Note introductive de Maeva Dauplay : Dans son deuxième volume sur l’éducation, au chapitre 25, Charlotte Mason décrit longuement une « prise de conscience » qu’elle a eue lorsqu’elle a voyagé à Florence et qu’elle a visité la chapelle des Espagnols, un livre de John Ruskin en main. John Ruskin était en effet historien de l’art et avait passé de longs mois à étudier les fresques de cette chapelle. Parmi celles-ci se trouve « Le triomphe de Saint-Thomas d’Aquin », qui représente « le pouvoir éducateur de l’Esprit de Dieu en ce monde ». Charlotte Mason parle de « plan harmonieux et ennoblissant d’éducation et de philosophie » et explique dans son chapitre 5 que « la grande prise de conscience que nous devons faire est de réaliser que le Saint-Esprit est lui-même, personnellement, Celui qui transmet la connaissance, Celui qui instruit la jeunesse, Celui qui inspire le génie. Cette conception nous est si étrangère que nous considérons comme irrévérencieux le fait de penser que le Saint-Esprit coopère avec nous lorsque nous enseignons des notions telles que l’arithmétique. Mais les Florentins du Moyen Âge allèrent au-delà : ils croyaient non seulement que les sept Arts Libéraux étaient entièrement sous l’influence directe du Saint-Esprit, mais également que toute idée féconde, toute conception originale, qu’il s’agisse d’Euclide, de grammaire ou de musique, était une inspiration directe du Saint-Esprit. »

Charlotte Mason consacre un chapitre entier aux effets qu’a eue cette fresque sur sa vision de l’éducation, et la mentionne à nouveau dans son troisième volume. Il m’a donc semblé important d’en rapporter ici les photographies et détails, ainsi que les descriptions et réflexions de Ruskin. J’ai transcrit la traduction d’Eugénie Nypels et téléchargé les images depuis Web Gallery of Art. Si vous souhaitez en savoir plus sur la chapelle des Espagnols, je vous recommande également la lecture de cet article. Bonne lecture !

Edit : La descente de l’Esprit Saint

Juste au-dessus de la fresque représentant le triomphe de Saint-Thomas d’Aquin, il est important d’ajouter que se trouve une fresque complémentaire : le miracle de la Pentecôte, ou la descente du Saint-Esprit.

Charlotte Mason la décrit ainsi : « Au point le plus haut de la fresque, nous voyons le Saint-Esprit descendre sous la forme d’une colombe ; immédiatement en dessous, toujours dans la section haute de la voûte, se trouvent les disciples qui ont reçu Son inspiration pour la première fois [les 12 apôtres ; au centre est Marie] ; en dessous encore, se trouve la foule bigarrée de toutes les nations qui est amenée indirectement sous l’influence de cette première effusion ; et au premier plan se trouvent deux ou trois chiens, montrant que la création muette n’a pas été exclue du profit de la nouvelle grâce. » (Vol. 3)

Vue générale sur le triomphe de Saint-Thomas d’Aquin

Sur cette fresque se trouve représenté, par la main de Simon Memmi, le pouvoir éducateur de l’Esprit de Dieu en ce monde, tel que le comprenait alors Florence.

Dans la pointe de l’arc, se trouvent les trois Vertus Évangéliques. Sans elles, dit Florence, vous ne pouvez posséder aucune science. Sans Amour, Foi et Espérance… pas d’intelligence.

Sous celles-ci, sont rangées les quatre Vertus Cardinales.

Tout le groupe est disposé ainsi :

A

B C

D E F G

A. Charité. Des flammes jaillissent de sa tête et de ses mains.

B. Foi. Elle tient la croix et le bouclier qui éteint les traits de feu. Ce symbole, que les invocations de saint Paul à la foi individuelle ont souvent inspiré aux peintres modernes, se rencontre rarement chez les primitifs.

C. Espoir, tenant une branche de lys.

D. Tempérance. Elle tient en bride un poisson noir, sur lequel elle est debout.

E. Prudence, tenant un livre.

F. Justice, avec la couronne et le sceptre.

G. Force, avec la tour et le glaive.

Au-dessous, se trouvent les principaux prophètes et les apôtres. À gauche : Job, David, saint Paul, saint Marc et saint Jean ; à droite : saint Matthieu, saint Luc, Moïse, Isaïe et Salomon. Au milieu des Évangélistes, saint Thomas d’Aquin assis sur un trône Gothique. À ses pieds, les hérétiques, représentés par Arius, Sabellius et Averroès.

Sous la ligne des prophètes, comme des puissances évoquées par leurs voix, sont rangées les figures symboliques des sept sciences théologiques, ou spirituelles, et des sept sciences géologiques, ou naturelles. Aux pieds de chacune d’elles, se trouve le Maître qui l’enseigna le mieux au monde.

La première des sept Sciences Terrestres, en commençant par la droite est la Grammaire. Il faut lire ces sciences comme suit, de droite à gauche :

1. Grammaire ; au-dessous, Priscien. 

2. Rhétorique ; au-dessous, Cicéron.

3. Logique ; au-dessous, Aristote.

4. Musique ; au-dessous, Tubal-Caïn.

5. Astronomie ; au-dessous, Zoroastre. [Il existe un doute sur le personnage représenté. Dans une autre édition, Ruskin, écrit « Atlas, roi de Fésole », et Wikipedia indique que c’est Claude Ptolémée].

6. Géométrie ; au-dessous, Euclide.

7. Arithmétique ; au-dessous, Pythagore.

Viennent ensuite, de gauche à droite, les sept Sciences Célestes :

1. La Loi civile ; au-dessous, l’empereur Justinien.

2. La Loi canonique ; au-dessous, le pape Clément V.

3. La Théologie pratique ; au-dessous, Pierre Lombard.

4. La Théologie contemplative ; au-dessous, Boèce.

5. La Théologie dogmatique ; au-dessous, Denys l’Aréopagite.

6. La Théologie mystique ; au-dessous, saint Jean Damascène. 

7. La Théologie polémique ; au-dessous, saint Augustin.

Vous voyez donc ici, représenté en peinture, le système d’éducation virile qui, selon les idées de l’ancienne Florence, devait être établi dans les grands royaumes et dans les grandes républiques de la terre, animés par l’Esprit répandu sur le Monde le jour de la Pentecôte.

Combien, d’après vous, l’examen d’une telle œuvre doit-il ou devrait-il prendre de temps ? Nous nous sommes mis au travail, ce matin, le plus tôt possible. Vous avez probablement consacré une demi-heure à Santa Maria Novella, une demi-heure à San Lorenzo, une heure au musée de sculpture du Bargello et une heure à vos emplettes. Il sera temps ensuite d’aller déjeuner, et il ne faut pas vous attarder, parce que vous devez partir par le train de l’après-midi, afin d’être, sans faute, à Rome, demain matin. Soit. De cette demi-heure consacrée à Santa Maria Novella, vous aurez employé au moins la moitié à voir convenablement le chœur de Ghirlandajo, le transept d’Orcagna, la madone de Cimabue et les vitraux. Supposons qu’il vous reste, tout au plus, un quart d’heure pour la Chapelle des Espagnols. Cela vous donnera deux minutes et demie pour chaque mur, deux minutes pour la voûte et trois minutes pour lire l’explication de Murray ou la mienne. Vous avez donc deux minutes et demie – et j’ai observé, durant les cinq semaines pendant lesquelles j’ai travaillé dans la Chapelle, que les visiteurs anglais restaient rarement aussi longtemps – pour lire ce plan de l’éducation spirituelle de l’humanité qu’a tracé pour vous Simon Memmi.

