Note de Charlotte Mason Poetry par Art Middlekauff : Charlotte Mason a écrit dans L’Éducation à la maison : « À l’âge de six ou sept ans, il faut commencer à donner des leçons précises »1 Qu’en est-il alors des enfants de moins de six ans ? Existe-t-il une éducation Charlotte Mason pour eux ? Cette question a suscité des discussions et des débats sans fin. Heureusement, Charlotte Mason elle-même a apporté quelques éclaircissements en 1917. En tant que rédactrice en chef de la revue The Parents’ Review, elle décida que le numéro de juillet de cette année-là serait le « Baby Number ». Elle a fait appel à ses penseurs et amis les plus fiables pour qu’ils se joignent à elle afin de donner des conseils spécifiques pour les premières années :

Mais la mère aussi a ses tâches ; elle n’a pas à se mêler de l’esprit de l’enfant, de ses soi-disant « facultés », mais elle doit former les habitudes d’une vie décente et ordonnée, et le former à l’obéissance, à la propreté et à la maîtrise de soi. Fort heureusement, il revient à d’autres auteurs de notre « numéro bébé » d’expliquer comment tout cela doit être fait2.

Comme toujours dans une éducation Charlotte Mason, nous commençons à l’extérieur. En ce qui concerne la question de la nature dans les premières années, Charlotte Mason a fait appel à Janet R. Smith. Mme Smith était une ancienne élève distinguée de la House of Education qui avait été chargée de parler de « Comment nous enseignons la géographie » lors de la conférence de la PNEU quatre ans plus tôt. Mme Smith a rédigé l’article « La nature dans la nursery », qui s’est avéré avoir une valeur qui dure pour la P.N.E.U. En fait, il a été réimprimé avec de légères modifications dans la Parents’ Review de juin 1956. Aujourd’hui encore, nous pensons qu’il peut aider les parents à voir comment les activités dans la nature peuvent éveiller les sens de leurs petits et accroître leur « révérence envers le Grand Donateur de tous Dons Excellents »3.

Note de la traductrice : Vous pouvez retrouver le premier article de ce numéro traduit par l’équipe de Charlotte Mason France ici.

Par J. R. Smith
The Parents’ Review, 1917, pp. 538-542

Il est certain qu’une nursery dans laquelle Mère Nature est une étrangère ou presque doit être un endroit misérable ! Triste est l’enfant qui est coupé, ne serait-ce qu’en partie, de toutes les joies qu’elle apporte avec elle. C’est pourquoi la P.N.E.U. souhaite qu’elle soit l’amie constante de nos enfants dès leur plus jeune âge.

Nous voulons qu’ils ressentent

« […] un Pouvoir au regard toujours près

Qui l’enflamme ou qui [les] contraigne. »

Et

« […] le parfum qui s’exhale des bois,

Le doux parfum des fleurs sans pensée et sans voix,

[…] leur joyeux silence. »

L’enfant de la nursery passe la plupart de son temps à l’extérieur, et ce à juste titre. Il est donc facile de l’aider à devenir ami avec Mère Nature.

Quel enfant n’aime pas cueillir des fleurs ? Il se présente à vous avec son petit bouquet, et c’est le moment de lui apprendre le nom de chaque fleur qu’il contient. Il est rare qu’un jeune enfant fasse un bouquet très varié, de sorte qu’une répétition constante des noms des deux ou trois fleurs qu’il cueille les fixera bientôt dans sa mémoire. Puis, se rendant compte que les fleurs ont des noms, et ayant peut-être entendu parler de certaines des vieilles légendes les concernant, il voudra immédiatement en savoir plus, et il vous apportera continuellement de nouvelles fleurs à nommer et à raconter. Permettez-moi d’ajouter ici que pour un débutant dans l’étude des fleurs, je trouve que Flowers of the Field [Les fleurs des champs] de Johns, publié par George Routledge, au prix de 7s. 6d.4 (avant la guerre), est d’une valeur inestimable, du moins c’est ce que j’ai constaté moi-même. Lors d’une promenade, un bon jeu consisterait à demander aux enfants de voir combien de fleurs ou de feuilles différentes ils peuvent cueillir en un temps donné, disons dix minutes. Cela développerait leur sens de l’observation et les aiderait également à apprendre le nom des fleurs, car vous nommeriez et diriez quelque chose à propos de chaque fleur du bouquet.

