VOLUME 2, PARENTS ET ENFANTS

Jean-François Millet, Les premiers pas, 1859

Titre original : Home Education Series – Volume 2. Parents and Children, by Charlotte Mason.

Cette édition de la série « L’éducation à la maison » a été traduite par Maeva Dauplay, Sylvie Dugauquier et Charlotte Roman © 2023.

Elle est protégée par les droits d’auteur de Charlotte Mason France, et ne peut être publiée ou copiée ailleurs sans l’autorisation expresse de www.charlottemason.fr.

Préface

Les perspectives éducatives sont plutôt brumeuses et déprimantes tant dans notre pays qu’à l’étranger. Que la science devrait être l’aliment de base de l’éducation, que l’enseignement du latin, des langues modernes, des mathématiques devrait être réformé, que la nature et les travaux manuels devraient être mis au service de la formation de l’œil et de la main, que les garçons et les filles devraient apprendre à écrire l’anglais et devraient donc connaître l’Histoire et la littérature ; et, d’autre part, que l’éducation devrait être rendue plus technique et plus utilitaire – là sont les lamentations opportunistes avec lesquelles nous prenons position. Mais nous n’avons pas de principe unificateur, pas de but défini ; en fait, pas de philosophie de l’éducation. De même qu’un cours d’eau ne peut s’élever au-dessus de sa source, il est probable qu’aucun effort éducatif ne peut s’élever au-dessus de l’ensemble de la pensée qui lui donne naissance ; et c’est peut-être la raison de toutes “nos chutes, absences”, échecs et déceptions qui marquent nos résultats scolaires.

Ceux d’entre nous qui ont passé de nombreuses années à poursuivre la vision bienveillante et insaisissable de l’éducation perçoivent que leurs démarches sont réglementées par une Loi, et c’est cette Loi qui doit être encore évoquée. Nous pouvons en discerner les contours, mais pas plus. Nous savons qu’elle est omniprésente ; il n’y a aucun fragment de la vie de famille ou du travail scolaire d’un enfant que cette Loi n’atteint pas. Elle éclaire aussi, montrant la valeur, ou le manque de valeur, de mille systèmes et expédients. Ce n’est pas seulement une lumière, mais une mesure qui pourvoit une norme par laquelle toute chose, petite ou grande, appartenant au travail éducatif, doit être testée. La Loi est libérale, admettant tout ce qui est vrai, honorable et qui mérite l’approbation, et n’offre aucune limitation ou entrave sauf là où un excès risquerait de nuire. Et le chemin indiqué par la Loi est continu et progressif, sans transition du berceau à la tombe, si ce n’est que la maturité prend la direction habituelle à laquelle l’immaturité a été entraînée. Nous trouvons sans doute, lorsque nous appréhendons la Loi, que certains penseurs allemands – Kant, Herbart, Lotze, Froebel – ont raison ; que, comme ils disent, il est « nécessaire » de croire en Dieu ; que, par conséquent, la connaissance de Dieu est la connaissance principale, et le but ultime de l’éducation. Par sa nature nous saurons reconnaître cette Loi parfaite de la liberté éducative lorsqu’elle sera mise en évidence. Il a été dit que « la meilleure idée que nous pouvons former de la vérité absolue est qu’elle est viable et qu’elle répond à toutes les conditions par lesquelles elle peut être testée ». Voici ce que nous attendons de notre Loi : qu’elle soit confirmée par toutes les expériences et par toutes les investigations rationnelles. 

N’ayant pas reçu les tables de notre Loi, nous nous rabattons sur Froebel ou sur Herbart ; ou, si nous appartenons à une autre école, sur Locke ou Spencer ; mais nous ne sommes pas satisfaits. Un mécontentement, est-ce un mécontentement divin ? nous accable ; et nous devrions certainement saluer une philosophie de l’éducation efficace et réalisable comme étant une délivrance face à beaucoup de perplexité. Avant que cette grande délivrance ne nous parvienne, il est probable que de nombreux efforts provisoires seront déployés, ayant plus ou moins les caractéristiques d’une philosophie ; notamment, avoir une idée centrale, un corps de pensée dont les membres travaillent en harmonie vitale.

Une telle théorie de l’éducation, qui n’a pas besoin de prendre soin de s’appeler un système de psychologie, doit être en harmonie avec les mouvements de pensée de l’époque ; elle doit considérer l’éducation, non pas comme un compartiment fermé, mais comme faisant partie de la vie autant que la naissance ou la croissance, le mariage ou le travail ; et elle doit laisser l’élève attaché au monde en plusieurs points de contact. Il est vrai que les pédagogues sont déjà désireux d’établir un tel contact dans plusieurs directions, mais leurs efforts reposent sur un axiome ici et une idée là, et il n’y a pas de base de pensée unificatrice assez large pour soutenir l’ensemble.

Les imbéciles se précipitent là où les anges ont peur de marcher ; et l’espoir qu’il y ait de nombreux efforts hésitants tendant vers une philosophie de l’éducation, et que tous se rapprochent du magnum opus, m’encourage à entreprendre une telle tentative. La pensée centrale, ou plutôt corps de pensée, sur laquelle je me base, s’appuie sur le fait quelque peu évident que l’enfant est une personne avec toutes les possibilités et les pouvoirs inclus dans sa personnalité. Certains des membres qui se développent à partir de ce noyau ont été exploités de temps à autre par des pédagogues, et existent vaguement dans la conscience commune, une notion ici, une autre là. Une thèse, peut-être nouvelle, selon laquelle l’Éducation est la Science des Relations, me semble résoudre la question des programmes scolaires, car elle montre que le but de l’éducation est de mettre un enfant au contact du vivant, autant qu’il peut l’être, avec la vie de la Nature et de la pensée. Ajoutez à cela une ou deux clés de la connaissance de soi, et le jeune instruit va de l’avant avec une idée de la gestion de soi, avec quelques objectifs et de nombreux intérêts vitaux. Mon excuse pour m’aventurer à proposer une solution, même provisoire et passagère, au problème de l’éducation, est double. Pendant trente à quarante ans, j’ai travaillé sans relâche à établir une théorie de l’éducation fonctionnelle et philosophique ; et ensuite, je suis parvenue à chaque article de la foi éducative que je propose par des processus inductifs ; et chacun a été, je pense, vérifié par une longue et vaste série d’expériences. C’est cependant avec une sincère timidité que j’ose proposer les résultats de ce long travail ; parce que je sais que, dans ce domaine, il y a beaucoup de travailleurs bien plus capables et experts que moi – les “anges” qui ont peur de marcher, si tremblant est le pied !

Mais, si ce n’est que pour encourager les autres, j’ajoute un bref synopsis de la théorie de l’éducation avancée dans les volumes de la série « L’éducation à la maison ».

Le traitement n’est pas méthodique mais fortuit ; un peu ici, un peu là, comme il me semblait le plus susceptible de répondre aux expériences des parents et des enseignants. Je dois ajouter qu’au cours de plusieurs années, les divers essais ont été préparés à l’intention de la Parents’ National Education Union dans l’espoir que cette société puisse témoigner d’un ensemble plus ou moins cohérent de pensée éducative.

« La conséquence de la vérité est grande ; aussi, son jugement ne doit pas être négligent. »

Whichcote

1. Les enfants sont des personnes dès la naissance.

2. Ils ne naissent ni bons ni mauvais, mais avec le pouvoir de faire le bien ou le mal.

3. Les principes d’autorité d’une part et d’obéissance d’autre part sont naturels, nécessaires et fondamentaux ; mais —

4. Ces principes sont limités par le respect dû à la personnalité des enfants, à laquelle nous ne devons pas porter atteinte, que ce soit par l’usage direct de la peur ou de l’amour, de la suggestion ou de l’influence, ou en jouant de façon excessive sur leurs désirs naturels.

5.  Par conséquent, nous sommes limités à trois instruments éducatifs : l’atmosphère de l’environnement, la discipline des habitudes et la présentation d’idées vivantes.

6.  Lorsque nous disons que l’ÉDUCATION EST UNE ATMOSPHÈRE, nous ne voulons pas dire qu’un enfant doit être isolé dans ce que l’on peut appeler un « environnement enfantin », spécialement adapté et préparé, mais que nous devons tenir compte de la valeur éducative de l’atmosphère naturelle de son foyer, à la fois en ce qui concerne les personnes et les choses, et le laisser vivre librement dans ses propres conditions. Nous abrutissons un enfant en abaissant son monde à un niveau infantile.

7.  Par l’ÉDUCATION EST UNE DISCIPLINE, nous entendons la discipline des habitudes formées de façon définitive et réfléchie, qu’il s’agisse d’habitudes de l’esprit ou du corps. Les physiologistes ont démontré que le cerveau s’adapte à nos pensées et c’est ce qui forme les habitudes.

8. Par l’ÉDUCATION EST UNE VIE, nous sous-entendons les besoins de nourriture intellectuelle, morale et physique. L’esprit se nourrit d’idées, et les enfants devraient donc avoir un programme généreux.

9. Mais l’esprit n’est pas un réceptacle dans lequel les idées doivent être placées, chaque idée s’ajoutant à une « masse d’aperception » d’idées semblables, théorie sur laquelle repose la doctrine herbartienne.

10. Au contraire, nous considérons que l’esprit de l’enfant n’est pas un simple sac destiné à contenir des idées ; mais est plutôt, si vous permettez l’image, un organisme spirituel, avec un appétit pour toute connaissance. C’est l’alimentation appropriée pour l’esprit, celle qu’il est capable de prendre, digérer et assimiler comme le corps le fait avec des aliments.

11. Cette distinction est plus qu’un simple débat sur les mots employés. La doctrine herbartienne met le fardeau de l’éducation – la préparation des connaissances avec des morceaux alléchants, présentés dans l’ordre approprié – sur l’enseignant. Les enfants instruits selon ce principe risquent de recevoir beaucoup d’enseignements avec peu de connaissances ; et l’axiome de l’enseignant est : « Ce qu’un enfant apprend importe moins que la façon dont il l’apprend. »

12. Nous estimons que l’enfant normal a les pouvoirs d’esprit requis pour gérer toutes les connaissances qui lui sont propres. C’est pourquoi nous devons lui donner un programme complet et généreux, veillant seulement à ce que toutes les connaissances qui lui sont offertes soient vivantes, c’est-à-dire que les faits ne soient pas présentés sans leur contexte. De cette conception vient le principe selon lequel, —

13. L’éducation est la science des relations ; c’est-à-dire qu’un enfant a des relations naturelles avec un grand nombre de choses et de pensées : nous le formons donc à l’aide d’exercices physiques, de nature, de travaux manuels, de science et d’art, et de nombreux livres vivants, car nous savons que notre responsabilité n’est pas de tout lui apprendre sur tout, mais de l’aider à valider autant que possible

« les affinités innées,

qui modèlent notre nouvelle existence aux choses existantes. »

14. Il existe aussi deux secrets de l’autogestion morale et intellectuelle qui devraient être offerts aux enfants ; nous pouvons les appeler la Voie de la Volonté et la Voie de la Raison.

15. La Voie de la Volonté. – Il faut enseigner aux enfants

  1. À faire la distinction entre « je veux » et « je ferai ». 
  2. Que la voie de la volonté, pour être efficace, doit se détourner des pensées qui tendent vers ce que nous désirons, mais que nous ne devrions pas faire. 
  3. Que la meilleure façon de détourner nos pensées est de penser ou de faire quelque chose de très différent, divertissant ou intéressant. 
  4. Qu’après ce moment de repos, la volonté reprendra son travail avec une vigueur nouvelle. (La diversion est une aide à la volonté dont la fonction est de nous soulager, pendant un moment, de l’effort de la volonté, afin que nous puissions « vouloir » à nouveau avec une force renouvelée. L’utilisation de la suggestion comme aide à la volonté est déconseillée car elle tend à saper et à stéréotyper le caractère. Il semblerait que la spontanéité soit une condition du développement et que la nature humaine ait autant besoin de la discipline de l’échec que de celle du succès.)  

16. La Voie de la Raison. – Nous devons aussi enseigner aux enfants à ne pas « s’appuyer » (avec trop d’assurance) « sur leur propre sagesse », car la raison a pour fonction de faire une démonstration logique : 

  1. de la vérité mathématique ; 
  2. d’une idée initiale, acceptée par la volonté. 

Dans le premier cas, la raison est pratiquement un guide infaillible, mais dans le second, elle n’est pas toujours sûre ; car, que cette idée soit bonne ou mauvaise, notre raison la confirmera en utilisant des preuves irréfutables.

17. Par conséquent, les enfants devraient apprendre, lorsqu’ils ont atteint la maturité nécessaire pour bénéficier de cet enseignement, que la principale responsabilité qui leur incombe en tant que personnes est l’acceptation ou le rejet des idées. 

Pour les aider dans ce choix, nous leur donnons des principes de conduite et un large éventail de connaissances qui leur sont adaptées. 

Ces trois principes (15, 16 et 17) devraient épargner aux enfants certaines des réflexions et des actions irréfléchies qui mènent la plupart d’entre nous à un niveau de vie inférieur à celui dont nous avons besoin.

18. Nous ne devrions permettre aucune séparation entre la vie intellectuelle et la vie spirituelle des enfants, mais devrions leur enseigner que l’Esprit divin a un accès constant à leur esprit et qu’il est leur soutien continu dans tous les intérêts, devoirs et joies de la vie.

La série « Home Education » est ainsi nommée d’après le titre du premier volume, et non comme traitant, entièrement ou principalement, de « la maison » par opposition à « l’école ».

Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr

Préface à la troisième édition

Notre conduite est le résultat de nos principes, même si ceux-ci ne se résument qu’à : « Peu importe », « À quoi bon ? ».

Toute fonction implique l’observation de certains principes fondamentaux dans son exercice.

Ces deux considérations m’amènent à penser qu’un examen attentif des principes qui sous-tendent naturellement et nécessairement la fonction de parents pourrait pourrait être quelque peu utile pour ceux qui prennent au sérieux leur travail important.

Convaincu que l’individualité des parents est un grand bien pour leurs enfants, et sachant que lorsqu’une idée s’impose à notre esprit, les moyens de l’appliquer se présentent d’eux-mêmes, j’ai essayé de ne pas alourdir ces pages de nombreuses directives, suggestions pratiques et autres béquilles, susceptibles d’entraver les libres relations entre parents et enfants. La grandeur de notre nation dépend de la vision libérale et éclairée que les parents accordent à leurs hautes fonctions, et des moyens placés entre leurs mains pour les remplir.

Les essais suivants furent publiés dans la Parents’ Review et envoyés, de temps à autre, à un groupe de parents se livrant à une étude pratique des principes de l’éducation – la « Parents’ National Educational Union ». La Parents’ Union existe pour faire progresser, avec plus ou moins de méthode et plus ou moins de constance, une école de pensée éducative dont les deux grands principes sont : la reconnaissance de la base physiologique de l’habitude, c’est-à-dire de l’aspect matériel de l’éducation ; et la reconnaissance du pouvoir inspirant et formateur des idées, c’est-à-dire de l’aspect immatériel, ou spirituel, de l’éducation. Ces deux principes directeurs, qui couvrent tout le champ de la nature humaine, devraient nous permettre de traiter rationnellement tous les problèmes complexes de l’éducation. L’objet des essais qui suivent n’est pas de donner une application exhaustive de ces principes – le British Museum lui-même pourrait difficilement contenir tous les volumes nécessaires à une telle entreprise – mais de donner un exemple ou une suggestion, ici et là, sur la façon dont telle ou telle habitude peut être formée, telle ou telle idée formatrice peut être implantée et encouragée. L’intention de ce volume est de rendre compte au lecteur de l’itération des mêmes principes dans des contextes différents. L’auteure ose espérer que les conseils et suggestions qui suivent se révéleront d’utilité pratique aux parents déjà bien occupés, parce qu’ils reposent sur des principes éducatifs profonds ; et aussi, qu’ils seront, dans une certaine mesure, une source d’inspiration pour les enseignants.

AMBLESIDE,

Mai 1904.

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CHAPITRE 1 LA FAMILLE

« La famille est l’unité de la nation » – F. D. MAURICE.

Rousseau a réussi à éveiller les parents. – Il est probable qu’aucun autre pédagogue n’ait réussi à toucher les parents aussi profondément que Rousseau. Emile est peu lu maintenant, mais combien de théories actuelles sur le meilleur régime pour les enfants s’en inspirent à notre insu ? Tout le monde sait – et ses contemporains le savaient mieux que nous – que Jean-Jacques Rousseau n’avait pas un caractère assez noble pour se poser en autorité sur quelque sujet que ce soit, et encore moins sur celui de l’éducation. Il se présente comme un être médiocre, et nous ne voyons aucune raison de rejeter l’évidence de ses Confessions. Nous ne sommes pas transportés par le charme de son style ; sa “force apparente” ne nous éblouit pas. Aucun homme ne peut dire plus que ce qu’il est, et il y a, dans ses théories philosophiques, un manque de cran qui écarte la plupart d’entre elles de la pensée utile.

Mais Rousseau a eu la perspicacité de percevoir une de ces vérités évidentes dont la découverte requiert, en quelque sorte, du génie ; et, comme la vérité est plus précieuse que les rubis, la perception de cette vérité lui a valu son rang de grand maître. Jean-Jacques fait-il partie des prophètes ? se demande-t-on encore aujourd’hui. Le fait qu’il ait eu des milliers de fervents disciples parmi les parents instruits d’Europe, et le fait que l’enseignement ait pénétré dans de nombreux foyers isolés de nos jours, constituent une réponse suffisante. En effet, aucun autre pédagogue n’a eu un dixième de l’influence exercée par Rousseau. Sous le charme de son enseignement, les gens du monde comme la princesse russe Galitzine, délaissèrent la société et se réfugièrent avec leurs enfants dans un endroit tranquille où ils pouvaient consacrer chaque heure du jour et chaque force dont ils disposaient à l’accomplissement des devoirs qui incombent aux parents. Les femmes de haut-rang se retirèrent du monde, parfois même quittèrent leur mari, pour étudier avec ardeur les classiques, les mathématiques, les sciences, afin d’instruire leurs enfants elles-mêmes. Elles se demandaient « À quoi d’autre suis-je utile ? », et ainsi s’est répandu le sentiment qu’éduquer leurs enfants était un travail primordial pour les hommes et les femmes.

Quelle que soit l’extravagance qu’il eût jugé bon de promouvoir, Rousseau aurait toujours trouvé des partisans, parce qu’il avait eu la chance de toucher le ressort qui ouvrait beaucoup de cœurs. Il est l’un des rares pédagogues à avoir fait appel à l’instinct parental. Il n’a pas dit : « N’espérons rien des parents, travaillons pour les enfants ». Ce sont en effet les propos pusillanimes et pessimistes que l’on tient aujourd’hui. Ce qu’il a dit, effectivement, c’est : « Pères et mères, voici votre travail, et vous seuls pouvez le faire. C’est à vous, parents de jeunes enfants, qu’il revient d’être les sauveurs de la nation pour mille générations. Rien d’autre ne compte. Les loisirs pour lesquels les gens se fatiguent ne sont que des jeux d’enfant par rapport à cette tâche sérieuse qui consiste à élever nos enfants avant nous-mêmes. »

Son message a été écouté, comme nous l’avons vu, et la réponse à son enseignement a ouvert la digue à un enthousiasme qu’on n’avait jamais connu, ni avant, ni depuis, chez les parents. Rousseau, faible et peu digne, prêcha la droiture en ceci qu’il ramena le cœur des pères vers les enfants, et prépara un peuple bien disposé pour le Seigneur. Mais hélas ! Après avoir bâti sur ce fondement, il n’avait guère que du bois, du foin et du chaume à offrir aux bâtisseurs.

Rousseau réussit, autant qu’il le méritait, à éveiller de nombreux parents au caractère contraignant, à l’étendue, au profond sérieux des obligations parentales. Il échoua, et le méritait, en proposant ses propres conceptions grossières en guise de code éducatif. Mais son succès est très encourageant. Il comprit que Dieu avait placé la formation de chaque enfant entre les mains de deux personnes, un père et une mère ; et la réaction à son enseignement prouva que, comme les eaux répondent à l’attraction de la lune, le cœur des parents s’élève à la hauteur de la grande tâche qui leur est confiée.

S’il est vrai, sans doute, que chaque parent a conscience de lois non écrites, plus ou moins définies et nobles selon sa propre condition, il n’en reste pas moins qu’une tentative, si minime soit-elle, de codifier ces lois peut être intéressante pour les parents.

La famille est une communauté. – « La famille est l’unité de la nation ». Ce dicton riche de sens suggère certains aspects de la vocation des parents. De tout temps à travers le monde, des sociétés communistes ont vu le jour, parfois pour coopérer à une grande œuvre, sociale ou religieuse, plus récemment pour protester contre les inégalités de condition ; mais, dans tous les cas, la règle fondamentale de ces sociétés est que les membres doivent tout avoir en commun. Nous avons tendance à penser, dans notre insouciance, que ces tentatives d’association communiste sont vouées à l’échec. Mais il n’en est rien. Aux États-Unis, peut-être parce qu’il y est moins facile d’obtenir de la main-d’œuvre salariée que chez nous, elles semblent avoir trouvé un terrain propice, et de nombreux organismes communistes bien réglementés y prospèrent. Il y a aussi des échecs, nombreux et désastreux, et il semble qu’on puisse généralement les attribuer à une seule cause : un gouvernement affaibli par la tentative de combiner les principes démocratiques et communistes, c’est-à-dire de vivre ensemble au sein d’une communauté, tout en faisant, chacun, ce qui est juste à ses propres yeux. Une structure communiste ne peut prospérer que sous une règle vigoureuse et absolue.

L’un des rêves favoris du socialisme est – ou était, jusqu’à ce que l’idée de collectivisme s’impose – que chaque état d’Europe soit divisé en un nombre infini de petites communautés autonomes. Or, il arrive parfois que la chose que nous désirons soit déjà réalisée, pour autant que nous ayons les yeux pour la voir. La famille est, en pratique, une communauté. Dans la famille, tous les membres jouissent en commun des biens indivis, et il y a égalité de condition sociale, avec diversité de devoirs. Dans les pays où les pratiques patriarcales sont toujours en vigueur, la famille se fond dans la tribu, et le chef de la famille est le chef de la tribu – un souverain très absolu en effet. Dans notre pays, les familles sont généralement petites, les parents et leur progéniture immédiate, avec les domestiques et les biens qui se trouvent naturellement dans un ménage et qui, ne l’oublions pas, font partie de la famille. La petite taille de la famille tend à obscurcir son caractère, et nous ne voyons aucune force dans la phrase en tête de ce chapitre ; nous ne percevons pas que, si l’unité de la nation est la communauté naturelle, c’est-à-dire la famille, alors la famille s’engage à exercer en son sein toutes les fonctions de l’État, avec la délicatesse, la précision et la plénitude des détails propres au travail effectué à une petite échelle.

La famille doit être sociale. – Cette conception communiste de la famille ne signifie nullement que la politique domestique doive être une politique d’isolement ; au contraire, il n’est pas exagéré de dire qu’une nation est civilisée dans la mesure où elle est capable d’établir des relations étroites et amicales avec d’autres nations ; et cela, non pas avec une ou deux, mais avec un grand nombre ; et, inversement, qu’une nation est barbare dans la mesure de son isolement. Une famille ne perd-elle pas de son intelligence et de sa vertu lorsque, de génération en génération, elle se tient à l’écart des autres ? 

La famille doit servir les voisins. – Il est probable qu’une nation soit saine dans la mesure où elle a ses propres débouchés, ses colonies et ses dépendances qu’elle est toujours soucieuse d’inclure dans la vie de la nation. Il en va de même pour la nation en miniature, la famille : les familles qui ont des difficultés, l’orphelinat, la paroisse, les nécessiteux que nous connaissons, ne sont-ils pas là pour assurer la subsistance de la famille dans la vie supérieure ?

La famille doit servir la nation. – Mais il ne suffit pas que la communauté familiale entretienne des relations de voisinage avec d’autres communautés de ce type et avec l’étranger qui est dans ses portes. La famille représente une entité au sein de la nation ; et la nation est un tout organique, un corps vivant, constitué, comme le corps naturel, d’un nombre infini d’organismes vivants. Ce n’est que lorsqu’elle contribue à la vie nationale que la vie de la famille est complète. Les intérêts publics doivent être partagés, les travaux publics doivent être entrepris, le bien-être public doit être recherché – en un mot, son intégrité avec la nation doit être préservée, ou la famille cesse d’être une partie d’un tout vivant et devient véritablement nuisible, comme un tissu en décomposition dans l’organisme animal.

L’ordre divin de la famille à l’égard des autres nations. – Les intérêts de la famille ne se limitent pas à ceux de la nation. De même qu’il appartient à la nation d’entretenir des relations avec d’autres pays, d’être en contact avec le monde entier, d’être toujours en avance dans la grande marche du progrès humain, de même cette attitude incombe à chaque entité de la nation, à chaque famille, en tant que partie intégrante de l’ensemble. Voici la réalisation simple et naturelle du noble rêve de la Fraternité : chaque individu attaché à une famille par les liens de l’amour et non du sang ; les familles unies dans un lien fédéral pour former la nation ; les nations confédérées dans l’amour et s’émulant en vertu, et toutes, les nations et leurs familles, jouant leurs rôles respectifs comme de petits enfants aux pieds du Père Tout-Puissant, sous son sourire bienveillant. Voilà l’ordre divin que chaque famille est appelée à remplir : un peu de levain fait lever toute la pâte, et, par conséquent, il importe infiniment que chaque famille se rende compte de la nature et des obligations du lien familial ; car, tout comme l’eau ne peut s’élever au-dessus de sa source, nous ne pouvons vivre à un niveau supérieur à celui de l’idée que nous nous faisons de notre place et de notre utilité dans la vie.

