GK Chesterton a déclaré : « Si une chose vaut la peine d’être faite, elle vaut la peine d’être mal faite.» (Chesterton, 1910, p. 320). Charlotte Mason dit spécifiquement (et implique souvent) que «ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être bien fait. » (Mason, 1989d, volume I, p.172). Est-il possible de concilier ces deux idées avec la réalité de nos vies ?

Il y a quelques années, je suis tombée sur un article du Parents’ Review intitulé « Des excuses pour la personne médiocre ». J’étais intriguée. Rien concernant Miss Mason ou le PNEU ne m’avait jamais semblé médiocre. Je me demandais comment cet article pouvait cadrer avec la philosophie de Mason. L’auteure, Mme Grace Gwynne, qui «ne fait rien en particulier et le fait très bien» dit ceci :

Dans la tourmente et le stress de la vie moderne, devenue presque entièrement concurrentielle, chaque individu luttant pour se distinguer, chacun essayant dans sa propre province de faire pression, il arrive parfois au penseur de dire: «Quelle place y a-t-il aujourd’hui pour la médiocrité? La vie est un succès, l’échec est un anéantissement! » Et de l’obscurité des villes rurales sombres et de la solitude des grandes villes surpeuplées où les échecs se cachent, vient la réplique:« Quel repos ou quel bonheur y a t-il dans le succès? N’est-ce pas vers nous que vous vous tournez pour apaiser votre cerveau blasé et votre corps presque épuisé après vos prétendus succès? » 

Le dictionnaire même prend leur part et dit: «La médiocrité est un état de ce qui se situe dans la moyenne; la médiocrité du succès est plus favorable à la morale et au bonheur, et la médiocrité du talent assurera généralement la respectabilité. » 

Gwynne, 1901, p. 779

Cela fut une révélation pour moi et me donna une nouvelle façon de considérer la médiocrité. Cette notion selon laquelle la médiocrité est «un état de ce qui se situe dans la moyenne » et non pas un échec total, qu’elle pourrait même être meilleure que de grands succès, plus reposante et plus agréable, m’a donné l’impression que j’avais la permission d’être moyenne. Ça m’a fait penser à l’expression «touche à tout et bon à rien (aussi: Qui trop embrasse mal étreint)». Jusque-là, cette idée avait une connotation négative dans mon esprit et c’était une chose avec laquelle j’avais personnellement eu de la difficulté. Mais ensuite, j’ai commencé à vraiment réfléchir à l’idée.

Enfant, j’avais pris l’habitude de ne faire que ce qui me venait facilement, comme la petite fille qui disait: «Oh, la la… je suis comme Jules César, j’aime mieux ne pas faire une chose si je n’ai pas la certitude d’être la meilleure à cette chose » (Mason, 1989f, p. 189). S’il y avait un jeu que je ne pouvais pas gagner, je ne jouais tout simplement pas. S’il y avait un cours dans lequel je n’excellais pas, je le laissais tomber. Peu importe ce que c’était, si cela ne me venait pas facilement, je ne le faisais pas. Je ne pensais tout simplement pas que cela valait la peine de consacrer de l’énergie à quelque chose si je ne pouvais pas être « la meilleure». Je détestais me tromper ou sembler idiote, alors je n’essayais que ce que j’étais certaine de pouvoir bien faire. Il y avait suffisamment de choses qui me venaient naturellement alors soit personne ne s’en est aperçu, soit personne ne s’est inquiété de cette habitude. Tout ce que j’ai fait a été fait selon mes propres conditions. 

Je ne m’en étais pas rendue compte à l’époque, mais je m’étais créé une petite vie. Plutôt que de risquer la médiocrité, j’avais créé une bulle autour de mes forces et, ce faisant, j’avais rendu ma vie plutôt sans histoire et très prévisible. Et je pensais que j’aimais ça comme ça. Chaque personne, y compris le Saint-Esprit, n’avait que l’espace que je leur avais allouée dans ma bulle. Ce n’est que lorsque je suis devenue mère que j’ai commencé à m’apercevoir que ma bulle n’était pas viable. Sur mon chemin personnel vers la maturité spirituelle et la sanctification, j’ai trouvé que la maternité, le renforcement de ma foi et mon introduction à Charlotte Mason étaient trois chemins qui convergeaient en un.