Si vous voulez le comprendre le moins du monde, il faut que, pendant ces deux minutes et demie, vous rappeliez à votre souvenir ce que vous pourriez savoir des doctrines et du caractère de Pythagore, d’Aristote, de Denys l’Aréopagite, de saint Augustin et de l’empereur Justinien ; il faut ensuite que vous discerniez les expressions et les actions que le peintre attribue à chacun de ces personnages, que vous appréciiez dans quelle mesure il a réussi à en créer une image fidèle et digne d’admiration, et que vous vous rendiez compte de la part plus ou moins grande qu’il a accordée à leurs doctrines particulières dans son plan général d’éducation.

Quant à moi, étant, je le regrette, aujourd’hui un vieillard et ayant, je m’en félicite, conservé les vieux usages, ni mon intelligence, ni ma mémoire n’ont été accrues le moins du monde par aucune des inventions de M. Stephenson ou de M. Wheatstone. Il est vrai que je n’ai pris que trois heures pour venir de Lucques, au lieu d’un jour qu’on prenait autrefois, mais je ne me crois pas, pour cela, capable de me rendre compte en moins de temps d’aucune peinture de Florence ; je ne me crois même pas obligé, pour cela, de poursuivre en toute hâte telle recherche qui s’y rattacherait.

J’ai, par conséquent, consacré cinq semaines à voir le quart de cette fresque de Simon Memmi, et je puis assez bien vous faire connaître ce quart et, partiellement, un ou deux fragments des œuvres qui décorent les autres murs. Mais, hélas, je ne puis le faire, dans l’un ou l’autre cas, qu’au point de vue purement pictural, car je n’ai aucune notion précise sur Pythagore ou sur Denys l’Aréopagite et je n’ai pas eu le temps – et je ne l’aurai probablement jamais – de les étudier beaucoup. Il est vrai que je possède quelque vague lueur concernant les personnalités d’Aristote et de Justinien, et que je suis à même d’en comprendre quelques traits ; mais cela ne fait qu’accroître en moi le sentiment d’humilité que j’éprouve en présence de l’œuvre de ce peintre. Ce n’était pas seulement un maître dans son art, mais un grand érudit, un profond théologien, capable de concevoir le plan de cette fresque et d’écrire la loi divine que devait suivre Florence. Cette loi, inscrite sur la page nord de ce livre voûté, nous commencerons à l’interpréter, sans hâte, demain matin, si vous avez le désir de revenir ici.

Saint-Thomas d’Aquin

La première chose que nous ayons à faire c’est de lire et de comprendre ce qui est écrit sur le livre ouvert tenu par saint Thomas d’Aquin. Cette lecture nous renseignera, en effet, sur la signification de l’œuvre entière.

C’est le texte du Livre de la Sagesse, VII, 6 :

« Optavi, et datus est mihi sensus, 

« Invocavi, et venit in me Spiritus Sapientiae 

« Et preposuiillam regnis et sedibus. »

« J’ai voulu, et l’intelligence me fut donnée, 

« J’ai prié, et l’Esprit de Sagesse vint sur moi 

« Et je l’ai préféré aux royaumes et aux trônes. »

Le sens profond de ce passage est perdu, dans la traduction usuelle des Apocryphes de notre Bible Anglicane. Nous ferions bien de nous efforcer de le comprendre, parce qu’il exprime non seulement la conception que se fit Florence de sa propre éducation, mais aussi la marche générale de toute noble éducation.

— D’abord, dit Florence, « j’ai voulu » (dans le sens de désirer énergiquement) « et l’Intelligence me fut donnée ». Vous devez commencer votre éducation avec la résolution nette de connaître ce qui est vrai, et de choisir la route étroite et rude qui mène à cette connaissance. Ce choix est offert à tout jeune homme, à toute jeune fille, à un certain moment de leur vie. Il faut choisir entre la route facile descendante, si large que nous pouvons la suivre en dansant, en nombreuse compagnie, et le chemin étroit et escarpé dans lequel il faut entrer seul. (Le mot « seul » dépasse quelque peu ma pensée. Je veux dire, en effet, que, même si nous sommes aidés ou guidés par nos amis, par nos maîtres, par ceux qui nous précèdent, chacun de nous décide lui-même de sa vie, au moment critique… si c’est dans le bon sens. Si c’est dans le mauvais, nous pouvons toujours nous abandonner au courant.)

Dès ce moment, et durant beaucoup de jours encore, cette forme d’Option, de Volonté persévérante nous est nécessaire ; mais, jour après jour, l’ « Intelligence » s’approfondit en nous de la valeur de ce que nous avons fait, non par suite d’un effort quelconque, mais comme récompense de nos efforts. Et l’Intelligence de la différence existant entre les choses justes et injustes, et entre les choses belles et laides se confirme dans l’âme héroïque et se réalise dans l’âme active.

Telle est la marche de l’éducation dans les sciences terrestres et la moralité qui s’y rattache. C’est la Récompense octroyée à la Volonté fidèle.

Lorsque les sens Moraux et Physiques se sont développés, le désir naît de poursuivre son éducation dans un mode plus élevé où ce ne sont plus les sens qui nous guident, mais bien le Créateur de nos sens. Et ce n’est pas par le travail, mais seulement par la prière que nous pouvons recevoir cet enseignement.

“Invocavi et venit in me Spiritus Sapientiae » – « j’ai prié et l’Esprit de Sagesse » (non pas, remarquez bien, me fut donné, mais « vint sur moi »). C’est la puissance personnelle de la Sagesse, la « sofia » ou Sainte Sophie, à laquelle fut dédiée le premier grand temple Chrétien. Florence nous dit qu’elle n’obtint que par la prière cette sagesse sublime qui régit, par sa présence, toute conduite terrestre et, par son enseignement, tout art terrestre.

Les deux groupes de sciences

Ces deux groupes de sciences, Divines et Naturelles, sont représentés, au bas de la fresque, par les symboles de leur puissance ; il y en a sept Célestes et sept Terrestres ; je vous les ai déjà nommées. Mais je dois encore faire une ou deux remarques techniques, avant de tenter d’interpréter ces figures.

Elles sont, à l’origine, toutes de Simon Memmi, mais un grand nombre d’entre elles ont été entièrement repeintes, un peu plus d’un siècle après (certainement, comme vous le verrez, après la découverte de l’Amérique), par un artiste de grande valeur, ayant un certain sentiment de l’action générale des figures, mais sans raffinement et sans grands scrupules. Il badigeonne de grandes surfaces de l’œuvre primitive, si délicate ; il introduit son clair-obscur là où tout était sans ombres, et son coloris violent là où tout était pâle ; il repeint les visages de manière à les rendre plus agréables et plus humains, selon son goût. Parfois, cette peinture superficielle a disparu pour laisser réapparaître tout au moins les contours de l’original ; ailleurs, dans les visages de la Logique, de la Musique et d’une ou de deux autres encore, l’œuvre primitive reste intacte. Comme je m’intéressais surtout aux sciences terrestres, j’avais fait disposer un échafaudage de manière à me trouver à leur niveau, et je les ai examinées pouce par pouce ; l’exposé suivant est donc exact, jusqu’au prochain repeint.

