir devrait-il aussi faire défaut aux dépravés par la pensée ?
11. Quel espoir y a-t-il dans la doctrine de l’hérédité telle que nous l’admettons ?
12. Montrez que l’éducation est plus forte que la nature.
13. Montrez qu’il existe une préparation naturelle au salut.
14. Montrez que la « conversion » n’est pas un miracle.
15. Montrez que la « conversion » n’est pas contraire à la loi naturelle.
16. Montrez qu’il peut y avoir plusieurs « conversions » au cours d’ une vie.
17. Dans quelles conditions une idée est-elle puissante ?
18. Montrez la puissance et la pertinence des idées incluses dans le christianisme.
19. Pourquoi un traitement curatif est-il nécessaire ?
20. Montrez qu’une organisation solide peut apporter un soulagement.
21. Montrez que le travail et l’air frais sont des agents puissants.
CHAPITRE 16 Discipline
Une considération pour les parents
1. Qu’entendent généralement les gens par discipline ?
2. Faites la distinction entre une méthode et un système.
3. Que dire d’une « sage passivité » ?
4. Expliquez ce qu’est la punition par les conséquences.
5. Montrez que les enfants peuvent apprécier la punition.
6. Montrez que les actes répréhensibles sont nécessairement suivis de sanctions.
7. Les punitions sont-elles réformatrices ?
8. Quels sont les meilleurs guides en termes de discipline ?
9. Parlez de la mère qui « répète sans cesse » à ses enfants de faire ceci ou cela.
10. Donnez neuf conseils pratiques à un parent qui souhaite s’occuper sérieusement d’une mauvaise habitude.
11. Comment traiteriez-vous un enfant indiscret, par exemple ?
CHAPITRE 17 Sensations et sentiments
Les sensations peuvent être éduquées par les parents
1. Montrez que le « bon sens » a généralement pour base une opinion scientifique.
2. Quelle est l’origine des sensations ?
3. Montrez que les sensations doivent être considérées comme intéressantes en raison de la chose perçue et non de la personne qui perçoit.
4. Pourquoi les leçons de choses sont-elles tombées en désuétude ?
5. Montrez qu’un bébé fait des leçons de choses.
6. Quel est l’impact de l’enseignement de la Nature dans les premières années ?
7. Quels sont les deux points à prendre en compte dans l’éducation des sens ?
8. Montrez que les leçons sur les objets, pour être utiles, doivent être fortuites.
9. Quels sont les avantages d’effectuer un tel enseignement en famille ?
10. Comment enseigner aux enfants à distinguer les termes positifs des termes comparatifs ?
11. Comment corrigeriez-vous l’usage inconsidéré des épithètes ?
12. Comment apprendriez-vous aux enfants à estimer le poids des choses ?
13. La taille ?
14. À discerner les sons ?
15. À discerner les odeurs ?
16. À discerner les saveurs ?
17. Pouvez-vous suggérer une gymnastique sensorielle ?
18. Des jeux sensoriels ?
CHAPITRE 18
Sensations et sentiments
Les sentiments peuvent être éduqués par les parents
1. Qu’entendez-vous par sensations “qui nous reviennent” ?
2. Montrez que nous avons ici une bonne raison pour laquelle il faut conserver les souvenirs de plein air.
3. Montrez que les souvenirs agréables représentent une source de bien-être physique.
4. Montrez que les souvenirs agréables représentent aussi une source de restauration mentale.
5. Distinguez les sensations des sentiments.
6. Montrez que les sentiments devraient être objectifs et non subjectifs.
7. Montrez ce que les sentiments sont et ne sont pas.
8. Montrez que chaque sentiment a un côté positif et un côté négatif.
9. Les sentiments sont-ils moraux ou immoraux ?
10. Montrez le lien entre les sensations échappant à la mémoire et les actes.
11. Certains actes insignifiants peuvent représenter « la meilleure part d’une existence bonne ». Pourquoi ?
12. La perception des caractères est-elle un sentiment ?
13. Montrez sa délicatesse et son importance.
14. Montrez comment les sentiments influencent la conduite.
15. Discutez la notion d’enthousiasme.
16. Donnez la genèse de nos activités.
17. Montrez qu’en éduquant les sentiments nous modifions le caractère.
18. Que dire du sixième sens du tact ?
19. Pourquoi faut-il se méfier des mots ?
20. Comment communiquer un sentiment ?
21. Quels sont les sentiments qui distinguent particulièrement les personnes ?
22. Montrez que gérer les sentiments des jeunes est une tâche délicate.
CHAPITRE 19
Qu’est-ce que la vérité ?
Discrimination morale exigée des parents
1. Montrez que, en tant que nation, nous perdons autant que nous gagnons en sincérité.
2. Quelles sont les deux théories en vigueur concernant le mensonge ?
3. Le mensonge est-il un symptôme élémentaire ou secondaire ?
4. Comment traiteriez-vous la « pseudophobie » ?
5. « Le mensonge héroïque ».
6. « La vérité pour les amis, le mensonge pour les ennemis ».
7. « Le mensonge inspiré par l’égoïsme ».
8. “Le mensonge de l’imagination et du jeu”.
9. “La mythomanie”.
