copyright © Jean-Sébastien Caron Photographe

Note de Charlotte Mason France : Pour une lecture plus fluide, destinée au plus grand nombre de familles francophones d’aujourd’hui, nous avons décidé de franciser un peu ce texte, en prenant quelques libertés d’adaptations dans la traduction de ce document ; notamment concernant les nombreuses références d’auteurs, d’anecdotes populaires ou proverbiales.

Note de Charlotte Mason Poetry : Cette semaine, nous poursuivons notre voyage à travers The Changing Year avec une promenade en mars. Pour plus d’informations sur la façon d’utiliser cette ressource inspirante de Florence Haines, consultez l’épisode du mois dernier intitulé « Une promenade en février« . Nous espérons que l’épisode de cette semaine vous donnera des idées intéressantes pour des études spéciales, ainsi qu’une incitation à sortir vous-même pour explorer la nature pendant cette période très spéciale de l’année.   

Par Florence M. Haines
La nature au fil de l’année, pp. 17-25

“D’abord, le robuste Mars, les sourcils sévèrement courbés
Et puissamment armé, chevauchait un Bélier,
Le même qui survola l’Hellespont* ;
Il tenait aussi dans sa main une bêche,
Et dans un sac toutes sortes de graines,
Qu’il répandait sur la terre en passant.”

Spenser

“Si Mars arrive comme un lion, il s’en ira comme un mouton”, bien que parfois le processus soit inversé car, comme le proverbe écossais nous en avertit, “le vent de la tempête arrive lors des Jours d’emprunt”. Les Jours d’emprunt correspondent aux trois derniers jours de Mars. Comme ils sont d’ordinaire tempétueux, nos ancêtres crurent trouver l’explication de ce fait, en supposant que Mars empruntait à Avril, afin d’allonger son règne : 

Mars emprunta à Avril
Trois jours et ils étaient mauvais. 

Cette croyance populaire, qu’on retrouve dans presque toute l’Europe, varie peu d’un pays à l’autre et, dans chaque cas, l’explication a la même origine, à savoir la tentative de ce mois de faire périr quelques bêtes. Dans la version espagnole, un berger promit à Mars un agneau si, en retour, le mois donnait du beau temps à son troupeau. Le contrat fut honorablement tenu par Mars, mais lorsqu’il demanda son agneau vers la fin du mois, le berger, dont le troupeau était en pleine forme, se dit qu’il ne restait plus que trois jours et refusa de payer sa dette. Mars lui répondit, furieux de tant d’ingratitude : « Tu ne veux pas tenir ta promesse, sache donc que pendant les trois jours qui me restent, puis pendant les trois autres que mon compère Avril me prêtera, tous tes moutons mourront. » Cette menace fut exécutée durant les six terribles jours qui suivirent. Dans la version française, un homme riche se vantait le 30 mars :

“J’ai passé Mars, et Marsillon
Sans qu’il m’en ait coûté ni vache ni taurillon.”

L’entendant se vanter ainsi, Mars suggéra à Avril :

« Avril, prête m’en un, prête m’en deux, prête m’en trois,
Et un que j’ai, ça fera quatre, et nous mettrons tout son bétail aux abois »

Dans la version britannique, il existe ces curieux vers : 

“Mars dit à Avril :
Je vois trois agneaux sur une hauteur ;
Mais prêtez-moi vos trois premiers jours,
Et je m’engage à les faire mourir.
Le premier jour, il y aura vent et pluie ;
Le second jour, neige et grésil ;
Le troisième il y aura une telle gelée
Que les oiseaux en seront collés aux arbres.
Mais quand les trois jours empruntés furent écoulés, 
Les trois stupides agneaux rentrèrent boiteux à la maison.”

En anglais, “stupide” se dit “silly” et ce mot est vraisemblablement l’équivalent de l’ancien “seely” : pour heureux, chanceux, ou plutôt “innocent, sans ruse”. En Angleterre, le Suffolk fut d’ailleurs appelé “silly Suffolk” en référence à la piété de ses habitants, dont témoigne le nombre d’églises dans le comté.