Pour interpréter ces figures, il faut toujours associer à l’image centrale, représentant la Science, le petit médaillon, au-dessus, et la figure placée à ses pieds. C’est ainsi que je procède, en lisant d’abord, de droite à gauche, les sciences terrestres, ensuite, de gauche à droite, les sciences célestes, de façon à aboutir au centre, où les deux puissances les plus élevées sont assises côte à côte.

Commençons donc par la première figure de la liste donnée ci-dessus: la Grammaire, dans le coin le plus éloigné de la fenêtre.

Section I : les Sept Sciences Terrestres

I. Grammaire

Grammaire, plus proprement grammatikế ; « Art Grammatical », l’art des Lettres, ou « Littérature », ou – en employant un mot qui impressionnera profondément plus d’une oreille anglaise… « l’Écriture et son usage. L’art de lire fidèlement ce qui a été écrit, pour notre enseignement, et d’écrire clairement ce que nous voudrions rendre immortel de nos pensées. Cette science consiste premièrement, à reconnaître les lettres ; deuxièmement, à les former ; troisièmement, à comprendre et à choisir les mots qui rendront exactement notre pensée. Trois sévères disciplines ; bien peu de nos contemporains en comprennent la rigueur. C’est dans l’enfance qu’on doit commencer à les pratiquer et ce n’est qu’à cet âge qu’on peut vraiment réussir à les acquérir. Il est absolument impossible – et j’en parle par une trop triste expérience – de gagner par n’importe quel effort, en y consacrant n’importe quel temps, ces dispositions de la main (ou, bien plus, de la tête et de l’âme), qui, durant la jeunesse, peuvent être modelées en quelque sorte avec le vase de chair que nous sommes, et le combler. La loi de Dieu dit, en effet, que les parents contraindront l’enfant, aux jours de son obéissance, à acquérir, par habitude, des dispositions de main, d’œil et d’âme qui ne pourront lui être enlevées à l’époque de sa vieillesse, par aucune violence et par aucune faiblesse.

« Entrez » donc, dit grammatikế « par la Porte Étroite » [Matthieu 7:13]. Elle l’indique de sa baguette, tenant un fruit (?), comme récompense, dans la main gauche. La porte est très étroite, en effet, sa taille ne l’est pas moins ; ses cheveux sont étroitement relevés ; un voile blanc les retenait jadis, il est perdu. Ce n’est pas une littérature violente ; elle n’est pas disposée, mes amis, à souscrire à Mudie [Cabinet de lecture très important de Londres], ou même à patronner l’édition Tauchnitz du dernier roman que vous avez vu affiché à la vitrine de M. Goodban. Elle abaisse cependant, avec bonté, le regard sur les trois enfants qu’elle instruit – deux garçons et une fille. Cette petite fille appartient à la plus haute noblesse, elle est couronnée ; ses cheveux d’or lui tombent sur le dos ; la ceinture Florentine lui entoure les hanches – non la taille (afin de laisser toute liberté aux poumons, mais d’empêcher la robe de se relever pendant la course ou la danse). Les garçons sont également bien nés ; le plus rapproché à une abondante chevelure bouclée ; on ne voit que le profil de l’autre. Tous trois sont respectueux et avides d’apprendre.

Le médaillon au-dessus représente une figure regardant une fontaine.

Au-dessous, d’après Lord Lindsay, Priscien. Je ne doute pas qu’il ait raison.

Remarques techniques. — D’après Crowe, cette figure est entièrement repeinte. Cela est vrai pour toute la robe, pour les mains, le fruit et la baguette ; mais les yeux, la bouche, les cheveux, au-dessus du front, et les contours du reste sont restés vierges, ainsi que le voile effacé et, heureusement, les vestiges des figures d’enfants. La porte étroite, quoique sa couleur soit renforcée dans le bas, est restée parfaitement pure, et toute l’action est bien conservée.
Il se présente cependant une question intéressante, relativement à la baguette et au fruit. Vue de près, cette baguette affecte parfaitement la forme d’un pli de la robe, drapée sur le bras droit levé, et je ne suis pas absolument certain qu’il n’y ait pas là une confusion du restaurateur qui aurait ainsi prolongé, en une baguette, la plume ou le style que la science pouvait avoir en main. J’ai des doutes également au sujet du fruit ; car le fruit n’est pas si rare à Florence qu’il puisse servir de récompense. Il est entièrement et grossièrement repeint ; il a une forme ovale. À Assise, les guides ont toujours pris pour une pomme le cœur que tient la Charité de Giotto (heureusement intacte) ; et, d’après moi, la grammatikế de Simon Memmi faisait, à l’origine, de la main droite, le signe qui dit : « Entrez par la Porte Étroite », et, de la main gauche, le signe qui dit : « Mon fils, donne-moi ton cœur. »

II. Rhétorique

Après avoir appris à lire et à écrire, il faut apprendre à parler, et – remarquez-le bien, jeunes filles et jeunes hommes, ceci est implicite – à parler aussi peu que possible, jusqu’à ce que vous ayez appris.

Vous pourriez entendre fréquemment aujourd’hui, dans les rues de Florence, ce que certaines gens appelleraient de l’éloquence de “rhétorique”, des discours très pathétiques et venant vraiment « du cœur », … du cœur que le peuple peut avoir maintenant (Le peuple a très bon cœur — j’entends les paysans. Mais les rues des grandes villes amènent le mal à la surface, elles multiplient et reflètent constamment sa puissance). C’est dire que vous n’entendez jamais prononcer un mot sans fureur, qu’elle soit prête à éclater, ou que, plus souvent, elle éclate instantanément. Tout le monde, hommes, femmes, enfants, à la moindre occasion, vocifère, les yeux flamboyants, d’une voix rauque, perçante et brisée, ses sottes opinions et ses exigences veules et méprisables dans le vain espoir d’obtenir, par ses cris, des hommes ou de Dieu, ce qu’il voudrait avoir.

Considérez, à présent, la Rhétorique de Simon Memmi, la science de la Parole qui consiste, avant tout, à se faire écouter – ce qui ne s’obtient pas en criant à tue-tête. Seule de toutes les sciences, elle porte une banderole, et, bien qu’étant orateur, vous donne quelque chose à lire. Elle ne vous la met pas sous le nez, mais elle la tient avec calme de sa belle main droite abaissée ; sa main gauche repose sur sa hanche, d’un geste placide et vigoureux.

Ainsi, vous voyez que, seule de toutes les sciences, elle ne fait pas usage de ses mains. Toutes les autres les occupent à quelque action importante, elle, non. Elle peut tout faire à l’aide de ses lèvres, en tenant, de la main droite, une banderole, une bride, ce que vous voulez ; la main gauche repose sur la hanche.

Regardez, de nouveau, les bavards des rues de Florence, et voyez comment, étant essentiellement incapables de parler, ils s’efforcent de faire des lèvres de leurs doigts ! Comme ils frappent, s’agitent, gesticulent, se trémoussent, font des signes du doigt et montrent le poing à leur adversaire… et restent pourtant en réalité muets ; quelque peu conscients qu’ils en soient, leur effort est aussi peu persuasif et aussi inefficace que celui du vent secouant les branches d’un arbre.