La famille doit : a) apprendre les langues ; b) faire preuve de courtoisie à l’étranger. – Posons-nous cette question : cette façon de considérer toute l’éducation et toutes les relations civiles et sociales du point de vue de la famille a-t-elle un résultat pratique ? Au point qu’il n’y ait peut-être pas un seul problème de la vie qu’on ne puisse résoudre. Par exemple : que devons-nous enseigner à nos enfants ? Y a-t-il un sujet qui attire notre attention plus qu’un autre ? Oui, il y a un sujet ou une catégorie de sujets qui a une exigence morale impérative pour nous. Il est du devoir de la nation d’entretenir des relations de fraternité avec les autres nations ; par conséquent, il est du devoir de chaque famille, en tant que partie intégrante de la nation, d’être capable de tenir un discours fraternel avec les familles des autres nations lorsque l’occasion se présente ; par conséquent, acquérir le langage des nations voisines n’est pas seulement s’assurer un apport de connaissances et un moyen de se cultiver, mais c’est un devoir de cette moralité supérieure (la moralité de la famille) qui vise à la fraternité universelle. Par conséquent, chaque famille ferait bien de cultiver deux langues en plus de la langue maternelle, dès la petite enfance.

Une jeune et belle Anglaise séjournait un jour avec sa mère dans un Kurhaus en Allemagne. Elles étaient les seules Anglaises présentes, et avaient probablement oublié que les Allemands sont de meilleurs linguistes que nous. La jeune femme restait assise pendant les longs repas avec son livre, interrompant à peine sa lecture pour manger, et n’adressant à sa mère qu’une ou deux remarques, comme « Quel désordre ! » ou « Combien de temps encore devrons-nous rester assis avec ces gens ennuyeux ? » Si elle s’était souvenue qu’aucune famille ne peut vivre repliée sur elle-même, qu’elle et sa mère représentaient l’Angleterre, qu’elles étaient l’Angleterre pour cette petite communauté allemande, elle aurait imité les salutations courtoises que les dames allemandes adressaient à leurs voisines.

La restauration de la famille. – Mais laissons de côté ce vaste sujet et concluons avec un passage saisissant de l’appréciation d’Emile par M. Morley : « L’éducation a peu à peu été envisagée en relation avec la famille. L’amélioration des idées sur l’éducation n’était qu’une des phases du grand mouvement général vers la restauration de la famille, mouvement qui fut un spectacle frappant en France dans la seconde moitié du siècle. L’éducation englobait désormais l’ensemble des relations entre les parents et leurs enfants, de la petite enfance à la maturité. Ces relations tendaient fortement vers une plus grande proximité, plus d’intimité, et une diffusion plus continue de tendresse et d’attachement long. »

Ses travaux pour cette grande cause, « la restauration de la famille », offrent à Rousseau un droit à la gratitude et au respect de l’humanité. C’est une œuvre durable et solide. Aujourd’hui encore, les relations familiales en France sont plus douces, plus tendres, plus étroites et plus inclusives qu’elles ne le sont chez nous. Elles sont aussi plus expansives, ce qui entraîne un comportement généralement bienveillant et amical ; et le lien familial est si fort et si satisfaisant que les jeunes gens n’ont guère besoin de « tomber amoureux ». La mère se consacre pleinement à l’amitié de ses filles, qui répondent avec une loyauté et un dévouement absolus ; et, n’en déplaise à Zola, les demoiselles françaises sont merveilleusement pures, simples et douces, parce que leurs affections sont abondamment satisfaites.

Peut-être que « la restauration de la famille » est un travail qui nous incombe, ici en Angleterre, chacun dans le cadre de son propre foyer ; car il ne fait aucun doute que le lien familial est plus distendu chez nous qu’il ne l’était il y a deux ou trois générations. Peut-être n’y a-t-il, nulle part, de vie de famille plus idyllique que dans les foyers anglais, où nous la voyons sous son meilleur jour. Mais les sages trouvent toujours quelque chose de nouveau à apprendre. Bien qu’une nation, en tant qu’individu, doive agir selon son propre caractère, et que nous soyons, dans l’ensemble, pleinement satisfaits de nos foyers anglais, nous pourrions apprendre quelque chose de l’inclusion dont fait preuve la famille française, où la belle-mère et le beau-père, la tante et les cousins, la veuve et la vieille fille, sont choyés, et où une centaine de petites occupations sont imaginées pour les personnes à charge qui seraient, en Angleterre, considérées gênantes. Le résultat est que les enfants ont mille et une opportunités pour s’entraîner à être attentifs aux autres et à se maîtriser, toutes opportunités qui rendent la vie d’un foyer agréable. La médaille a sans doute son revers ; il y a probablement beaucoup de choses dans la vie domestique française que nous devrions éviter ; néanmoins, elle offre des enseignements que nous devrions étudier. Par ailleurs, là où la vie familiale est la plus belle chez nous, la famille n’est-elle pas un peu encline à devenir égocentrique et autosuffisante, au lieu de cultiver cette ouverture vers les autres familles qui figure dans le code familial de nos voisins ?

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CHAPITRE 2 LES PARENTS EN TANT QUE SOUVERAINS

Le gouvernement familial est une monarchie absolue. – Continuons à considérer la famille comme une nation miniature, avec les responsabilités, les droits et les exigences de la nation. Les parents représentent le « Gouvernement » ; ici, le gouvernement est toujours une monarchie absolue, conditionnée très vaguement par la loi du pays, mais de façon très étroite par cette loi que chaque parent porte plus ou moins gravée sur sa conscience. Certains atteignent un niveau de réflexion élevé, et descendent du Mont avec un visage rayonnant et les tables de la loi intactes ; d’autres ne parviennent pas à atteindre les sommets escarpés, et se contentent des fragments des tables brisées qu’ils ramassent en bas. Mais que sa connaissance de la loi soit faible ou grande, aucun parent n’échappe à l’appel à gouverner.

La souveraineté des parents ne peut être déléguée. – De nos jours, la première chose que nous exigeons d’un souverain est : « Est-il capable de diriger ? Sait-il comment maintenir son autorité ? ». Un souverain qui ne sait pas gouverner est comme un juge injuste, un prêtre impie, un enseignant ignorant ; c’est-à-dire qu’il manque à la charge essentielle de sa fonction. Cela est encore plus vrai dans la famille que dans l’État ; le roi peut gouverner par délégation ; mais, ici, nous voyons le caractère exigeant des fonctions du parent ; il ne peut avoir de député. Il peut avoir des assistants, mais dès qu’il cède ses fonctions et son autorité à un autre, les droits parentaux appartiennent à cet autre, et non à lui. Qui ne connaît pas les déchirements qui surviennent lorsque des parents anglo-indiens reviennent chez eux et trouvent l’affection de leurs enfants donnée à d’autres, leurs devoirs remplis envers d’autres personnes ; et eux, les parents, devenus sources de plaisir, comme la marraine du conte de fées, mais sans aucune autorité sur leurs enfants ? Et tout cela, personne n’en est responsable, car les tuteurs à la maison ont fait de leur mieux pour que les enfants restent fidèles à leurs parents qui étaient à l’étranger.

Les causes qui conduisent à l’abdication des parents. – Voici un écueil sur lequel les chefs de famille font parfois naufrage. Ils considèrent que l’autorité parentale leur est inhérente, une propriété qui peut rester en sommeil tout en étant indissociable de l’état de parent. Ils permettent à leurs enfants, dès leur plus jeune âge, de faire ce que bon leur semble ; et c’est alors que Lear se retourne et se plaint aux vents, en s’écriant : 

“Combien la morsure d’un reptile est moins déchirante
que l’ingratitude d’un enfant !”

Mais Lear n’a cessé de se dépouiller de son honneur et de son autorité, et de céder ses droits à ses enfants. Il nous dit ici pourquoi ; l’enfant “ingrat” nous plonge dans une angoisse aiguë. Il s’est mis en quatre pour obtenir la reconnaissance de ses enfants. Qu’ils le considèrent comme un père aimant comptait plus pour lui que ses devoirs envers eux ; et dans la mesure où il omet ses devoirs, ils oublient les leurs. Il est possible que le désir incontrôlé d’approbation des parents dévoués soit la cause principale de la destruction des familles. Récemment, un écrivain présentait une mère disant :

« Mais vous n’avez pas peur de moi, Bessie ? »
« Non, en effet ; qui pourrait avoir peur d’une chère, douce, et tendre petite mère comme vous ? »

De tels éloges sont agréables à l’oreille de nombreuses mères affectueuses, qui ont un désir irrépressible pour l’amour et l’affection de leurs enfants ; mais elles ne se rendent pas compte que de tels mots, dans la bouche d’un enfant, sont tout autant une trahison que des paroles insolentes.

L’autorité est offerte sur d’autres autels que celui de la popularité. Prospero se décrit lui-même comme,

« dévoué tout entier 
à la retraite et au soin d’enrichir mon esprit ».

Et, entre-temps, l’exercice de l’autorité est dévolu à Antonio ; faut-il s’étonner que l’habit de l’autorité aille comme un gant à l’usurpateur, et que Prospero se retrouve évincé de la fonction qu’il n’a pas su remplir ? De même, le parent accaparé par de nombreux soucis découvre à son réveil que l’autorité, qu’il n’a pas su exercer, lui a échappé ; elle a peut-être été récupérée par d’autres personnes moins qualifiées, par exemple lorsqu’une fille est confiée à une famille voisine, tandis que le père et la mère chinent des tableaux de valeur. 

Dans d’autres cas, les parents sont séduits par une vie facile et laissent les choses suivre leur cours ; les enfants sont bons, ils ne feront rien de mal, nous dit-on ; et c’est très probablement vrai. Mais, si bons que soient les enfants, les parents doivent à la société de les rendre meilleurs qu’ils ne le sont, et de gratifier le monde avec des êtres, non seulement de bonne nature et bien disposés, mais bons dans leurs intentions et leurs efforts.

L’amour de la facilité, le désir de considération, les exigences d’autres occupations, ne sont que quelques-unes des causes qui conduisent à un résultat désastreux pour la société : l’abdication des parents. Lorsque nous en viendrons à considérer la nature et les utilités de l’autorité des parents, nous verrons que cette abdication est aussi immorale que malveillante. En attendant, il vaut la peine de remarquer que les causes qui conduisent les parents à renoncer à la fonction de chef de famille se résument à une seule : la fonction est trop pénible, trop laborieuse. La tentation qui assaille les parents est la même que celle qui a conduit plus d’une tête couronnée à chercher le repos dans le cloître.

« Inquiète est la tête qui porte une couronne. »
même si c’est la couronne naturelle de la parentalité.

La majesté de la parentalité. – Le concile de Jérusalem concernant le « zèle » dans l’exercice du pouvoir met en lumière la nature et le but de l’autorité ; ce n’est plus une question d’honneur et de dignité personnels ; l’autorité est destinée à être exercée et à servir, et l’honneur qui l’accompagne n’a pour but que de mieux servir ceux qui sont sous l’autorité. Le parent arbitraire, le parent exigeant, qui réclame telle ou telle déférence et tel ou tel devoir parce qu’il est parent, tout cela pour son propre honneur et sa propre gloire, est définitivement plus dans l’erreur que le parent qui abdique dans la pratique ; la majesté de la parentalité n’est entourée de règles à respecter que parce qu’il est bon que les enfants « servent fidèlement, honorent et obéissent humblement » à leurs chefs naturels. Ce n’est qu’à la maison que les enfants peuvent être formés au tempérament chevaleresque de la « fière soumission et de la digne obéissance » ; et si les parents n’inspirent pas et n’encouragent pas la déférence, la révérence et la loyauté, comment ces grâces supérieures du caractère pourront-elles prospérer dans un monde rude et exigeant ?

Il est peut-être un peu difficile de maintenir une attitude d’autorité en ces temps démocratiques alors que même les pédagogues conseillent de traiter les enfants sur un pied d’égalité dès le plus jeune âge ; mais les enfants eux-mêmes nous aident ; l’humilité et la dépendance adorables qui leur sont naturelles favorisent la douce dignité, le soupçon de réserve qui sied aux parents. À ces derniers, il n’est pas permis d’ignorer ou de s’effondrer sous le poids de l’honneur qui leur est fait. En effet, nous avons tous été témoins des échanges pleins de confiance, de sympathie et d’amour entre parents et enfants, lorsque la mère est assise comme une reine au milieu de ses enfants et que le père est honoré comme un roi. Le fait qu’il y ait deux parents, chacun devant faire honneur à l’autre, mais libres de toute contrainte en présence l’un de l’autre, facilite le maintien de l’ »état » intangible de parentalité. Et la présence de ce léger, doux, et indéfini sentiment de dignité dans le foyer est la toute première condition pour élever des hommes et des femmes loyaux, honorables, capables de révérence et aptes à gagner le respect.

Les enfants sont un bien public et un bien divin. – Le fondement de l’autorité parentale réside dans le fait que les parents exercent une fonction de députés, et cela dans un double sens. En premier lieu, ils sont les députés immédiats et personnellement désignés du Roi Tout-Puissant, le seul Maître des hommes ; ils n’ont pas seulement à exécuter ses recommandations concernant les enfants, mais à représenter sa Personne ; ses parents sont comme Dieu pour le petit enfant ; et, pensée plus contraignante encore, il se représente Dieu tels que sont ses parents ; il n’a pas le pouvoir de concevoir une personnalité plus grande et plus aimable que celle des têtes couronnées de sa propre maison ; c’est par eux qu’il fait sa première approche de l’Infini ; ils sont la mesure de ce qu’il y a de plus élevé ; si la mesure est au niveau de sa petite boussole, comment pourra-t-il grandir avec le tempérament respectueux qui est la condition de la croissance spirituelle ?

Plus encore, les parents ont la responsabilité de leurs enfants pour le bénéfice de la société. L’expression « mon enfant » ne peut être vraie que dans un sens limité ; les enfants sont considérés comme un bien public qu’il faut former au mieux pour le bien de la communauté ; et, dans ce sens aussi, les parents sont des personnes en autorité qui doivent représenter la dignité de leur fonction ; ils sont même susceptibles d’être destitués. Le seul État dont le nom est devenu proverbial, représentant un ensemble de vertus que nous n’avons pas d’autre mot pour décrire, est un État qui a, en pratique, privé les parents des fonctions qu’ils avaient échoué à remplir au service de la vertu publique. Sans doute l’État se réserve-t-il virtuellement le pouvoir d’élever ses propres enfants à sa manière, avec le moins de coopération possible des parents. Aujourd’hui encore, une nation voisine a choisi de se charger elle-même de l’éducation de ses enfants en bas âge. Dès qu’ils savent marcher à quatre pattes, ou même plus tôt, bien avant qu’ils ne courent ou ne parlent, ils sont amenés à l’”École Maternelle” et sont soigneusement nourris, comme avec le lait maternel, des vertus propres à un citoyen. Ce projet n’en est encore qu’au stade expérimental, mais il sera sans doute mené à bien, car la nation en question a découvert depuis longtemps – et a agi en conséquence – que vous devez former l‘enfant selon ce que vous voulez que l’homme devienne.

Une telle dépossession publique des parents est peut-être la pire calamité qui puisse arriver à une nation. Ces pauvres petits devront grandir dans un monde où le nom de Dieu ne doit pas être nommé ; grandir, aussi, sans la formation au devoir filial, à l’amour fraternel et à la bonté envers son prochain qui revient aux enfants de tous, sauf de quelques parents contre nature. Ils peuvent être rendus à leurs parents à certaines heures ou après certaines années ; mais une fois que l’aliénation a été établie, une fois que le lien le plus fort et le plus doux a été rompu et que les parents ont été publiquement délivrés de leur devoir, la profanation du foyer est complète, et nous assisterons au spectacle d’un peuple qui grandit orphelin presque dès sa naissance. C’est une chose nouvelle dans l’histoire du monde, car Lycurgue lui-même laissait les enfants à leurs parents pendant leurs six premières années. Certains journaux louent cet exemple afin que nous l’imitions, mais que Dieu nous garde de perdre la foi en la consécration de la vie familiale. Les parents qui considèrent leurs enfants comme un bien public et un bien divin, et qui reconnaissent l’autorité qu’ils détiennent comme étant une autorité déléguée, dont on ne peut se moquer, qu’on ne peut écarter ou dont on ne peut abuser, de tels parents préservent, pour la nation, les immunités du foyer et protègent les privilèges de leur ordre.

Les limites et la portée de l’autorité parentale. – Ayant vu qu’il n’appartient pas aux parents de décider d’user, ou de renoncer à user, de l’autorité qu’ils détiennent, examinons les limites et la portée de cette autorité. En premier lieu, elle doit être maintenue et exercée uniquement pour le bénéfice des enfants, que ce soit pour leur esprit, leur corps ou leur état. Il y a, ici, la place pour la juste discrimination, les intuitions délicates, dont les parents sont dotés. La mère qui fait bénéficier à sa fille en pleine croissance de l’exercice en extérieur dont elle a besoin, agit dans les limites de ses pouvoirs. Le père au caractère réservé, qui dissuade ses enfants de voir du monde, prend en considération ses propres goûts et non leurs besoins, et fait un usage illégal de son autorité.

Là encore, l’autorité des parents, bien que la déférence qu’elle engendre continue d’agrémenter les relations parents-enfants, est elle-même une fonction provisoire, et n’a de succès que dans la mesure où elle favorise l’autonomie, si l’on peut dire, de l’enfant. Une seule décision prise par les parents, que l’enfant est, ou devrait être, capable de prendre lui-même, est un empiètement sur les droits de l’enfant, et une transgression de la part des parents.

Une fois de plus, l’autorité des parents ne repose sur des bases sûres que s’ils font bien comprendre aux enfants qu’il s’agit d’une autorité déléguée ; l’enfant qui sait qu’il est élevé pour le service de la nation, que ses parents agissent en vertu d’une commission Divine, ne deviendra pas un fils rebelle.

De surcroît, bien que l’émancipation des enfants soit graduelle, qu’ils acquièrent chaque jour davantage l’art et la science de se gouverner eux-mêmes, il arrive un jour où le droit des parents de gouverner est révolu ; il ne leur reste plus qu’à abdiquer gracieusement et à laisser leurs fils et leurs filles majeurs libres d’agir, même si ceux-ci vivent encore à la maison. Et bien que, aux yeux de leurs parents, ils ne soient pas aptes à se gouverner eux-mêmes, s’ils ne parviennent pas à s’organiser eux-mêmes, que ce soit en matière de temps, d’occupations, d’argent, d’amis, il est probable que leurs parents soient à blâmer pour ne pas les avoir initiés progressivement à la pleine liberté qui leur revient en tant qu’hommes et femmes. Quoi qu’il en soit, il est trop tard, à présent, pour continuer à les former ; aptes ou non, ils doivent tenir le gouvernail eux-mêmes.

Quant à l’emploi de l’autorité, le plus grand des arts consiste à gouverner sans en avoir l’air. La loi est une terreur pour ceux qui font le mal, mais elle est une louange pour ceux qui font le bien ; et, dans la famille, comme dans l’État, le meilleur gouvernement est celui où la paix et le bonheur, la vérité et la justice, la religion et la piété, sont maintenus sans l’intervention de la loi. Heureux le foyer qui a peu de règles, et où « Maman n’aime pas ceci » et « Père voudrait cela » sont les seules contraintes.

Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr

CHAPITRE 3 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION

Les enfants doivent renaître à la vie de l’intelligence

Les parents doivent une seconde naissance à leurs enfants. – M. Adolphe Monod prétend que l’enfant doit à sa mère deux naissances, la première dans la vie naturelle, la seconde dans la vie spirituelle de l’intelligence et du sens moral. S’il n’avait pas écrit sur les femmes et pour les femmes, sans doute aurait-il affirmé que le long travail de cette seconde naissance doit être accompli à parts égales par les deux parents. Peut-on se demander comment il en arrive à cette théorie plutôt surprenante ? Il constate que les grands hommes ont de grandes mères, c’est-à-dire des mères dotées d’une capacité infinie à se donner de la peine pour élever leurs enfants. Il compare ce travail à un second accouchement qui pousse l’enfant vers une vie plus élevée ; et comme cette vie plus élevée est une vie plus bénie, il soutient que chaque enfant a droit à cette naissance vers un être plus complet, des mains de ses parents. Si ses conclusions reposaient uniquement sur les méthodes déductives qu’il applique, nous pourrions nous permettre de les négliger et de très peu nous préoccuper de cette seconde naissance, que les parents peuvent refuser, et refusent souvent, à leur progéniture naturelle. Nous pourrions aussi présenter nos exemples contraires de bons parents qui ont de mauvais fils, et de parents indifférents qui ont des enfants sérieux ; et, du bout des lèvres, viendrait le Cui bono ? qui nous dispense de tout effort.

La science soutient cette allégation. – Sois une bonne mère pour ton fils parce que de grands hommes ont eu de bonnes mères, voilà qui est inspirant, stimulant, mais qui ne doit pas être considéré comme le message ultime. Pour être pleinement convaincus, nous nous tournons vers la science naturelle et ses méthodes inductives ; bien que nous attendions toujours son dernier mot, ce qu’elle a déjà dit est loi et parole d’Évangile pour le parent croyant. La parabole de la boîte de Pandore est toujours vraie aujourd’hui ; et une femme peut, dans son insouciance, répandre mille maux sur sa progéniture. Mais n’y a-t-il pas aussi « un verre de bénédictions à portée de main » dans lequel les parents peuvent puiser afin de faire naître chez leurs enfants santé et vigueur, justice et miséricorde, vérité et beauté ?

« Certes”, peut-on objecter, “toute grâce excellente et tout don parfait vient de Dieu, et le parent humain commet un péché de présomption s’il pense accorder des dons divins. » Or, cette superstition persistante n’a rien à voir avec la vraie religion, mais, au contraire, elle est la cause du scandale de bien des foyers et familles mal ordonnés et mal réglés. Lorsque nous percevrons que Dieu se sert des hommes et des femmes, des parents surtout, comme vecteurs pour transmettre ses dons, et que c’est dans l’observation de sa loi qu’Il est honoré – plutôt que dans l’attitude du courtisan qui attend des faveurs exceptionnelles – alors nous prendrons la peine de comprendre la loi écrite non seulement sur des tables de pierre et des rouleaux de parchemin, mais sur les tablettes charnelles des organismes vivants des enfants ; et, en comprenant la loi, nous verrons avec reconnaissance et expansion du cœur, de quelle manière naturelle Dieu fait effectivement preuve de miséricorde envers les milliers d’entre ceux qui l’aiment et observent ses commandements.

Mais son commandement est extrêmement large ; il s’élargit d’année en année avec chaque révélation de la science ; et nous devons ceindre les reins de notre entendement pour suivre le rythme de cette révélation. Nous devrons aussi nous efforcer de nous maintenir dans cette attitude d’attente qui nous permettra de percevoir l’unité et la continuité de cette révélation avec celle de la parole écrite de Dieu. Car ce n’est peut-être que lorsque nous serons capables de recevoir les deux, et de les harmoniser dans un cœur volontaire et obéissant, que nous entrerons dans une vie heureuse et sainte, ce qui est la volonté de Dieu pour nous.

Processus et méthodes de cette seconde naissance. – Considérons, par exemple, à la lumière de la pensée scientifique actuelle, les processus et les méthodes de cette seconde naissance, que l’enfant réclame des mains de ses parents selon M. Monod. “Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre, et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas » n’est pas seulement une promesse, c’est le constat d’un résultat auquel on arrive par des procédés déductifs. L’écrivain a eu de nombreuses occasions pour recueillir des données ; il a vu grandir de nombreux enfants, et son expérience lui a appris à les diviser en deux classes – les enfants bien élevés qui tournent bien, et les enfants mal élevés qui tournent mal. Il ne fait aucun doute qu’à l’époque, comme aujourd’hui, il y eut des exceptions étonnantes, et l’exception confirme la règle.

Mais, ici comme ailleurs, les promesses et les menaces de la Bible seront soumises à la lumière des méthodes inductives. Nous pouvons nous demander : « Pourquoi en est-il ainsi ? » et ne pas nous contenter d’une réponse générale, à savoir que ceci est naturel et juste. Nous pouvons chercher jusqu’à ce que nous découvrions que ce résultat est inévitable, et qu’aucun autre résultat n’est concevable (à l’exception des influences étrangères), et notre obéissance sera exactement proportionnelle à notre perception du caractère inévitable de la loi.

Dr Maudsley au sujet de l’hérédité. – La vaste notion d’hérédité n’entre pas en ligne de compte dans l’examen de cette seconde naissance ; par la première naissance naturelle, il faut entendre que “les parents et les parents des parents sont renfermés chez l’individu implicitement ou explicitement, et le développement suit la route que l’hérédité lui trace. C’est bien moins à l’éducation qu’à l’hérédité, qu’un homme doit son courage ou sa timidité, sa générosité ou son égoïsme, sa prudence ou son incurie, son ostentation ou sa modestie, et son tempérament fougueux ou pacifique ; le ton fondamental de son caractère est inné et frappe de son cachet les émotions et leurs idées associées, qui naissent dans la suite. (…) L’influence d’une culture systématique sur l’individu est sans doute très grande mais ce qui détermine la limite et même, jusqu’à un certain point, la nature des effets de la culture, ce qui constitue la base naturelle, sur laquelle l’art vient élever ses modifications, c’est l’organisation héritée.”

Disposition et caractère. – Si l’hérédité a tant d’importance – si, comme on pourrait le croire au premier coup d’œil, l’enfant vient au monde avec un caractère tout fait – que reste-t-il à faire pour les parents, sinon de lui permettre de travailler à son salut, sans contrainte ni entrave de leur part, en suivant les lignes de son individualité ? Le fort naturalisme, si l’on peut dire, de notre époque nous incite à adopter cette conception des objectifs et des limites de l’éducation ; et c’est, sans aucun doute, un évangile ; c’est la vérité ; mais ce n’est pas toute la vérité. L’enfant apporte avec lui, dans le monde, non pas un caractère, mais une disposition. Il a des tendances qui peuvent n’avoir besoin que d’être renforcées, ou, encore, détournées, ou même réprimées. Son caractère – l’efflorescence de l’homme dans laquelle se prépare le fruit de sa vie – est une disposition originelle, modifiée, dirigée, développée par l’éducation, par les circonstances ; et plus tard, par la maîtrise de soi et la capacité à se perfectionner, et surtout par l’action suprême du Saint-Esprit, même lorsque cette action est peu soupçonnée et peu sollicitée.