Après le croassement des Corbeaux dans les Ormes et les Sycomores, quel signe plus distinctif du printemps avons-nous d’autre que ces stupides Moutons avec, à leurs côtés, leurs agneaux frisés aux longues jambes ? Les toisons blanches éparpillées sur la pelouse verte sous le ciel bleu vif, également parsemé de doux cumulus, sont un parfait présage du printemps, surtout quelques semaines plus tard, lorsque l’Aubépine et le Pommier déploient leurs pétales de neige parmi les haies fraîchement reverdies, car

“Le printemps est tout de blanc vêtu,
Vêtu de blanc comme le lait :
Dans des flots de lumière
Les nuages blancs s’égarent dans le ciel :
Les papillons blancs dans l’air ;
Les Marguerites blanches taquinent le sol :
Les Cerisiers et les Poiriers
Dispersent leurs neiges autour d’eux.”

Robert Seymour Bridges

Toutefois, à l’heure actuelle, nous venons à peine de dire adieu aux neiges hivernales, et les vents impétueux du mois de mars font obstacle à une floraison trop précoce ; dans le même temps, ces derniers assèchent et fragmentent le sol, le rendant ainsi prêt à recevoir les graines

“Qu’il répandait sur la terre en passant.”

« Un grain de poussière de mars vaut la rançon d’un roi” , de plus, “jamais pluie au printemps, ne passe pour mauvais temps”, et le tonnerre de mars promet l’abondance car “Quand au mois de mars il tonne, Bacchus nous remplit la tonne.”

Dans les haies et les jardins, les oiseaux s’affairent à la préparation de leurs nids. La Grive et le Merle, deux bâtisseurs précoces, placent une couche de boue protectrice à l’intérieur de la cloison de leur nid. Dans le cas de la Grive, cette boue est mélangée à de la mousse, du bois pourri, etc., et étalée pour former une couche lisse. Le Merle, lui, recouvre la boue d’une deuxième couche d’herbe très fine et de crin. Les deux oiseaux élèvent deux, voire trois, couvées par an, et les Grives les plus âgées aident parfois à nourrir la famille la plus jeune. L’Accenteur mouchet produit de jolis œufs bleu-vert. Ce petit oiseau (Accentor modularis) n’a aucun lien de parenté avec le Moineau domestique, auquel il ressemble par sa coloration. Il fait partie de la famille des Fauvettes, qui comprend la Fauvette à tête noire, la Fauvette grisette, la Fauvette des jardins, la Fauvette des roseaux et la Fauvette des marais. Elles sont toutes des oiseaux insectivores au bec et aux pieds fins. En plus de la différence du bec et de la silhouette, l’Accenteur mouchet se distingue des autres par sa curieuse petite habitude de se nourrire uniquement à terre, en se déplaçant au ras du sol par des vols furtifs et de petits bonds, lui valant le surnom de “traîne-buisson”. 

Les autres oiseaux qui construisent des nids en ce moment sont le Rouge-gorge, la Pie et le Canard sauvage. La Pie (Pica rustica) est facilement reconnaissable à son plumage noir et blanc et à sa longue queue noire. Celui qui prend un nid de Pie n’obtient rien de bon, et l’oiseau lui-même est un oiseau de mauvais augure lié aux sorcières et, en tout cas en Suède, sous le patronage du Diable lui-même, la pie étant d’ailleurs l’un des attributs de Hel, la déesse de la mort dans la mythologie nordique. Elle a aussi été taxée de voleuse, car elle pratique le cleptoparasitisme en dérobant des proies à d’autres oiseaux ou mammifères. Les hommes appréciant souvent d’humaniser les bêtes, la croyance populaire a longtemps attribué à la pie, ce caractère de cleptomane, l’accusant de voler les objets brillants et même les bijoux chez certains, même si une étude récente dément cette tendance.