Vous trouverez, tout d’abord, cette figure gauche et raide. Cela est vrai, en partie, parce que sa robe est plus grossièrement repeinte que celle de toute autre de la série. Mais elle veut être à la fois ferme et forte. Ce qu’elle a à vous dire est destiné à vous convaincre, si possible, à vous dominer, certainement. Elle ne porte pas la ceinture florentine, car il ne lui est pas nécessaire de se mouvoir ; une haute ceinture lui entoure la taille. Il semble pourtant, à première vue, que, de toutes les sciences, c’est elle qui ait le plus besoin de souffle ? – Non, dit, Simon Memmi, il faut du souffle pour courir, pour danser, pour se battre, mais non pas pour parler ! Si vous savez comment atteindre votre but, à l’aide de peu de paroles, il ne vous faudra que bien peu de cet air pur de Florence, si vous l’utilisez bien.

Remarquez aussi cette attitude calme, la main sur la hanche. Vous croyez que la Rhétorique doit être ardente, bouillante, impétueuse ? – Non, dit Simon Memmi, avant tout – pondérée.

Lisons à présent ce qui est écrit sur sa banderole : « Mulceo dum loquor, varios induta colores. »

Son rôle principal est de calmer, d’adoucir, de fondre les cœurs des hommes au feu de la bonté, de dominer par la paix, et de donner le repos à l’aide des couleurs de l’arc-en-ciel. La mission principale de tous les mots devrait être de réconforter.

Vous croyez que le rôle des mots est d’exciter ? Un lambeau d’étoffe rouge, le son d’une trompette peuvent produire cet effet. Mais, donner du calme et une douce chaleur, être comme le vent du sud et la pluie irisée après une âpre gelée, apporter, à la fois, la force et la guérison, voilà l’œuvre enseignée par Dieu aux lèvres humaines.

Une dernière leçon, plus profonde encore, nous est donnée par le médaillon, au-dessus. Aristote et trop de rhéteurs modernes de son école pensent qu’on peut faire un bon discours en défendant une mauvaise cause. Mais au-dessus de la Rhétorique de Simon Memmi se trouve la Vérité avec son miroir (NB : même figure que la Rhétorique, plus le miroir. Memmi croit donc que la Rhétorique et la Vérité sont une seule et même chose).

Il existe un sentiment bizarre, pour ainsi dire inné dans l’homme : bien que l’on se croie obligé de dire la vérité, lorsqu’on parle à une seule personne, on croit pouvoir mentir autant qu’on veut, du moment qu’on parle à un groupe de deux ou de plusieurs personnes. Le même sentiment existe au sujet du meurtre : beaucoup de gens se refuseraient énergiquement à faire feu sur un homme innocent qui déchargeraient tranquillement une mitrailleuse sur un innocent régiment.

Si vous abaissez le regard de la figure de la Science sur celle de Cicéron, au-dessous, vous croirez, tout d’abord, que je me suis trompé en affirmant que la Rhétorique n’avait pas besoin de ses mains, car il semble que Cicéron en ait trois, au lieu de deux.

Celle du dessus, sous le menton, est la seule authentique. Celle qui prêche, un doigt levé, est entièrement fausse. La dernière, sur le livre, est repeinte à ce point qu’on ne peut se livrer à aucune conjecture quant à sa destination première.

Mais remarquez combien le geste de la main authentique confirme, au lieu de le contredire, ce que j’ai avancé plus haut. Cicéron ne parle pas, mais il réfléchit profondément avant de parler. C’est, parmi tous les philosophes, celui dont le visage reflète le plus intensément la pensée abstraite ; ce visage est très beau.

Le tout est au-dessous de Salomon, dans la rangée des prophètes.

Remarques techniques. – Ces deux figures ont beaucoup plus souffert des restaurations que les autres. Pourtant la main droite de la Rhétorique est restée entièrement intacte, ainsi que la main gauche, sauf l’extrémité des doigts. L’oreille et les cheveux, immédiatement au-dessus, sont parfaitement saufs ; la tête est bien placée dans son contour originel, mais la couronne de feuilles a été maladroitement retouchée, puis s’est effacée. Toute la partie inférieure de la figure de Cicéron a été non seulement repeinte, mais modifiée ; le visage est authentique – je crois qu’il est retouché, mais avec tant de prudence et d’habileté qu’il est probablement plus beau encore aujourd’hui qu’à l’origine.

III. Logique

C’est la science du Raisonnement ou, plus exactement, la Raison elle-même, ou la pure intelligence.

Cette science doit être acquise après celle de l’Expression, dit Simon Memmi. Ainsi, jeunes gens, il paraît que, quoique vous ne deviez pas parler avant d’avoir appris comment parler, vous pouvez néanmoins parler convenablement avant d’avoir appris comment penser.

Car c’est seulement, en effet, par le franc-parler que vous pouvez apprendre comment penser. Et peu importe que vos premières idées soient fausses, pourvu que vous les exprimiez clairement et que vous ayez la volonté de les redresser.

Heureusement, presque toute cette belle figure est virtuellement sauve ; les contours sont restés purs partout, et le visage est sans défaut. C’est, à ma connaissance, le plus charmant que l’on rencontre dans l’art italien de cette époque. Cette tête est délicate jusqu’à l’extrême limite, dans la gradation des couleurs. Les sourcils, dont l’arc est d’une pureté exquise, ne sont pas dessinés d’un seul coup de pinceau, mais au moyen de touches séparées, transversales, dans le sens de leur croissance. Le nez est droit et fin ; les lèvres, légèrement enjouées, fières, irréprochablement découpées. Les cheveux fluent, en vagues successives, ordonnées comme par un rythme musical. La tête est parfaitement plantée sur les épaules ; la hauteur du front est accentuée par un diadème rouge serti de perles et surmonté par une fleur de lis.

Ses épaules sont d’un dessin exquis ; la tunique blanche s’adapte étroitement à ses tendres seins, à peine saillants ; ses bras, particulièrement vigoureux, ont une attitude de repos absolu ; ses mains sont d’une délicatesse infinie. De la droite, elle tient un rameau branchu, portant des feuilles (le syllogisme) ; de la gauche, elle tient un scorpion à double dard (le dilemme), – ce sont, dans un sens plus général, les puissances de construction et de destruction rationnelles.

À ses pieds, Aristote. Il y a une intense hardiesse de pénétration dans ses yeux mi-clos.

Le médaillon, au-dessus (moins expressif que d’habitude), représente un homme écrivant, la tête penchée.

Le tout, sous Isaïe, dans la ligne des prophètes.

Remarques techniques. — Les seules parties de cette figure qui ont sérieusement souffert des repeints sont les feuilles du rameau et le scorpion. Comme je le disais plus haut, je ne me représente pas ce que pouvait être jadis le fond. Ce n’est plus maintenant qu’un badigeon gris sale qui recouvre les traces, encore très reconnaissables pour qui les recherche, de la riche ornementation présentée par l’extrémité de la branche : un bouquet de feuilles vertes, sur fond noir. Mais le scorpion est indéchiffrable ; il est presque entièrement confusément repeint et se confond avec le blanc de la robe ; le double dard est encore expressif, mais il ne se trouve pas sur les lignes primitives.

L’Aristote est entièrement authentique, sauf son chapeau ; je crois que ce dernier doit à peu près se trouver sur les lignes primitives, quoique je ne parvienne pas à les retracer. Qu’elles soient nouvelles ou anciennes, ce sont en tous cas de bonnes lignes.

IV. Musique

Lorsque vous aurez appris à raisonner, jeunes gens, vous deviendrez sans doute très sérieux, maussades même ?