Comment mener à bien ce grand travail de formation du caractère, le seul travail efficace possible pour les êtres humains ? Nous ferons reposer nos recherches sur une base physiologique ; la plus basse, sans doute, mais qui constitue le fondement de tout le reste. Au premier étage, les chambres de la psyché sont des endroits agréables, mais qui commencerait par construire le premier étage ? Sur quoi s’élèverait-il ? Il est certain que la distinction arbitraire entre la matière grise du cerveau et l' »esprit » qui joue sur elle – comme le chant sur les cordes vocales du chanteur – est plus concrète que la reconnaissance de la vérité profonde selon laquelle le cerveau est le simple organe de la partie spirituelle ; enregistrant et effectuant chaque mouvement de pensée et de sentiment, conscient ou inconscient, par un mouvement moléculaire appréciable ; et soutenant les activités infinies de l’esprit par une activité et un gaspillage équivalents énormes. C’est l’organe de l’esprit qui, dans les conditions actuelles, est absolument inséparable et indispensable à l’esprit vivifiant. Une fois que nous aurons reconnu que lorsque nous émettons une pensée, il s’établit dans une partie du cerveau un mouvement aussi distinct que dans les muscles de la main lorsque nous écrivons une phrase, nous verrons que le comportement de la matière grise du cerveau devrait nous confirmer dans notre certitude et nous fournir le système que nous recherchons dans nos tentatives d’éducation, en utilisant ce mot dans le sens le plus digne – puisque sa préoccupation est la formation du caractère.

Après avoir entendu le Dr Maudsley sur le sujet de l’hérédité, écoutons-le encore sur cet autre sujet, qui nous permet pratiquement de définir les possibilités de l’éducation.

Le Dr Maudsley, au sujet des effets structurels des « expériences journalières de l’individu ». – « Tout état de conscience, qui s’est produit une fois avec suffisamment d’intensité, laisse dans le cerveau ou dans l’esprit une disposition fonctionnelle tendant à le reproduire dans la suite ; aucun acte mental ne s’efface absolument ; chacun d’eux laisse une empreinte, qui en facilitera la reproduction. Chaque impression sensorielle, chaque courant d’activité moléculaire, qui passe d’une région à une autre région du cerveau, chaque réaction cérébrale, qui s’écoule par les nerfs moteurs laissent derrière elles une modification des éléments nerveux qui ont agi, une espèce de souvenir, et la reproduction en devient plus facile à mesure qu’elle se renouvelle. Quelque insignifiant que soit l’acte cérébral, il peut toujours se reproduire à un moment donné. Supposez que l’excitation se produise dans une cellule nerveuse, contiguë à une autre, toute semblable à l’origine : dorénavant ces deux cellules différeront toujours. Ce procédé physiologique, quelle que soit sa nature, est la base physique de la mémoire et le point de départ du développement de toutes nos fonctions psychiques.

« La modification matérielle résultant de la fonction a été considérée comme un résidu, une trace, un vestige, une disposition, ou même comme une idée latente ou virtuelle. Non seulement les idées définies, mais toutes les affections du système nerveux, les sensations agréables ou douloureuses, les désirs et même les réactions extérieures laissent des altérations de ce genre dans les centres nerveux, et posent ainsi le fondement de certaines manières de penser, de sentir et d’agir. Ainsi des dispositions particulières naissent parfois, tout à fait ou presque tout à fait à notre insu ; des actes compliqués, qui d’abord ne pouvaient être exécutés que consciemment et à force d’application, deviennent automatiques, grâce à leur fréquente répétition ; des idées, consciemment associées, finissent par entrer les unes avec les autres dans une telle cohésion, qu’elles s’évoquent réciproquement sans aucune coopération de la conscience. C’est ce qui a lieu, par exemple, dans la rapide perception ou intuition de l’homme, qui a acquis une grande expérience de la vie. Les traces inconscientes des sentiments éprouvés affectent le ton général du caractère, de sorte que, abstraction faite de l’organisation innée, les expériences journalières de l’individu développent en lui l’humeur joyeuse ou triste, la lâcheté, la bravoure et même le sens moral. »

Notre époque s’est dotée d’une grande charte éducative. – Nous avons esquissé ici une magnifique charte éducative. Il est sans doute bon que nous ne réalisions pas l’étendue de nos libertés ; autrement, nous serions saisis d’une telle ferveur éducative que nous nous comporterions comme ces premiers chrétiens qui attendaient chaque jour la venue du Seigneur. Comment un homme aurait-il la patience de travailler pour gagner de l’argent s’il lui était révélé qu’il était capable de peindre le plus grand tableau jamais peint ? Et nous, face à la vision passionnante de ce que notre petit enfant pourrait devenir entre nos mains, comment aurions-nous la patience de faire des travaux ordinaires ? Le fait que la science ait révélé la raison d’être de l’éducation à notre époque est peut-être la reconnaissance divine que nous sommes devenus plus aptes à la tâche, parce que nous avons acquis un sens croissant de la responsabilité morale. Que serait-ce pour un peuple immoral de discerner pleinement les possibilités de l’éducation ? Mais comme nous sommes lents ! Comme –

La coutume pèse sur nous comme un poids,
Lourde comme le givre, et presque aussi profonde que la vie !

Une génération est passée depuis que ces mots du Dr Maudsley, et ceux d’autres physiologistes, de portée équivalente, ont été publiés dans le monde. Nous avons intentionnellement choisi des mots qui ont résisté à l’épreuve du temps ; car aujourd’hui, une centaine d’éminents scientifiques, dans notre pays et à l’étranger, proclament les mêmes vérités. Tous les scientifiques en sont convaincus ! Et nous ? Nous continuons selon notre habitude et notre volonté, comme si rien n’avait été dit ; laissant tomber de nos mains négligentes, heure après heure, les graines de blé et de ciguë, de ronce et de rose.

Passons en revue la charte de nos libertés, telle que le Dr Maudsley l’a résumée dans le passage cité plus haut.

Quelques articles de cette charte. – Nous pouvons établir la base physique de la mémoire : tandis que le bébé aux yeux écarquillés s’étire en donnant des coups de pied sans but sur son tapis, il reçoit inconsciemment ces premières impressions qui forment ses premiers souvenirs ; et nous pouvons influencer ces souvenirs pour lui : nous pouvons nous assurer que les premières images qu’il voit sont des images d’ordre, de propreté, de beauté ; que les sons que son oreille perçoit sont musicaux et doux, tendres et joyeux ; que les narines du bébé ne sentent que pureté délicate et douceur. Ces souvenirs restent toute la vie, gravés dans l’inconscient. Comme nous le verrons plus tard, les souvenirs ont un certain pouvoir d’accrétion – là où il y en a, d’autres du même genre se rassemblent, et toute la vie s’ordonne sur les lignes de ces premiers souvenirs purs et tendres.

Nous pouvons ainsi poser les bases du développement de toutes les fonctions mentales. Y a-t-il des enfants qui ne s’émerveillent pas, qui ne vénèrent pas, qui ne se soucient pas des contes de fées, ou qui n’ont pas de sages pensées d’enfant ? Peut-être n’y en a-t-il aucun, mais s’ils existent, c’est parce que le grain de pollen fécond n’a jamais été acheminé vers l’ovule qui l’attend dans l’âme de l’enfant.

Voici quelques-unes des choses que, d’après les citations que nous avons données de l’ouvrage du Dr Maudsley, Physiologie de l’esprit, les parents peuvent établir pour le futur homme, même dans sa petite enfance :

Ses idées précises sur des sujets particuliers, comme, par exemple, ses relations avec les autres.

Ses habitudes, de propreté ou de désordre, de ponctualité, de modération.

Sa façon générale de penser, et comment elle est affectée par l’altruisme ou l’égoïsme.

Ses sentiments et actions qui en découlent.

Ses objets de pensée – les petites affaires de la vie quotidienne, le monde naturel, les opérations ou les productions de l’esprit humain, les voies de Dieu avec les hommes.

Ses talents distinctifs – musique, éloquence, invention.

Sa disposition ou son ton de caractère, tel qu’il se manifeste et affecte sa famille et ses autres proches dans la vie – réservé ou franc, morose ou aimable, mélancolique ou gai, lâche ou courageux.

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CHAPITRE 4 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION

La vie de l’esprit se développe grâce aux idées

“Semez un acte, vous récolterez une habitude ; semez une habitude, vous récolterez un caractère ; semez un caractère, vous récolterez une destinée.”

Résumé du chapitre précédent. – Le dernier chapitre s’est terminé par un résumé imparfait de ce que nous pouvons appeler les fonctions éducatives des parents. Nous avons constaté qu’il appartient aux parents de l’enfant de fixer, pour l’homme futur, ses manières de penser, de se comporter, de sentir, d’agir ; sa disposition, son talent particulier ; le genre de choses sur lesquelles ses pensées doivent porter. Mais qui fixera des limites au pouvoir des parents ? La destinée de l’enfant est régie par ses parents, car ils ont le sol vierge pour eux tout seuls. Les premières semailles doivent être faites de leurs mains, ou de celles de ceux à qui ils choisissent de déléguer.

Conceptions éducatives du passé. – Que sèment les parents ? Des idées. Le plus tôt nous reconnaîtrons l’unique semence éducative que nous tenons entre nos mains, et comment la répandre, le mieux ce sera. Mais notre façon de penser l’éducation est si radicalement erronée ! Nous ne pouvons pas utiliser les mots appropriés parce que nous ne pensons pas comme il faut. Nous avons probablement dépassé l’erreur pédagogique de la tabula rasa. Plus personne ne considère l’âme vierge de l’enfant comme une tablette préparée pour l’exercice de l’art suprême de l’éducateur. Mais la conception qui a succédé à cette hérésie séculaire repose sur les mêmes bases erronées de l’auguste fonction et de la sagesse infaillible de l’éducateur. La voici dans sa forme la plus grossière :

La théorie de Pestalozzi. – « Pestalozzi visait plus à développer harmonieusement les facultés qu’à les utiliser pour l’acquisition des connaissances ; il cherchait à préparer le vase plutôt qu’à le remplir. »

La théorie de Froebel. – Dans les mains de Froebel, la figure gagne en hardiesse et en beauté ; ce n’est plus un simple vase à façonner dans les mains du potier ; mais une fleur, disons une rose parfaite, à modeler délicatement, consciemment et méthodiquement, pétale par pétale, courbes et volutes ; quant au parfum et à la gloire vivante de la fleur, eh bien, cela viendra ; faites votre part et modelez les différents pétales ; attendez aussi le soleil et l’averse, donnez de l’espace et de la place à votre fleur pour s’épanouir. Et c’est ainsi que nous nous mettons au travail en faisant appel à « l’imagination » ici, et au « jugement » là ; puis, aux « facultés perceptives » et aux « facultés conceptuelles ». En ceci, nous visons la nature morale, et en cela, la nature intellectuelle de l’enfant ; en faisant naître, pétale par pétale, la fleur d’une vie parfaite, grâce à des regards chaleureux et de la bonne humeur.

Le Jardin d’enfants, une conception vitale. – Cette façon de voir l’éducation et le travail de l’éducateur est fascinante, et elle appelle un zèle et un dévouement particuliers de la part de ces jardiniers dont les plantes sont les enfants. En effet, cette conception du Jardin d’enfants est peut-être la seule conception vitale de l’éducation que nous ayons eue jusqu’à présent.

Mais la science évolue. – Mais en ces jours de pensée révolutionnaire, quand dans tous les domaines – en géologie et en anthropologie, en chimie, en philologie et en biologie – la science évolue, il est nécessaire que nous reconsidérions notre conception de l’Éducation.

En ce qui concerne l’hérédité. – On nous apprend, par exemple, que l’”hérédité” n’est nullement la transmission simple et directe, d’un parent ou d’un ancêtre lointain, à l’enfant, de la puissance et de la propension, de la vertu et du défaut. Et nous sommes soulagés, parce que nous avions commencé à soupçonner que s’il en était ainsi, cela signifierait, pour la plupart d’entre nous, un héritage de défauts exagérés : l’imbécillité, la folie, la maladie congénitale – en sommes-nous totalement éloignés ?

L’éducation est-elle formatrice ? – Ainsi, en ce qui concerne l’éducation, nous commençons à nous demander si son travail est aussi purement formateur que nous le pensions ? Est-elle directement formatrice ? Qu’y a-t-il de vrai dans cette doctrine agréable et facile, selon laquelle l’éducation consiste à faire naître, à renforcer et à diriger les diverses « facultés » ? Les parents sont très attachés à l’individualité de leurs enfants ; ils se méfient de la tendance à les développer tous sur le même plan ; et cette jalousie instinctive est juste ; car, à supposer que l’éducation consiste réellement en des efforts systématiques pour tirer parti de toutes les forces qui sont en nous, pourquoi devrions-nous tous nous développer sur les mêmes lignes, être aussi semblables que deux gouttes d’eau, et (n’allons-nous pas ?) nous lasser les uns des autres ! Certains d’entre nous ont le sentiment désagréable que les choses tendent vers cette uniformité mortelle ; mais, en fait, cette crainte est sans fondement.

Nous pouvons croire que la personnalité, l’individualité de chacun de nous, est trop chère à Dieu, et trop nécessaire à une humanité accomplie, pour être laissée à la merci de l’empirisme. Nous sommes parfaitement en sécurité, et l’enfant le plus sensible est fortifié contre un bélier de forces éducatives.

“Education”, un terme inadéquat. – A première vue, le problème de l’éducation est plus complexe qu’il ne semble, et il est bon pour nous et pour le monde qu’il en soit ainsi. “L’éducation est une vie” ; on peut l’étouffer, l’affamer et la tuer, ou la chérir et la nourrir ; mais les battements du cœur, le mouvement des poumons et le développement des facultés (existe-t-il des « facultés » ?) ne nous concernent qu’indirectement. La pauvreté de notre pensée en matière d’éducation est démontrée par le fait que nous n’avons aucun mot qui implique le fait d’accompagner une vie : éducation (du latin ex, “hors de” et ducere, “conduire, mener”) est très insuffisant ; il couvre à peine plus que ces gymnastiques occasionnelles de l’esprit similaires à celles qui forment les membres : entraînement (trahere) est presque synonyme, et sur ces deux mots repose l’idée fausse que le développement et l’exercice des « facultés » est l’objet de l’éducation (faute de mieux, nous devons utiliser ce mot).

“Élever” ? – Le terme « élever » est plus proche de la vérité, peut-être à cause de son imprécision ; « élever » implique un but et un effort.

L’heureuse phrase de M. Matthew Arnold – « L’éducation est une atmosphère, une discipline, une vie » – est peut-être la définition la plus complète et la plus adéquate que nous possédions de l’éducation. C’est une grande chose de l’avoir dite, et notre postérité plus sage peut voir dans cette « remarque profonde et exquise » le fruit de toute une vie d’efforts critiques.

Une définition adéquate. – Observons comment elle couvre la question sous les trois points de vue possibles. Subjectivement, chez l’enfant, l’éducation est une vie ; objectivement, parce qu’elle affecte l’enfant, l’éducation est une discipline ; relativement, si nous pouvons introduire un troisième terme, en ce qui concerne l’environnement de l’enfant, l’éducation est une atmosphère.

Nous examinerons plus tard chacun de ces postulats ; pour l’instant, nous nous contenterons de déblayer un peu le terrain, en vue du sujet de ce chapitre, « Les parents en tant que sources d’inspiration » – non pas « modeleurs », mais « inspirateurs ». 

La méthode, un moyen de parvenir à une fin. – C’est seulement lorsque nous reconnaissons nos limites que notre travail devient efficace : lorsque nous voyons clairement ce que nous devons faire, ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire, nous nous mettons au travail avec confiance et courage ; nous avons un but en vue, et nous nous dirigeons intelligemment vers ce but, et le moyen d’arriver au but est la méthode. Il appartient aux parents non seulement de faire naître leurs enfants à la vie de l’intelligence et de la puissance morale, mais de soutenir la vie supérieure à qui ils ont donné naissance.

La vie de l’esprit se nourrit d’idées. – Or, cette vie, que nous appelons éducation, ne reçoit qu’une seule sorte de subsistance : elle se nourrit d’idées. Vous pouvez traverser des années de cette soi-disant « éducation » sans recevoir une seule idée vitale ; et c’est pourquoi plus d’un corps bien nourri transportent une intelligence faible et affamée ; pourtant aucun organisme de prévention contre la maltraitance des enfants ne blâme les parents. Il y a quelques années, j’ai entendu parler d’une jeune fille de quinze ans qui avait passé deux ans dans une école sans assister à une seule leçon, et cela par la volonté expresse de sa mère, qui souhaitait que tout son temps et toutes ses peines soient consacrés à des « travaux d’aiguille sophistiqués ». Cela tient de la survie (non du plus fort), mais il est effectivement possible de passer avec succès les examens des universités, sans jamais avoir expérimenté cette agitation vitale qui marque la naissance d’une idée. Et, si nous réussissons à échapper à cette influence perturbatrice, nous avons « terminé notre éducation » lorsque nous quittons l’école ; nous fermons nos livres et notre esprit, et nous restons des pygmées dans la sombre forêt de notre propre monde de pensées et de sentiments.

Qu’est-ce qu’une idée ? – Une chose vivante de l’esprit, selon les philosophes les plus anciens, de Platon à Bacon, de Bacon à Coleridge. Nous disons d’une idée qu’elle nous frappe, qu’elle nous impressionne, qu’elle nous saisit, qu’elle prend possession de nous, qu’elle nous gouverne ; et notre langage courant est, comme d’habitude, plus fidèle aux faits qu’à la pensée consciente qu’il exprime. Nous n’exagérons pas le moins du monde en attribuant cette sorte d’action et de puissance à une idée. Nous nous formons un idéal – une idée incarnée, pour ainsi dire – et notre idéal exerce sur nous la plus forte influence formatrice. Pourquoi vous consacrez-vous à cette quête, à cette cause ? « Parce qu’il y a vingt ans, telle ou telle idée m’a frappé« , est le genre de réponse que pourrait faire toute personne qui mène une vie utile, une vie consacrée à la réalisation d’une idée. N’est-il pas étonnant qu’en reconnaissant comme nous le faisons la puissance des idées, le mot et la conception qu’elle recouvre entrent si peu dans notre réflexion sur l’éducation ?

Coleridge fait entrer la conception d’une « idée » dans la sphère de la pensée scientifique d’aujourd’hui, non pas telle qu’elle est exprimée dans la définition du terme “psychology” – terme qu’il a lui-même lancé dans le monde en s’excusant de cet insolens verbum, mais dans cette science de la corrélation et de l’interaction de l’esprit et du cerveau, qui est actuellement exprimée assez maladroitement par des termes tels que « physiologie mentale » et « psychophysiologie ».

Dans sa Méthode, Coleridge illustre l’ascension et le développement d’une idée de la façon suivante :

Essor et développement d’une idée. – « Aucun incident de l’histoire humaine n’impressionne l’imagination plus profondément que le moment où Colomb, sur un océan inconnu, perçut pour la première fois ce fait étonnant, le mouvement de l’aiguille magnétique. Combien d’exemples de ce genre se produisent dans l’Histoire lorsque les idées de la Nature (présentées à certains esprits par une Puissance Supérieure à la Nature elle-même) déploient soudain, comme une succession prophétique, des visions systématiques destinées à produire les révolutions les plus importantes pour la condition humaine ! L’esprit clair de Colomb était sans doute éminemment méthodique. Il vit distinctement cette grande idée directrice qui autorisait le pauvre navigateur à devenir un ‘pourvoyeur de royaumes’. » 

Genèse d’une idée. – Remarquons la genèse de ces idées – « présentées à certains esprits par une Puissance Supérieure à la Nature » ; remarquons avec quelle précision cette histoire d’une idée s’accorde avec ce que nous savons de l’histoire des grandes inventions et découvertes, avec celle des idées qui régissent notre propre vie ; et à quel point elle correspond à cette réponse sur l’origine des idées « pratiques » que nous trouvons ailleurs : “Le laboureur passe-t-il tout son temps à labourer pour semer, à défoncer et herser son coin de terre ? Après avoir aplani la surface, ne jette-t-il pas la nigelle, ne répand-il pas le cumin ? Puis il met le blé, le millet, l’orge et l’épeautre en bordure. Son Dieu lui a enseigné cette règle et l’a instruit. […] 

“Lorsqu’on foule le froment, on ne s’attarde pas à l’écraser […] Tout cela est un don de Yahvé Sabaot, merveilleux conseil qui fait de grandes choses.”

Une idée peut exister sous la forme d’une « appétence ». – Les idées peuvent nous imprégner comme le fait une atmosphère, plutôt que nous frapper comme une arme. “L’idée peut exister sous une forme claire, distincte, définie, comme celle d’un cercle dans l’esprit d’un géomètre ; ou elle peut être un simple instinct, une vague appétence pour quelque chose, […] comme l’impulsion qui remplit de larmes les yeux du jeune poète, sans qu’il ne sache pourquoi ». Exciter cette « appétence pour quelque chose » – pour les choses belles, honnêtes et de bonne qualité – est le premier et le plus important des devoirs de l’éducateur. Comment transmettre ces idées imprécises qui se manifestent dans l’appétence ? Elles ne doivent pas être données dans un but précis, ni prises à des moments précis. Elles se tiennent dans ce milieu de pensée qui entoure l’enfant comme une atmosphère, qu’il respire comme son souffle de vie ; et cette atmosphère dans laquelle l’enfant conçoit ses idées inconscientes d’une vie juste émane de ses parents. Chaque regard de douceur et chaque ton de révérence, chaque parole de bonté et chaque acte de soutien, passe dans le milieu de pensée, l’atmosphère même que l’enfant respire ; il ne pense pas à ces choses, il peut ne jamais y penser, mais durant toute sa vie, elles excitent cette « vague appétence pour quelque chose » d’où jaillissent la plupart de ses actions. Oh, la présence merveilleuse et redoutable du petit enfant dans notre foyer.

Un enfant s’inspire de sa vie quotidienne. – Qu’il s’inspire de sa vie quotidienne, qu’il fasse de nos pauvres paroles, et de nos manières, le point de départ et la direction de son développement, voilà une pensée qui coupe le souffle aux meilleurs d’entre nous. Il n’y a pas d’échappatoire pour les parents ; ils doivent être des « inspirateurs » pour leurs enfants, car autour d’eux plane, comme son atmosphère autour d’une planète, le milieu de pensée de l’enfant, d’où il tire ces idées durables qui s’exprimeront toute sa vie sous la forme d’une « appétence » pour les choses sordides ou belles, les choses terrestres ou divines.

Ordre et progrès des idées définies. – Écoutons maintenant Coleridge au sujet de ces idées définies qui ne sont pas inhalées comme l’air, mais acheminées à l’esprit comme de la nourriture : 

« A partir de la première idée, ou idée initiale, comme à partir d’une graine, germent d’autres idées. »

« Les événements et les images, la machinerie vivante et stimulante du monde extérieur, sont comme la lumière, l’air et l’humidité pour la semence de l’esprit, qui autrement pourrirait et périrait. »

« Les voies dans lesquelles nous pouvons suivre un parcours méthodique sont multiples, et à la tête de chacune se trouve son idée particulière et directrice. »

« Ces idées sont tout aussi sûrement subordonnées à la dignité que les directions qu’elles prennent sont diverses et originales. Le monde a beaucoup souffert, dans les temps modernes, d’une subversion de l’ordre naturel et nécessaire de la Science (…) de la convocation de la raison et de la foi à la barre de cette expérience physique limitée à laquelle, selon les vraies lois ou méthodes, elles n’ont pas à obéir. »

« Le progrès suit la voie de l’idée dont il émane ; il exige cependant un éveil constant de l’esprit pour le maintenir dans les limites convenables de son cours. C’est pourquoi les sphères de la pensée, pour ainsi dire, doivent différer entre elles de la même façon que les idées initiales. »

Doctrine platonicienne des idées. – N’avons-nous pas ici le corollaire et l’explication de cette loi de la réflexion inconsciente, qui aboutit à nos « façons de penser », qui façonne notre caractère et règle notre destinée ? Les esprits réfléchis considèrent que la lumière nouvelle que la biologie jette sur les lois de l’esprit, met une fois de plus en évidence la doctrine platonicienne, selon laquelle « une idée est une puissance distincte, qui s’affirme d’elle-même et qui est considérée dans son unité avec l’Essence Éternelle. »

Seules les idées importent dans l’éducation. – Le sujet est profond, mais il est aussi pratique que profond. Nous devons nous défaire de la théorie selon laquelle les fonctions de l’éducation sont, pour l’essentiel, gymniques. Dans les premières années de la vie de l’enfant, les parents ne voient peut-être guère de différence entre penser qu’éduquer, c’est remplir un vase, écrire sur une tablette, modeler de la matière ou nourrir une vie ; mais finalement, nous constaterons que seules les idées qui ont nourri sa vie ont eu de l’importance dans l’existence de l’enfant ; tout le reste a été perdu, ou pire, est comme de la sciure dans la machine, un obstacle et une blessure pour les processus vitaux.

Comment la formule éducative devrait se développer. – Voici, peut-être, comment la formule éducative devrait se développer : l’Éducation est une vie ; cette vie est soutenue par des idées ; les idées sont d’origine spirituelle ; et,

« Dieu nous a ainsi faits »

que nous les obtenons principalement en nous les transmettant les uns aux autres. Le devoir des parents est de nourrir le corps de l’enfant. L’enfant est un éclectique ; il peut choisir ceci ou cela ; c’est pourquoi, dès le matin, sème ton grain, et le soir ne laisse pas ta main inactive, car de deux choses tu ne sais pas celle qui réussira, ou si elles sont aussi bonnes l’une que l’autre.

L’enfant a des affinités avec le mal comme avec le bien ; c’est pourquoi il faut le protéger contre toute possibilité d’engranger de mauvaises idées.

L’idée initiale engendre des idées consécutives ; veillez donc à ce que les idées principales des enfants sur les grandes relations et les devoirs importants de la vie soient justes. 

Chaque étude, chaque ligne de pensée, a son « idée directrice » ; par conséquent, les études d’un enfant constituent une éducation vivante dans la mesure où elles sont stimulées par les idées directrices « qui se trouvent en tête ».