Pour quelques uns encore, voir une pie reste un signe de malheur, mais en voir deux ou plus peut être une toute autre affaire, comme dans cette comptine des pays du Nord qui compte ainsi :

« Un le chagrin, deux la joie,
Trois un mariage, quatre une naissance,
Cinq le paradis, six l’enfer,
Sept, le malheur est là. »

A l’inverse, en Asie, les pies seraient porteuses de joie. Un mythe nous raconte qu’elles formaient un pont à travers la Voie lactée et permettaient aux amants séparés de se rencontrer. En raison de son plumage noir et blanc, la pie a aussi été un symbole du yin et du yang. En Corée elle est considérée comme l’animal national qui, dans les contes, protège les faibles et ceux qui sont sans défense.

En France, “Quand on voit une pie, tant pis ; quand on en voit deux, tant mieux.” 

Ce proverbe français nous rappelle que lorsque les pies volent par deux, cela signifie que le printemps va arriver car c’est le temps des nids. Tandis que lorsqu’elles volent seules, c’est l’annonce du mauvais temps qui revient.

Dans la plupart des départements français, la pie bavarde, en tant que corvidé, est considéré comme une espèce “à risque”, le nouveau terme juridique pour les “nuisibles”, qui prend en compte leur services écosystémiques : élimination des cadavres, régulation de certaines de leurs proie etc Bien que protégée dans de nombreux pays d’Europe occidentale, cet oiseau mal-aimé, est considéré comme “régulable par piégeage” sur le territoire français. Son nid est généralement placé sur un arbre élevé dans les bois, mais dans d’autres pays, les buissons et les arbres proches des habitations sont aussi fréquemment choisis. Des nids ont, par exemple, été trouvés sur les poteaux devant la maison d’un mandarin et dans la cime d’un cacaoyer. Le nid est ingénieusement tissé de brindilles et de boue, et tapissé de fines racines. Il est recouvert d’un dôme de rameaux, un petit trou étant laissé sur le côté pour que l’oiseau puisse entrer et sortir, et toute la structure est protégée par des épines acérées.

A présent, le Faisan chante dans les bois, des canetons et des oisons duveteux apparaissent dans les cours des fermes. La Grive litorne et d’autres visiteurs hivernaux retournent sur le Continent, le Traquet motteux et le Torcol fourmilier arrivent ; peut-être aussi l’Hirondelle la plus précoce.

Le Traquet motteux (Saxiola œnanthe) fréquente les terrains ouverts – les marais, les bergeries, les champs labourés et les côtes sont ses lieux de prédilection ; un tas de pierres, un terrier de lapin ou un tas de tourbe séchée sont des sites choisis pour les nids. Le Traquet motteux se reconnaît facilement à la blancheur de sa queue et de ses parties inférieures, ainsi qu’à sa rayure noire de l’oreille au bec : “cet oiseau s’est noirci l’œil pour s’en aller”, disent les garçons. Son chant est doux mais léger, composé de quelques notes seulement, qui sont généralement émises en vol.

Le Torcol fourmilier (Lyngidœ torquilla) est connu pour être le compagnon du Coucou, en raison de son apparition, peu de temps avant cet oiseau. C’est aussi l’arrivé de l’Anhinga, avec sa curieuse habitude d’allonger son cou, d’étendre les plumes de sa tête et de siffler vigoureusement lorsqu’un intrus s’approche de son nid, tout en faisant entrer et sortir sa langue à la manière d’un serpent. On n’en connaît que quatre espèces, dont une habite l’Europe et l’Asie, et les trois autres sont concentrées sur l’Afrique. On pense que l’espèce européenne (Lyngidœ. torquilla) hiverne en Afrique du Nord, son aire de répartition s’étendant jusqu’à l’Abyssinie à l’est et la Sénégambie à l’ouest. Ses œufs sont pondus sur le bois tendre au fond de trous dans les arbres, sa langue flexible est particulièrement adaptée pour attraper les fourmis, son principal aliment.

Outre les Fourmis, les Abeilles sont réveillées et l’on peut trouver diverses chenilles, notamment celles du Tabac d’Espagne, du Grand papillon blanc, de la Frangée et de l’Écaille martre, cette dernière créature à fourrure étant connue de tous ici sous le nom d’Ours laineux. La Couleuvre à collier ou la Couleuvre verte font leur apparition, la Taupe soulève de petits tas de terre, les Écureuils courent agilement d’un rameau à l’autre, le Hérisson chasse pendant les soirées chaudes, tandis que

“Le prudent poisson 
Qui, pendant tous les mois d’hiver, s’est caché
Au fond des ruisseaux, remonte à la surface,
Charmé par la douce influence du soleil,
A la poursuite de divers mouches et moucherons
Qui planent au-dessus de la surface.”