— Non, dit Simon Memmi, en aucune manière, rien de semblable. Après avoir appris à raisonner, vous apprendrez à chanter, car vous en aurez le désir. Il y a tant de raisons de chanter, dans ce doux monde, lorsqu’on l’envisage bien. Il n’en existe pas de grogner, pourvu, naturellement, que vous y soyez entré par la porte étroite. Vous vous mettrez alors bientôt à chanter tout le long de la route, et l’on se réjouira de vous entendre.

Cette figure était l’une des plus charmantes de la série et devait allier, dans son expression, un raffinement infini à une tendre sévérité. Elle est couronnée, non de lauriers, mais d’un feuillage léger — je ne puis le déterminer avec certitude, car il est trop abîmé. Le visage est aminci, éthéré, pensif ; les lèvres s’ouvrent à peine pour un chant discret ; les cheveux tombent, en ondes douces, sur les épaules. Elle joue d’un petit orgue enrichi d’ornements gothiques ; la caisse est ornée de crochets semblables à ceux de Santa Maria del Fiore. Simon Memmi veut dire que toute musique doit être « sacrée ». Non pas que vous n’ayez jamais à chanter autre chose que des cantiques, mais en ce sens que la musique, digne de ce nom, œuvre des Muses, est divine par l’aide et le réconfort qu’elle procure.

L’action des deux mains est particulièrement suave. La droite est une des plus adorables choses que j’aie jamais vue réalisée en peinture. Elle tient une seule note, à l’aide de l’annulaire visible sous le petit doigt levé ; le pouce dépasse au-dessous. La courbe des doigts est partout exquise, et la pâle lumière et l’ombre de leur chair vive sont relevées par l’ivoire blanc et brun des touches. On ne voit que le pouce et l’extrémité de l’index de la main gauche, mais c’en est assez pour indiquer la légère pression qu’elle exerce sur les soufflets. Toute cette partie de la fresque est heureusement parfaitement intacte.

Au-dessous, Tubal-Caïn. Non pas Jubal, comme vous pourriez vous y attendre. Jubal est l’inventeur des instruments de musique. Mais, d’après les anciens Florentins, c’est Tubal-Caïn qui inventa l’harmonie.

Ces forgerons, les meilleurs du monde entier, avaient appris à connaître les différents sons produits par les coups de marteau sur l’enclume. Il est assez curieux que le seul chant d’ensemble beau et joyeux que j’aie entendu cette année (1874) en Italie (et j’ai passé exactement six mois au sud des Alpes, errant de Gênes à Palerme), soit sorti d’une forge, en pleine activité, à Pérouse. Quant à des hurlements de brutes, à de frénétiques éructations d’âmes irrémédiablement damnées, vomies par leurs propres gorges encore charnelles, j’en ai entendu, plaise à Dieu, plus que je ne souffrirai jamais d’en entendre encore, au cours d’un de Ses étés.

Vous trouvez Tubal-Caïn très laid ? — Oui, il ressemble fort à un babouin velu ; ce n’est pas par hasard, mais par suite d’une compréhension très scientifique du type du babouin. — Les hommes doivent avoir eu cet aspect, avant d’avoir inventé l’harmonie ou d’avoir senti qu’une note différait de l’autre, nous dit Simon Memmi.

Le darwinisme, comme toutes les erreurs très populaires et très pernicieuses, renferme, en son tissu, plus d’une lueur et plus d’une parcelle de vérité.

Au-dessous de Moïse.

Dans le médaillon, un jeune homme buvant. Sans cela vous auriez pu croire qu’il ne s’agissait que de musique d’église et non, également, de musique de fête.

Remarques techniques. — Rien n’est perdu du Tubal-Caïn. C’est un des plus purs, des plus complets et des plus précieux vestiges de la peinture primitive : seules les extrémités plus rouges de sa barbe sont retouchées. La robe verte de la Musique est entièrement repeinte sur le corps et sur les membres ; elle était jadis joliment brodée ; les manches sont en partie authentiques ; les mains et le visage sont absolument intacts et les cheveux le sont presque. La couronne de feuillage est effacée et détachée, mais sans retouche.

V. Astronomie

De son ancien nom, Astrologie ; comme nous disons Théologie, et non Théonomie : la connaissance des étoiles dans la mesure où il est sage pour nous de les connaître, non la tentative de leur dicter des lois. Non pas qu’il soit mauvais que nous découvrions, si nous le pouvons, qu’elles se meuvent suivant des ellipses et ainsi de suite, mais ce n’est pas notre affaire. L’effet qu’exercent leur lever et leur coucher sur l’homme, la bête et la plante, le temps qu’elles marquent, les phases qu’elles traversent, tout cela, vu et senti en ce monde, voilà ce qu’il nous appartient de connaître, lorsque nous passons nos nuits de veille sous leur divin flambeau, — et rien d’autre.

Elle porte une robe de pourpre foncée ; elle tient, de la main gauche, le globe creux, avec zodiaque et méridiens d’or, et lève la droite, dans un sentiment de noble crainte.

« Lorsque je considère le ciel, l’œuvre de vos mains, la lune et les étoiles, que vous avez ordonnées…. » [«… je m’écrie : Qu’est-ce que l’homme pour mériter que vous vous souveniez de lui, et le fils de l’homme, pour que vous le visitiez » (Psaumes, VIII, 4 et 5)]

Elle est couronnée d’or ; sa chevelure sombre, rattachée par de brillantes chaînes de perles, forme des ondes elliptiques. Ses yeux noirs sont levés au ciel.

À ses pieds, Zoroastre, tout à fait noble et beau. Son type persan, raffiné, est encore adouci par sa chevelure soyeuse, laborieusement tordue, qui se mêle à sa barbe en pointe et retombe en tresses effilées sur ses épaules. La tête rejetée en arrière, il fixe le ciel, sans qu’aucun effort se trahisse dans ses sourcils délicatement arqués ; il écrit, pendant qu’il observe.

La robe doit toujours avoir été blanche, car elle contraste merveilleusement avec le rouge d’au-dessus et de Tubal-Caïn, à côté. Mais elle a été trop repeinte pour qu’on puisse s’y fier ; il ne subsiste qu’un ou deux plis, dans les manches. La draperie, depuis les genoux jusqu’à terre, est tout à fait belle et, je suppose, sur les anciennes lignes ; mais le restaurateur a pu aussi tracer quelques plis heureux. C’est lui qui a éclairé Zoroastre de cette chaude lumière qui met si bien sa tête en relief. Je ne sais vraiment si je l’aurais préférée aplatie contre la pourpre sombre du fond, comme elle devait l’être à l’origine ; elle me semble admirable ainsi. Le rouge qui monte au visage de l’Astronomie est également l’œuvre du restaurateur. Elle était beaucoup plus pâle, sinon tout à fait pâle.

Au-dessous de saint Luc.

Dans le médaillon, un homme de mine sévère tenant une faucille et une bêche. Pour les fleurs et pour nous, lorsque les étoiles se sont levées et se sont couchées tant et tant de fois… souvenez-vous.

Remarques techniques. — La main gauche, le globe la plupart des plis importants, les yeux, la bouche, les cheveux (en grande partie) et la couronne sont authentiques. Les ornements d’or qui garnissaient le bord de la robe sont perdus. Les plis tombant de la manche gauche sont modifiés et confondus à leur extrémité, mais on a bien tiré parti de cette confusion même. La main droite, une grande partie du visage et la robe sont repeints.