10. Comment éduquer les enfants à dire la vérité ?
CHAPITRE 20
En défense du pourquoi
Les parents sont responsables de la compétitivité des examens
1. Mentionnez quelques éléments que nous avons compris en nous demandant « Pourquoi ?“.
2. Pourquoi Tom va-t-il à l’école ?
3. Montrez que la même impulsion le fait réussir à l’école et à l’université.
4. Qu’est-ce que la tendance à réviser intensivement ?
5. Montrez que la tyrannie des concours a le soutien des parents.
6. Les examens sont-ils eux-mêmes un mal ?
7. Dans quelles conditions devraient-ils être organisés ?
8. Quels sont les désirs primaires ?
9. Sont-ils vertueux ou vicieux ?
10. Quelle fin servent-ils ?
11. Montrez que tout au long de la vie de l’écolier, un désir naturel prend la place qui revient à un autre.
12. Pourquoi l’écolier n’est-il plus curieux ?
13. En quoi cela constitue-t-il une perte pour le garçon ?
14. Montrez que l’émulation est un ressort plus facile à activer que la curiosité.
15. Montrez qu’un empire soumis aux examens serait une calamité.
CHAPITRE 21
Plan d’une théorie de l’éducation proposée aux parents
1. Dans quelle mesure l’idéal de l’éducation devrait-il être adapté à la classe sociale ?
2. Quelle différence y a-t-il entre les enfants de parents lettrés et ceux de parents ignorants en ce qui concerne le vocabulaire, l’imagination, etc.
3. Quand est-il important de développer les « facultés », et quand ne l’est-il pas ?
4. Quelles sont les principales tâches de l’éducateur ?
5. Montrez qu’il est nécessaire de reconnaître les principes matériels et spirituels de la nature humaine.
6. Comment cela nous conduit-il à reconnaître l’Éducateur Suprême ?
7. Par quel critère peut-on juger de la valeur des études ?
8. Montrez que la connaissance de la « Nature » éduque l’enfant.
9. Que dire de l’utilisation de bons livres dans l’éducation ?
10. Discutez de la « nature enfantine ».
11. Pourquoi tenons-nous à l’individualité des enfants ?
12. Pourquoi devons-nous tenir compte de la proportion dans notre plan d’éducation ?
13. Montrez que les enfants ont droit à la connaissance.
CHAPITRE 22
Un catéchisme de la théorie de l’éducation
1. Montrez que le caractère est un accomplissement.
2. Qu’est-ce qui donne naissance à la conduite ?
3. Quels sont les moyens dont nous disposons pour modifier les dispositions ?
4. Expliquez la genèse d’une habitude.
5. Comment corriger une mauvaise habitude ?
6. Montrez que notre conduite est généralement dirigée par une cérébration inconsciente ou subconsciente.
7. Dans quelle mesure les habitudes d’une personne « bien élevée » lui rendent-elles la vie facile ?
8. Pourquoi la formation d’une habitude demande-t-elle du temps ?
9. Retracez le développement logique d’une pensée.
10. Montrez que la raison n’est pas un guide de conduite infaillible.
11. Montrez comment fonctionne la confusion entre le bien logique et le bien moral dans l’histoire du monde.
12. Pourquoi, alors, un enfant devrait-il savoir ce qu’il est en tant qu’être humain ?
13. Montrez dans quelle mesure cette connaissance est une protection.
14. Quel est le rôle de la volonté dans l’accueil des idées ?
15. Comment les idées sont-elles transmises ?
16. Quelle est la part de l’Éducateur divin dans les choses naturelles et spirituelles ?
17. Quel rôle jouent les leçons dans l’éducation ?
18. Quel principe, en ce qui concerne le programme d’études, trouvons-nous dans l’aptitude naturelle de l’enfant à la connaissance ?
CHAPITRE 23
D’où venons-nous et vers où allons-nous ?
Une question pour les parents. D’où venons-nous ?
1. Comment la génération précédente considérait-elle les enfants ?
2. Quel travail intellectuel l’enfant accomplit-il au cours de sa première année ?
3. Commentez l’intelligence des enfants.
4. Montrez qu’ils sont très doués mais ignorants.
5. Choisissez entre « heureux et bon » et « bon et heureux » comme maxime éducative.
6. Comment testeriez-vous divers systèmes d’éducation ?
7. Montrez le devoir de progresser avec son époque.
CHAPITRE 24
D’où venons-nous et vers où allons-nous ?
Une question pour les parents. Vers où allons-nous ?
1. Qu’est-ce qui fait la grandeur des enfants ?
2. Qu’est-ce que la sagesse ?
3. Montrez que les enfants grandissent en sagesse plutôt qu’en intelligence.
4. Montrez que l’enfant possède déjà son plein potentiel.
5. Montrez que nous vivons tous pour faire progresser la race humaine.
6. Montrez que nous trouvons notre origine dans la puissance de l’enfant.
7. Montrez que nous trouvons notre direction dans la pensée du jour.
8. Comment la pensée actuelle devrait-elle affecter l’éducation en ce qui concerne la science ?
9. En ce qui concerne l’art ?
10. En ce qui concerne les livres ?
11. Comment l’idée de la solidarité de la race humaine doit-elle influencer l’éducation ?
12. Comment pouvons-nous apprendre aux enfants que servir est une faveur ?
13. Comment devrions-nous protéger les enfants de l’injustice dans le monde ?
CHAPITRE 26
L’enfant éternel
Le conseil suprême de perfection destiné aux parents
- Montrez que chaque bébé porte un évangile en lui.
- Montrez que l’enfant est humble.
- Montrez que l’humilité n’est pas relative mais absolue.
- Montrez que la religion chrétienne est objective.
- Montrez que les enfants ont tendance à être objectifs.
- Montrez que notre souci doit être de donner à chaque fonction un développement objectif et non subjectif.
- Quel rôle la force d’âme doit-elle jouer dans l’éducation ?
- Montrez que l’enfant égocentrique n’est plus humble.
- Montrez que les tendances des enfants peuvent prendre une direction soit altruiste soit égoïste.
- 10. Comment cela s’applique-t-il à la plainte : « Ce n’est pas juste » ?
- 11. Montrez que l’humilité est le conseil suprême de perfection.
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