Qu’est-ce que la « raison infaillible » ? – En un mot, notre « raison infaillible » tant vantée, n’est-elle pas la pensée involontaire qui suit l’idée initiale selon des lignes logiques et appropriées ? L’idée de départ est donnée, et la conclusion peut être prédite presque avec certitude. Nous prenons l’habitude de penser de telle ou telle manière, et d’arriver à telle ou telle conclusion, de plus en plus loin du point de départ, mais sur la même ligne. Il y a une adaptation structurelle, dans le tissu cérébral, de la manière dont nous pensons – un lieu et une façon pour qu’elles se développent. Ainsi, nous voyons comment le destin d’une vie est façonné dès la nurserie par l’évocation révérencieuse du Nom Divin ; par la légère moquerie des choses saintes ; par la pensée du devoir que reçoit le petit enfant à qui l’on fait accomplir consciencieusement sa petite tâche ; par la dureté de cœur qui gagne l’enfant qui entend parler à la légère des fautes ou des peines des autres.

Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr

CHAPITRE 5 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION

Les choses de l’esprit

Les parents, révélateurs de Dieu à leurs enfants. – Il est probable que les parents, devant l’importance de leur rôle, ressentent plus que jamais la responsabilité de leur fonction prophétique. C’est en tant que révélateurs de Dieu à leurs enfants que les parents touchent à leurs limites les plus élevées ; peut-être n’est-ce que lorsqu’ils réussissent dans cette partie de leur travail qu’ils accomplissent l’intention Divine, celle d’avoir des enfants à élever dans les encouragements et les mises en garde du Seigneur.

Comment les fortifier contre le doute. – Comment fortifier les enfants contre les doutes dont l’air est rempli, est une question angoissante. Trois possibilités s’offrent à nous : enseigner comme l’on nous a enseigné, et les laisser attendre leur heure et leur chance ; essayer de résoudre les doutes et les difficultés qui se sont présentés ou qui risquent de se présenter ; ou bien, donner aux enfants une telle prise sur la vérité vitale, et en même temps une telle perspective sur la pensée actuelle, qu’ils seront du bon côté des controverses de leur temps, ouverts à la vérité, aussi nouvelle qu’elle puisse être présentée, et protégés contre l’erreur fatale.

Trois voies : la première est injuste. – La première voie est injuste pour les jeunes : quand l’attaque survient, ils se trouvent dans une situation désavantageuse ; ils n’ont rien à répondre ; leur orgueil est en jeu ; ils concluent immédiatement qu’ils ne peuvent se défendre face à ce qu’ils ont reçu comme une vérité ; s’il existait une défense, n’en auraient-ils pas été instruits pour la mettre en œuvre ? Ils n’aiment pas qu’on leur donne tort, qu’on les mette dans le camp des plus faibles – c’est ce qu’ils croient –, qu’on les pense en retard sur leur temps, et ils se rangent sans lutter du côté des penseurs les plus agressifs de leur époque.

Les « évidences » ne sont pas des preuves. – Supposons, d’autre part, qu’ils aient été fortifiés par des « preuves chrétiennes », défendues par les remparts d’un enseignement dogmatique solide. La religion, sans enseignement dogmatique défini, dégénère en sentiment, mais le dogme, en tant que dogme, n’offre aucune défense contre les assauts de l’incrédulité. En ce qui concerne les « évidences », le rôle du défenseur chrétien est exposé à la condamnation véhiculée par le puissant proverbe, qui s’excuse, s’accuse ; la vérité par laquelle nous vivons doit nécessairement être évidente par elle-même, n’admettant ni preuve ni réfutation. Il faut enseigner aux enfants l’histoire de la Bible avec toutes les explications que la recherche moderne rend possibles. Mais il ne faut pas leur apprendre à considérer les inscriptions sur les monuments assyriens, par exemple, comme des preuves de la vérité des récits bibliques, mais plutôt comme des illustrations de ces récits, bien qu’elles soient, et ne peuvent être que des preuves subsidiaires.

La perspective sur la pensée actuelle. – Examinons la troisième voie : et tout d’abord, en ce qui concerne la perspective sur la pensée actuelle. L’opinion actuelle est l’obsession des jeunes esprits. Les jeunes gens sont avides de savoir ce qu’il faut penser sur toutes les questions sérieuses de la religion et de la vie. Ils s’interrogent sur l’opinion de tel ou tel grand penseur de leur temps. Ils ne se limitent nullement aux leaders d’opinion que leurs parents ont choisi de suivre ; au contraire, “l’envers » de chaque question a pour eux un côté attrayant, et ils ne choisissent pas de se ranger derrière les chefs de file dans la course à la pensée.

Le libre arbitre dans la pensée. – Les parents ne doivent pas s’étonner que leurs enfants se jettent ainsi à l’eau. Toute leur éducation, dès la plus tendre enfance, devrait être axée sur ce plongeon. Lorsque le moment est venu, il n’y a rien à faire ; ouvertement, peut-être, secrètement si la règle du foyer est rigide, les jeunes pensent par eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils suivent le chef qu’ils ont élu ; car ils sont vraiment modestes et humbles de cœur, et n’osent pas encore penser par eux-mêmes ; seulement, ils ont transféré leur allégeance. Ce transfert d’allégeance ne doit pas non plus être mal vécu par les parents ; nous revendiquons tous cette “liberté de choix” lorsque nous nous sentons inclus dans des intérêts plus larges que ceux de la famille.

Préparation. – Il y a beaucoup à faire en amont, mais plus grand chose lorsque le moment est venu. L’idée de l’infaillibilité d’une autorité contemporaine peut être régulièrement ébranlée dès l’enfance, mais au prix d’un certain sacrifice, d’une certaine aisance et d’une certaine gloire pour les parents. Le « je ne sais pas » doit remplacer la réponse vaguement sage, lancée au hasard, que les questions insistantes des enfants provoquent trop souvent. Et le « je ne sais pas » doit être suivi de l’effort pour savoir, de la recherche nécessaire pour découvrir. Même dans ce cas, il faut parfois faire face à la possibilité d’une erreur dans un livre. Les résultats de ce type d’entraînement sont inestimables pour l’équilibre mental et le repos.

Réserve à l’égard de la Science. – Une autre garantie réside dans l’attitude de réserve, dirons-nous, qu’il est bon de conserver à l’égard de la « Science ». Il est bon d’enflammer l’enthousiasme des enfants, de leur faire voir combien il est glorieux de consacrer toute une vie à de patientes recherches, combien il est grand de découvrir un seul secret de la Nature, une clé à de nombreuses énigmes. Les héros de la science devraient être leurs héros ; les grands noms, surtout nos contemporains, devraient être connus de tous. Mais là encore, il faut faire preuve de discernement ; deux points doivent être mis bien en évidence – le silence absolu de l’oracle sur toutes les questions ultimes de l’origine et de la vie, et le fait que, tout du long, la vérité scientifique arrive comme la marée, avec une progression constante, mais avec le flux et le reflux de chaque vague de vérité ; à tel point qu’à l’heure actuelle, l’enseignement des vingt dernières années est discrédité dans au moins une douzaine de départements scientifiques. En effet, la sagesse voudrait que l’on attende un demi-siècle avant d’intégrer une découverte dans le schéma général des choses. Et cela, non pas parce que la dernière découverte n’est pas absolument vraie, mais parce que nous ne sommes pas encore capables de l’intégrer – selon la « science de la proportion des choses » – de manière à ce qu’elle soit relativement vraie.

La connaissance est progressive. – Mais tout ceci doit sûrement être au-dessus des enfants ? En aucun cas ; car chaque promenade devrait raviver leur enthousiasme pour les choses de la Nature et leur respect pour les prêtres de ce temple ; mais il faudrait saisir l’occasion de souligner les avancées progressives de la science, et le fait que l’enseignement d’aujourd’hui peut être l’erreur de demain, parce que de nouvelles lumières peuvent conduire à de nouvelles conclusions même à partir de faits déjà connus. “Jusqu’à tout récemment, les géologues pensaient…, ils pensent maintenant…, mais ils pourraient trouver des raisons de penser autrement dans l’avenir.” Percevoir que la connaissance est progressive, et que la prochaine « découverte » peut toujours modifier le sens de ce qui a précédé ; que nous attendons, et que nous pouvons attendre très longtemps, le dernier mot ; que la science est aussi une « révélation », bien que nous ne soyons pas encore capables d’interpréter pleinement ce que nous savons ; et que la « science » elle-même contient la promesse d’un grand élan pour la vie spirituelle – percevoir ces choses, c’est être capable de se réjouir de toute vérité et d’attendre l’ultime certitude.

Les enfants devraient apprendre certaines lois de la pensée. – Par ailleurs, nous pouvons nous efforcer d’assurer aux enfants cette stabilité d’esprit qui découle de la connaissance de soi. Il est bon qu’ils connaissent, le plus tôt possible, afin qu’ils aient l’impression d’avoir toujours su, certaines des lois de la pensée qui gouvernent leur propre esprit. Qu’ils sachent qu’une fois qu’une idée s’est emparée d’eux, elle suit, pour ainsi dire, son propre cours, s’établit dans la substance même du cerveau et entraîne son propre cortège d’idées. L’une des sources les plus fécondes de l’infidélité des jeunes est le fait que les garçons et les filles réfléchis sont infiniment surpris lorsqu’ils arrivent à remarquer le cours de leurs propres pensées. Ils lisent un livre ou écoutent une conversation avec une inclination pour ce qu’ils pensent être la « libre pensée ». Et puis, ils découvrent avec une « joie craintive » que leurs propres pensées commencent par une réflexion qu’ils ont entendue, et se poursuivent jusqu’à des conclusions nouvelles et surprenantes sur les mêmes axes ! L’agitation mentale de tout cela donne un délicieux sentiment de puissance, et un sentiment d’inévitabilité et de certitude aussi ; car ils n’ont pas l’intention ou la volonté de penser ceci ou cela. Cela leur parvient comme allant de soi ; leur raison, croient-ils, agit indépendamment d’eux, et comment peuvent-ils s’empêcher de supposer que ce qui leur parvient comme allant de soi, avec un air de certitude absolue, doit nécessairement être juste ?

Traiter les pensées à mesure qu’elles leur viennent. – Mais que se serait-il passé si, dès l’enfance, on les avait prévenus : « Occupez-vous de vos pensées, et le reste se fera tout seul ; laissez entrer une pensée, et elle restera ; elle reviendra demain et le jour suivant, se fera une place dans votre cerveau, et amènera beaucoup d’autres pensées comme elle. Votre tâche consiste à examiner les pensées à mesure qu’elles arrivent, à écarter les mauvaises et à laisser entrer les bonnes. Veillez à ne pas tomber dans la tentation. » Ce genre d’enseignement n’est pas aussi difficile à comprendre que les règles du nominatif anglais, et il est infiniment plus utile dans la conduite de la vie. C’est une grande protection de savoir que votre « raison » est capable de prouver toute théorie que vous vous autorisez à entretenir.

La requête des enfants. – Nous n’avons abordé ici que le côté négatif du travail des parents en tant que prophètes et inspirateurs. Il y a probablement peu de parents qui ne sont pas fortement touchés par l’innocence du bébé dans les bras de sa mère. « Ouvrez-moi les portes de la justice, pour que je puisse y entrer », est la voix du petit enfant qui ne connaît pas le monde ; et le souhait qu’il puisse être préservé du monde est exprimé dans chaque baiser de sa mère, dans la lumière des yeux de son père. Mais nous sommes facilement prêts à conclure que les enfants ne peuvent pas comprendre les choses spirituelles. Notre propre compréhension des choses de l’Esprit est trop faible, et comment pouvons-nous espérer que la faible intelligence de l’enfant puisse appréhender les plus grands mystères de notre être ? Pourtant, ici, nous avons complètement tort. C’est avec l’âge qu’un tempérament matérialiste s’installe en nous. Mais les enfants vivent dans la lumière du soleil levant. Le monde des esprits n’a pas de mystères pour eux ; cette parabole et ce travestissement du monde des esprits, le monde des fées, où tout est possible, n’est-il pas leur lieu de séjour favori ? Et si les contes de fées sont si chers aux enfants, c’est parce que leur esprit se révolte contre les limites strictes et étroites du temps, du lieu et de la matière ; il ne peut respirer librement dans un monde matériel. Pensez à ce que devrait être la vision de Dieu pour le petit enfant qui regarde déjà avec nostalgie à travers les barreaux de sa prison. Non pas un Dieu lointain, une abstraction froide, mais une Présence spirituelle, chaude, respirante, sur son chemin et autour de son lit – une Présence dans laquelle il reconnaît la protection et la tendresse dans l’obscurité et le danger, vers laquelle il se précipite comme l’enfant timide cache son visage dans les jupes de sa mère.

“Mon refuge”. – Une amie me racontait l’histoire de son enfance. Il se trouve que des cours supplémentaires la retenaient à l’école jusqu’à la tombée de la nuit chaque jour pendant l’hiver. Elle était extrêmement craintive, mais, avec la réserve inconsciente de la jeunesse, elle ne pensait jamais à mentionner sa peur de ce « quelque chose ». Elle rentrait chez elle en longeant une rivière, un chemin solitaire sous les arbres – de grands arbres, avec des masses d’ombre. Les ombres noires pouvaient cacher ce « quelque chose », le clapotement de la rivière pouvait être un murmure ou le bruissement d’un vêtement, tout cela la remplissait d’une incessante terreur nuit après nuit. Elle filait le long de ce chemin au bord de la rivière, le cœur battant ; mais ces mots battaient dans son cerveau, aussi vite que ses pas et son cœur, encore et encore, tout le long du chemin, soir après soir, hiver après hiver : « Tu es un asile pour moi, tu me garantis de la détresse, tu m’entoures de chants de délivrance ». Des années plus tard, alors que l’on pouvait supposer que cette femme avait dépassé ses peurs d’enfant, elle se retrouva à marcher seule dans l’obscurité d’un soir d’hiver, sous des arbres, près du clapotis d’une autre rivière. La vieille terreur revint, et avec elle, les anciens mots ; elle garda le rythme tout le long du chemin précipitant chacun de ses pas. Pour chaque enfant, la pensée de Dieu devrait être un tel refuge.

L’esprit de l’enfant est un « bon terreau ». – Leur sensibilité aiguë aux influences spirituelles n’est pas due à l’ignorance des enfants. C’est nous, et non eux, qui sommes dans l’erreur. Toute la tendance de la pensée biologique moderne est de confirmer l’enseignement de la Bible : les idées qui vivifient viennent d’en haut ; l’esprit du petit enfant est un champ ouvert, un « bon terreau » où, matin après matin, le semeur sort pour semer, et le grain est la Parole. Tout notre enseignement aux enfants devrait être donné avec respect, avec l’humble sentiment que nous sommes invités, dans ce domaine, à coopérer avec le Saint-Esprit ; mais il devrait être donné consciencieusement et avec diligence, avec le sentiment redoutable que notre coopération est une condition de l’action Divine ; que le Sauveur du monde nous supplie de « laisser les petits enfants venir à Lui », comme si nous avions le pouvoir de les en empêcher, et nous savons que c’est le cas.

Les enfants souffrent d’un profond mécontentement. – Cette pensée du Sauveur du monde implique une autre conception que nous laissons parfois de côté lorsque nous nous occupons des enfants. Les jeunes visages ne sont pas toujours ensoleillés et charmants ; même les enfants les plus radieux, dans les circonstances les plus heureuses, ont leurs heures sombres. Nous mettons, à juste titre, ce nuage sur le compte de quelque petit désordre, ou de la météo, mais ce sont là des causes secondaires qui révèlent un mécontentement profond. Les enfants ont un sens du péché aigu, proportionnel à leur sensibilité. Nous risquons trop de nous fier à un traitement à l’eau de rose ; nous ne prenons pas les enfants assez au sérieux ; face à un enfant, nous voyons bien que c’est une personne réelle, mais dans nos théories éducatives, nous le traitons comme « quelque chose entre la poupée de cire et l’ange ». Il pèche, il est coupable de cupidité, de mensonge, de méchanceté, de cruauté, de cent fautes qui seraient détestables chez une personne adulte ; et nous affirmons qu’il s’en rendra compte plus tard. Il ne s’en rendra jamais compte ; il a une conscience aiguë de son caractère odieux. Combien d’entre nous diraient de leur enfance, si nous étions parfaitement honnêtes, « Oh, j’étais un petit être odieux ! » et cela, non pas parce que nous nous souvenons de nos fautes, mais parce que nous nous souvenons de l’estime enfantine que nous avions de nous-mêmes. Plus d’un enfant rayonnant et joyeux est odieux à ses propres yeux ; et le « paix, paix, là où il n’y a point de paix » des parents et des amis affectueux est un faible réconfort. Il est bon de « demander quels sont les anciens sentiers, quelle est la bonne voie » ; il n’est pas bon, au nom des vieux sentiers, de conduire nos enfants dans des impasses, ni de les laisser suivre les nouveaux chemins dans des labyrinthes déroutants.

Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr

CHAPITRE 6 LES PARENTS EN TANT QUE SOURCE D’INSPIRATION

Idées fondamentales venant des parents

“Un des petits garçons, regardant la terrible désolation de la scène, si différente dans ses aspects sauvages et inhumains de tout ce qu’il avait pu voir à la maison, se blottit contre sa mère et demanda, le souffle coupé, ‘Mère, y a-t-il un Dieu ici ?’ »–John Burroughs.

La chose fondamentale que nous devons faire. – Le chapitre précédent a introduit la pensée des parents dans leur plus haute fonction – en tant que révélateurs de Dieu à leurs enfants. Sortir la race humaine, famille par famille, enfant par enfant, de la désolation sauvage et inhumaine où Il n’est pas présent, et les amener dans la lumière, la chaleur et le confort de la présence de Dieu, est, sans aucun doute, la chose fondamentale que nous ayons à faire dans le monde. Et ce travail individuel, fait auprès de chaque enfant, et étant l’œuvre la plus importante du monde, est mis entre les mains des êtres humains les plus sages, les plus aimants, les plus disciplinés et les plus divinement instruits. Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait, voilà la perfection de la parentalité, qui ne peut sans doute être atteinte dans sa plénitude que grâce à la parentalité elle-même. Il y a des parents qui se trompent, des parents ignorants, quelques parents indifférents ; il y a même, peut-être un sur mille, des parents insensibles ; mais le bien qui se fait sur la terre est fait, sous le regard de Dieu, par les parents, que ce soit directement ou indirectement.

Les idées de Dieu qui conviennent aux enfants. – Les parents qui reconnaissent que leur grande tâche s’accomplit par l’intermédiaire des idées qu’ils sont capables d’introduire dans l’esprit de leurs enfants, réfléchiront avec soin aux idées de Dieu qui conviennent le mieux aux enfants, et à la meilleure façon de les transmettre. Considérons une idée qui agite actuellement les esprits.

“Nous devrions aborder la Bible lentement, par le côté humain”. Nous ne sommes pas d’accord. – « Nous lisons une partie de l’histoire de l’Ancien Testament en tant qu’ »histoire des Juifs », et Job, Ésaïe et les Psaumes en tant que poésie – et je suis heureux de dire qu’il les aime beaucoup ; et certaines parties des Évangiles en grec, afin d’étudier la vie et le caractère d’un héros. La plus grande erreur est de décréter tout à la fois aux enfants que ces œuvres font autorité et sont de source divine. Cela diminue d’emblée leur intérêt : Nous devrions aborder la Bible lentement, par le côté humain. » 

Voici une théorie qui s’impose d’elle-même à de nombreuses personnes, parce qu’elle est « si raisonnable ». Mais elle part du principe que nous sommes gouvernés par la Raison, une entité infaillible, qui est certaine, si on la laisse faire, de nous conduire à des conclusions justes. Or, l’exercice de cette fonction de l’esprit, que nous appelons raisonnement – nous devons nous refuser à parler de « la Raison » – nous amène effectivement à des conclusions inévitables ; le processus est défini, le résultat convaincant ; mais que ce résultat soit juste ou faux dépend entièrement de l’idée initiale que, lorsque nous voulons la discréditer, nous appelons un préjugé ; lorsque nous voulons l’exalter, nous appelons une intuition, voire une inspiration. Il serait vain d’illustrer cette position ; toute l’histoire de l’Erreur est l’histoire du résultat logique de ce que nous appelons volontiers des idées fausses. L’histoire de la Persécution raconte comment des conclusions inévitables, auxquelles on arrive par le raisonnement, se font passer pour la vérité. L’événement du Calvaire ne fut pas dû à une explosion hâtive et folle de sentiments populaires. C’était un triomphe du raisonnement : l’issue inévitable d’un enchaînement logique ; la Crucifixion n’était pas criminelle, mais tout à fait louable, si ce qui est juste est raisonnable. Et c’est pour cela que le cœur des Juifs religieux était endurci et leur entendement obscurci ; ils faisaient vraiment ce qui était juste à leurs propres yeux. C’est une chose merveilleuse que de percevoir les pensées qui sont en nous et qui nous poussent vers une conclusion inévitable, même contre notre volonté. Comment cette conclusion, qui se présente à nous, malgré nous, pourrait-elle ne pas être juste ?

Certitude logique et bien moral – Le Juif consciencieux et la Crucifixion. – Plaçons-nous un instant dans la position du Juif logique et consciencieux. “Jéhovah » est un nom qui exprime la vénération, inaccessible en pensée ou en action, sauf de la manière qu’il a Lui-même spécifiée. Tenter une approche illégitime équivaut à blasphémer. Comme Jéhovah est infiniment grand, l’offense présomptueuse est infiniment odieuse, elle est criminelle, elle est le dernier des crimes car elle est commise contre Celui qui est le Premier. Le blasphémateur est digne de mort. Cet homme se fait l’égal de Dieu, l’inaccessible. C’est un blasphémateur, arrogant comme Belzébuth. Il est doublement digne de mort. Le Nom sacré est confié au peuple des Juifs ; c’est à lui qu’il incombe d’exterminer le blasphémateur. L’homme doit mourir.” Voilà le secret de la haine virulente qui poursuivait les pas de la Vie irréprochable. Ces hommes suivaient les préceptes de la raison, et savaient, disaient-ils, qu’ils faisaient le bien. Nous avons ici l’ignorance invincible que la Lumière du monde n’a pas su éclairer, et Lui,

« Qui nous connaît tels que nous sommes,
Pourtant nous aime mieux que ce qu’Il ne connaît de nous.”

leur offre le vrai plaidoyer : « Ils ne savent ce qu’ils font ». Les étapes de l’argumentation sont incontestables ; l’erreur réside dans l’idée initiale – une conception de Jéhovah qui a rendu la conception du Christ inadmissible, impossible.

Le Juif patriote et la Crucifixion. – Ainsi a raisonné le Juif sur qui sa religion avait la préséance. Le Juif patriote, pour qui la religion elle-même était subordonnée aux espoirs de sa nation, arrivait par une toute autre chaîne d’arguments spontanés, à la même conclusion inévitable : « Les Juifs sont le peuple élu. Le premier devoir d’un Juif est envers sa nation. Nous vivons une époque critique. Un grand espoir est devant nous, mais nous sommes sous l’emprise des Romains ; ils peuvent écraser la vie nationale avant que notre espoir ne se réalise. Il ne faut rien faire qui puisse éveiller leurs soupçons. Cet homme ? De l’avis général, Il est inoffensif, peut-être juste. Mais Il soulève le peuple. Le bruit court qu’ils L’appellent Roi des Juifs. Il ne doit pas être autorisé à ruiner les espoirs de la nation. Il doit mourir. Il est opportun qu’un homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas.” Ainsi, le plus grand crime qui ait été commis sur la terre, le fut probablement sans aucune conscience de la criminalité ; au contraire, avec l’acquittement de ce faux sens moral qui soutient par son approbation toute action raisonnable. La Crucifixion fut le résultat logique et nécessaire des idées que les Juifs persécutés avaient assimilées dès le berceau. Il en est ainsi de toute persécution ; aucune n’arrive dans l’impulsion du moment, mais résulte de l’habitude de pensée de toute une vie.

Les idées fondamentales proviennent des parents. – Les enfants doivent tenir de leurs parents l’impulsion fondamentale qui résulte de leurs habitudes de pensée ; et comme la pensée et l’action d’un homme, dirigées vers Dieu, sont 

« l’intime pulsation de la machine »,

l’introduction d’idées fondatrices qui pousseront l’âme vers Dieu est le premier devoir et le plus grand privilège des parents. Quel que soit le péché d’incrédulité dont un homme est coupable, ses parents sont-ils entièrement exempts de reproches ?

Les premiers pas vers Dieu. – Considérons ce qui se fait couramment dans les nurseries à cet égard. A peine le petit être est-il capable de gazouiller qu’on lui apprend à s’agenouiller sur les genoux de sa mère et à dire « Dieu bénisse…” puis à énumérer ses proches et à dire « Dieu bénisse… et fasse de lui un bon garçon, pour l’amour de Jésus. Amen. » C’est très touchant et très beau. Un jour, je jetai un coup d’œil par la porte ouverte d’une chaumière dans un village de la lande, et je vis un petit enfant en chemise de nuit, agenouillé sur les genoux de sa mère, qui faisait sa prière du soir. Depuis, cet endroit est resté pour moi une sorte de sanctuaire. Il n’y a pas de spectacle plus touchant et plus tendre. Bientôt, dès qu’il pourra les prononcer, les mots

« Bon Jésus, doux et gentil »,

seront ajoutés à la prière du petit, et plus tard, le « Notre Père ». Rien de plus approprié et de plus beau que ces rapprochements vers Dieu, matin et soir, de la part des mères à leurs petits enfants. Et la plupart d’entre nous se souviennent de l’influence bénéfique de ces premières prières. Mais ne pourrions-nous pas faire plus ? Combien de fois par jour une mère élève-t-elle son cœur vers Dieu en allant et venant parmi ses enfants, sans qu’ils ne le sachent jamais ! « Aujourd’hui, je leur ai parlé (un garçon et une fille de quatre et cinq ans) de Rebecca au puits. Ils étaient très intéressés, surtout par le fait qu’Eliézer priait dans son cœur et la réponse vint immédiatement. Ils me demandèrent : ‘Comment a-t-il prié ?’ J’ai répondu : ‘Je prie souvent dans mon cœur alors que vous n’en savez rien. Parfois vous commencez à manifester un esprit méchant, et je prie pour vous dans mon cœur, et presque aussitôt je trouve que le bon esprit revient, et vos visages montrent que ma prière est exaucée.’ O. me caressa la main et dit : ‘Chère maman, je vais y penser !’ Mon garçon avait l’air pensif, mais ne parlait pas ; et quand ils furent au lit, je me suis agenouillée pour prier pour eux avant de les quitter, et quand je me suis levée, mon garçon m’a dit : ‘Mère, Dieu a rempli mon cœur de bonté pendant que vous priiez pour nous ; mère, j’essaierai demain.’ »

Communier à haute voix en présence des enfants. – Ne serait-il pas possible que la mère, lorsqu’elle est seule avec ses enfants, organise de temps en temps cette communion à haute voix, afin que les enfants puissent grandir dans le sens de la présence de Dieu ? Il serait probablement difficile pour de nombreuses mères de briser la barrière de la réserve spirituelle, même en présence de leurs propres enfants. Mais, si cela pouvait être fait, cela ne conduirait-il pas à une vie heureuse et naturelle dans la présence reconnue de Dieu ?