D’ailleurs, quel meilleur moyen d’enseigner les couleurs que par les fleurs ? Un bébé de vingt mois avait l’habitude de se promener avec moi et apprenait toutes les couleurs principales à partir des fleurs. Peu importe le nombre de fleurs jaunes différentes que vous lui montriez, et le nombre de fleurs de couleurs différentes entre deux, il reconnaissait toujours le jaune quand il le voyait, et il en allait de même pour le rose, le rouge, le bleu et le vert. Il dodelinait dans le jardin en nommant les différentes couleurs des fleurs qu’il croisait. Jusqu’à l’âge de six ans, la formation de l’enfant doit être essentiellement sensorielle. L’un des sens les moins cultivés est l’odorat. Là encore, les fleurs sont là pour nous aider. Laissez l’enfant de la nursery cueillir quelques fleurs odorantes – disons la primevère, l’orchis et la croisette, pour commencer. Dites-leur de sentir attentivement chacune d’entre elles. Ensuite, faites-leur fermer les yeux et sentir à nouveau, et voyez s’ils savent laquelle est laquelle. Vous verrez que les enfants adorent faire cela et qu’ils seront très vite capables de distinguer les fleurs sans problème.

Aucune nursery ne devrait être dépourvue de vases de fleurs des champs au printemps et en été, de gerbes de feuilles et de baies en automne et, en hiver, de rameaux de différents arbres, qui vivent très heureux dans l’eau de la fin octobre à février, lorsque les bourgeons commencent à éclater en feuilles, à condition que l’eau soit changée environ une fois par semaine et qu’un petit morceau soit coupé à l’extrémité de chaque rameau de temps en temps, disons environ quatre fois en tout. Les enfants eux-mêmes devraient apprendre à cueillir les fleurs avec de belles et longues tiges, et ils devraient également aider à les disposer dans les vases. Les plus grands peuvent faire un vase tout seuls. Permettez-moi d’ajouter une chose : j’estime que les enfants ne devraient pas être autorisés à cueillir des fleurs et les jeter, mais ils doivent apprendre dès le plus jeune âge que les fleurs sont des êtres vivants – cadeau de Celui qui donne tout, et qu’elles doivent donc être traitées avec respect.

Les enfants trouveront un grand plaisir dans un jardin d’intérieur. Un jour de pluie, demandez à la cuisinière une vieille assiette et à la nourrice un morceau de flanelle. Donnez aux enfants un paquet de graines de moutarde et un autre de cresson, et montrez-leur comment les planter sur la flanelle mouillée – le cresson d’abord, et la moutarde trois jours plus tard. Comme ils regarderont avec anticipation les graines germer et comme ils seront fiers de pouvoir offrir à leur mère de la moutarde et du cresson pour le thé. Qu’ils aient aussi une bonne boîte en bois remplie de sciure de bois, dans laquelle ils pourront planter des fèves et des haricots, ainsi qu’un ou deux glands et une châtaigne. Les haricots peuvent être conservés dans la sciure jusqu’à ce qu’ils deviennent assez gros, mais les glands et les châtaignes doivent être plantés en terre dans un pot, dès l’apparition de la radicelle, et ils atteindront alors une bonne taille au cours de l’été. Ils doivent être plantés à la fin du mois d’août et les enfants pourront alors observer leur croissance dans le jardin.