Parmi les nombreuses choses que je n’ai jamais faites, chanter était l’une d’entre elles. Je n’ai jamais, et je veux dire jamais, jamais chanté en présence d’autres personnes. Que ce soit à l’église, aux anniversaires et encore moins en solo. Mais lorsque ma fille aînée est née, il m’était parfaitement naturel de chanter pour elle. C’est devenu quelque chose que nous faisions ensemble. C’était comme ça que je l’aidais à s’endormir et comment je l’apaisais quand elle était contrariée. Je le faisais pour nous deux. Rapidement, j’ai dû chanter devant mon mari. Comme c’était absurde d’être gênée à ce sujet! J’étais gênée mais je chantais quand même. Et quand ma fille a commencé à parler et à demander des chansons devant d’autres personnes, j’ai chanté parce que j’avais (finalement) réalisé qu’il ne s’agissait pas de moi, mais d’elle. Et ensuite, j’ai réalisé que si, pendant toutes ces années, je n’ai pas voulu chanter à l’église, c’est que j’étais centrée sur moi-même et non sur Jésus. Le Saint-Esprit, Celui qui respecte tout le monde, avait attendu que j’en arrive à cette conclusion par moi-même. 

J’ai continué à détourner le centre de ma vie de moi-même. Cela impliquait de quitter mon emploi pour rester à la maison avec les enfants afin de mieux soutenir mon mari et de faire l’école à la maison. Quand j’ai dit à l’une de mes amis et collègues que je démissionnais, elle a dit: «Quel gâchis.» C’est tout. L’impact de cette affirmation ne m’a pas frappée tout de suite. Ça a pris quelques années. J’ai dû passer de l’affirmation quotidienne de la qualité de mon travail et de l’appréciation de mes capacités à l’obscurité de passer mes journées avec de jeunes enfants qui, pour la plupart, ne reconnaissaient pas mes efforts et les prenaient pour acquis. J’ai été surprise par ma propre réaction émotionnelle lorsque j’ai partagé les paroles de mon amie lors de la conférence de Nancy Kelly sur la plante humble. Il est vraiment difficile de sortir des projecteurs dans votre propre vie. Durant ces quelques minutes, j’ai pleuré la perte de mon ancien moi et je me suis rendue compte que mes talents, des talents que j’avais nourris pendant des années, devaient maintenant être mis de côté. À leur place, l’obscurité.

J’ai continué à détourner le centre de ma vie de moi-même. Cela impliquait de quitter mon emploi pour rester à la maison avec les enfants afin de mieux soutenir mon mari et de faire l’école à la maison. Quand j’ai dit à l’une de mes amis et collègues que je démissionnais, elle a dit: «Quel gâchis.» C’est tout. L’impact de cette affirmation ne m’a pas frappée tout de suite. Ça a pris quelques années. J’ai dû passer de l’affirmation quotidienne de la qualité de mon travail et de l’appréciation de mes capacités à l’obscurité de passer mes journées avec de jeunes enfants qui, pour la plupart, ne reconnaissaient pas mes efforts et les prenaient pour acquis. J’ai été surprise par ma propre réaction émotionnelle lorsque j’ai partagé les paroles de mon amie lors de la conférence de Nancy Kelly sur la plante humble. Il est vraiment difficile de sortir des projecteurs dans votre propre vie. Durant ces quelques minutes, j’ai pleuré la perte de mon ancien moi et je me suis rendue compte que mes talents, des talents que j’avais nourris pendant des années, devaient maintenant être mis de côté. À leur place, l’obscurité.