La gratitude d’un enfant. – Une mère, qui se souvenait d’une petite bouteille de parfum à un penny comme d’une de ses premières joies, apporta trois petites bouteilles de ce genre à ses trois petites filles. Elles les reçurent le lendemain matin au petit-déjeuner familial, et en profitèrent tout au long du repas. La mère dut quitter la table avant la fin du repas et la petite M. resta assise toute seule avec son flacon de parfum et les restes de son petit-déjeuner. Et du cœur pur de la petite fille sortit cette phrase, qui ne devait être entendue par personne : « Chère maman, vous êtes trop bonne ! ». Pensez à la joie de la mère qui entendrait sa petite fille murmurer sur la première primevère de l’année : « Cher Dieu, vous êtes trop bon ! ». Les enfants imitent tellement, que s’ils entendent leurs parents exprimer continuellement leurs joies et leurs craintes, leurs remerciements et leurs souhaits, eux aussi auront beaucoup de choses à dire.

Un autre point à ce sujet : le petit enfant allemand entend et prononce plusieurs fois par jour der liebe Gott ; certes, il s’adresse à Lui en disant « Du« , mais du fait partie de son langage quotidien ; son cercle de personnes les plus chères et intimes est délimité par le du magique. Il en va de même pour le petit enfant français, dont la pensée et la parole vont toujours au bon Dieu ; il dit aussi Tu, mais c’est ainsi qu’il parle à ceux qui lui sont les plus chers.

Les formules archaïques dans les prières des enfants. – Mais le petit enfant anglais est mis à l’écart par un mode de communication archaïque, respectueux à nos oreilles de personnes plus âgées, mais inadapté, nous pouvons en être sûrs, pour l’enfant. Alors, pour le Notre Père, quelle aubaine serait une traduction vraiment révérencieuse dans l’anglais d’aujourd’hui ! Pour nous, qui avons appris à le formuler, la forme actuelle est chère, presque sacrée ; mais nous ne devons pas oublier qu’il ne s’agit après tout que d’une traduction, et que c’est peut-être le texte anglais le plus archaïque en usage aujourd’hui : l’expression « which art » (les catholiques disent « who art »), couramment prononcée « chart », ne signifie rien pour un enfant. “Hallowed » est comme une langue étrangère pour lui – et il en est de même pour nous ; « trespasses » est un terme semi-juridique, peu susceptible d’être rencontré au quotidien ; et aucune explication ne fera que « Thy » ait la même force pour lui que « your ». Faire dire ses prières à un enfant dans un langage étrange, c’est dresser une barrière entre lui et son « Aimé Tout-Puissant ». Encore une fois, ne pourrions-nous pas nous risquer à apprendre à nos enfants à dire « Cher Dieu » ? Un parent, assurément, reconnaitra qu’aucun style austère et révérencieux ne peut être aussi doux aux oreilles du Père Divin que l’appel au « cher Dieu » pour la sympathie dans les moments joyeux et l’aide dans la difficulté, appel qui vient naturellement du petit enfant « habitué à Dieu ». Laissez les enfants grandir en étant conscients de la Présence constante et immédiate, qui apporte et offre de la joie au sein de leur entourage, et vous pourrez rire de toutes ces soit-disants “infidélités”, notion qui semble absurde à celui qui connaît son Dieu aussi bien, sinon mieux, que son père ou sa mère, sa femme ou son enfant.

“Un chant de triomphe royal”. – Qu’ils grandissent avec un chant de triomphe royal au milieu d’eux. Il y a, dans cette pauvre substance que nous appelons la nature humaine, des sources de loyauté, d’adoration, de dévotion passionnée, de service joyeux, qui doivent, hélas ! être libérées du vieux cœur endurci, mais qui ne demandent qu’à couler de celui de l’enfant. Il n’y a aucune garantie et aucune joie semblable à celle d’être sous les ordres, d’être possédé, contrôlé, continuellement au service de Celui à qui c’est une joie d’obéir.

Nous perdons de vue ce fait dans notre civilisation moderne, mais un roi, un chef, implique la guerre, un ennemi, la victoire – peut-être une défaite et la disgrâce. Et c’est cette conception de la vie qu’on ne saurait trop tôt présenter aux enfants.

Le combat du Christ contre le diable. – « Après avoir réfléchi à la question avec attention, j’ai décidé de vous donner mon point de vue sur ce que le garçon moyen retirait de notre Rugby School il y a un demi-siècle et qui lui a été le plus utile par la suite. […] J’ai eu quelques doutes sur ce qui me semblait le plus important, et je ne suis pas sûr que les quelques camarades de mon ancienne école, qui sont encore en vie, seraient d’accord avec moi ; mais, en ce qui me concerne, je pense que c’était notre caractéristique la plus marquée, le sentiment qu’à l’école et à l’extérieur, nous nous entraînions pour un grand combat – nous étions, en fait, déjà engagés dans ce combat – un combat qui durerait toute notre vie, et mettrait à l’épreuve toutes nos forces, physiques, intellectuelles et morales, à l’extrême. Je n’ai pas besoin de dire que ce combat était celui, vieux comme le monde, du bien contre le mal, de la lumière et de la vérité contre les ténèbres et le péché, du Christ contre le diable. » 

Ainsi s’exprimait l’auteur de Tom Brown dans un discours prononcé à la Rugby School, récemment, lors d’un dimanche de la Quinquagésime. C’est un langage clair ; l’éducation n’est digne de ce nom que si elle enseigne cette leçon ; et c’est une leçon qui doit être apprise à la maison ou dès que l’enfant rejoint une autre école de la vie. C’est une insulte aux enfants que de dire qu’ils sont trop jeunes pour comprendre ce pour quoi nous sommes envoyés dans le monde.

« Oh, comme c’est difficile de faire le travail de Dieu ! ». – Un garçon de cinq ans, arrière-petit-fils du Dr Arnold, était assis au piano avec sa mère et choisissait son hymne dominical ; il choisit « Ta volonté soit faite » et son verset préféré, celui commençant par « Renouvelle ma volonté de jour en jour ». Le choix de l’hymne et du verset laissa sa mère plutôt perplexe, puis elle eut un aperçu du monde de la pensée enfantine lorsque le petit garçon dit avec mélancolie : « Oh, comme c’est difficile de faire le travail de Dieu ! ». La différence entre faire et endurer n’était pas claire pour lui, mais la bataille, la lutte et la tension de la vie pesaient déjà sur l’esprit de « l’enfant insouciant et heureux ». Les enfants apprennent bien assez tôt qu’une personnalité spirituelle malveillante peut s’emparer de leurs pensées et les inciter à « être vilains », et ils le comprennent peut-être mieux que nous. Alors, ils sont fâchés, « vilains », divisés, coupables, et ont besoin d’être guéris aussi réellement que le vieux pécheur ; et ils sont bien plus conscients de ce besoin, parce que l’âme tendre de l’enfant, comme la peau d’un nourrisson, est irritée par la douleur spirituelle. « Dieu est très bon de me pardonner si souvent ; j’ai été vilaine tant de fois aujourd’hui », disait une triste petite pécheresse de six ans, mais pas du tout parce que quelqu’un d’autre avait pris la peine de l’en convaincre. Même la bonne humeur de « Pet Marjorie » n’échappe pas à ce triste sentiment d’insuffisance.

« Hier, je me suis extrêmement mal comportée dans la très sainte église de Dieu, car je n’ai pas voulu y aller ni laisser Isabella y aller, […] et c’est le même Diable qui a tenté Job qui m’a tentée, j’en suis sûre ; mais il a résisté à Satan, bien qu’il ait eu des ulcères et beaucoup d’autres malheurs auxquels j’ai échappé. » – (à six ans !)

Nous devons sourire des petits « crimes », mais nous ne devons pas trop sourire et laisser les enfants s’affliger de leurs « méchancetés » alors qu’ils devraient vivre dans la guérison instantanée, dans le cher Nom, du Sauveur du monde.

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CHAPITRE 7 LE PARENT EN TANT QUE MAÎTRE D’ÉCOLE

“Le maître d’école le fera ‘se tenir correctement’ !”. – « Se tenir correctement », c’est-à-dire « venir quand on l’appelle » apparemment, car la remarque concernait une petite personne qui continuait à faire tourner sa toupie avec nonchalance, ignorant le flot intermittent de réprimandes de sa mère, qui estimait que l’heure du coucher était arrivée. Si les circonstances changent selon les cas, il n’est pas rare, dans les hautes sphères de la société, que l’on confie au maître d’école le soin de faire « se tenir correctement » un enfant, après une longue période de relâchement mental et moral à la maison.

Les raisons pour lesquelles cette tâche est laissée au maître d’école. – « Oh, il est encore petit, il s’améliorera avec le temps. »

“Je pense que les enfants ne doivent connaître que des moments agréables. Ils auront suffisamment de contraintes et de frustrations lorsqu’ils iront à l’école.”

“Nous ne sommes pas partisans de punir les enfants ; aimer ses enfants et les laisser tranquilles, tel est notre principe.”

“Ils rencontreront assez de dureté dans le monde. L’enfance ne doit pas leur laisser de mauvais souvenirs.”

“L’école les formera. Laissez-les grandir comme de jeunes poulains jusqu’à ce que le moment vienne de les briser. Tous les jeunes êtres devraient être libres de s’amuser.”

« Chassez le naturel, il revient au galop. Je me soucie peu de façonner les enfants. Cela détruit l’individualité.”

“Quand il sera plus âgé, il s’en rendra compte. Le temps guérit beaucoup de défauts. »

Et ainsi de suite ; nous pourrions remplir des pages avec les sages paroles des gens qui, pour une raison ou une autre, préfèrent laisser au maître d’école le soin de faire « se tenir correctement » un enfant. Le maître d’école est-il à la hauteur de sa réputation ? Dans quelle mesure réussit-il avec l’enfant qui se présente à lui sans autodiscipline ? Ses véritables succès, ceux dont il est fier, concernent les enfants qui ont appris à “se tenir correctement” à la maison. Son bonheur à l’égard de ces enfants est sans bornes ; les soins qu’il leur donne sont illimités ; les brillantes carrières qu’il est capable de leur faire entreprendre dépassent l’ambition des êtres humains les plus follement ambitieux (oserions-nous le dire ?) : les parents, des parents tranquilles, raisonnables, terre à terre. Mais l’instituteur ne s’attribue guère le mérite de ces heureux résultats. Les maîtres et maîtresses d’école sont des gens modestes, même si on ne reconnaît pas toujours leurs qualités.

Ses succès concernent les enfants qui ont été formés à la maison. – « Vous pouvez tout faire avec cet enfant, ses parents l’ont si bien élevé. » Remarquez que le maître s’attribue peu de crédit (pas autant qu’il le mérite) ; et pourquoi ? L’expérience rend les fous sages ; alors que dire de ceux qui ajoutent l’expérience à la sagesse ? “Les gens nous envoient leurs petits pour les mettre au pas, et que pouvons-nous faire ?” La réponse à cette question concerne les parents directement : que peut faire le maître d’école pour faire “se tenir correctement” le garçon qui n’a pas été élevé comme il faut ?

Aucune persuasion ne vous fera « vous tenir correctement” si vous êtes une huître, ni même si vous êtes une morue. Vous devez avoir une colonne vertébrale, et votre colonne vertébrale doit avoir appris son travail avant qu’il vous soit possible de vous tenir droit. Il ne fait aucun doute que l’huître humaine peut se doter d’une colonne vertébrale et que la morue humaine peut apprendre à se redresser, et un jour, peut-être, nous découvrirons les efforts héroïques déployés par le maître et la maîtresse d’école pour soutenir, hisser, tirer, et maintenir en éveil et bien droit des créatures qui ont l’habitude de s’affaler. Parfois, le résultat est surprenant ; ils se tiennent en rang avec les autres et ont l’air de se tenir correctement ; même quand on enlève les soutiens, ils continuent à se tenir droit pendant un moment. Le maître d’école commence à se frotter les mains, et les parents disent : « Je vous l’avais dit. N’ai-je pas toujours dit que Jack finirait par bien se comporter ? ». Attendez un peu. L’histoire n’est pas finie.

Les habitudes dans le milieu scolaire sont mécaniques. – Les habitudes à l’école, comme à l’armée, sont plus ou moins mécaniques. Les premières habitudes sont fondamentales ; elles reviennent, et Jack, maintenant un homme, s’affale tout comme il s’affalait, enfant, et plus encore. Divers soutiens sociaux lui permettent de se tenir droit ; il a le chic pour sembler « se tenir correctement » ; il est aimable et sa vie est respectable ; et personne ne soupçonne que ce Mr. John Brown, au caractère facile, est un raté : un homme qui avait en lui les éléments de la grandeur, et qui aurait pu être utile au monde s’il avait été soumis à une discipline dès son enfance.

Le “relâchement” mental illustré dans Edward Waverley. – Relâchement est un mot laid, mais l’attitude à laquelle nous pensons est loin d’être toujours inélégante. Scott donne une illustration exquise d’un type de relâchement mental dans Waverley :

« Mais le caractère d’Édouard Waverley était loin de l’un ou l’autre de ces défauts ; son intelligence était si vive et si analogue à l’intuition, que le soin principal de son précepteur était, comme dirait un chasseur, de l’empêcher de sauter par-dessus le gibier, c’est-à-dire de l’empêcher d’acquérir des connaissances légères, vagues et sans règles. Le précepteur avait aussi à combattre en lui une autre disposition qui s’unit souvent à une brillante imagination, à un esprit vif, c’était cette indolence de caractère, qui ne peut être stimulée que par de puissants attraits, et qui renonce à l’étude aussitôt que la curiosité est satisfaite et qu’on a épuisé le plaisir des premières difficultés vaincues et d’une nouveauté conquise. » Et l’histoire se poursuit en montrant, sans qu’il soit nécessaire d’insister sur la morale, que Waverley, indécis par nature comme son nom l’indique, a toujours été le jouet des circonstances, parce qu’il n’avait pas appris dans sa jeunesse à diriger sa destinée. Il s’est fourvoyé dans de nombreuses (et très intéressantes) mésaventures parce qu’il n’avait pas réussi à acquérir, par ses études, la vivacité d’esprit et la retenue qui devaient faire de lui un homme. Beaucoup de choses agréables lui arrivent, mais pas une seule d’entre elles, hormis l’amour de Rose Bradwardine – et depuis quand les femmes font-elles preuve de justice quand elles octroient leurs faveurs ? – pas une seule n’a été gagnée par son propre esprit ou ses propres prouesses. Tous les avantages et les succès auxquels il a eu droit étaient le fruit du travail d’un autre homme. L’aîné des Waverley avait non seulement la fortune, mais aussi la force de caractère pour se faire des amis, de sorte que nous ne sommes pas tristes pour l’aimable jeune homme envers qui nous devrions éprouver de l’affection ; il ne fait rien pour se frayer un chemin, et il se met ses propres obstacles parce qu’il est incapable de s’autodiscipliner ; mais son oncle possède une fortune et des amis, et tout finit bien. Sans doute, dans l’intérêt de jeunes gens moins bien lotis et de parents qui ne sont pas en mesure de jouer le rôle de la généreuse Providence pour des fils et des filles qu’ils n’ont pas su préparer à diriger leur propre vie, le grand romancier prend soin de souligner que l’échec personnel d’Edward Waverley dans la vie était la faute de son éducation. Ses capacités étaient d’ailleurs brillantes, mais le « j’aime » avait pris le pas sur le « je dois » dès son plus jeune âge, et il n’avait jamais appris à se forcer à faire ce qu’il devait faire.

Les parents sont enclins à déléguer au maître d’école le soin d’enseigner l’autodiscipline. – C’est ce genre de “mise au pas” que les parents sont enclins à déléguer au maître d’école. Ils n’offrent pas à leurs enfants la discipline qui permet d’acquérir le pouvoir de se discipliner soi-même ; et au bout d’un certain temps, lorsqu’ils confient la tâche à quelqu’un d’autre, il est trop tard pour apprendre l’art de l’autodiscipline, et un bon caractère est gâché par l’indolence et l’entêtement.

“Mais pourquoi ne pas laisser au maître d’école le soin d’apprendre à un enfant à ‘se tenir correctement’ ? Il est naturel qu’un enfant soit laissé libre comme l’air dans des domaines sans importance morale. Nous ne le laisserions pas dire de mensonges, mais s’il déteste ses leçons, c’est peut-être la Nature qui lui montre qu’il ferait mieux de les laisser de côté.”

Nous ne sommes pas censés grandir dans un état de Nature. – Nous devons nous rendre à l’évidence. Nous ne sommes pas censés grandir dans un état de Nature. Il y a quelque chose de simple, de concluant, voire d’idyllique, dans l’affirmation que telle personne est « naturelle ». Que demander de plus ? Jean-Jacques Rousseau a prêché la doctrine de l’éducation naturelle, et aucun réformateur n’a eu autant d’adeptes. « C’est la nature humaine », disons-nous, lorsque l’orageux Harry arrache son tambour à Jack, lorsque la petite Marjorie, qui n’a pas deux ans, réclame la poupée de Susie. C’est ainsi, et c’est pour cette raison qu’il faut s’en occuper tôt. Même Marjorie doit être mieux formée. « J’enseigne toujours l’obéissance à mes enfants avant qu’ils n’aient un an », dit une mère sage ; et tous ceux qui connaissent la nature des enfants et les possibilités qui s’offrent à l’éducateur diront : « Pourquoi pas ?” ; l’obéissance dès la première année, et toutes les vertus d’une bonne vie au fil des années ; chaque année ayant son propre travail à accomplir dans la formation du caractère. Édouard est-il un enfant égoïste quand arrive son cinquième anniversaire ? Ce fait est noté dans le journal de ses parents, avec la résolution qu’à son sixième anniversaire, il sera, si Dieu le veut, un enfant généreux. Ici, le lecteur qui n’a pas compris que l’exercice de la discipline est l’une des principales fonctions des parents, sourit et parle de la « nature humaine » comme si c’était un argument irréfutable.

La première fonction du parent est celle de la discipline. – Mais nous vivons dans un monde racheté, et cette phrase insondable signifie qu’il est du devoir de ceux qui prennent soin des enfants d’éradiquer chaque trait vulgaire et haineux, de planter et de cultiver les fruits de ce royaume chez les enfants qui ont été délivrés du royaume de la nature pour entrer dans le royaume de la grâce, c’est-à-dire tous les enfants nés dans ce monde racheté. Le parent qui croit que les possibilités d’éducation vertueuse sont illimitées se mettra au travail avec une joyeuse confiance, renoncera aux sottises sur la « Nature », qu’il la considère comme une idée séduisante ou comme une force irrésistible, et percevra que la première fonction du parent est cette fonction de discipline que l’on confie si volontiers au maître d’école.

L’éducation est une discipline. – La discipline ne signifie pas la verge, ni le coin, ni la pantoufle, ni le lit, ni aucun des derniers recours des faibles. Plus tôt nous cesserons de croire que la souffrance purement pénale fait partie du plan divin, plus tôt le recours convulsif à la verge disparaîtra dans les familles. Nous ne disons pas que la baguette n’est jamais utile, mais nous disons qu’elle ne devrait jamais être nécessaire. Le fait est que beaucoup d’entre nous ne croient pas à l’éducation, sauf si elle signifie l’acquisition d’un certain nombre de connaissances ; l’éducation en tant que traitement curatif et méthodique de tous les défauts du caractère, n’entre pas dans notre schéma des possibilités. Voilà ce que nous voulons dire quand nous disons que l’Éducation est une Discipline. Là où ses parents échouent, la pauvre âme trouve une autre chance dans la discipline de la vie ; mais nous devons nous rappeler que, si c’est la nature de l’enfant de se soumettre à la discipline, c’est la nature de l’homme indiscipliné de s’acharner avec une volonté passionnée contre les circonstances qui sont destinées à sa formation ; de sorte que le parent qui choisit délibérément de laisser son enfant être « brisé » par le maître d’école, ou par la vie, le livre à un combat où toutes les chances sont contre lui. Le corps, le caractère, les dispositions, la carrière, les affections, les aspirations d’un homme sont tous, plus ou moins, le résultat de la discipline à laquelle ses parents l’ont soumis, ou de l’anarchie qu’ils ont permise.

La discipline n’est pas une punition. – Qu’est-ce que la discipline ? Observez le mot ; il n’y a aucune allusion à la punition. Un disciple est un suiveur, et la discipline est l’état du suiveur, de l’apprenant, de l’imitateur. Les mères et les pères ont tort d’oublier que leurs enfants sont, par la volonté même de la Nature, leurs disciples. Or, il n’est pas d’homme qui se mette à la tête de disciples sans vouloir leur inculquer certains principes, ou tout au moins des maximes, des règles de vie. Ainsi le parent doit avoir dans son cœur des notions de vie et de devoir qu’il s’efforce sans relâche d’inculquer à ses enfants.

Comment attirer les disciples. – Celui qui veut rassembler des disciples ne se fie pas à la force, mais à ces trois choses – l’attrait de sa doctrine, la persuasion de sa présentation, l’enthousiasme de ses disciples ; ainsi le parent possède des enseignements de la vie parfaite qu’il sait présenter continuellement avec une énergie victorieuse jusqu’à ce que les enfants soient animés d’un tel zèle pour la vertu et la sainteté qu’ils progressent rapidement.

Des progrès constants selon un plan minutieux. – Tout comme l’instituteur n’endoctrine pas ses élèves d’un seul coup, mais un peu par-ci, un peu par-là, en progressant régulièrement selon un plan minutieux, le parent, qui veut que son enfant participe à la nature Divine, a un plan, une échelle ascendante de vertus, à laquelle il se réfère pour entraîner son jeune disciple. Il ajoute à la foi, dont l’enfant est si richement pourvu, la vertu ; à la vertu, la connaissance ; et à la connaissance, l’autodiscipline. Après avoir exercé son enfant à l’autodiscipline, il le forme à la patience ; à la patience, il ajoute la piété ; à la piété, la bonté ; et à la bonté, l’amour. Voilà ce que les parents avisés cultivent de manière aussi systématique et avec des résultats aussi précis que s’ils enseignaient les « trois R ».

Mais comment faire ? La réponse couvre un champ si vaste que nous la réserverons pour un autre chapitre. Disons seulement ceci : chaque qualité a son défaut, chaque défaut a sa qualité. Observez votre enfant ; il a des qualités, il est généreux ; veillez à ce que l’aimable petit bonhomme, qui donnerait son âme, ne soit pas également téméraire, impétueux, obstiné, passionné, « son plus grand ennemi ». Il appartient aux parents d’abaisser les montagnes et de combler les vallées, et de tracer des chemins droits pour les pas de leur petit garçon.

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CHAPITRE 8 CULTIVER LE CARACTÈRE

Les parents comme formateurs

“Je tiens de mon père la stature, 
La conduite grave, 
De ma mère l’enjouement 
Et le goût de conter,”

a dit Goethe ; car les aptitudes et les qualités des poètes, comme les nôtres, sont innées, elles ne sont pas le résultat de leur éducation, et ils ont hérité de leurs parents la majeure partie de ce qu’ils sont. Mais il n’a pas fallu un poète ou un scientifique moderne pour le découvrir ; les gens l’ont toujours su. Tel père, tel fils, disaient-ils, et ils étaient satisfaits, car il n’était pas de coutume, autrefois, de débattre des grands principes de la vie.

Dans quelle mesure l’hérédité compte-t-elle ? – Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; nous parlons encore et encore de ce que nous appelons l’hérédité et nous la prenons en compte dans nos concepts, si ce n’est dans nos actions. Aujourd’hui, personne n’écrit une biographie sans tenter de présenter les parents et l’environnement des premières années qui expliqueraient l’homme ou la femme. Ce phénomène de l’hérédité est très présent dans l’esprit du public, et il aura bientôt une incidence sur les idées vagues que les gens se font de l’éducation. Par exemple : « Harold est un petit garçon brillant, mais il n’a pas la moindre capacité d’attention. »

« Oh, je le sais bien. Mais, pauvre enfant, il n’y peut rien ! Vous savez, c’est inscrit dans ses gènes, nous sommes tous distraits dans la famille.”

Maintenant, la question éducative pratique de notre époque est la suivante : peut-il changer ? ou, ses parents peuvent-ils l’aider à changer ? ou, l’enfant doit-il se contenter toute sa vie du trait de caractère dont il a hérité ? Le fait est que beaucoup d’entre nous, enseignants professionnels, ayons visé à côté du but ; nous parlons comme si le développement de certaines facultés était l’objet principal de l’éducation ; et nous montrons nos résultats, intellectuels, moraux, esthétiques, physiques, avec un : « Voyez ce que la culture peut accomplir ! »

Pour leur éducation, les enfants ont surtout besoin d’opportunités. – Mais nous oublions que l’enfant a des désirs innés, même après tout ce que nous lui avons transmis. De la même façon que l’enfant en bonne santé a besoin de nourriture et de repos, il a soif de connaissances, de perfection, de beauté, de pouvoir, de société ; et tout ce qu’il souhaite, c’est une opportunité. Donnez-lui des opportunités d’aimer et d’apprendre, et il aimera et apprendra, car « c’est dans sa nature ». Quiconque a pris note du caractère raisonnable et doux, de l’intelligence rapide, de l’imagination brillante d’un enfant, pensera que notre agitation au sujet des leçons appropriées au développement de ces traits de caractère revient à se demander comment faire manger un homme affamé.