Le Grand Campagnol ou Rat taupier (Arvicola amphibius) traverse rapidement le fossé à la nage pour rejoindre le nid douillet de la rive où se trouvent sa compagne et ses petits. La Loutre, elle aussi, dans son repaire ou sa “hutte”, près de l’eau, sous les racines d’un arbre en surplomb ou dans une fente rocheuse, possède un nid douillet fait d’herbe et de graminées dans lequel les petits, nés en mars ou avril, sont soigneusement gardés par la mère. La Loutre européenne (Lutra vulgaris), un animal nocturne et qui n’hiberne pas, appartient à la même famille que le Blaireau et la Belette. Cette espèce sera bientôt exterminée en raison de ses habitudes de consommation de poissons. Izaak Walton, l’auteur anglais du Parfait Pêcheur à la ligne, après la description d’une chasse à la Loutre, nous dit que la “bête-poisson peut marcher sur terre sur une distance de cinq, six ou dix milles en une nuit”, qu’elle “dévore beaucoup de poissons, en tue et en gâte beaucoup d’autres” et que “sa peau vaut dix shillings pour faire des gants”. La belle fourrure, qui est aujourd’hui principalement utilisée pour les garnitures, est de bonne qualité, le duvet est doux et d’une couleur grisâtre nuancée de brun, entrecoupé de longs poils épais d’un riche châtain, tandis que les parties inférieures du corps sont blanches. Les oreilles sont petites, les pieds sont palmés et munis de griffes, et les narines sont formées de telle sorte qu’elles peuvent être fermées lorsque la créature plonge. En tant qu’animal aquatique, la Loutre était considérée comme du poisson, et sa chair, que l’on dit très appétissante, était autorisée les jours de jeûne.

Sous la chaleur croissante du soleil, les Aulnes, les Érables, les Bouleaux et les Tilleuls étendent rapidement leurs feuilles. Les bourgeons des Marronniers d’Inde se gonflent ; l’Orme est couvert de petites fleurs roses ; l’Orme de montagne, parfois appelé Noisetier de montagne (Ulmus montana) est également en fleur ; et les différents Peupliers étendent leurs chatons. Ceux du Peuplier noir (Populus nigra) ressemblent beaucoup à de jeunes chenilles rouges lorsqu’ils se retrouvent au sol, après un vent fort. Le mince pétiole de la feuille du Tremble (Populus tremula), en conjonction avec la largeur de la feuille, provoque le mouvement de frémissement constant auquel fait allusion son nom scientifique latin de tremula et qui est expliqué, dans la fantaisie populaire, par l’idée que le bois de la Croix de Jésus Christ aurait été fabriqué à partir de cet arbre. Mais voici une légende moins connue: “À l’heure terrible de la Passion, de l’arbre le plus haut à la fleur la plus basse, tous ont ressenti un frisson soudain et ont baissé la tête en tremblant – tous sauf le Tremble fier et obstiné, qui a demandé : ‘Pourquoi devrions-nous pleurer et trembler ? Nous, les arbres, les plantes et les fleurs, nous sommes purs et n’avons jamais péché !’ Avant qu’il ne cesse de parler, un tremblement involontaire s’est emparé de chacune de ses feuilles, et la parole s’est répandue qu’il ne devrait plus jamais cesser, mais trembler jusqu’au jour du Jugement.”

