Il faut se rendre à l’évidence, notre société n’aime pas l’enfance. N’ayant plus le loisir de prendre notre temps et de savourer, ou à tout le moins, accepter, chaque saison de notre vie, nous ne faisons qu’attendre avec impatience que nos enfants fassent leurs nuits, mangent de la nourriture solide, soit propres, parlent, expriment leurs émotions et, de façon plus générale, soient autonomes et indépendants. Mais pourquoi est-ce que l’enfance est devenue aussi délaissée au profit de la performance? Nos gouvernements demandent à ce que nos enfants soient placés à l’école le plus tôt possible pour pallier au manque de stimulation intellectuelle à la maison. Est-ce un manque de confiance généralisé envers les parents ou un problème plus grave? La plupart des écoles ont le mandat d’enseigner aux jeunes enfants à apprendre à lire et compter avant même qu’ils sachent comment gérer leurs conflits et qu’ils développent leurs motricités globale et fine. 

Alors que des mesures comme les maternelles 4 ans au Québec et l’instruction obligatoire à 3 ans en France se multiplient, les suggestions de Charlotte Mason concernant la petite enfance peuvent paraître utopiques et difficilement réalisables, mais elle partait du principe qu’un enfant apprendra mieux si son cerveau est prêt à concevoir ce qui lui est enseigné. C’est pourquoi elle ne préconise pas l’enseignement de la grammaire avant que l’enfant ait 9-10 ans. Même chose pour les compositions écrites : selon elle, l’enfant doit premièrement apprendre à ordonner sa pensée et à l’exprimer correctement oralement avant de tout mettre par écrit. Elle suggère que l’enseignement formel ne commence qu’à six ans. Mais que proposait-elle pour la petite enfance? Beaucoup de temps à l’extérieur, le développement de bonnes habitudes et de la lecture de qualité. 

LE TEMPS EN NATURE

Mason croyait que les enfants devaient passer le plus de temps possible à l’extérieur. Son premier volume est rempli de suggestions pour les jeunes années de l’enfant. Elle recommande, entre autres, que d’avril à octobre, les enfants passent de 4 à 6 heures à l’extérieur. Rappelons-nous que ces enfants ont cinq ans et moins et donc, la mère doit également sortir avec ses enfants et respirer le grand air! D’une certaine façon, la mère doit obligatoirement, elle aussi, ralentir. Les corvées, les repas, tout doit être minimisés pour qu’elle puisse sortir sans culpabilité. 

Que faire, une fois dehors? Leur enseigner tout ce que nous pouvons? Non! Ce temps est un temps d’exploration, de découverte, de jeu non-structuré. Les enfants apprennent à gérer la dangerosité de certaines activités sans que maman les surprotège. Ils apprennent à respecter la vie en regardant les fourmis travailler avec ardeur et constance. Ils apprennent à ralentir, en regardant les nuages bouger, ou, au contraire, à sortir leur trop-plein d’énergie en courant comme des chiens sur le gazon. Leur seule limite est leur imagination. Voici une liste d’activités possibles à l’extérieur :

  • Observer les oiseaux : comment ils bâtissent leur nid, nourrissent leurs petits, les aident à sortir du nid, les protègent contre les prédateurs, chantent différemment selon leurs activités, etc. 
  • Observer les insectes : que mangent-ils? Ou est leur maison? Ont-ils des petits? Pondent-ils des œufs? Comment protègent-ils leur nid? Subissent-ils des transformations au cours de l’été? Ont-ils des moyens de défense? Peut-on différencier les mâles des femelles? Chantent-ils? Ont-ils une odeur?
  • Observer les nuages : leur forme, leur couleur, la vitesse de leurs déplacements, etc. 
  • Imiter des animaux : creuser, courir, grimper, crier, jeu de dominance-soumission, et autres.
  • Jardiner avec maman.
  • Construction de structures en différents matériaux pour différents usages. 
  • Dessiner ce qu’ils observent. 
  • Raconter à papa ce qu’ils ont vu, découvert, appris dehors. 
  • Etc.

Les limites des jeux possibles sont celles de l’imagination de vos enfants. Il est primordial que la maman soit avec les enfants dehors mais qu’elle ne s’impose pas. Elle ne doit pas non plus transmettre ses peurs à ses enfants. S’ils grimpent dans un arbre, elle peut encourager l’enfant à observer ce qu’il ressent : est-ce que cette branche te parait solide? Est-ce que tu te sens en contrôle? Comment peux-tu descendre par toi-même? Il semblerait que les enfants se blessent de plus en plus parce qu’ils n’explorent pas assez. Dans un environnement sécuritaire, il est primordial qu’ils essaient, se trompent, tombent, essaient encore, persévèrent, découvrent leur équilibre, développent leurs muscles et leur raisonnement. 