Plus d’un homme s’est intéressé aux sciences naturelles parce qu’il a vécu à la campagne et a eu l’occasion d’observer les êtres vivants et leurs habitudes. Personne ne s’est donné la peine de développer ses facultés ; tout ce qu’il avait, c’était l’opportunité. Si l’esprit du garçon est encombré d’autres choses, il ne dispose pas d’opportunité ; et vous pouvez rencontrer des hommes très cultivés qui ont vécu la plus grande partie de leur vie à la campagne et qui ne savent pas distinguer une grive d’un merle. Je connais une femme qui a développé un goût à la fois pour la métaphysique et la littérature, parce qu’à l’âge de dix ans, on lui a permis de feuilleter de vieux volumes de The Spectator, ce qui, selon elle, fut la partie la plus révélatrice de son éducation.

Une expérience dans l’enseignement de l’art. – Encore une fois, j’ai été témoin dernièrement d’un résultat éducatif extraordinaire dû à l’opportunité. Une amie, qui participait à un Club d’Ouvriers, entreprit d’enseigner à une classe le modelage de l’argile. Aucune sélection n’avait été opérée ; les garçons étaient des ouvriers de filatures, admis au fur et à mesure qu’ils arrivaient, sans aucune qualification, sauf que, comme le disait leur professeure, ils n’avaient pas été gâtés, c’est-à-dire qu’on ne leur avait pas appris à dessiner de la manière habituelle. Elle leur donnait de l’argile, un modèle, un ou deux outils de modelage, et aussi, étant artiste elle-même, une perception de l’objet à copier. Après une demi-douzaine de leçons, ce qu’ils produisaient ne pouvait qu’être qualifié d’œuvres d’art ; et c’était un plaisir de voir la vigueur et l’esprit avec lesquels ils travaillaient, l’instinct artistique qui saisissait l’impression de l’objet, comme les plis faits par un petit pied et qui font d’une chaussure d’enfant une chose à embrasser. Cette dame soutient qu’elle n’a laissé sortir que ce qu’il y avait déjà dans ces garçons ; mais elle a fait plus – son propre enthousiasme artistique a forcé leur effort artistique. Même en tenant compte de l’enthousiasme de l’enseignante – j’aimerais que l’on puisse toujours compter sur ce facteur – cette anecdote démontre bien notre point de vue, à savoir que si on leur donne l’opportunité et la direction, les enfants feront la plus grande partie de leur propre éducation, intellectuelle, esthétique et même morale, en raison des désirs, des pouvoirs et des affections merveilleusement équilibrés qui composent la nature humaine.

Voilà une doctrine réjouissante, qui devrait mettre bien des enseignants au chômage. Il suffirait d’offrir des débouchés à leurs énergies, de les guider un peu, de faire preuve d’un peu de contrôle, puis nous pourrions nous asseoir les mains croisées et les regarder faire. Mais, en réalité, il y a deux choses importantes à faire : développer leurs facultés – ici, un peu de notre aide est très utile – et former leur caractère – et là, les enfants sont comme de l’argile dans les mains du potier, absolument dépendants de leurs parents.

Mais le caractère est un accomplissement. – Les dispositions, l’intelligence, le génie, viennent à peu de chose près de la nature ; mais le caractère est un accomplissement, le seul accomplissement concret possible pour nous-mêmes et pour nos enfants ; et tout progrès réel dans la famille ou dans l’individu se fait selon les traits de caractère. Nos grands personnages sont grands simplement en raison de leur force de caractère. C’est pour cela, plus que pour leurs succès littéraires, que Carlyle et Johnson sont grands. The Life de Boswell est, et peut-être avec mérite, le succès littéraire le plus important de son auteur ; mais quel type de personne est-il ?

Deux façons de préserver la santé mentale. – La grandeur et la petitesse font partie du caractère, et la vie serait ennuyeuse si nous étions tous façonnés dans le même moule ; mais comment se fait-il que nous soyons différents ? Sûrement en raison de nos qualités héréditaires. Ce sont les tendances héréditaires qui façonnent le caractère. L’homme qui est généreux, obstiné, colérique, pieux, l’est, en général, parce que ce trait de caractère est présent dans sa famille. Les circonstances ont influencé un aïeul vers le défaut ou la vertu, et cette tendance se répétera jusqu’à la fin du chapitre. Pour sauver cette qualité unique de l’exagération qui détruirait l’équilibre des qualités que nous appelons la santé mentale, deux contre-forces sont prévues : le mariage et l’éducation.

Le développement du caractère est l’œuvre principale de l’éducation. – Nous revenons maintenant à notre point de départ. Si le développement du caractère, plutôt que des facultés, est le travail principal de l’éducation, et si les gens naissent, pour ainsi dire, déjà faits, avec tous les éléments de leur caractère ultérieur, assurés de se développer avec le temps et les circonstances, quel rôle reste-t-il pour l’éducation ?

Raisons plausibles de ne rien faire. – Très souvent, on décide de ne rien faire ; et il y a trois ou quatre manières d’arriver à cette conclusion comme –

A quoi bon ? Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants devraient en être agacées. Tommy est têtu comme une petite mule, mais que voulez-vous ? Son père l’est aussi. Tous les Jones le sont depuis la nuit des temps. L’obstination de Tommy est considérée comme un fait, qui ne peut être ni évité ni empêché.

Ou encore, Mary est un enfant papillon, jamais concentrée plus de cinq minutes sur ce qu’elle a en main. « Cette enfant est exactement comme moi ! », dit sa mère, « mais le temps la corrigera ». Autre exemple, Fanny s’endort en chantant l’hymne sicilien des vêpres (la berceuse de sa nourrice) avant même de savoir parler. On commente : « C’est étrange que l’oreille musicale soit présente dans notre famille », mais aucun effort particulier n’est fait pour développer ce talent.

Un autre enfant pose des questions bizarres, a tendance à plaisanter sur les choses sacrées, à appeler son père « Tom » et, en général, à faire preuve de manque de respect. Ses parents sont des gens sérieux – ils pensent avec douleur aux opinions libres de l’oncle Harry, et décident d’une politique de répression. « Fais ce que l’on te dit et ne fais pas de remarques » devient la règle de vie de l’enfant, jusqu’à ce qu’il trouve des échappatoires dont on ne se doute pas à la maison.

Sur un autre plan, la pensée commune est bien plus au fait des connaissances scientifiques actuelles ; il existe dans la famille une prédisposition aux problèmes pulmonaires : les médecins se chargent de la traiter avant que l’habitude délicate n’apparaisse. Les précautions nécessaires étant prises, il n’y a aucune raison pour que l’enfant ne meure pas à un âge avancé.

Une fois de plus, il y a des parents qui sont conscients des progrès de la science dans l’éducation, mais qui doutent de la légitimité à chercher dans la science une aide pour la formation du caractère. Ils voient des défauts héréditaires chez leurs enfants, mais ils les considèrent comme « la faute et la corruption de la nature de chaque homme, qui est naturellement engendré de la postérité d’Adam ». Ils croient qu’il ne leur appartient pas d’y remédier, à moins que le défaut du garçon soit de nature perturbatrice – un tempérament violent, par exemple – auquel cas la mère ne voit pas d’inconvénient à extirper de lui l’Adam fautif à coups de fouet.

Mais les lois par lesquelles le corps, l’esprit et la nature morale s’épanouissent ont été révélées par la science. – Les lois par lesquelles le corps, l’esprit et la nature morale s’épanouissent ou se dégradent nous ont été révélées aussi sûrement que les lois de la vie spirituelle, bien que sans la même sainteté. Il nous incombe de nous familiariser avec ces lois ; et le parent chrétien qui a peur de la science et préfère élever ses enfants à la lumière de la Nature lorsque celle de la révélation qui fait autorité échoue, crée une perte irréparable pour ses enfants.

La race progresse. – Si la race progresse, c’est sur le plan du caractère, car chaque nouvelle génération hérite et ajoute à ce qu’il y a de meilleur dans ce qui l’a précédée. Nous devrions disposer aujourd’hui de la fleur et du fruit, préparés par de longues lignées d’aïeux. Les enfants ont toujours été charmants, depuis le jour où un petit enfant dans les rues de Jérusalem a été pris et placé au milieu de la foule pour montrer à quoi ressemblent les princes du Royaume à venir :

« Dans le royaume sont les enfants ;
Vous pouvez le lire dans leurs yeux ;
Toute la liberté du Royaume
Demeure dans leur insouciante humeur. »

Et quelle mère ne s’est pas inclinée devant le cœur princier innocent de son propre petit enfant ? Mais en dehors de cela, de leur vie heureuse au soleil de la présence Divine, il est certain que nos enfants sont « plus encore » que ceux d’autrefois. Jamais auparavant on n’a écrit de Jackanapes ou Story of a Short Life. Shakespeare n’a jamais réellement dépeint un enfant, ni Scott, et encore moins Dickens, bien qu’il ait maintes fois essayé ; soit nous sommes en train de nous éveiller à ce qu’ils ont en eux, soit les enfants avancent résolument dans le chariot du temps, tenant avec légèreté les acquis du passé et les possibilités de l’avenir. C’est l’époque du culte de l’enfance ; et les enfants bien élevés de parents chrétiens et cultivés sont effectivement charmants. Mais hélas, combien d’entre nous dégradent ce que nous aimons ! Pensez à tous ces innocents qui seront envoyés dans le monde, déjà mutilés, spirituellement et moralement, par les mains de parents aimants.

Le devoir de chérir certains traits de famille. – Au contraire, le père et la mère respectueux, qui discernent un beau trait de famille chez l’un de leurs enfants, s’appliquent à le nourrir et à le chérir comme le fait un jardinier avec les pêches qu’il veut montrer. Nous savons comment « ce baiser a fait de moi un peintre », c’est-à-dire qu’il a éveillé la faculté artistique de l’enfant. Plus la plante est de choix, nous dit le jardinier, plus il doit se donner de la peine pour l’élever. Voilà le secret de la perte et du gaspillage de certaines des natures les plus belles et les plus aimables que le monde ait connues : ils n’ont pas été élevés avec les soins que leur constitution délicate et sensible exigeait. Pensez à la façon dont Shelley a été livré à lui-même ! Nous vivons à une époque délicate. C’est bien de crier : « Donnez-nous de la lumière – plus de lumière et davantage de lumière » ; mais que se passera-t-il si la nouvelle lumière nous fait découvrir un dédale d’obligations, complexe et fastidieux ?

Les qualités uniques exigent du soin. – Il est, à première vue, déconcertant de constater que pour toute qualité unique, morale ou intellectuelle, que nous discernons chez les enfants, un soin spécial est exigé ; mais, après tout, notre obligation envers chacune de ces qualités se résume à lui fournir ces quatre choses : nourriture, exercice, changement et repos.

Quatre conditions au soinExercice. – Un enfant a un grand penchant pour les langues (son grand-père en maîtrisait neuf) ; le petit bonhomme « zozote en latin », reçoit sa « mensa » de sa nourrice, connaît ses déclinaisons avant d’avoir cinq ans. Quelle voie s’offre à la mère qui constate un tel don chez son enfant ? D’abord, qu’il l’utilise ; qu’il apprenne ses déclinaisons et tout ce qu’il veut sans le moindre effort. Il est probable que les terminaisons latines viennent aussi facilement et agréablement à son oreille que “See-saw, Margery Daw » à l’enfant ordinaire, bien que, sans doute, “Margery Daw » soit plus approprié.

La nourriture. – Laissez-le faire tout ce qu’il veut de son propre chef, mais ne le pressez pas, ne l’applaudissez pas, ne le mettez pas en valeur. Ensuite, laissez les mots transmettre les idées selon sa capacité à les comprendre. Le bouton d’or, la primevère, le pissenlit, la pie, chacun raconte sa propre histoire ; la pâquerette est l’œil du jour, qui s’ouvre avec le soleil et se ferme quand il se couche –

“C’est pour cette raison que les hommes peuvent m’appeler
La pâquerette, ou encore l’œil du jour.”

Faites-lui sentir que les mots courants que nous utilisons sans réfléchir sont beaux, pleins d’histoire et d’intérêt. C’est une excellente chose que l’enfant reçoive les idées propres à ses qualités inhérentes. Une idée bien présentée est assimilée sans effort puis, une fois assimilées, les idées se comportent comme des créatures vivantes – elles se nourrissent, croissent et se multiplient.

Le changement. – Ensuite, offrez-lui un agréable changement de pensée, c’est-à-dire un travail et des idées tout à fait différents de son penchant pour les langues. Présentez-lui, comme des amis, les choses extérieures qui se trouvent sur son chemin – le rouge-gorge, la cétoine dorée, les tunnels creusés par les vers, les arbres de la forêt, les fleurs des champs – tous les objets naturels, courants et curieux, près de chez lui. Aucun autre savoir n’est aussi agréable que cette simple connaissance des objets naturels.

Ou encore, quelqu’un fait remarquer que tous nos grands inventeurs ont, dans leur jeunesse, manipulé de la matière – argile, bois, fer, laiton, pigments. Qu’il travaille avec la matière. Fournir à un enfant des ressources agréables dans des domaines différents de son penchant naturel est le seul moyen de garder un esprit sain en présence d’une activité absorbante.

Le repos. – Pour autant, le changement d’activité n’est pas du repos : si un homme fait avancer une machine, tantôt avec son pied, tantôt avec sa main, le pied ou la main se reposent, mais pas l’homme. Un jeu de chahut (mieux, en ce qui concerne le simple repos, que des jeux avec des règles ou de la compétition), une conversation absurde, un conte de fées, ou s’allonger sur le dos au soleil, devraient reposer l’enfant, et il devrait bénéficier suffisamment de ce genre d’activités.

Le travail et l’usure du tissu cérébral sont nécessaires. – Voici, en gros, la raison d’être de la question : de même que nous cousons ou écrivons grâce à l’instrumentalisation de la main, de même l’enfant apprend, pense, ressent, au moyen d’un organe matériel – le très délicat tissu nerveux du cerveau. Or, ce tissu s’use constamment et rapidement. Plus il est utilisé, que ce soit sous forme d’effort mental ou d’excitation émotionnelle, plus il s’use. Heureusement, une croissance rapide remplace les déchets, d’où la nécessité de travailler et d’user les tissus. Mais que l’usure prenne le pas sur le gain, et des dégâts durables se produiront. C’est pourquoi il ne faut jamais laisser le travail cérébral de l’enfant dépasser ses facultés de réparation, qu’il s’agisse de leçons trop dures ou de l’excitation qui accompagne les dissipations enfantines. Un autre argument en faveur d’un repos abondant est qu’une chose à la fois, et bien faite, semble être la règle de la Nature ; et ses heures de repos et de jeu correspondent aux heures de croissance physique de l’enfant ; voyez l’aspect chétif des enfants que l’on laisse vivre dans un tourbillon de petites excitations.

Un mot encore sur la nécessité d’un changement de pensée pour l’enfant qui a un intérêt particulier. Le tissu cérébral ne s’use pas seulement avec le travail, mais, pour ainsi dire, il s’use localement. Nous savons tous combien nous sommes épuisés après avoir consacré notre esprit pendant quelques heures ou quelques jours à un sujet quelconque, qu’il soit angoissant ou joyeux : nous sommes heureux d’échapper enfin à cette pensée absorbante, et nous la trouvons épuisante quand elle nous revient à l’esprit. Il semblerait que, si l’on travaille en continu sur certaines idées, une certaine partie de la substance cérébrale est, pour ainsi dire, usée et affaiblie par le trafic constant de ces idées. Et cela a plus de conséquences lorsque les idées sont morales que lorsqu’elles sont simplement intellectuelles. Les pensées d’Hamlet tournent continuellement autour de quelques faits bouleversants ; il devient morbide, pas tout à fait sain d’esprit ; en un mot, il est excentrique.

Le danger de l’excentricité. – L’excentricité est un danger contre lequel les parents d’enfants bien nés doivent rester vigilants. Ceux-ci naissent avec de fortes tendances à certaines qualités et façons de penser. Leur éducation tend à accentuer ces qualités ; l’équilibre entre celles-ci et les autres qualités se perd, et ils deviennent des personnes excentriques. M. Matthew Arnold qualifie d’inefficaces la vie et l’œuvre d’un grand poète ; et c’est assez souvent le verdict que l’on pose sur les excentriques. Qu’importent leur génie et leur force de caractère, ou leurs belles qualités morales, la société ne les prendra pas comme modèles s’ils ne se conduisent pas comme tout le monde, en suivant la loi et de façon convenable ; vraiment, il y a une grande marge d’originalité dans le fait de refuser de suivre le troupeau pour tout ce qui n’est ni légal, ni opportun.

Les causes de singularité chez l’enfant. – Que doit faire la mère qui remarque chez son enfant prometteur des petits signes de singularité ? Il n’aime pas beaucoup les jeux, il ne s’entend pas bien avec les autres, il a un petit coin à lui où il rumine. Pauvre petit bonhomme ! Il a grand besoin d’un confident ; il a probablement essayé la nourrice, les frères et sœurs, en vain. Si cela continue, il grandira avec l’idée que personne ne veut de lui, que personne ne le comprend, il prendra sa part de la vie et la mangera (en grognant) tout seul. Mais si sa mère a assez de tact pour le comprendre, elle préservera pour le monde un de ses personnages salvateurs. Il y a, croyez-le bien, quelque chose qui travaille dans l’enfant – du génie, de l’humanité, de la poésie, de l’ambition, de la fierté familiale ; il a besoin d’un exutoire et d’exercice pour un trait hérité qui est presque trop grand pour son âme d’enfant. Rosa Bonheur était considérée comme une enfant agitée qui n’était jamais satisfaite : les leçons ne lui plaisaient pas, et les jeux non plus ; et son père, un artiste, eut l’idée d’apaiser le divin mécontentement de l’enfant en la mettant en apprentissage chez une couturière ! Heureusement, elle brisa ses liens, et nous profitons maintenant de ses tableaux. Pour ce qui est de la fierté de son rang, il est bon que l’enfant soit mis face à face et cœur à cœur avec la « grande humilité » de notre Modèle. Ceci étant fait, ce sens de la distinction familiale est un merveilleux levier pour élever la nature de l’enfant. Noblesse oblige. Il doit apporter l’honneur et non le déshonneur à une famille distinguée. Je connais un petit garçon qui porte deux noms de famille distingués – Browning-Newton, disons. Il fréquente une école privée, où l’on a coutume d’inscrire au tableau les noms des mauvais élèves. Lorsque son petit frère l’a rejoint à l’école, l’aîné l’a ainsi exhorté : « Nous ne laisserons jamais deux noms comme les nôtres être inscrits sur le tableau noir ! ».

L’ennui d’une vie sans but. – Parmi les causes immédiates de l’excentricité, il y a la monotonie de la vie quotidienne, dont le sentiment nous atteint tous parfois, et souvent avec un poids mortel pour les personnes les plus sensibles et les plus douées. “Oh, mon Dieu, j’aimerais être sur Jupiter ! » soupirait un petit galopin qui avait déjà épuisé tout ce qui se trouve sur cette planète. Il incombe aux parents de veiller à ce que l’ennui d’une vie sans but ne s’installe pas, tôt ou tard, chez l’un de leurs enfants. Nous sommes créés avec un désir ardent pour la « joie craintive » de la passion ; et si celle-ci ne nous parvient pas par des voies légitimes, nous la recherchons dans des voies excentriques, ou pire, dans des voies illégitimes. La mère, pour qui son enfant est comme un livre ouvert, doit trouver un moyen de libérer toute la tension de sa nature, susceptible d’être troublée par –

« Le poids accablant du mystère,
Le lourd et épuisant fardeau
De tout cet univers rebelle à la pensée »–

d’autant plus s’il est d’un caractère sensible. Donnez-lui l’enthousiasme de l’humanité. Quels que soient ses dons, qu’il les cultive comme « dons aux hommes ». « La chose qui vaut le plus la peine d’être vécue, c’est d’être utile« , a récemment dit avec sagesse un penseur qui nous a quittés ; et l’enfant qui intègre cette idée dans sa conception de la vie ne trouvera pas le temps long en grandissant. La vie enrichie par l’enthousiasme ne sera pas ennuyeuse ; mais l’on doit poser un poids sur le plateau opposé de la balance pour équilibrer même le plus noble des enthousiasmes. Comme nous l’avons dit, ouvrez-lui une porte vers la science naturelle, une voie vers l’habileté mécanique ; en un mot, donnez à l’enfant une occupation absorbante et un passe-temps fascinant, et vous n’avez pas à craindre de développements excentriques ou indignes.

Nous devons sauver nos « splendides échecs ». – Il semble bon de s’attarder longuement sur ce sujet de l’excentricité, car le monde perd beaucoup à cause de ces splendides échecs, ces beaux êtres humains qui, à cause d’une certaine excentricité, ne peuvent participer à l’éducation de l’humanité.

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CHAPITRE 9 CULTIVER LE CARACTÈRE

Le traitement des défauts

L’objet ultime de l’éducation. – Supposons que les parents comprennent que la formation du caractère est l’objet ultime de l’éducation ; qu’ils comprennent aussi que le caractère est, en somme, les tendances héritées de l’enfant, modifiées par son milieu, mais qu’il peut être avili ou ennobli par l’éducation ; que c’est le rôle des parents de repérer le bourgeonnement des traits familiaux ; d’accueillir chaque beau trait de caractère comme un trésor familial qui doit être nourri et entretenu avec soin ; de maintenir également l’équilibre des qualités en mettant en valeur les traits qui ont peu émergé – d’autant plus quand ils doivent délivrer leur enfant de l’excentricité, piège de la nature originale et énergique – à supposer qu’ils aient intégré tout cela dans la liste de leurs devoirs, il reste encore beaucoup à faire pour les parents.

Les défauts de nos qualités. – Nous sommes ouverts à ce que les Français appellent les défauts de nos qualités ; et, de la même façon que les mauvaises herbes poussent rapidement, les défauts d’un bon caractère peuvent en étouffer les bénédictions. Une petite fille aime avec la passion et le dévouement d’une femme, mais elle est exigeante en retour et jalouse d’une intrusion, même quand il s’agit de sa mère. Un garçon est ambitieux ; il veut être le chef de la nurserie, et son influence est salutaire pour les autres ; mais son petit frère pugnace ne veut pas « suivre le chef », et il est difficile pour les deux enfants d’être dans la même pièce ; le garçon raisonnable est un tyran quand sa volonté est contrariée. Il y a la petite fille timide et affectueuse qui va jusqu’à raconter un mensonge pour protéger sa sœur ; et il y a la petite fille pleine d’entrain qui ne ment jamais, mais qui, de temps en temps, tyrannise les autres enfants ; et ainsi de suite. Quel est ici le rôle des parents ? De magnifier la qualité ; de faire sentir à l’enfant qu’il a une vertu à préserver – un bien de famille et, en même temps, un don du ciel. Une  conversation simple et raisonnable peut aider, mais gardons-nous de trop parler. « Avez-vous bientôt fini, maman ? » demande une vive petite fille de cinq ans, le plus poliment du monde. Elle avait longuement écouté le sermon de sa mère et en avait assimilé la plupart. Un mot sage ici et là peut être utile, mais on peut accomplir beaucoup plus en empêchant soigneusement chaque « défaut de sa qualité » d’apparaître. Ne laissez pas aux mauvaises herbes la place de pousser. Et encore une fois, le défaut peut souvent être repris et retourné pour nourrir la qualité elle-même. L’amour du pouvoir du garçon ambitieux peut être transformé en un désir de gagner par l’amour son petit frère rétif. La passion de la petite fille aimante peut s’étendre à tous ceux que sa mère aime.

Les enfants avec des défauts. – Nous avons encore à considérer un autre aspect de l’hérédité et des devoirs qui en découlent. De même que l’enfant d’une longue lignée peut tout à fait hériter une grande partie de ce qu’il y avait de meilleur chez ses ancêtres – un beau physique, une intelligence vive, une haute valeur morale – il en hérite aussi les risques. Comme quelqu’un l’a dit, toutes les femmes n’ont pas été courageuses, ni tous les hommes chastes. Nous savons comment la tendance à certaines maladies se manifeste dans les familles ; le caractère et le tempérament, la nature morale et la nature physique peuvent aussi être entachés. Un enfant malheureux peut sembler, par un étrange caprice de la nature, avoir laissé de côté le bon et n’avoir pris en lui que l’indigne. Que peuvent faire les parents dans un tel cas ? Ils peuvent, non pas le former – peut-être cela dépasse-t-il la compétence et les soins humains, une fois qu’il est devenu tout ce qui était possible à sa nature – mais le transformer, de sorte que l’être qu’il était destiné à devenir ne se développe jamais, mais qu’un autre être vienne à la lumière, doté de toutes les grâces dont il n’avait que le défaut. Ceci nous amène à une loi salutaire de la Nature, qui sous-tend tout le sujet de l’éducation lors des premières années, et particulièrement ce cas de l’enfant que sa mère doit faire naître une seconde fois dans une vie de beauté et d’harmonie. Pour reprendre une ancienne citation – les mots de Thomas a Kempis – ce qui me semble être la loi fondamentale de l’éducation n’est rien d’autre que ceci : « L’habitude triomphe d’une autre habitude ». Les gens ont toujours su que « l’habitude est une seconde nature », mais le pourquoi et la portée de ce proverbe sont des découvertes récentes.

Un enfant malicieux. – Un enfant a une habitude odieuse, si constante, que c’est sa qualité, et ce sera son caractère si vous le laissez à lui-même ; il est méchant, il est sournois, il est renfrogné. Personne n’est à blâmer, c’est inné chez lui. Que devez-vous faire d’une habitude aussi tenace de la nature ? Simplement ceci : la traiter comme une mauvaise habitude, et établir la bonne habitude correspondante. Henry est plus qu’espiègle, c’est un petit garçon malintentionné. On entend toujours pleurer dans la nurserie, parce qu’à force de « pincer, mordre et bousculer », il rend un des enfants malheureux. Même ses animaux domestiques ne sont pas en sécurité ; il a tué son canari en le frappant avec un bâton à travers les barreaux de sa cage ; les hurlements de son chien, les cris de son chat, trahissent un de ses mauvais tours. Il fait des grimaces à sa petite sœur craintive ; il tend des pièges avec des ficelles pour faire tomber la bonne avec ses brocs à eau ; ses ruses malveillantes, qui dépassent celles de la simple sauvagerie de l’enfance, arrivent continuellement aux oreilles de sa mère. Que faire ? « Oh, il changera en grandissant ! », disent les plus optimistes qui pensent qu’il faut lui laisser du temps. Mais plus d’une mère expérimentée dira : « Vous ne pouvez pas le guérir ; ce qui est en lui doit en sortir, ou il sera une plaie pour la société toute sa vie. » Cependant l’enfant peut être guéri en un mois si la mère remonte ses manches, et se met à l’ouvrage avec un but précis ; en tout cas, la guérison pourrait être bien entamée, et le chemin ainsi déjà à moitié parcouru.