Les fleurs du Prunellier (Prunus spinosa) ressemblent à celles de l’Aubépine, bien qu’elles soient plus grandes et moins en forme de coupe ; elles se distinguent toutefois facilement de ces dernières, car chez le Prunellier, les fleurs apparaissent avant que l’arbre ne soit en feuilles. Le noir de son nom anglais “Blackthorn”, fait référence à la couleur de son écorce, différente de celle, plus claire, du “Whitehorn” ou de l’Aubépine. L’Anémone des bois, la Violette, le Narcisse, le Souci des marais, le Lierre terrestre, la Petite Pervenche, la Gagée jaune, la Véronique à feuilles de lierre, l’Euphorbe des bois, la Dorine, ainsi que le Cresson doré, la Cardamine hirsute et la petite Luzule champêtre viennent compléter notre liste de fleurs. Parmi les plantes locales, on trouve la Nivéole de printemps (Leucojum vernum)- dans le Dorsetshire ; la Boechera stricta (Arabis stricta) – à Bristol et Cheddar ; la Drave faux Aïzoon (Draba aizoides) – dans les rochers près de Pennard Castle, près de Swansea ; Le Gui, dans le sud de l’Angleterre ; et la rare Hutchinsie des rochers (Hutchinsia petræa), ainsi nommée par Miss Hutchins, une botaniste irlandaise, et visible sur les rochers calcaires, principalement dans les comtés de l’ouest.

L’Anémone des bois ou Anémone Sylvie (Anemone nemorosa) tire son nom du grec “anemos” (ἀνεμος), “vent” , car les fleurs s’agitent au vent et leurs arrêtes plumeuses en indiquent la direction. . D’après le mythe grec, Anémone était la plus belle des nymphes. Le dieu du vent, Zéphyr, tomba sous son charme ce qui suscita la jalousie de son épouse, la déesse Flore. Cette dernière éloigna la jeune fille de son mari, mais il retrouva Anémone grâce à son parfum prononcé. De rage, Flore transforma la nymphe en fleur et lui ôta son parfum. Depuis, l’anémone danse avec le vent et on dit qu’elle ne s’épanouit pleinement que lorsque souffle un léger zéphyr.. Il existe une autre version de l’histoire : Zéphyr aurait abandonné Anémone à son frère Borée, “qui, incapable de gagner son amour, flétrit, par la rudesse de son étreinte, ses charmes à peine dévoilés”. Une autre vieille légende nous dit encore que la fleur serait le fruit de la mort d’Adonis, alors dieu de la végétation et de la nature : un jour, chassant sur le Mont Liban, Adonis affronta un sanglier. L’animal blessé le chargea et le jeune homme s’effondra, blessé mortellement à la jambe. Vénus aurait versé autant de larmes qu’Adonis perdit de gouttes de sang ; de chaque larme de Vénus naissait une rose et de chaque goutte de sang d’Adonis naissait une anémone.

Une autre légende encore, nous dit que, lorsque la déesse en deuil errait dans les forêts, Zéphyr, prenant pitié de sa détresse, transforma ses larmes en fleurs.

“Fleurs du vent, 
Si ravissantes,
Larme tombée de l’œil de Vénus,
Notre anémone des bois.”

Les Allemands appellent cette fleur Windröschen, la petite rose des vents, et les Hollandais Paschbloem, la fleur de Pâques. Notre propre Anemone pulsatille (Anemone pulsatilla) est une espèce rare d’anémone aux fleurs lilas, qui pousse dans les hauts pâturages. On trouve parfois deux autres espèces, l’Anémone jaune (Anemone ranunculoides) et l’Anémone bleue des Apennins (Anemone apennina), mais seulement comme des solutions à la culture. Les Anémones ne possèdent pas de pétales, les grands sépales colorés forment la fleur, et sous la fleur se trouvent trois bractées feuillues. La plante, qui possède une feuille trifoliée, est un symbole de la Sainte Trinité et est connue sous le nom de Herba Trinitatis. C’est également une fleur de fée, ses marques violettes sont attribuées aux doigts de fée, tandis que, la nuit et par mauvais temps, on dit qu’un petit elfe se niche confortablement dans cet abri en forme de cloche. Une vieille superstition recommande de conserver la première Anémone vue dans l’année comme un charme contre la maladie, raison pour laquelle

“La première anémone du Printemps
En sûreté dans son pourpoint,
Le protègera des dérangements,
Sur son chemin.”