Une fois, nous avons cultivé des haricots d’Espagne dans des pots à Londres, et nous les avons entraînés à pousser sur les côtés de la fenêtre de la salle de classe. Ils sont montés jusqu’en haut et ont fleuri en août. Ainsi, même les citadins peuvent faire entrer la nature dans leur nursery ! Un autre amusement pour les journées pluvieuses, pour les enfants plus âgés, est de peindre ou de dessiner à la craie des fleurs et des feuilles. Un livre semblable à celui utilisé par les plus jeunes enfants de l’école de l’Union des parents serait une grande source de plaisir et de fierté. Il s’agit d’un livre ligné, intercalé avec du papier à dessin, de sorte que d’un côté l’enfant peut peindre, tandis que de l’autre, la mère ou la nourrice peut écrire toute chose spéciale que le propriétaire du livre a remarquée, comme la première tulipe vue, une grive chantant sur un pommier, ou un nid de bruant des haies, le nombre d’œufs, de quelle couleur, etc. La fierté et l’intérêt de l’enfant pour un tel livre seraient grands, et il serait toujours à l’affût de quelque chose à noter, de fleurs fraîches, ou d’autres éléments à peindre. Peu importe que ses dessins soient grossiers au début ! Avec un peu d’aide pour mélanger les peintures et un peu d’entraînement pour utiliser correctement son pinceau, il sera bientôt en mesure de montrer un travail tout à fait honorable.

Il est possible d’apprendre à de très jeunes enfants à connaître nos oiseaux communs si l’on veut bien se donner la peine de les y aider. En hiver, une excellente idée consiste à laisser les enfants de la nursery déposer les miettes5 à la « table des oiseaux » après chaque repas. La table doit être placée de façon à pouvoir être observée d’une fenêtre accessible aux enfants. Ils prendront beaucoup de plaisir à observer les différents visiteurs et apprendront bientôt à les distinguer. Au printemps et en été, lorsqu’ils jouent dans le jardin ou la prairie, que leur attention soit attirée par une grive ou un merle qui chante sur un arbre, une mésange bleue ou un rouge-gorge qui voltige le long d’une haie, et ainsi de suite. Ils apprendront bientôt à garder le silence pendant un moment ou deux, pour voir et observer un ami à plumes. Si la mère ou la nourrice surveille attentivement les nids, imaginez la joie des petits lorsqu’ils découvrent ce merveilleux trésor, et celle des plus grands lorsque, grâce à de petites indications, ils sont capables de trouver le nid eux-mêmes. Faites-leur comprendre, alors qu’ils sont encore bébés, que ces beaux petits œufs vont devenir des bébés-oiseaux et qu’il ne serait pas gentil de les enlever à maman-oiseau, mais bien plus intéressant de les voir éclore.

Encouragez toujours les enfants à observer les araignées, les abeilles, les fourmis et les papillons, et dites-leur tout ce que vous pouvez sur leur merveilleux mode de vie. On m’a dit que dans les ruches modernes, on peut observer les abeilles au travail. Imaginez comme les enfants seraient ravis de les voir travailler dans votre propre ruche ou dans celle d’un voisin bienveillant, surtout si quelqu’un leur expliquait ce qu’elles font et s’ils avaient entendu parler au préalable des merveilleuses façons de vivre des abeilles. Il y a aussi les fourmis. Il est relativement facile de trouver une fourmilière dérangée, et la joie des enfants serait intense s’ils pouvaient voir les fourmis nourricières s’enfuir vers un endroit sûr avec leur charge. Quant aux papillons, j’ai connu un garçon de cinq ans qui est resté immobile pendant dix minutes en regardant un papillon siroter le nectar des fleurs d’un parterre de jardin.

Les têtards sont une grande joie, surtout pour les petits garçons, qui passent un long moment à observer leurs mouvements. Dans une cloche en verre, telles que les jardiniers utilisent pour recouvrir les plantes délicates, on peut conserver un aquarium très intéressant. Il suffit de fabriquer un support à partir d’un bloc de bois pour le maintenir debout. Une telle cloche pouvait être achetée pour 1/66 avant la guerre. Ne mettez pas plus d’une demi-douzaine de têtards, quelques escargots d’eau, qui agissent comme des charognards et aident à garder l’aquarium doux et propre, quelques larves de trichoptères et quelques lentilles d’eau ou autres plantes aquatiques vertes pour oxygéner l’eau. Un coléoptère aquatique peut être gardé dans un pot de confiture en verre d’un kilo, car il est trop vorace pour être gardé avec les autres créatures. Il doit être nourri de très petits morceaux de viande attachés à l’extrémité d’un morceau de coton, afin que les restes puissent être enlevés et que l’eau reste propre. C’est une créature très intéressante et très belle à observer, avec sa grosse bulle d’air qu’il emporte avec lui partout où il va.