Traitement spécial. – Que le mois du traitement soit un mois délicieusement heureux pour lui, qu’il vive tout le temps dans la lumière du sourire de sa mère. Qu’il ne soit pas laissé à lui-même pour méditer ou faire de vilaines farces. Qu’il se sente toujours sous un regard attentif, aimant et approbateur. Faites en sorte qu’il soit joyeusement occupé, bien diverti. Tout cela pour rompre la vieille habitude qui sera certainement rompue lorsqu’un certain laps de temps se sera écoulé sans qu’elle ne se répète. Mais une habitude en chasse une autre. Tracez de nouvelles lignes à la place de l’ancienne. Ouvrez-lui les voies de la bonté. Faites-lui goûter, chaque jour, à chaque heure, le plaisir de plaire. Engagez-le à faire de petits projets pour le plaisir des autres – un jouet qu’il invente, un plat de fraises qu’il cueille, un jeu d’ombres pour amuser le bébé ; emmenez-le faire des visites à des voisins pauvres, portant les choses et donnant de lui-même.  

Pendant tout un mois, le cœur de l’enfant s’épanche en actes, en projets et en pensées de bonté, et l’ingéniosité qui se dépensait en tours malicieux se transforme en avantage pour sa famille maintenant que ses actions sont bienveillantes. Oui, mais où sa mère trouvera-t-elle le temps, dans ses journées bien remplies, de faire suivre à Henry un traitement spécial ? Elle a d’autres enfants et d’autres responsabilités, et ne peut tout simplement pas se consacrer pendant un mois ou même une semaine à un seul enfant. Si le garçon était malade, en danger, trouverait-elle du temps pour lui ? Les autres tâches ne seraient-elles pas reléguées au second plan, faisant de son petit garçon, pour un temps, son principal objectif ? 

Les troubles moraux nécessitent une attention immédiate. – Voici un point dont les parents ne sont pas tous suffisamment conscients : les troubles mentaux et moraux graves nécessitent un traitement immédiat, ciblé et curatif, auquel les parents doivent se consacrer pendant une courte période, tout comme ils le feraient pour un enfant malade. Le punir et le laisser seul – les deux traitements les plus en vigueur – n’ont jamais guéri un enfant d’un quelconque problème moral. Si les parents connaissaient un traitement efficace qui donne des résultats rapides, ils auraient là un bon moyen d’empêcher toute propagation des mauvaises herbes. Car, ne l’oublions pas, quel que soit le défaut qui défigure l’enfant, il est semblable à un jardin envahi de mauvaises herbes : si les mauvaises herbes prolifèrent, c’est parce que le sol est fertile ; il a en lui toutes les possibilités de beauté de vie et de caractère. Débarrassez-vous des mauvaises herbes et faites pousser les fleurs. Il n’est pas exagéré de dire que la plupart des échecs dans la vie ou le caractère d’un homme ou d’une femme sont dus à l’attitude insouciante des parents. Ils disent : « L’enfant est encore jeune, il ne sait pas, mais tout s’arrangera quand il sera grand. » Or, un défaut de caractère laissé à lui-même ne peut que se renforcer.

Une objection peut être soulevée contre ce conseil de traitement curatif court et déterminé. Les bons résultats ne durent pas, dit-on ; une semaine ou deux de négligence, et vous perdez le terrain gagné : Henry est aussi susceptible que jamais de devenir un “tigre”, un Steerforth ou un Grandcourt. Mais c’est ici que la science nous aide à acquérir de joyeuses certitudes.

Il n’y a pas de sujet de recherche plus intéressant actuellement que celui de l’interaction entre les pensées de l’esprit et la configuration du cerveau. La conclusion la plus juste semble être que l’un et l’autre s’influencent mutuellement ; le caractère des pensées persistantes façonne le cerveau, tandis que nos pensées dépendent de la configuration du cerveau.

Action automatique du cerveau. – La pensée est, pour l’essentiel, automatique. Nous pensons, sans intention ni effort, comme nous avons été habitués à penser, tout comme nous marchons ou écrivons sans que nos muscles soient organisés de façon consciente. Mozart pouvait écrire une ouverture tout en riant aux petites blagues que sa femme faisait pour le tenir éveillé ; il est certain qu’il y avait déjà réfléchi et qu’elle était là, prête à être écrite ; mais il ne cherchait pas consciemment à obtenir ces pensées musicales, elles lui venaient simplement en temps opportun. Coleridge imagina Kubla Khan dans son sommeil, et l’écrivit à son réveil ; et, en réalité, il aurait pu tout aussi bien être endormi tout le temps car il n’avait rien à faire pour produire la plupart de ses pensées.

« Sur les boutons, elle s’endort,
Et les coud en rêve »–

est tout à fait possible et vraisemblable. Pour une chose à laquelle nous décidons consciemment de penser, mille mots et actes nous viennent chaque jour d’eux-mêmes ; nous n’y pensons pas du tout. Mais tout de même, seul un poète ou un musicien pourrait ainsi produire de la poésie ou de la musique, et ce sont les mots et les actes qui nous viennent sans pensée consciente qui donnent la vraie mesure de ce que nous sommes. C’est peut-être pour cela que l’on attache une telle importance à chaque « parole en l’air », c’est-à-dire aux mots prononcés sans intention ni volonté.

Nous arrivons petit à petit à Henry et à ses mauvaises habitudes. D’une manière ou d’une autre, le tissu nerveux du cerveau « se développe » en fonction des pensées auxquelles on laisse libre cours dans l’esprit. Comment ? La science ne s’aventure pas encore à l’expliquer ; mais, à titre d’illustration, imaginons que certaines pensées de l’esprit vont et viennent dans la substance nerveuse du cerveau jusqu’à ce qu’elles s’y soient frayées un chemin : un trafic intense suivant cet ordre de pensées se maintiendra, car c’est là que se trouve, pour elles, le chemin le plus commode. Prenons l’exemple d’un enfant qui a hérité d’une tendance à la rancœur : il commence à avoir des pensées rancunières, il les trouve faciles et gratifiantes ; il continue ; de plus en plus, la vilaine routine devient plus facile et naturelle, et la rancœur devient rapidement lui-même, ce trait de caractère que les gens associent à son nom.

On triomphe d’une habitude par une autre habitude. – Mais on triomphe d’une habitude par une autre habitude. La mère vigilante établit de nouvelles pistes dans d’autres directions ; et elle veille à ce que, pendant qu’elle conduit de nouvelles pensées dans la nouvelle voie, l’ancienne « manière de penser », profondément usée, soit complètement abandonnée. Or, le cerveau est dans un état d’usure rapide et de croissance rapide. La nouvelle croissance prend forme à partir de la nouvelle pensée : l’ancienne se perd dans l’usure constante, et l’enfant est réformé, physiquement aussi bien que moralement et mentalement. Le fait que le tissu nerveux du cerveau soit ainsi l’instrument de l’esprit ne doit pas nous surprendre quand nous songeons que les muscles et les articulations de l’acrobate, les organes vocaux du chanteur, le bout des doigts de l’horloger, le palais du goûteur de thé, se développent en fonction de l’usage qu’ils en font régulièrement ; et, bien davantage, tant dans le cas du cerveau que dans celui de tous les autres organes, ils se développent en fonction de l’usage qu’on en fait de manière précoce.

Cela rejoint de façon merveilleuse le cas du parent qui entreprend de guérir un défaut moral. Il établit le cours des nouvelles pensées et entrave celles du passé, jusqu’à ce que les nouvelles pensées soient devenues automatiques et fonctionnent d’elles-mêmes. Pendant ce temps, une sorte de désintégration se produit à l’endroit où se trouvaient les pensées abandonnées ; et c’est là que réside l’avantage du parent. Si le garçon revient (comme il peut encore le faire en raison d’une tendance héréditaire) à ses anciennes habitudes de pensée, voici qu’il n’y a plus de place pour elles dans son être physique ; faire une nouvelle place est un travail de longue haleine, et dans ce travail, le parent peut le devancer et l’empêcher sans trop d’efforts.

Un enregistrement tangible des efforts d’éducation. – Ici, en effet, plus que partout ailleurs, « si l’Eternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain » ; mais il est certain qu’il en va de notre devoir de coopérer intelligemment  à cette œuvre divine. La formation de la volonté, l’instruction de la conscience, et, dans la mesure où cela dépend de nous, le développement de la vie divine chez l’enfant, se font simultanément avec cette formation aux habitudes d’une bonne vie ; et ces dernières garderont l’enfant en sécurité le temps d’une faible volonté, d’une conscience immature, jusqu’à ce qu’il soit capable de prendre en main, sous la direction d’en haut, la conduite de sa vie et la formation de son caractère. Il est réconfortant de penser que nos efforts d’éducation sont enregistrés de façon tangible dans la substance même du cerveau de l’enfant ; et, assurément, nous voulons mettre en garde quant au danger de ne pas s’occuper des mauvaises habitudes dans l’espoir que tout s’arrangera un jour.

L’amour maternel n’est pas suffisant pour l’éducation des enfants. – Certains parents peuvent considérer que tout cela est lourd à entendre ; que le simple fait de « penser à ces choses » suffit à enlever la joie et la spontanéité de leur douce relation ; et qu’après tout, l’amour des parents et la grâce de Dieu devraient suffire pour élever les enfants. Personne ne peut ressentir à ce sujet une humilité plus sincère que ceux qui n’ont pas l’honneur d’être parents ; la perspicacité et l’amour dont les parents – et surtout les mères – font preuve, même dans nombre de chaumières, est un don divin qui remplit l’entourage de respect ; mais il suffit d’observer combien de parents affectueux ont des enfants déraisonnables pour savoir qu’il faut quelque chose de plus. Il y a des chemins tracés, pas toujours les anciens, mais des chemins nouveaux, qui s’ouvrent pas à pas. Le devoir de la mère qui s’efforce de comprendre son travail n’est pas alourdi, mais infiniment allégé ; et quant au fait que la vie soit rendue pénible par la pensée de ces choses, une fois que nous les faisons nôtres, nous agissons en fonction d’elles aussi naturellement qu’en fonction d’une connaissance – scientifique de surcroît – telle que : lâchez cette tasse, et elle tombera. Un peu de réflexion et d’effort consciencieux au départ, et tout vient ensuite facilement.

Cette traduction est protégée par les droits d’auteur de www.charlottemason.fr

CHAPITRE 10 L’ENSEIGNEMENT DE LA BIBLE

Les parents comme instructeurs de la religion

« L’Histoire de l’Angleterre est maintenant réduite à un jeu de cartes, et les problèmes de mathématiques à des puzzles et des devinettes. […] Un pas de plus et le Credo et les Dix Commandements pourront être enseignés de la même manière, sans qu’il soit nécessaire d’avoir le visage grave, le ton délibéré de la récitation et l’attention dévouée exigés jusqu’à présent des enfants bien gouvernés de ce royaume. » –Waverley.

Les Écoles du dimanche sont nécessaires. – Que les parents confient l’éducation religieuse de leurs enfants à une École du dimanche est tout aussi inacceptable que s’ils les envoyaient manger à une table entretenue par la générosité publique. Nous, “chez nous”, plaidons non coupables de ce chef d’accusation. Nos Écoles du dimanche sont utilisées par les parents fatigués et peu instruits, prêts à accepter, de la part des classes plus aisées, le service de l’enseignement religieux de leurs enfants. C’est dire que l’École du dimanche est, à l’heure actuelle, un mal nécessaire, une reconnaissance qu’il y a des parents si durement éprouvés qu’ils sont incapables d’accomplir leur premier devoir. Nous avons ici la théorie de l’École du dimanche – les parents qui le peuvent enseignent à leurs enfants à la maison le dimanche, et des substituts interviennent pour remplacer ceux qui ne le peuvent pas.

Mais les parents instruits devraient enseigner eux-mêmes la religion à leurs enfants une initiative australienne similaire à l’Union des parents. – Cette théorie attrayante de l’École du dimanche a encouragé un ecclésiastique des Antipodes à agir. Il ne dit pas que les membres des classes moyennes et supérieures n’ont pas besoin d’être instruits avec soin et régularité dans la religion – “dès l’enfance” ; seulement, il soutient que ces enfants ne devraient pas être instruits à l’École du dimanche, mais à la maison et par leurs parents ; et l’objet principal de son « Union des parents » paroissiale est d’aider les parents dans ce travail. Voici quelques-unes de ses règles :

1. L’objet de l’Union est d’unir, de fortifier et d’aider les pères et les mères dans l’accomplissement de leurs devoirs parentaux.

2. Les membres s’engagent, par leur adhésion, à superviser l’éducation de leurs propres enfants et à rappeler aux autres parents qu’ils sont responsables de la relation parent-enfant.

3. Des plans de leçons sont fournis mensuellement à chaque famille adhérente de l’Union.

4. Les membres doivent amener leurs enfants à la catéchèse mensuelle, et s’asseoir avec eux, etc.

Il est probable que les “plans de leçons” ont pour but d’assurer que les enfants suivent un enseignement de la Bible à la maison avec leurs parents, le dimanche, comme ils l’ont fait jusqu’à présent à l’École du dimanche avec les enseignants.

On pourrait donc envisager que les parents, quelle que soit leur classe sociale, s’acquittent de leurs devoirs en la matière, et que l’École du dimanche soit abandonnée, l’ecclésiastique se chargeant à la place de s’assurer, par le biais de la catéchèse, qu’un certain travail est effectué chaque mois.

Ce projet semble plein de promesses. Rien ne devrait plus resserrer les liens de la vie familiale que les parents enseignant la religion à leurs enfants. De plus, grandir dans une Église qui s’occupe constamment de vous depuis le baptême ou l’enfance, non seulement jusqu’à la confirmation, mais tout au long de l’âge adulte, devrait contribuer à une vie collective harmonieuse.

Les parents sont des instructeurs compétents. – Il y a sans doute des paroisses, et même des congrégations entières, dans lesquelles les jeunes gens sont pris en charge tout au long de leur vie ; mais c’est par le clergé, les enseignants, les chefs de classe, et ainsi de suite ; et certains parents se montrent réticents à ce que la partie la plus sérieuse de la formation de leurs enfants soit entreprise par des étrangers. Ce qui semble le plus digne d’être imité dans ce mouvement australien, c’est que les parents eux-mêmes sont reconnus comme des instructeurs aptes de leurs enfants dans les meilleures choses, et qu’ils sont amenés à reconnaître leur responsabilité envers l’Église concernant l’instruction qu’ils donnent.

Rapport d’un Comité sur l’éducation religieuse des classes moyennes et supérieures. – Mais gérons-nous si bien ces choses « chez nous » que nous n’ayons pas besoin de conseils ? Certains d’entre nous se souviennent peut-être qu’en mai 1889, un comité de la Chambre des Laïcs de la province de Canterbury fut nommé pour examiner l’éducation religieuse des classes moyennes et supérieures. Le comité estima qu’il obtiendrait une bonne base pour ses investigations en examinant les connaissances religieuses des garçons entrant à l’école. Il adressa une enquête à soixante-deux directeurs d’école, à laquelle la plupart répondirent ; à partir de ces réponses, le Comité en conclut que, « dans la plupart des cas, le niveau d’éducation religieuse des garçons avant leur entrée à l’école est bien inférieur à ce que l’on pourrait espérer ou attendre ; et que ce niveau, dont on a constaté qu’il était bien trop bas, se détériore ; en outre, que la cause principale de cette détérioration serait liée au manque d’enseignement religieux à la maison. »

Pourquoi les parents négligent-ils ce devoir ? – Il s’agit ici d’un sujet hautement important pour nous tous car, bien que l’enquête ait été menée par des ecclésiastiques, elle a naturellement porté sur des garçons de classe moyenne et de diverses confessions fréquentant des écoles privées ; le caractère distinctif de l’éducation religieuse a fait l’objet d’une enquête séparée. Nul doute qu’il existe de nombreuses belles exceptions ; des foyers tranquilles dont les familles sont élevées dans l’éducation et l’exhortation du Seigneur ; mais s’il est vrai, comme certains d’entre nous le craignent, qu’il y a une tendance parmi les parents des classes moyennes et supérieures à délaisser l’éducation religieuse de leurs enfants, nous devons nous demander, Quelle est la raison ? et, Quel est le remède ? On attribue de nombreuses raisons à ce prétendu manquement au devoir parental – les revendications sociales, le tempérament rétif des jeunes gens et leur impatience à l’égard de l’enseignement religieux, et bien d’autres choses encore. Mais ces raisons sont insuffisantes. Les parents sont, dans l’ensemble, très conscients de leurs responsabilités ; peut-être n’y a-t-il jamais eu de génération plus sérieuse et consciencieuse que les jeunes parents de notre temps. Cependant, ces jeunes parents réfléchis ne s’appliquent pas à enseigner la religion à leurs enfants en priorité.

Le discrédit jeté sur la Bible. – Le fait est que notre vie religieuse a souffert, et que notre caractère national souffrira bientôt, du discrédit jeté sur la Bible par des critiques défavorables. Nous considérons à juste titre la Bible comme la somme complète de nos Livres Sacrés. Nous n’avons absolument rien à enseigner d’autre que ce que nous y trouvons écrit. Mais nous ne nous tournons plus vers la Bible avec la confiance d’antan : notre religion se transforme en un sentiment difficile à transmettre ; nous attendons que les jeunes la conçoivent eux-mêmes. En attendant, nous leur donnons une culture esthétique de façon à développer ces besoins de l’âme qui sont normalement satisfaits par le culte. Toute la superstructure de la pensée religieuse « libérale » est misérablement bancale, et il n’est pas étonnant que l’on hésite à l’exposer à la lance d’Ithuriel du jeune esprit déterminé et curieux. Car nous aimons cette habitation fragile que nous avons construite. Elle ressemble un peu à la vieille maison de nos ancêtres, et nous nous y accrochons avec un sentiment de tendresse que la jeune génération pourrait ne pas comprendre.

“Les miracles n’existent pas. » – Sommes-nous donc sans abri ? Nous le sommes indubitablement, sur la base d’une hypothèse – cette hypothèse que seul une brillante romancière peut présenter dans son aspérité nue – « Les miracles n’existent pas. » L’esprit cultivé est plus fondamentalement logique que nous ne sommes enclins à le supposer. Enlevez la clé de voûte du miracle et l’arche s’effondre sur nous. La vénération ostentatoire pour la Personne du Christ, séparée de l’élément miraculeux « mythique », n’est, hélas, qu’un sentiment fallacieux envers une conception qui a évolué d’elle-même. Supprimez le « miraculeux », et tout le tissu du christianisme disparaît ; et ce n’est pas tout, que devons-nous faire de cette révélation plus ancienne : « L’Éternel, l’Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant » ?  Nous disons : « Cela, nous le gardons ; mais il n’y a pas de miracle ; et, du Christ, n’avons-nous pas l’inimitable Sermon sur la montagne – une revendication suffisante de notre allégeance ? » Non, nous ne l’avons pas ; on nous apprend à prier, à considérer les lys dans les champs, les oiseaux dans le ciel, et à nous souvenir que les cheveux de notre tête sont tous comptés. Nous avons ici la doctrine de la relation personnelle à Dieu, de la providence de Dieu destinée à chacun d’entre nous, qui est l’essence même du miracle. Si « les miracles n’existent pas », c’est de la folie et de la présomption que d’attendre quoi que ce soit de la providence et d’appeler par la prière le moindre changement dans le cours des événements, qui est fixé par une loi inévitable. L’esprit cultivé est rigoureusement logique, même si un effort de volonté peut nous dissuader de mettre en application nos déductions et ainsi nous éviter des erreurs fatales. Que nous reste-t-il ? Un Dieu qui, par conséquent, ne peut avoir de relation personnelle avec vous ou moi, car une telle relation relèverait du miracle ; un Dieu dont la prière, face à une telle certitude, devient blasphématoire. Comment osons-nous nous approcher du Très-Haut avec des demandes que, dans la nature des choses (telle que nous la concevons), Il lui est impossible d’accorder ?

Notre conception de Dieu dépend des miracles. – Nous ne pouvons pas prier, nous ne pouvons pas avoir confiance, et pourtant nous ne sommes pas complètement impies ; nous pouvons admirer, adorer, vénérer, dans la plus grande humilité. Mais comment ? Qu’allons-nous adorer ? L’Être Divin ne peut nous être révélé que par Ses attributs ; Il est un Dieu d’amour et un Dieu de justice, plein de compassion et de bonté, lent à la colère et généreux en miséricorde. Mais ce sont des attributs qui ne peuvent se concevoir qu’en action, d’Être divin à être humain. Comment être gracieux et miséricordieux si ce n’est envers un être qui a besoin de grâce et de miséricorde ? Admettez que la grâce et la miséricorde puissent modifier la moindre circonstance de l’existence d’un homme, spirituelle ou temporelle, et vous admettrez toute la question des « miracles » ; c’est-à-dire, vous admettrez qu’il est possible pour Dieu d’agir autrement que par les lois inévitables que nous sommes capables de reconnaître. Refusez d’admettre « l’élément miraculeux », et le berger d’Israël s’éloigne de nous ; nous restons orphelins dans un monde en ruine.

Tels sont les enjeux de cette question du « miracle » avec laquelle nous aimons badiner, avec un sourire par-ci, un haussement d’épaules par-là, et un ricanement tout particulier pour l’histoire du troupeau de pourceaux qui se précipita des pentes escarpées dans la mer, parce que nous pensons en savoir tant sur les pensées obscures de la création brute – vivant sous nos yeux, certes, mais curieusement, qui dépasse notre entendement. Admettons l’existence des miracles, c’est-à-dire l’action volontaire d’un Dieu Personnel, et qui osera définir des limites ?

La loi naturelle et les miracles. – Combien de temps resterons-nous entre deux opinions, celle de la loi et celle du témoignage ? Acceptons hardiment l’alternative que propose Hume, même si elle est arrogante. Qu’il en soit ainsi : « Aucun témoignage ne suffit pour établir un miracle, sauf si le témoignage est de telle sorte que sa fausseté serait encore plus miraculeuse que le fait qu’il essaie d’établir. » Nous croyons que le Christ est ressuscité le troisième jour et qu’il est monté au ciel ; ou bien nous acceptons l’hypothèse, bien plus incroyable, que “Dieu n’existe pas” ; ou bien, de toute façon, la révélation de Dieu, dans son adorable Personnalité, n’a plus lieu d’être pour nous. Il n’y a pas de voie médiane. La loi naturelle, telle que nous la concevons, n’a rien à voir avec ces questions ; non pas que Dieu abroge ses lois, mais que notre connaissance de la « loi naturelle » est si limitée et si superficielle que nous sommes incapables de décider si une rupture du cercle étroit dans lequel notre connaissance est enfermée, est ou n’est pas une ouverture dans un cercle plus large, où ce qui nous apparaît comme une exception extraordinaire ne fait qu’illustrer la règle générale.

Nous ne voulons pas sous-estimer les fruits solides de la critique biblique, même la plus adverse. Ce devrait être un grand gain pour la vie spirituelle ; que désormais un miracle soit accrédité, non seulement par le fait qu’il est enregistré dans l’histoire sacrée, mais par sa conformité essentielle avec le Caractère divin ; tout comme, s’il est possible de comparer respectueusement les choses humaines avec les choses divines, nous dirions d’un ami : « Oh, il ne ferait jamais cela ! » ou « C’est tout à fait son genre ». Mis à l’épreuve par ce test, comme les miracles du Christ sont peu ostentatoires, mais simples et humblement utiles ; comme il est absolument divin

“d’avoir tout pouvoir, et d’être comme n’en ayant aucun ! »

Comme les miracles du Christ sont bien faits. – L’esprit qui est imprégné de l’histoire de l’Évangile dans toute sa douce rationalité, qui a absorbé les lueurs les plus confuses et les plus abîmées de la Lumière du Monde comme elle se manifeste dans l’histoire de l’Ancien Testament, sera peut-être le moins tenté par la déloyauté du « doute honnête » ; car c’est une déloyauté envers la relation la plus étroite et la plus sacrée de toutes, bien que nous devons reconnaître que ce doute est l’infirmité des esprits nobles. Croyant que la foi vient avec la compréhension, et que la compréhension vient grâce à l’écoute de la parole de Dieu, que l’homme est établi dans la foi chrétienne de la façon qu’il en a été instruit dans son enfance, la question suprême, pour nous, est de savoir comment garantir le fait que les enfants soient bien formés dans les Écritures par leurs parents, et qu’ils en poursuivent l’étude avec intelligence, révérence et plaisir.

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CHAPITRE 11 LA FOI ET LE DEVOIR (CRITIQUES D’OUVRAGES)

Les parents comme éducateurs de la morale

Les lois de la Nature et les voies des hommes. – L’éducation, si on la conçoit correctement, est la science de la vie, et toute tentative de formuler cette science doit être saluée avec intérêt et avec une gratitude proportionnelle à son succès. Partout, des esprits réfléchis s’emploient à apporter leur contribution à cette grande œuvre, sous l’un ou l’autre de ses aspects, physique, social, religieux. Nous comprenons d’emblée que chaque tentative pour résoudre des problèmes scientifiques et sociaux, ou des questions de foi, nous aide à comprendre ces “lois de la nature” et ces « voies des hommes”, l’amour et l’attitude obéissante de la volonté que M. Huxley considère comme étant le seul résultat concret de l’éducation.

Considérons trois ouvrages importants suivant ces lignes. L’un traite des problèmes de la morale « séculière » d’un point de vue américain ; le second du problème global de l’éducation nationale d’un point de vue français et « scientifique ». Le troisième n’a pas la prétention d’être un ouvrage éducatif. Il traite des « voies de l’homme », mais des voies de l’homme dans leur rapport avec les voies et la volonté de Dieu. C’est-à-dire qu’il traite des sources profondes dont découlent les problèmes de la vie. Comme le véritable pédagogue travaille de l’intérieur vers l’extérieur, il trouvera probablement beaucoup d’aide dans un ouvrage dont la perspective sur la vie est celle de la « foi ».