L’anémone écarlate, connue sous le nom de Goutte de Sang du Christ, est l’une des gloires de la Palestine au printemps, et aurait poussé au pied de la Croix où le sang sacré coula et lui donna sa teinte.

La Violette odorante (Viola odorata) est la fleur de l’amour et de la mort. John Milton, auteur du poème épique Le Paradis perdu, nous dit que, 

“Sous les pieds la violette, le safran, l’hyacinthe, en riche marqueterie brodaient la terre, plus colorée qu’une pierre du plus coûteux dessin.” 

Tandis que pour le cercueil de Lycidas**, il demande “la rougissante violette”. Le poète Edmund Spenser, lui,  parle de “la violette bleue” comme étant l’une des fleurs formant “le bouquet du marié”. Enfin, la Marina de Shakespeare apporte des violettes pour les accrocher sur la tombe de sa nourrice (dans Périclès, Acte IV, Sc. I.). Et puis, qui pourrait bien oublier la référence touchante de la pauvre Ophélie (dans Hamlet, Acte IV. Sc. 5) ? Les Grecs et les Romains tenaient cette plante en haute estime, et Mohammed estimait qu’elle surpassait toutes les autres fleurs. Chez les Scandinaves, c’était la fleur de Tyr, le dieu de la guerre, et c’était l’emblème préféré de Frédéric Ier d’Allemagne et de Napoléon 1er, qui était connu de ses partisans sous le nom de “Caporal Violette” : durant l’exil de Napoléon 1er à l’île d’Elbe, en 1814, soit une année avant son abdication, les Bonapartistes choisirent, comme emblème, la violette à cause du dernier message de Napoléon à ses supporteurs après la Capitulation de Paris. Il leur disait qu’il reviendrait avec les violettes. Ils surnommèrent donc Napoléon « Caporal Violette », du nom de cette petite fleur qui revient avec le printemps. Enfin, Pline, l’écrivain et naturaliste de la Rome antique, recommandait une guirlande de violettes pour prévenir et guérir les maux de tête, elles sont d’ailleurs toujours utilisées en médecine et en confiserie.

Le Narcisse jaune (Narcissus pseudo-narcissus) appartient, comme le Perce-neige, à la famille des Amaryllidacées. Son nom scientifique vient du grec “narkissos” (νάρκη),l “torpeur”, en allusion aux qualités narcotiques de la plante qui, selon Homère, “réjouit le ciel, la terre et les mers par sa beauté, mais en même temps, provoque stupidité, folie et même la mort.” En référence au rapt de Perséphone : “Il se trouvait là une plante merveilleuse à voir, un narcisse que Gaïa avait fait pousser comme un crocus. Transportée de joie, je le cueillis ; mais au-dessous la terre s’entrouvrit, le roi insatiable en sortit et, malgré ma résistance, m’emporta sous terre dans son char d’or.” Comme l’Anémone et le Crocus, il tient son nom d’une légende : un beau jeune homme bœotien que Némésis rendit amoureux de son propre reflet, et à cause duquel, à force de se mirer, il tomba dans l’eau et se noya. Nous ne savons toujours pas exactement si c’était bien un Narcisse qui fit tomber Perséphone dans le char d’or d’Hadès.

En France la fleur est connue sous le nom de Jeanette jaune, Jenny jaune, et Narcisse des prés. Comme la Violette, le Narcisse est une fleur funeste, dont Milton parle ainsi :

“Le narcisse de pleurs emplisse son calice,
Pour joncher le cercueil lauré de Lycidas.”

et l’autre poète anglais, Robert Herrick promet que

“En chantant ton chant funeste, nous déposerons
Le Narcisse
Et d’autres fleurs, sur
L’autel de notre amour, ta pierre.”