La nature est un grand terrain de jeu. N’hésitez pas à aller explorer différentes forêts, parcs, rivières, montagnes autour de vous. Les images qui rempliront les esprits de vos enfants les aideront quand viendra le temps d’apprendre la géographie et les sciences et leur imagination effervescente sera particulièrement précieuse pour imaginer les récits que nous leur lirons et la composition. 

LES HABITUDES

Nous avons déjà parlé des habitudes dans notre épisode sur les trois outils de l’enseignant, mais quelles sont les habitudes à développer chez les touts-petits? Charlotte Mason avait-elle identifié des habitudes en particulier? Eh bien oui!  Dans ses premières années de vie, elle suggère de mettre en place des habitudes d’attention, d’obéissance, de vérité et d’ordre. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement? 

  • Habitude d’attention : on s’attend à ce que l’enfant augmente graduellement sa capacité d’observation. Avec la maturité, il est normal qu’il puisse observer la nature un peu plus longtemps, mais c’est également quelque chose qu’on peut travailler en lui demandant, par exemple : Je vois que tu regardes les fourmis travailler. Peux-tu me dire ce qu’elles transportent dans leur nid? Si l’enfant répond non, on peut l’inciter à regarder une ou deux minutes de plus pour pouvoir répondre. S’il connaît déjà la réponse, on peut lui demander si les fourmis seraient intéressées à manger son cœur de pomme (ou tout autre aliment). Se faisant, nous entretenons son intérêt pour les fourmis et augmentons sa capacité d’attention pour un même sujet. Il faut faire attention pour ne pas continuer lorsque l’enfant ne démontre aucun intérêt. L’important est de travailler avec les intérêts de l’enfant pour aider son cerveau à se développer. 
  • Habitude d’obéissance : cette habitude est très importante. On ne veut pas d’enfants-robots incapables de penser par eux-mêmes, mais ils doivent reconnaître l’autorité parentale, ne serait-ce que pour faciliter la routine d’école plus tard. Prenons le cas d’un enfant qui joue ballon dans la cour arrière. Il manque de précision et son ballon va dans la rue et fait un mouvement pour aller le chercher sans regarder s’il y a des voitures. Si nous crions « Arrête! », mais que l’enfant n’obéit pas, les conséquences pourraient être graves. Nous voulons également que l’enfant comprenne les règles de fonctionnement de la maison et les respecte. N’ayons pas peur d’exiger l’obéissance de nos enfants. Il est très important de le faire avec amour, douceur et fermeté. 
  • Habitude de vérité : Mason accorde une grande importance à l’exactitude de nos paroles : Il n’y a pas un million d’oiseaux dans le ciel, il y en a une centaine, la fourmi n’est pas forte comme un ours mais elle peut transporter des choses plus lourdes qu’elle. Elle croit aussi que les enfants doivent dire la vérité. Dans son volume 5, elle parle d’une fillette qui mentait systématiquement tout au long de la journée. Pour corriger ce trait, elle suggérait de lui lire beaucoup de contes (car la source de son problème pouvait être une imagination insuffisamment stimulée) et de la féliciter lorsqu’elle dit la vérité. 
  • Habitude d’ordre : faire son lit en se levant, replacer sa brosse à dent dans le pot quand on a terminé, ranger un jouet lorsqu’on change de jeu, etc.

LECTURE APPROPRIÉE

L’enfance est une période merveilleuse pour la découverte de beaux livres bien écrits. Mason nous met en garde de choisir nos livres avec soin. Les illustrations des albums pour enfants sont de plus en plus belles mais il ne faut pas pour autant en sacrifier le contenu. Les enfants développeront un goût pour ce qu’ils ont devant eux, d’où l’importance de leur donner des récits de qualité. Les grands classiques bénéficient d’une belle traduction de qualité et donc on peut sans hésiter leur proposer les albums de A.A. Milne, le père de Winnie the Pooh. Les fables de la Fontaine sont également un bon choix. Les Martine et les Jean-Lou et Sophie sont bien écrits et remplis d’histoires d’enfants jouant dans la nature et explorant. Laissez-vous guider par votre cœur d’enfant et visitez assidûment les bibliothèques de votre ville. Si vous ouvrez un livre, êtes émerveillés par la douceur de l’histoire et terminez avec un esprit rempli d’images et d’idées, vous tenez un trésor entre vos mains à lire et relire. 

Les jeunes années de l’enfance sont un temps pour développer une relation avec la nature environnante, développer ses goûts, nourrir et encourager l’émerveillement des enfants pour le vrai, le naturel, le beau. Pour la mère, c’est un temps pour étudier, pour lire, pour se préparer et pour continuer son éducation. Puissiez-vous remplir l’enfance de vos enfants de moments de qualité de connexion et d’exploration dont il se souviendra toute sa vie.