L’obscurité n’était pas la seule partie de ma nouvelle réalité; la médiocrité était là aussi. Dès que j’ai commencé à en apprendre sur la philosophie de Charlotte Mason, j’ai embarqué à 100%. Je n’ai jamais douté que la philosophie et les méthodes de Miss Mason, complètes et dans leur forme la plus pure, constituaient la voie à suivre pour moi et pour ma famille. J’aime chaque partie. Je vois de la valeur dans tout ce qu’elle expose. Je pourrais réellement être vraiment bonne là-dedans. Si mon mari avait des heures de travail normales. Si mon enfant de huit ans pouvait ignorer les distractions. Si mon enfant de six ans n’était pas si impulsif. Si mon enfant de trois ans ne parlait pas sans arrêt pendant que je lis. Si j’avais une femme de ménage. Si je pouvais passer une heure sur mon cahier de nature sans être interrompue toutes les trois minutes pour avoir plus d’eau, refuser des collations ou trouver un jouet perdu. Je pourrais être vraiment bonne. Si je pouvais mouler mes enfants à ma propre conception d’une vie à la Charlotte Mason parfaitement ordonnée , je serais une parfaite parent-éducateur  selon le modèle de Charlotte Mason. Mais, bien que je sache que je suis appelée à faire l’école à la maison en utilisant la philosophie et les méthodes de Miss Mason, je ne suis pas appelée à être un parent-éducateur Charlotte Mason parfait. Parce que rien de tout cela n’est centré sur moi; tout est dans l’intérêt des enfants . Je suis appelée à être mère et enseignante, ce qui implique l’acte (Mason appelle cela «l’art») de se tenir à l’écart (Mason, 1989c, p. 66). RA Pennethorne a comparé le rôle de l’enseignant au ministère de Jean-Baptiste: 

Enseigner devait être une mission portant le souffle de vie aux enfants de Dieu… ne cherchant pas à obtenir des résultats, des récompenses ou la louange des hommes, mais priant pour que nos enfants «croissent» alors même que nous «diminuons». 

Pennethorne, 1923, p. 76

Alors je me tiens à l’écart. Je continue à faire de mon mieux, avec joie et enthousiasme. Cela fait de moi une amatrice. En parlant de l’amateur, Chesterton dit:

Un homme doit aimer beaucoup une chose s’il la pratique non seulement sans espoir de gloire ou d’argent, mais même sans l’espoir de bien le faire. Un tel homme doit aimer le labeur du travail plus qu’aucun autre homme ne peut en aimer les fruits. 

Chesterton, p. 84

J’adore les idées de Charlotte Mason. J’aime ses mots. J’aime étudier de près les articles du Parents’ Review  et rechercher les personnes qui ont influencé son travail. J’aime l’étude de la nature, l’artisanat, la poésie, Shakespeare, la littérature, l’histoire. J’aime même chanter des hymnes et des chansons folkloriques.

Au début de cet article, j’ai mentionné la célèbre citation de GK Chesterton. Tout au long de son écriture, il conserve un respect particulier pour l’amateur. Je pense que le paragraphe suivant dresse un portait exact, jusque dans les aquarelles, de ma situation actuelle:

Il fut un temps où vous et moi, nous tous, étions tous très proches de Dieu; de sorte que, même maintenant, la couleur d’un caillou (ou d’une peinture), l’odeur d’une fleur (ou d’un feu d’artifice) viennent à nos cœurs avec une sorte d’autorité et de certitude; comme s’il s’agissait de fragments d’un message confus ou de traits d’un visage oublié. Le seul objectif réel de l’éducation est de verser cette ardente simplicité sur toute la vie; et celle qui est la plus proche de l’enfant est la femme – elle comprend. Dire ce qu’elle comprend est au-delà de mes capacités; sauf ceci, que ce n’est pas une solennité. Il s’agit plutôt d’une légèreté imposante, d’un amateurisme confus de l’univers, tel que nous nous sommes sentis quand nous étions petits, et qui préférerait chanter que jardiner, peindre que courir.  Parler le langage des hommes et des anges en dilettante, s’essayer aux sciences effrayantes, jongler avec des piliers et des pyramides et lancer des planètes comme des balles, c’est cette audace et cette indifférence intérieures que l’âme humaine doit conserver pour toujours, à la manière d’un prestidigitateur attrapant des oranges. C’est cela que nous appelons la santé mentale. Et la femme élégante, suspendant ses boucles sur ses aquarelles, le savait et agissait en conséquence. Elle jonglait avec des soleils frénétiques et flamboyants. 
Elle maintenait l’équilibre audacieux des infériorités, qui sont les plus mystérieuses des supériorités et peut-être les plus inaccessibles. Elle maintenait la vérité première de la femme, la mère universelle: que si une chose vaut la peine d’être faite, elle vaut la peine d’être mal faite. 