La tête de Zoroastre est parfaitement pure. La robe est repeinte, mais avec soin, sans toucher aux cheveux. La main droite, qui tient actuellement une vulgaire plume d’oie, est entièrement repeinte, mais avec habileté et avec sentiment ; elle avait jadis une position légèrement différente, et tenait, très probablement, un style.

VI. Géométrie

Vous avez appris maintenant, jeunes filles et jeunes hommes, à lire, à parler, à penser, à chanter et à regarder. Vous avancez en âge, et vous devrez bientôt songer à vous marier ; il faut donc que vous appreniez à construire votre maison.

Voici une équerre de charpentier. Vous pouvez, en toute sécurité et en toute sagesse, porter votre attention sur le sol et sur les mesures et les lois qui s’y rapportent, puisque vous êtes destinés à y demeurer. Et vous avez bien fait de contempler tout d’abord les étoiles, car, si vous ne l’aviez fait déjà, et si vous aviez étudié en premier lieu la terre, vous n’en auriez peut-être jamais détaché les regards pour relever la tête.

La géométrie est considérée ici comme l’arbitre des lois de tout labeur pratique s’épanouissant en beauté.

Elle regarde à terre, un peu perplexe, avec grand intérêt, tenant, de la main gauche, son équerre de charpentier qu’elle n’emploie que pour des œuvres utiles ; elle suit d’un doigt de la main droite les lignes d’un diagramme.

Son type est doux et tout en lignes courbes ; je vous prie de le remarquer ; c’est exactement la beauté opposée à celle qu’un artiste vulgaire aurait imaginée pour elle. Voyez cette torsade de cheveux, derrière la tête : quoiqu’elle soit retenue par un filet en spirale, elle s’échappe, malgré tout, et s’envole, pour se délier en courbe légère. La Théologie Contemplative (quatrième figure, à partir de la gauche) est la seule des autres sciences dont la coiffure soit aussi libre.

À ses pied, Euclide [d’Alexandrie], un turban blanc sur la tète. C’est une belle œuvre, bien conservée, mais elle ne présente pas un intérêt particulier.

Au-dessous de saint Matthieu.

Dans le médaillon, un soldat portant une épée droite (meilleure pour la défense que pour l’attaque), un bouclier octogone et un heaume semblable au bonnet en forme de ruche porté dans le canton de Vaud. Ce médaillon montre que, de même que le rôle secondaire de la musique est d’animer une fête, l’usage secondaire de la géométrie concerne la guerre ; mais son art le plus noble s’exerce dans la paix la plus douce.

Remarques techniques. — Il est très heureux que, dans presque toutes les figures, les contours de la chevelure soient saufs. Celle de la Géométrie a été à peine retouchée, sauf aux extrémités, liées, jadis, par de simples nœuds, aujourd’hui, par de doubles nœuds confus. Les mains, la ceinture, la plus grande partie de la robe et l’équerre noire sont authentiques. Le visage et la poitrine sont repeints.

VII. Arithmétique

Après avoir construit votre maison, jeunes gens, et après avoir compris la lumière du ciel et les mesures de la terre, vous pouvez vous marier… vous ne pourriez même rien faire de mieux. Voici, maintenant, la dernière science que vous aurez à appliquer, chaque jour, à toutes vos affaires.

La Science des Nombres. D’un usage infini et solennel en Italie, à cette époque ; elle comprenait, en effet, tout ce que l’on savait de plus abstrait et de plus élevé en mathématiques, et relativement aux mystères des nombres ; mais elle était surtout respectée parce que son usage était d’une nécessité vitale pour établir la prospérité des familles et des royaumes. Elle fut pleinement comprise ainsi, tout d’abord ici, dans la commerciale Florence.

Elle tient la main levée, deux doigts baissés et deux doigts levés, forçant gravement votre attention à s’appliquer à sa première loi : deux et deux font… quatre ; remarquez-le — non pas cinq, comme le pensent ces malheureux usuriers.

À ses pieds, Pythagore.

Le médaillon, au-dessus, représente un roi, tenant sceptre et globe, et comptant de l’argent. Avez-vous jamais lu avec attention les pages dans lesquelles Carlyle parle de la fondation économique de l’empire prussien actuel ?

Vous pouvez, en tout cas, considérer un instant, en vous-même, l’empire que cette Reine des sciences terrestres doit exercer sur les autres sciences, si l’on veut en faire un bon usage, et la portée profonde et universelle des courtes paraboles de la dépense calculée du Pouvoir et du dénombrement des Armées.

Pour choisir un exemple de moindre importance, mais bien caractéristique, j’ai toujours pensé que, dans mon amour intense pour les Alpes, j’aurais dû être capable de faire un dessin de Chamonix ou du Val-de-Cluse, qui réjouit l’œil plus qu’une photographie. Mais je tenais à dessiner le paysage comme je le voyais, pin par pin, et roc par roc, à la manière d’Albrecht Dürer. J’ai, plusieurs années de suite, brisé mon énergie sur ce travail. Je me trouvais constamment excédé, ou bien je constatais qu’avant d’avoir pu me mettre bien au travail, les feuilles étaient tombées ou que la neige avait recouvert le sol. Si j’avais compté d’abord mes sapins, et calculé le nombre d’heures qui m’était nécessaire pour les dessiner à la manière de Dürer, j’aurais épargné le temps propice au travail de cinq années, et je ne l’aurais pas dépensé en vains efforts.

Mais Turner compta ses sapins, fît tout ce qu’on pouvait faire pour eux, et s’en contenta.

Combien fréquemment, dans les affaires importantes de la vie, le côté arithmétique ne doit-il pas devenir le côté dominant ! Combien avons-nous ? De combien avons-nous besoin ? Comme constamment la noble Arithmétique du fini se perd dans la basse Avarice de l’infini et dans l’aveugle imagination qui l’égaré ! Lorsque nous comptons nos minutes, notre arithmétique est-elle toujours assez économe ? Lorsque nous comptons nos jours, est-elle assez sévère ? Comme nous reculons à l’idée d’exprimer en décades leur nombre diminué ! Et si jamais nous faisions cette solennelle prière, qu’il nous soit donné de les dénombrer, essaierions-nous de le faire, après avoir prié ?

Remarques techniques. — Le Pythagore est presque entièrement authentique. Mon échafaudage ne s’étendant pas au-delà de la Géométrie, je n’ai pas été à même d’examiner de près les figures supérieures, à partir de celle-ci, inclusivement, jusqu’au mur extérieur.

Conclusion sur les sept sciences terrestre

Nous trouvons donc ici l’ensemble des sciences — au nombre de sept, suivant l’idée de Florence — nécessaires à l’éducation séculière de l’homme et de la femme. La moyenne des dames et des messieurs respectables ne possèdent généralement de nos jours, en Angleterre, que quelques notions de la dernière de ces sciences ; encore sa prudente application leur est-elle cordialement antipathique. Ils ne sont nullement familiarisés avec la grammaire, la rhétorique, la musique, l’astronomie ou la géométrie, sauf s’ils ont pu pécher par hasard, par-ci par-là, quelque renseignement incomplet ; et non seulement ils ignorent eux-mêmes la logique, ou l’usage de la raison, mais ils sont encore instinctivement hostiles à ses manifestations, chez les autres.