Vous serez amplement récompensés du travail que vous aurez effectué pour créer l’aquarium par le plaisir des enfants et les nombreux quarts d’heure de tranquillité qu’ils passeront à observer les performances de leurs amis aquatiques.

Les vers à soie sont des créatures très intéressantes à observer pour les enfants, et ils sont assez faciles à élever, à condition de disposer de feuilles de mûrier ou de laitues. Commençons par les œufs, car il sera beaucoup plus intéressant pour les enfants de se souvenir des petits œufs lorsqu’ils verront l’énorme chenille juste avant qu’elle ne tisse son cocon. Gardez les chenilles dans une boîte avec un couvercle en verre, si possible, car les enfants peuvent ainsi aller les observer à tout moment, sans craindre qu’elles ne s’échappent. Placer les cocons dans des sacs en papier dans un endroit sûr, mais où les enfants peuvent les voir, et laisser au moins quelques-uns des cocons éclore pour donner naissance aux magnifiques vers à soie.

Si l’enfant de la nursery vit au bord de la mer, il a la possibilité d’acquérir une connaissance approfondie des oiseaux de mer, des créatures marines et des fleurs de bord de mer. Le bécasseau, bien sûr, est une source inépuisable d’intérêt et peut être observé si facilement, et comme il est amusant de voir le guillemot – un moment se balançant avec ses amis à la surface de l’eau, tout le groupe ressemblant à autant de bouchons de liège, et l’instant d’après, quand vous regardez, ils ont tous disparu sous l’eau, pour réapparaître dans un endroit tout à fait différent.

En été, les enfants seront ravis de voir le crabe se déplacer latéralement au fond d’une flaque chaude, ou l’étoile de mer se déplacer paresseusement, ou la belle anémone de mer ouvrir ses tentacules. Vous pourriez réussir à fabriquer un petit aquarium marin dans la cloche en verre, où les enfants pourraient observer les mouvements des différentes créatures marines pendant un jour ou deux à la fois, puis les ramener à la mer. Je changerais l’eau chaque fois que vous amenez de nouveaux visiteurs pour ainsi, je pense, éviter tout accident. Les enfants seraient très fiers de ramener quelques « bestioles » à la maison, et des habitudes de douceur et de gentillesse pourraient être inculquées parce qu’ils ne voudraient pas blesser leurs petits visiteurs sans défense.

Je pense en avoir dit assez pour montrer que nous avons raison de souhaiter faire de nos enfants de la nursery des amis de Mère Nature, car la joie qu’elle apporte est incalculable et les enfants seront reconnaissants toute leur vie à ceux qui leur auront montré le chemin vers le cœur de cette Grande Mère. Et, au fur et à mesure que la connaissance qu’elle apporte grandit et s’élargit, comme cela doit être le cas, la révérence envers le Grand Donateur de tous dons excellents s’installera en eux, et une gratitude constante les aidera et les fortifiera lorsque viendra leur tour de prendre part à la grande bataille de la vie.

Notes :

1 Mason, C., Home Education, p. 193.
2 Mason, C., « The Mind of a Child », dans The Parents’ Review, vol. 28, p. 522.
3 Smith, J., « Nature in the Nursery », dans The Parents’ Review, vol. 28, p. 542.
4 7 shillings 6 pence
5 Aujourd’hui, il est recommandé de ne pas donner de miettes de pain aux oiseaux, car celles-ci peuvent constituer un danger grave pour eux. Il vaut mieux déposer des graines pour oiseaux.
6 1/6 shilling

Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction ©2024 Sarah Eisele. Relecture : Magali Jacquet)

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