Chesterton, 1910, p. 318-320

Est-ce que tout cela contredit la philosophie de Miss Mason? Est-ce que j’ai tout faux parce que je ne fais pas tout parfaitement? Je ne crois pas. Je suis peut-être en train de « jongler avec des soleils frénétiques et flamboyants » en ce moment, mais c’est Mason que je suis. Elle a établi un standard élevé, mais elle a également tracé un chemin clair. Même si nous n’allons pas à la vitesse la plus élevée, nous nous rapprochons chaque jour du but. Mason elle-même semble reconnaître la complexité de la position de mère et d’enseignante. Dans Parents and Children, elle écrit:

Une méthode, un chemin vers un but– C’est seulement lorsque nous reconnaissons nos limites que notre travail devient efficace: lorsque nous voyons clairement ce que nous devons faire, ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire, nous nous mettons au travail avec confiance et courage; nous avons un but en vue, et nous nous dirigeons intelligemment vers ce but, et un moyen d’atteindre un but est une méthode. Il appartient aux parents non seulement de donner naissance à leurs enfants à une vie d’intelligence et de pouvoir moral, mais également de maintenir la vie supérieure qu’ils ont menée à bien. 

Mason, 1989b, p. 33

Et qu’est-ce qui nous donne de la confiance et du courage? La méthode et la clé. La clé est «que Dieu le Saint-Esprit est lui-même, personnellement, Celui qui transmet le savoir, Celui qui instruit la jeunesse, Celui qui inspire le génie» (Mason, 1989b, p. 270-271). Si j’étais bonne pour faire tout cela, si cela venait facilement, je n’aurais pas besoin de m’appuyer chaque jour sur le Saint-Esprit. Je suppose que je n’aurais pas besoin de la méthode de Mason non plus. Si je pouvais tout faire par moi-même, je le ferais, mais alors qui recevrait la gloire? Après avoir refusé de prendre l’épine du côté de Paul, le Seigneur lui dit: « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse.» (2 Corinthiens 12: 9, LSG). 

En acceptant mes propres faiblesses, je peux attester de la véracité de cette déclaration de Mme Gwynne:

«À quel point la personne franchement médiocre considère-t-elle différemment la vie! Pour elle, le monde est un jardin plein de beauté, de douceur et de satisfaction ». 

Gwynne, 1901, p. 780

Peu de choses me paraissent plus excitantes à l’heure actuelle qu’une narration exceptionnelle ou une leçon de mathématiques ininterrompue. J’accepte (généralement) avec enthousiasme les limites de ma vie actuelle. Il y a des choses que je vais améliorer au fil du temps, comme la peinture, la gestion du temps et le ménage; mais il y a des choses pour lesquelles je ne serai jamais douée, comme chanter. Pourtant, ces choses valent la peine d’être faites. Et elles valent la peine d’être mal faites.  

RÉFÉRENCES

Chesterton, G. (1903). Robert Browning. New York: The Macmillan Company.

Chesterton, G. (1910). What’s wrong with the world. New York: Dodd, Mead and Company.

LSG. (1910). La Sainte Bible, version Louis Segond. Alliance Biblique Universelle.

Gwynne, G. (1901). An apology for the mediocre person. In The Parents’ Review, volume 12 (pp. 779-788). London: Parents’ National Educational Union.

Mason, C. (1989b). Parents and Children. Quarryville: Charlotte Mason Research & Supply.

Mason, C. (1989c). School Education. Quarryville: Charlotte Mason Research & Supply.

Mason, C. (1989d). Ourselves. Quarryville: Charlotte Mason Research & Supply.

Mason, C. (1989f). A Philosophy of Education. Quarryville: Charlotte Mason Research & Supply.

Pennethorne, R. (1923). Miss Mason of house of education. In In Memoriam (pp. 76-77). London: Parents’ National Educational Union.Audio Player

Brittney McGann est la coordinatrice de Considering Lilies, une communauté  Charlotte Mason située dans la région de Triangle en Caroline du Nord. Elle a également animé la retraite Grace to Build. Elle et son mari ont la chance d’avoir trois jeunes enfants turbulents. Originaire du sud de la Californie, sa famille a déménagé en Caroline du Nord il y a environ dix ans et elle adore ça! Elle a travaillé comme coiffeuse dans des salons haut de gamme pendant onze ans avant d’être appelée à rester à la maison avec sa famille. Elle aime travailler sur ses compétences artisanales, notamment le tricot, la broderie et la reliure.

Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec l’autorisation de Brittney McGann. (Traduction ©2018 Un Festin d’Idées)