Nous allons lire maintenant la série des sciences Divines, en commençant du côté opposé.

Section II : les Sept Sciences Célestes

Les sept Sciences Célestes lues de gauche à droite, du coin près de la fenêtre jusqu’au centre du mur.

I. Loi Civile

Civile ou « des citoyens », distincte non seulement de la loi Ecclésiastique, mais aussi de la loi Locale. Elle est la Justice éternelle présidant aux relations pacifiques des hommes, par toute la terre ; c’est pourquoi elle tient, de la main gauche, le globe, avec trois quartiers blancs, comme étant bien gouvernés.

Elle est aussi la loi de l’éternelle équité, non pas celle des règlements faillibles ; c’est pourquoi elle tient son épée horizontalement devant sa poitrine. 

Elle est à la base de toute autre science divine. Pour connaître quoi que ce soit de Dieu, il faut commencer par être Juste.

Elle est vêtue de rouge, ce qui, dans ces fresques, exprime toujours la puissance ou le zèle, mais son visage est très calme, très aimable, gracieux et très beau. Sa chevelure est étroitement nouée et couronnée par le bandeau d’or royal, garni d’ornements en feuilles de fraisier du pur XIIIe siècle.

À ses pieds, l’empereur Justinien, en bleu, avec une mitre conique blanc et or ; le visage, de profil, est très beau. Il tient le sceptre impérial de la main droite, les Institutes de la main gauche.

Dans le médaillon, une figure apparemment en détresse, qui réclame justice. (La veuve suppliante de Trajan ?)

Remarques techniques. — Les trois divisions du globe que la Loi civile tient en main portaient, à l’origine, les inscriptions : Asia, Africa, Europe. Le restaurateur a ingénieusement changé Af en Ame-rica. Les visages de la science et de l’empereur sont légèrement retouchés, mais tout le reste est intact.

II. Loi chrétienne

Après la justice qui règne sur les hommes vient la justice qui règne sur l’Église du Christ. Ce n’est pas la loi séculière qui est opposée à l’autorité ecclésiastique, mais bien la rude équité de l’humanité à la clairvoyante compassion de la discipline chrétienne.

Elle est vêtue d’une robe d’or, tombant droit, et d’un manteau blanc, jeté sur les épaules. Elle tient une église de la main gauche, et lève la droite, l’index dressé (pour indiquer la source céleste de toute loi Chrétienne ? ou en signe d’avertissement ?).

Un voile blanc, dont les plis flottent au vent, lui couvre la tête. Vous ne trouverez rien, dans ces fresques, qui n’ait un sens. Si les cheveux qui s’échappent de la coiffure de la Géométrie révèlent le caractère d’infini qui s’attache aux lignes d’ordre supérieur, ce voile flottant symbolise ici le caractère indéfinissable des fonctions les plus hautes de la justice Chrétienne. De la même manière, son manteau d’or témoigne de la renommée et de l’excellence de cette justice, supérieure à celle que conçoivent les non-chrétiens, tandis que la chute sévère des plis — qui font une sorte de niche triangulaire à la tête du Pape, au-dessous — , correspond à l’austérité de la vraie discipline de l’Église et de ses commandements, d’autant plus rigides qu’ils sont plus lumineux.

Au-dessous, le Pape Clément V, en rouge, levant la main, non dans l’attitude de la bénédiction mais, je suppose, dans celle de l’injonction — l’index est seul levé, le médium est légèrement courbé, les deux autres doigts le sont entièrement. Remarquez la position bien horizontale du livre et la position verticale de la clef.

Le médaillon m’embarrasse. Il me semble qu’il représente une figure comptant de l’argent.

Remarques techniques. — L’ensemble est bien préservé, mais le visage de la Science est retouché. La fausse et bizarre perspective de la tiare du Pape constitue un des exemples les plus curieusement naïfs de l’ignorance de toute vérité purement scientifique, dans la forme, qui caractérisait encore l’art italien.

Le style de l’église est intéressant par son extrême simplicité ; il n’y est question ni de transept, ni de campanile, ni de dôme.

III. Théologie pratique

Pour acquérir la connaissance de Dieu, il faut commencer par acquérir celle de la Justice Humaine et de la définition des ses éléments par la Loi Chrétienne. La loi, ainsi définie, s’applique d’abord aux rapports qui nous lient aux hommes, ensuite à ceux qui nous lient à Dieu.

« Il faut rendre à César ce qui appartient à César — et à Dieu ce qui appartient à Dieu. »

C’est pourquoi nous avons à examiner maintenant deux sciences : l’une traite de nos devoirs envers les hommes, l’autre de nos devoirs envers le Créateur.

Voici la première : nos devoirs envers les hommes. Elle tient un médaillon circulaire, représentant le Christ prêchant sur la montagne, et, de la main droite, elle montre la terre.

Le sermon sur la Montagne est parfaitement représenté par la pointe rocheuse, devant le Christ, et par le haut et sombre horizon. Il est curieux de remarquer, au cours de l’examen de toutes ces fresques, combien Simon Memmi a clairement compris, en les lisant, la signification la plus intime des Évangiles.

J’ai appelé cette science Théologie pratique, c’est-à-dire la connaissance de ce que Dieu voudrait que nous fissions, personnellement, dans chaque situation de notre vie sociale : la mise en pratique de Son Évangile. « Que votre lumière luise donc devant les hommes ».

Elle porte une robe verte, comme celle de la Musique. Sa chevelure est disposée en arc mauresque et ornée d’un diadème de pierres précieuses.

Au-dessous de David.

Médaillon : Une femme faisant l’aumône.

À ses pieds : Pierre Lombard [élu évêque de Paris, en 1159, malgré sa modeste naissance et son origine italienne].

Remarques techniques. — Il est une remarque curieuse à faire : alors que l’instinct de la perspective n’était pas encore assez développé pour permettre à aucun peintre de l’époque de dessiner un pied en raccourci, il leur suggérait pourtant de donner l’impression d’altitude, en élevant l’horizon.

Je n’ai pas examiné les repeints. Les cheveux et le diadème, tout au moins, sont authentiques ; le visage a une expression digne et compatissante et se trouve, en grande partie, sur les anciennes lignes.

IV. Théologie dévote

Elle rend grâce à Dieu ou, plus exactement, elle lui témoigne les sentiments qu’il désire que nous ayons envers lui, amour ou crainte.

C’est la science ou la méthode de dévotion de tous les Chrétiens, comme la Théologie Pratique est leur science ou leur méthode d’action.

Elle est vêtue de bleu et de rouge. On peut encore discerner une fine branche noire qu’elle tient de la main gauche ; je ne suis pas certain de sa signification (“Votre houlette me fortifie, votre verge me console » ?). L’autre main est ouverte en signe d’admiration, comme celle de l’Astronomie, mais la Dévotion la tient contre sa poitrine. Sa tête a bien le type caractéristique de Memmi ; les yeux sont levés au ciel et elle a les cheveux disposés en arc mauresque.

À ses pieds, Boèce.

Le médaillon représente une mère élevant les mains. Enseigne-t-elle à son enfant les premiers éléments de la religion ?

Au-dessous de saint Paul.

Remarques techniques. — Les deux figures sont entièrement authentiques. Le livre noir de Boèce ainsi que le livre rouge de la fresque voisine, sont dignes d’attention. Combien l’objet le plus vulgaire peut devenir intéressant, quand il est bien traité !