L’instruction morale des enfants. – M. Felix Adler, dans The Moral Instruction of Children, entreprend une tâche qui n’a rien de facile en se proposant de résoudre le problème de l’instruction morale non sectaire. Il apporte à ce travail des qualifications inhabituelles – une vision large, une formation philosophique, et cet amour éclectique de la littérature et de la connaissance que l’on trouve dans les livres qui est essentiel au professeur de morale. L’ouvrage que nous avons sous les yeux devrait être sur les étagères des parents instruits, non pas nécessairement pour être englouti tout entier comme un « guide absolu », mais pour être étudié avec une attention minutieuse et une certaine liberté de choix quant aux conseils de perfectionnement qui méritent d’être suivis, et ceux qui peuvent être rejetés parce qu’ils ne correspondent pas au plan de la pensée éducative que le parent a déjà établi pour lui-même. M. Adler est très sérieusement handicapé dès le départ. Il écrit pour les écoles américaines, dans lesquelles la première condition de l’instruction morale est qu’elle ne doit pas être sectaire. Il interprète cela, à tort ou à raison, comme excluant tout enseignement théiste quel qu’il soit ; c’est-à-dire que l’enfant pour lequel il écrit n’encourt pas de sanctions autres que celles qu’il trouve dans son propre sein. Par exemple : ”L’instructeur de morale à l’école est responsable d’enseigner à ses élèves la matière de la morale, mais il n’a pas à s’occuper des sanctions de celle-ci. Il dit à l’élève : ‘Tu ne mentiras pas.’ Il tient pour acquis que l’élève sent la force de ce commandement, et reconnaît qu’il doit y obéir. Pour ma part, je soupçonnerais de chicanerie et d’intentions malhonnêtes tout garçon ou toute fille qui me demanderait : ‘Pourquoi ne dois-je pas mentir ?’ Je dresserais devant un tel enfant le devoir dans toute sa terrible majesté. Le droit de raisonner sur ces questions ne peut être concédé qu’une fois que l’esprit a atteint une certaine maturité. »

Il n’y a pas de sens infaillible du « devoir ». – D’où vient la terrible majesté du devoir ? Croire que le sens du devoir est inné est une erreur qui a engendré beaucoup de mal. De nos jours, il est courant de penser qu’il est juste de faire ce que l’on croit juste ; ou, comme on le dit souvent, qu’un homme fait tout ce qu’on peut attendre de lui lorsqu’il agit selon ses « lumières ». Or, une très légère connaissance de l’Histoire démontre que toutes les persécutions et la plupart des outrages, de l’Inquisition aux Thugs, sont le résultat de cette même majesté du « devoir », lorsqu’elle fait entendre sa voix dans le sein d’un individu ou d’une communauté. Essayer de traiter de la morale sans traiter des sanctions de la morale, c’est travailler à partir de la circonférence plutôt que du centre.

Moses, Moses, und immer Moses! dit un pédagogue allemand de l’école moderne, qui écrit avec un vif dédain sur le système de l’ancienne école, dans lequel dix ou douze, et, dans certains États allemands, quinze ou seize heures par semaine étaient consacrées à l’enseignement de la Bible. Nous, en Angleterre, et eux, en Amérique, nous rebellons également contre la Bible comme livre de classe. Les pédagogues disent qu’il y a tant d’autres choses à apprendre, que cette étude prolongée de la littérature sacrée est une grave perte de temps ; d’autre part, beaucoup de personnes du corps religieux objectent qu’il n’est pas bon de traiter la Bible comme un vulgaire livre de classe.

La Bible, une œuvre littéraire classique. – Il est curieux que seulement quelques éducateurs reconnaissent la Bible pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une œuvre littéraire classique d’une beauté et d’un intérêt merveilleux ; qu’en dehors de ses sanctions Divines et de son enseignement religieux, de tout ce que nous entendons par « Révélation », la Bible, en tant que simple instrument d’éducation, est, pour le moins, aussi précieuse que les classiques de la Grèce ou de Rome. Il y a de la poésie, dont le rythme apaise jusqu’aux esprits blasés, incapables de prendre plaisir à tout autre chose. Il y a de l’histoire, fondée sur des lignes si larges et si claires, sur une justice si lente, si sûre et si impartiale envers les nations, sur des récits de péchés et de repentirs nationaux, que l’étudiant se rend compte, comme dans aucune autre histoire, de la solidarité de la race, de la fraternité et, si l’on peut dire, de la singularité des nations. Il y a de la philosophie qui, de toutes les philosophies qui ont été proposées, est la seule adéquate à l’interprétation de la vie humaine. Nous ne disons pas un mot ici de ce qui est la raison d’être de la Bible, de son enseignement religieux, de sa révélation de Dieu à l’homme ; mais, pour ne souligner qu’un point supplémentaire, toutes les littératures du monde réunies sont totalement incapables de nous donner un système d’éthique, en précepte et en exemple, en motif et en sanction, aussi complet que celui dont nous avons hérité dans la Bible.

La Bible taboue dans l’éducation. – Depuis environ 1700 ans, la Bible est le livre d’école de l’Europe moderne ; son enseignement, transmis directement ou indirectement, de manière plus ou moins pure, a été la base sur laquelle reposait toute la superstructure de la formation non seulement religieuse mais éthique et, dans une certaine mesure, littéraire. Aujourd’hui, la Bible, en tant que livre de leçons, est taboue, et les pédagogues sont appelés à produire ce qui doit la remplacer dans la formation des idées et du caractère. C’est la tâche à laquelle s’attelle M. Adler ; et s’il réussit, c’est évidemment parce que son propre esprit est imprégné de la tradition biblique et de la loi sacrée qu’il ne se sent pas autorisé à exposer à ses élèves. Mais ce parti pris rend son travail très utile et stimulant pour les parents qui désirent prendre la Bible comme base et sanction de cet enseignement moral qu’ils sont heureux de compléter par d’autres sources.

Pouvons-nous recommander aux parents la suggestion suivante ? –

Journal d’une mère. – « Les parents et les enseignants devraient s’efforcer de répondre à des questions telles que  : Quand les premiers signes du sens moral apparaissent-ils chez l’enfant ? Comment se manifestent-ils ? Quel est le développement émotionnel et intellectuel de l’enfant à différents âges, et comment correspond-il à son développement moral ? A quel moment la conscience entre-t-elle en scène ? A quels actes ou omissions l’enfant applique-t-il les termes de bien ou de mal ? Si des observations de ce genre étaient faites avec soin et dûment consignées, la science de l’éducation disposerait d’une quantité considérable de matériel dont on pourrait sans doute déduire de précieuses généralisations. Chaque mère, en particulier, devrait tenir un journal dans lequel elle noterait les phases successives de la croissance physique, mentale et morale de son enfant, en accordant une attention particulière aux aspects moraux ; ainsi, les parents seraient en mesure de prévoir à temps le caractère de leurs enfants, d’entretenir en eux tous les germes du bien et, par de promptes précautions, de supprimer, ou du moins de restreindre, les mauvais. »

Les contes de fées et leur utilisation. – Nous sommes heureux de constater que M. Adler réhabilite les contes de fées. Il dit, à juste titre, qu’une grande partie de l’égoïsme dans le monde est due, non pas à une réelle dureté de cœur, mais à un manque d’imagination ; et il ajoute : « Je soutiens que l’on a gagné quelque chose, voire beaucoup, si un enfant a appris à faire sortir les souhaits de son cœur, pour ainsi dire, et à les projeter sur l’écran de l’imagination. » Les Märchen allemands occupent la première place à ses yeux. Il dit qu’ils représentent l’enfance de l’humanité, et c’est pour cette raison qu’ils plaisent toujours aux enfants.

« Mais comment traiter ces Märchen ? Quelle méthode employer pour les adapter à notre objectif particulier ? Mon premier conseil est de raconter l’histoire. Ne la donnez pas à lire à l’enfant. L’enfant, lorsqu’il écoute les Märchen, lève des yeux grands ouverts vers le visage de la personne qui raconte l’histoire, et frémit au contact de la vie antérieure de la race, qui rencontre ainsi la sienne. » Autrement dit, notre auteur estime, à juste titre, que les traditions doivent être transmises oralement. Cela vaut la peine d’être noté. Son deuxième conseil est tout aussi important. « N’enlevez pas, dit-il, la cerise morale du gâteau du conte de fées, mais laissez l’enfant l’apprécier dans son ensemble. […] Traitez l’élément moral comme un incident, mettez-le en valeur, mais de façon accessoire. Cueillez-le comme une fleur au bord du chemin. »

Le troisième conseil de M. Felix Adler est d’éliminer des histoires tout ce qui est simplement superstitieux, tout ce qui n’est qu’une relique de l’ancien animisme, et, encore une fois, tout ce qui est répréhensible pour des raisons morales. À cet égard, il aborde la question controversée de savoir jusqu’à quel point nous devons informer les enfants de l’existence du mal dans le monde.

« Mon opinion personnelle, dit-il, est que nous ne devrions parler à l’enfant que des formes mineures du mal, physique ou moral, qu’il connaît déjà. » Pour cette raison, il exclurait toutes les histoires de marâtre cruelle, de père contre nature, etc., même si la plupart d’entre nous feraient probablement une exception en faveur de Cendrillon et de sa charmante version allemande Aschenbrödel. Je suis encline à penser que les contes de fées perdent de leur vigueur et de leur charme lorsqu’ils sont apprêtés pour les enfants ; et que Wordsworth a raison de considérer que la connaissance même du mal, transmise dans les contes de fées avec un certain charme, est utile pour éviter aux enfants des chocs douloureux et préjudiciables dans la vie réelle.

Les fables. – Selon notre auteur, les fables devraient constituer la base de l’enseignement moral au deuxième stade, probablement lorsque les enfants quittent la nurserie. Nous avons tous grandi avec les Fables d’Esope ; et « Le chien dans la mangeoire », « Les grenouilles qui demandent un roi », « La grenouille et la cigogne » sont passés dans le langage courant de notre pensée. Mais il est intéressant de se rappeler que les fables dites d’Esope sont infiniment plus anciennes que le célèbre conteur grec et qu’elles sont, pour la plupart, d’origine asiatique. On nous rappelle qu’il est important de garder cette origine de la fable en mémoire, et de faire preuve de discernement dans le choix de celles que nous utilisons pour transmettre des idées morales à nos enfants.

M. Adler rejetterait des fables telles que « Le chêne et le roseau », « Le pot de terre et le pot de fer », « Le chevreau et le loup qui joue de la flûte », car elles respirent la soumission et la peur orientales. Mais peut-être pour la raison même que la colonne vertébrale britannique est peu disposée à s’incliner devant l’homme ou les circonstances, les leçons de vie recueillies par des peuples ayant d’autres habitudes et d’autres pensées peuvent être tout particulièrement utiles à l’enfant anglais. Quoi qu’il en soit, nous perdrions certaines des fables les plus charmantes si nous supprimions tout ce qui a la saveur de la sagesse de l’Orient. Les fables que M. Felix Adler recommande tout particulièrement sont celles qui mettent en avant la vertu, pour l’éloge que nous pouvons en faire, ou le mal, pour que nous puissions le censurer, comme la Lâcheté dans la fable du « cerf et du faon » ; la Vanité, dans le « Le paon et la grue » ; la Cupidité, dans « Le chien qui porte de la viande ».

« Dans la troisième partie de notre cours primaire, dit-il, nous utiliserons des histoires choisies dans la littérature classique des Hébreux, et plus tard dans celle de la Grèce, en particulier L’Iliade et L’Odyssée.”

Les histoires de la Bible. – C’est ici que nous commençons à être en désaccord avec notre auteur. Nous ne devons pas présenter les histoires bibliques comme ayant une valeur morale similaire aux mythes de la Grèce antique ; nous ne devons pas non plus différer leur introduction jusqu’à ce que l’enfant ait suivi un cours de morale par l’intermédiaire des contes de fées et des fables. Ces douces histoires devraient remplir son imagination dès son plus jeune âge ; il aurait dû entendre la voix du Seigneur Dieu dans le jardin à la fraîcheur du soir ; il aurait dû être un spectateur impressionné lorsque les anges montaient et descendaient sur l’oreiller de pierre de Jacob ; il aurait dû suivre le Christ à travers le champ de blé le jour du sabbat, et s’asseoir dans les rangs des multitudes affamées – tout ceci il y a si longtemps que ces scènes sacrées formeraient maintenant le fond inconscient de ses pensées. Tout est possible au petit enfant, et l’influence du spirituel sur notre monde matériel, les problèmes difficiles, les paroles dures, qui sont une offense, dans le sens biblique du mot, pour ses aînés, ne présentent aucune difficulté à la foi totale de l’enfant. Nous ne devrions pas dire, bien au contraire, que toute histoire biblique est adaptée aux enfants simplement parce qu’il s’agit d’une histoire biblique ; nous ne devrions pas non plus analyser avec trop de soin, ni séparer avec trop de clarté ce que nous appelons l’histoire de ce qui peut être dit ainsi : « Il ne leur parlait point sans parabole ».

L’enfant n’est pas un étudiant en exégèse. L’enseignement moral, les révélations spirituelles, les belles images de la Bible sont les choses qui l’intéressent, et il ne peut en avoir trop. Comme le dit M. Adler : « Le récit de la Bible est saturé d’esprit moral, les questions morales sont partout au premier plan. Le devoir, la culpabilité et son châtiment, le conflit entre la conscience et le tempérament, sont les thèmes principaux. Le peuple hébreu semble avoir été doté de ce qu’on peut appeler un génie moral, insistant en particulier sur les devoirs filiaux et fraternels. Or ce sont précisément ces devoirs qui doivent être inculqués aux jeunes enfants. »

Voyons comment notre auteur utiliserait les récits de la Bible. Nous n’avons la place que pour quelques extraits : « Il était une fois deux enfants, Adam et Eve. Adam était un garçon à l’allure noble et agréable » […] « Il faisait si chaud que les enfants n’avaient jamais besoin d’aller à l’intérieur » […] « Et le serpent continuait à chuchoter, ‘Prends-en une bouchée, personne ne te verra.' » […] « Toi, Adam, tu dois apprendre à travailler, et toi, Eve, à être patiente et à faire preuve d’abnégation pour les autres », etc.

Nous laissons à nos lecteurs le soin de décider si cette “adaptation” améliore le récit biblique, et si c’est réellement le genre de choses qui fait appel à l’imagination d’un enfant.

La rythmique de la phraséologie biblique est charmante pour un enfant. – M. Ruskin nous dit que son style incomparable est entièrement dû à sa familiarité précoce avec les classiques de la Bible. C’est une erreur d’adapter les histoires bibliques dans un anglais simplifié, même si le narrateur s’en tient aux faits du récit. Le rythme et la cadence de la phraséologie biblique sont tout aussi charmants pour un enfant que pour ses aînés, sinon plus. Lisez votre histoire biblique à l’enfant, petit à petit ; faites-lui raconter avec ses propres mots (en restant aussi proche que possible des mots de la Bible) ce que vous avez lu, et ensuite, si vous voulez, parlez-en ; mais pas trop. Surtout, ne vous laissez pas tenter par un « commentaire pratique de chaque verset de la Genèse », pour reprendre le titre d’un ouvrage récemment publié. Voici deux points sur lesquels il semble utile de s’arrêter.

Les récits de miracles doivent-ils être utilisés pour l’instruction morale ? – Est-il opportun de raconter aux enfants les miracles de la Bible à une époque où leur possibilité est si vivement discutée ? En premier lieu, tout ce que les savants les plus avancés ont à opposer aux « miracles », c’est qu’ils n’ont pas, personnellement, rencontré de tels phénomènes ; mais ils sont les premiers à admettre que rien n’est impossible et qu’aucune expérience n’est définitive. En second lieu, en ce qui concerne l’enseignement moral et spirituel que dispense le récit du miracle, il importe peu que, dans ce cas particulier, le miracle soit reconnu comme un fait historique, ou que, au contraire, il est vrai qu' »Il ne leur parlait point sans parabole ». C’est la vérité essentielle du récit, et non la vérité historique, qui importe à l’enfant. Celui qui s’aventure à dire : « Ceci est possible ; cela ne l’est pas », est un critique audacieux, bien en avance sur les connaissances scientifiques de son temps.

Faut-il mettre la Bible toute entière entre les mains d’un enfant ? – Le deuxième point qui mérite notre attention en ce qui concerne l’enseignement de la Bible est le suivant : faut-il prendre la Bible dans son intégralité ou la présenter aux enfants selon leur capacité à la comprendre ? Il y a dans la Bible des récits que nous ne mettrions certainement pas entre les mains des enfants s’il s’agissait d’un autre livre. Nous devrions sérieusement nous demander si nos enfants pourraient être protégés des suggestions du mal que nous plaçons délibérément devant eux ; ou bien s’il existe une loi Divine exigeant que la Bible toute entière – qui n’est pas seulement la Parole de Dieu, mais aussi un recueil des écrits juridiques, littéraires, historiques, poétiques, philosophiques, éthiques et polémiques d’une nation – soit placée entièrement et immédiatement entre les mains d’un enfant curieux, dès qu’il est capable de lire. Quand notre respect superstitieux pour le simple texte des Écritures nous permettra-t-il de découper la Bible pour la lire dans des livres distincts, comme toute autre littérature ? Ceci nous permettrait, pour les enfants en tout cas, de présenter des passages “purgés” de ce qui n’est pas adapté à leur âge et même d’ôter des passages tout à fait inintéressants, comme, par exemple, les longues généalogies. Comme il serait agréable que chaque anniversaire soit accompagné du cadeau d’une nouvelle Bible, dont la difficulté augmenterait d’année en année, magnifiquement reliée et illustrée, et imprimée en caractères clairs et attrayants, sur du bon papier. On peut imaginer l’enfant chrétien rassemblant sa bibliothèque de livres sacrés avec beaucoup de joie et d’intérêt, et faisant une étude diligente et ravie du volume de l’année au moment fixé. La meilleure chose à faire est peut-être de lire petit à petit (l’Ancien Testament en tout cas) aux enfants, aussi joliment que possible, en leur demandant ensuite de raconter l’histoire en utilisant autant que possible les mots de la Bible.

Les règles morales du Pentateuque. – Mais pour en revenir à M. Adler, voici une suggestion précieuse : « Il faut apprendre aux enfants à observer des images morales avant d’essayer d’en déduire des principes moraux. Néanmoins, certaines règles simples peuvent être données aux plus jeunes – et même, doivent leur être données – pour les guider. Or, dans la législation attribuée à Moïse, nous trouvons un certain nombre de règles adaptées aux enfants, et un recueil de ces règles pourrait être fait à l’usage des écoles, comme par exemple : Vous ne mentirez pas, vous ne vous tromperez pas les uns les autres, vous n’accepterez pas de corruption, vous n’irez pas raconter des histoires à vos camarades », et ainsi de suite – un recueil très utile de seize règles en guise de spécimen.

Plus loin, nous lisons : « L’histoire de la vie de David est pleine d’intérêt dramatique. On peut l’organiser en une série d’images. Premier tableau, David et Goliath – c’est-à-dire l’habileté opposée à la force brute, ou le châtiment mérité d’un tyran. » Imaginez le résultat d’un tel enseignement “moral”, stérile, commun, ne laissant aucune place à la discussion, et auto-complaisant !

L’Iliade et L’Odyssée. – Quand il parle de L’Iliade et de L’Odyssée, M. Adler fait quelques remarques intéressantes : « Mon père, soucieux de faire de moi un homme de bien, m’a fait apprendre tous les poèmes d’Homère », fait dire Xénophon à l’un de ses personnages ; et ceci peut nous inspirer sur la manière dont les grandes épopées peuvent servir d’exemple de vie et d’instruction des mœurs.

Quoi de plus inspirant que l’histoire d’Ulysse pour le garçon en quête d’aventures ? Et quoi de plus stimulant pour le courage, la prudence, la présence d’esprit, que les évasions du héros ? « Ulysse est le type même de la sagacité et de la bravoure ; son esprit fourmille d’inventions. » Les éléments éthiques de L’Odyssée seraient l’affection conjugale, la conduite filiale (Télémaque), la présence d’esprit et la vénération envers les grands-parents (Laertes). On aurait pu ajouter les relations amicales avec les personnes à charge, comme l’illustre la belle histoire de la nourrice Euryclée reconnaissant Ulysse alors que sa femme restait assise, le visage impassible. L’amitié, encore, dans l’histoire du chagrin d’Achille pour Patrocle.

La faiblesse originelle de la « morale laïque ». – M. Adler traite les histoires d’Homère avec plus de grâce et de sympathie, et avec moins de transgressions impitoyables, qu’il ne le fait pour celles de la Bible ; mais ici encore nous retrouvons la faiblesse originelle de la morale « laïque ». L’Iliade et L’Odyssée doivent être considérés comme des poèmes religieux sinon ils sont sans valeur. Le motif entier est religieux ; chaque événement est dirigé par une force surnaturelle. L’inspiration héroïque fait entièrement défaut si l’on ne tient pas compte du fait que les personnages agissent et souffrent avec un courage et une force d’âme exceptionnels, uniquement parce qu’ils ont voulu agir et souffrir, en toutes choses, selon la volonté des dieux. Le consentement de leur volonté à l’égard de ce qu’ils ont deviné, même obscurément, de la volonté divine, est la qualité véritablement inspirante des héros d’Homère ; et ici, tout comme dans l’enseignement de la moralité biblique, l’éthique “séculière” est à blâmer.

Les leçons sur le devoir. – La troisième partie de l’ouvrage de M. Adler est consacrée aux leçons sur le devoir. Ici encore nous avons d’excellents conseils et des illustrations attrayantes. « L’enseignant doit toujours considérer l’habitude morale comme allant de soi. Il ne doit jamais faire comprendre à ses élèves qu’ils sont sur le point d’examiner, par exemple, s’il est mal ou non de mentir. Le commandement contre le mensonge est assumé, et son obligation reconnue dès le départ. » Nous sommes tout à fait d’accord avec cela, et nous aimons particulièrement l’utilisation apparemment involontaire du mot « commandement », qui reconnait la question en jeu, à savoir que l’idée du devoir est relative et dépend d’une Autorité suprême et intime, qui englobe les pensées du cœur et les problèmes de la vie.

Encourager un enfant à apprendre. – L’histoire d’Hillel, illustrant le devoir d’acquérir des connaissances, est fort charmante, et elle est profondément intéressante pour le psychologue, car elle montre qu’un désir de connaissance naturellement implanté est, pour la nature humaine, un des déclencheurs de l’action. Les motifs proposés pour la quête de la connaissance sont pauvres et insuffisants : réussir dans la vie, gagner de l’estime, se satisfaire, et même pouvoir, éventuellement, profiter aux autres, ne sont pas des motifs convaincants. L’enfant qui est encouragé à apprendre, parce que c’est son devoir particulier dans l’état de vie auquel il a plu à Dieu de l’appeler, possède les motifs les plus forts que l’on puisse concevoir, en ce sens qu’il fournit ce qui lui est demandé par l’Autorité Suprême.

Cette seule note de faiblesse se retrouve tout au long de l’analyse du sujet. L’homme qui se noie est censé s’enjoindre « d’être courageux, parce qu’en tant qu’être humain vous êtes supérieur aux forces de la Nature, parce qu’il y a quelque chose en vous – votre moi moral – sur lequel les forces de la Nature n’ont aucun pouvoir, parce que ce qui vous arrive dans votre vie privée n’est pas important ; mais il est important que vous revendiquiez la dignité de l’humanité jusqu’au dernier souffle. » C’est une assez bonne interprétation ; mais comme est plus noble l’attitude de l’homme qui lutte avec courage pour sauver la vie que Dieu lui a donnée !

La valeur morale du travail manuel. – Le chapitre sur l’influence du travail manuel mérite d’être pris en considération. La phrase de conclusion est la suivante : « Il est réconfortant et encourageant de penser que le travail technique, qui est la source de notre enrichissement matériel, peut aussi devenir, lorsqu’il est employé pour l’éducation des jeunes, le moyen d’élargir leur virilité, de vivifier leur intelligence et de renforcer leur caractère. »

Si j’ai analysé l’ouvrage de M. Adler de manière aussi complète, c’est parce qu’il s’agit de l’une des tentatives les plus sérieuses et les plus réussies que je connaisse pour présenter un cours d’éthique gradué convenant aux enfants de tous âges. Bien que je sois en désaccord avec l’auteur sur le point très important des sanctions morales, je recommande cet ouvrage à la lecture des parents. Le parent chrétien présentera certainement la pensée de la Loi en relation avec un Législateur, et complétera les mille suggestions précieuses qu’il trouvera ici par sa propre conviction que le « devoir » vient du Seigneur Dieu.

Un enseignement moral bâclé. – Mais même l’enfant chrétien souffre de ce que l’on peut appeler un enseignement moral bâclé. Les défaillances du bien sont une source de chagrin et de surprise pour le moraliste aussi bien que pour l’âme chrétienne qui fait de son mieux et qui échoue souvent. Nous pouvons admettre que la tentation et le péché soient inséparables de notre condition actuelle ; mais qu’un chrétien sincère et sérieux soit habituellement coupable de manquer de sincérité, de franchise, de justice envers le caractère et les opinions d’autrui, qu’il soit immodéré dans la censure, et – osons le dire – impitoyable dans la critique, cela peut être imputé, non pas à la nature humaine faillible, mais à une éducation défectueuse.

L’importance de l’enseignement de l’éthique. – L’idée d’éthique n’a jamais été présentée à l’esprit de façon juste et complète sur ces points vulnérables. L’homme est incapable d’accorder le poids voulu aux opinions d’autrui, parce que l’enfant n’a pas été instruit du devoir de franchise. Il n’y a guère de doute qu’une instruction soigneuse, méthodique, morale, avec de nombreux exemples – et, inutile d’ajouter – inspirée par la pensée que « Dieu le veut », devrait, si elle pouvait être généralisée, avoir un effet appréciable sur l’élévation du caractère national. C’est pourquoi nous saluons avec gratitude cette contribution à l’éthique pratique de la nurserie et de l’école telle que nous l’offre l’ouvrage de M. Adler sur l’instruction morale des enfants.

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