Tandis que William Wordsworth clame : 

« J’errais solitaire comme un nuage
Qui flotte au-dessus des vallées et des monts,
Quand tout-à-coup je vis une nuée,
Une foule de narcisses dorés ;
À côté du lac, sous les branches,
Battant des ailes et dansant dans la brise. »

Le Souci des marais (Caltha palustris) les “bourgeons souriants de Marie” de Shakespeare, est ainsi appelé à partir du Souci officinal (Calendula officinalis) l’or de Marie, car cette espèce est en fleur lors des différentes fêtes de la Sainte Vierge, qui l’aurait portée sur sa poitrine. Le nom botanique vient du grec κἀλαθος, “coupe”, en allusion à la forme de la fleur qui, comme celle de l’Anémone, est dépourvue de pétales, les coupes dorées étant formées par les sépales de couleur vive. Ses autres noms anglais sont May blob, Goul, Goulan, Water-dragon, Horse-blob, etc. En Allemagne, c’est la Dotterblume, la fleur du jaune d’œuf ; en Italie, le Fiorrancio, la fleur de couleur orange ; en Hollande, le Goudbloem, la fleur d’or ; en Espagne, la Yerba centella ; en France, la Caltha des marais, le Populage ou la Coupe des marais ; tandis que c’est la Cowslip des États-Unis. On dit que si le Souci des marais n’a pas ouvert ses fleurs à sept heures du matin, on peut s’attendre à de la pluie ou du tonnerre. Les bourgeons verts non ouverts sont parfois utilisés comme substitut aux câpres.

Le Lierre terrestre (Nepeta glechoma) est abondant dans toutes les haies, et est décrit ainsi par l’évêque d’Irlande Richard Mant (écrivain prolifique sur l’Histoire de l’église d’Irlande)

« Et là, sur le gazon en contrebas
Les fleurs violettes du lierre terrestre apparaissent,
Comme le casque d’un chevalier Croisé,
Portant ses anthères blanches en forme de croix. »

Cette plante, appartient au même genre que la Menthe des chats (cataire), a une forte odeur aromatique et était autrefois utilisée à la place du Houblon.

Le nom scientifique de la Petite Pervenche (Vinca minor) est dérivé du latin vincio, “relier”, en raison de ses longues tiges tombantes, et la Grande Pervenche (Vinca major) est une espèce naturalisée, puisqu’elle s’est installée naturellement en Grande Bretagne.

La Dorine à feuilles opposées (Chrysosplenium oppositifolium) est une petite plante de deux à six pouces de hauteur, avec des fleurs vert jaunâtre en grappes plates. Comme la Dorine à feuilles alternes ou Cresson doré (Chrysosplenium alternifolium), elle pousse dans les milieux humides ; la disposition différente des feuilles, opposées dans un cas, alternes dans l’autre, permet de distinguer l’espèce. Une autre plante humble est la Cardamine hirsute (Cardamine hirsuta) dont les minuscules fleurs blanches sont communes un peu partout. Elle varie de six à dix-huit pouces, et peut être reconnue par ses longues gousses, qui s’enroulent et dispersent les graines à une distance considérable. La Luzule champêtre (Juncoides campestre) est également connue sous le nom d’herbe du Vendredi Saint et des ramoneurs, car les grappes de petites fleurs brunes et noires rappellent le balai des ramoneurs ; les feuilles sont étroites et velues. On aimerait bien s’attarder parmi les plantes les plus rares, mais comme les stupides moutons, nous devons nous éloigner, ne nous arrêtant qu’un instant pour admirer notre jardin ou celui d’un voisin.

“Si délicate, si aérienne, 
L’amande sur l’arbre,
Les fleurs roses qu’une bonne fée
Aura fait pour toi et moi.
Un petit nuage de roses,
Dans un monde de gris,
La fleur d’amande se dévoile,
Un jour sauvage de Mars.”

[Katharine Tynan]

Notes supplémentaires de la traductrice :

*L’Hellespont est l’ancien nom du détroit des Dardanelles qui relie la mer Égée au nord-est à la Propontide (mer de Marmara) et sépare l’Europe de l’Asie mineure. Référence au grand bélier à la toison d’or duquel est tombé Hellé qui donna son nom à l’Hellespont.

** Lycidas est un poème en langue anglaise de John Milton, écrit en 1637 dans la forme d’une élégie pastorale. Le poème a une longueur de 193 vers et est irrégulièrement rimé.

Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction et adaptation ©2022 Charlotte Roman. Révisions et Relecture Maeva Dauplay)

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