V. Théologie dogmatique

L’homme, après s’être livré à l’action et à l’adoration, éprouve le besoin de préciser, par le dogme, sa pensée restée jusque-là trop vague, trop confuse. J’entends par dogme, l’affirmation, dans des limites bien précises, des choses que l’on doit croire.

Tant d’orgueil et d’extravagance ont souillé la scolastique Chrétienne, naturellement portée vers le dogme, que cette science doit être tombée, pour ainsi dire, en disgrâce auprès des hommes sensés. Il serait néanmoins difficile d’évaluer trop haut la paix et la sécurité qui ont été données aux humbles par les formules de la foi. Et il est évident que si l’on veut nier toute raison d’être à une chose telle que la théologie, il faut admettre qu’une certaine partie de cette connaissance doit être, sinon exprimée formellement, du moins réduite dans certaines limites d’expression, afin de la préserver des interprétations erronées.

Elle est vêtue de rouge — de nouveau le signe de la puissance — , couronnée d’une triple couronne noire (jadis dorée ?), emblème de la Trinité. Elle tient, de la main gauche, un crible pour vanner le grain, de l’autre elle montre le ciel : « Éprouvez tout — soyez certain que tout ce qui est bon vient de Dieu. »

À ses pieds, Denys l’Aréopagite taillant sa plume ! Mais je doute de l’interprétation que Lord Lindsay donne de cette figure dont l’action est singulièrement vulgaire et insignifiante. Cela pourrait vouloir dire qu’un théologien méditatif est essentiellement un écrivain, non un prédicateur.

Dans le médaillon, une figure de femme, les mains sur la poitrine.

Le tout, au-dessous de saint Marc.

Remarques techniques. — Je n’ai pas examiné la figure supérieure. Le saint Denys est presque entièrement intact et le livre rouge est un excellent exemple de peinture à fresque.

VI. Théologie mystique

C’est la science monastique parvenant, au-delà du dogme, à une nouvelle révélation, en s’élevant à un état d’âme supérieur.

Elle porte une robe blanche, la main gauche gantée (je ne sais pas pourquoi) tenant le calice. Son voile de nonne est serré sous son menton ; sa chevelure est étroitement retenue, comme celle de la Grammaire, en signe de la vie monastique qu’elle doit nécessairement mener. Tous les états de la vie mystique impliquent, en effet, le renoncement à la plupart des choses permises dans le monde matériel de l’action.

Il n’est pas possible de nier ce fait, aussi général que les maux qui sont sortis de sa mauvaise compréhension. Ceux-ci ont été surtout provoqués par des personnes qui prétendaient à tort mener la vie monastique, alors qu’elles n’avaient aucune disposition pour le faire. Mais l’orgueil de personnes vraiment nobles, qui ont pensé être plus agréables à Dieu en se faisant sibylles ou sorcières qu’en devenant d’utiles femmes de ménage, a produit encore plus de lamentables erreurs.

L’effort le plus sincère est toujours mélangé de quelque orgueil. L’ornement écarlate, en forme de corne, que cette figure et la Théologie Contemplative portent sur le front, pourrait peut-être indiquer cela.

Au-dessous de saint Jean.

Le médaillon est inintelligible pour moi : Une femme posant les mains sur les épaules de deux petites figures.

Remarques techniques. — Les plis étroits sont mieux conservés dans sa robe blanche que dans n’importe quelle autre draperie repeinte. Il est curieux de constater que la grande division de la draperie a toujours été plus ou moins comprise comme exprimant la vie spirituelle, depuis les plis délicats du péplum d’Athéné jusqu’aux plissés des robes blanches des prêtres modernes. La largeur des plis des draperies du Titien indique plutôt, au contraire, la puissance physique. La relation existant entre ces deux modes de composition fut perdue par Michel-Ange, qui crut représenter la puissance spirituelle en donnant à la chair des proportions colossales.

Le reste de la figure ne présente aucun intérêt, l’esprit de Memmi étant plutôt intellectuel que mystique.

VII. Théologie polémique

Qui s’avance « en vainqueur pour remporter la victoire ? »

“Car nous combattons, non pas contre la chair et le sang, etc.. »

Elle est vêtue de rouge, en signe de puissance, mais sans armure, car elle est par elle-même invulnérable. Elle porte, en guise de casque, un petit bonnet rouge, avec une croix comme cimier. Elle tient un arc de la main gauche, et, de la main droite, une longue flèche.

Elle symbolise, en partie, la Logique Agressive. Comparez la position des épaules et des bras dans les deux figures.

Elle est placée en dernier lieu parmi les sciences Divines non parce qu’elle représente leur plus grande puissance, mais parce que c’est en dernier lieu seulement qu’on doit l’acquérir. Il faut connaître toutes les autres sciences avant de partir pour la bataille.

Aujourd’hui, la Chrétienté moderne suit le principe inverse : elle part en guerre, avant de rien connaître. L’une des causes de ce vice, le prince des vices, provient de ce qu’on croit vulgairement que la vérité peut jaillir de la discussion ! La vérité s’acquiert, dans tout département de l’activité humaine, non par la discussion, mais bien par le travail et par l’observation. Et, lorsque vous tenez bien une vérité pour certaine, deux autres en germeront, à la gracieuse manière de cotylédons (c’est, comme nous l’avons déjà fait remarquer, la signification exprimée par la branche que la Logique tient dans la main droite). C’est seulement après vous être avancé assez sûrement et assez loin dans la voie de la vérité que vous serez digne de combattre pour elle et qu’il sera de votre devoir de combattre — ou de mourir — pour elle. Mais ne la discutez plus jamais.

Il y a toutefois une autre raison de mettre la Théologie Polémique à côté de la Mystique. Ce n’est qu’après avoir cultivé la mystique que l’on devient à même de reconnaître ce que saint Paul appelle « la méchanceté spirituelle occupant un rang céleste » et que l’on peut distinguer vraiment les ennemis de Dieu et des hommes.

À ses pieds, saint Augustin vous montre, par son attitude, que la meilleure méthode de controverse est d’être parfaitement ferme, parfaitement affable.

Il faut distinguer, en effet, la controverse de la réprimande. L’affirmation de la vérité doit toujours être aimable ; le blâme de l’erreur volontaire peut être… tout à fait le contraire. Le sermon du Christ sur la Montagne est plein de théologie polémique, pourtant le ton en est tout à fait bienveillant : « Vous avez entendu dire qu’il a été dit — mais je vous dis » — « Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous de plus que les autres ?» et autres phrases semblables (c). Mais Son : « Vous, fous et aveugles, car qui est plus grand… » n’est plus simplement l’exposé de l’erreur, mais le blâme de l’avarice qui la favorise.

Les deux figures sont au-dessous du trône de saint Thomas et à côté de l’Arithmétique, la dernière des sciences terrestres.

Dans le médaillon, un soldat ne présentant guère d’intérêt.

Remarques techniques. — Cette figure est très bien conservée et très belle. Remarquez les bandelettes rouges de saint Augustin, qui le rattachent au rouge vif de la figure supérieure, et comparez ce procédé à celui qui consiste à disposer en niche la robe de la Loi canonique, au-dessus du pape. Ce sont deux moyens artistiques différents pour atteindre le même but : l’unité de composition.

Mais il est temps de déjeuner, mes amis ; n’oubliez pas que vous avez encore des emplettes à faire.