Note (d’après l’article de Charlotte Mason Poetry par Art Middlekauff) : Marjorie Evans a obtenu son diplôme de la House of Education en 1899. Six ans plus tard, son premier article est paru dans The Parent’s Review, intitulé « Beauty as a Factor in Education ». L’année suivante, « avec Laura Faunce, elle a fondé la première Girls’ P.N.E.U. Day School à Londres ». Peu de temps après, elle s’est remise à collaborer pour The Parents’ Review, cette fois pour écrire « On Teaching French To Young Children » en 1909.

Evans est ensuite courtisée par un certain Vincent Ransom, ce qui lui vaut d’être désormais connue sous le nom de Mme Marjorie Ransom. C’est sous ce nouveau nom qu’elle rédigea l’important article « Art and Literature in the Parents’ Union School » en 1923. Après sa mort en 1954, on se souvient d’elle comme suit :

« Mme Ransom était du type Burne Jones, avec des dons artistiques et une originalité remarquables. Dans ses rapports avec les enfants, elle avait une approche honnête et un regard neuf. Elle était naturellement franche, et leur parlait avec beaucoup de facilité, de naturel et de compréhension. »

Ces dons artistiques sont peut-être la raison pour laquelle elle a été choisie, alors qu’elle était encore connue sous le nom de Marjorie Evans, pour parler de « Comment nous enseignons les discussions sur les œuvres d’art ». Cela faisait clairement partie de la série « Comment nous enseignons » de la 17e conférence annuelle du PNEU, mais lorsqu’il a été publié dans The Parents’ Review, l’article a reçu le titre curieux d’ « Étude d’œuvres d’art » (Picture Study). Bien que ce terme nous soit familier aujourd’hui, nous devons nous rappeler que dans l’édition de 1905 de Home Education, ce type de leçon était connu sous le nom de « Discussion sur les œuvres d’art » (Picture Talk). Pour autant que je sache, c’est la première fois que le PNEU utilise le terme d’« étude d’œuvres d’art » pour ce type de leçon.

Après cet article, « Étude d’œuvres d’art » est devenu un terme standard au sein du PNEU. En fait, lorsque Agnes Drury a catalogué les pratiques d’une éducation Charlotte Mason dans son article de 1916 intitulé « Une éducation libérale pour tous », elle a évité le nom traditionnel de « Discussion sur les œuvres d’art » en faveur du nouveau terme. S’agit-il d’un hasard, d’un lapsus ? Lorsque Essex Cholmondeley décrit la naissance de l’étude d’œuvres d’art à la House of Education, elle écrit que les élèves « apprenaient à regarder et à se délecter des reproductions de grands maîtres ». Dans l’article d’aujourd’hui, Mlle Evans insiste sur cet acte de regarder avec attention. Il ne s’agit pas du « bavardage de l’enseignant », mais de laisser l’art parler de lui-même.

   

    Par Mlle Marjorie Evans
The Parents’ Review, 1913, p. 533-537

   

Je vous renvoie à la devise de l’Union des parents d’élèves : « L’éducation est une atmosphère, une discipline, une vie ».

Il y a une atmosphère ou un manque d’atmosphère dans tout ce qui nous entoure, de même que l’atmosphère nous est apportée par le contact avec des esprits originaux et éclairants, de même, elle peut nous être apportée par l’art dans son sens le plus large. Nous ne pouvons pas définir ce que nous entendons par cette émanation subtile, mais nous sommes conscients lorsqu’elle est présente, nous nous sentons affamés sans elle, tout comme notre corps se sentirait affamé sans nourriture. Nous contribuons à la créer nous-mêmes par nos actions et nos pensées et si nous sommes des éducateurs au sens propre du terme, nous aidons inconsciemment les autres à la créer ; elle est indéfinissable, mais si elle fait défaut, nous en sommes immédiatement conscients.

Celui qui ne considère la connaissance d’un des arts libéraux que d’un point de vue utilitaire, a sûrement vécu sans cette atmosphère et est lui-même incapable de la créer. Si vous voulez montrer des tableaux à des enfants pour qu’ils puissent les apprécier pleinement, vous devez ressentir l’atmosphère de l’image, même si elle vous est hostile. Un musicien est capable d’interpréter l’œuvre d’un grand maître et je suppose que nous, les enseignants, pouvons aussi essayer d’interpréter l’esprit d’un grand peintre en étudiant ses tableaux.

La connaissance de la technique est extrêmement intéressante, mais il est possible d’aimer étudier les tableaux sans avoir de talent artistique particulier. Je dis aimer les étudier car les étudier d’un point de vue utilitaire est davantage le travail du spécialiste que de l’amateur. Pourquoi nos élèves seraient-ils immédiatement attirés par l’œuvre d’un grand maître ? Ce n’est pas logique, et un enfant sera toujours attiré en premier par la couleur et le détail. Vous pouvez avoir accroché la reproduction d’un célèbre tableau dans la nurserie pendant des mois, mais vous ne pouvez pas nécessairement vous attendre à ce que votre petit enfant y porte un intérêt particulier tant que vous n’avez pas attiré son attention vers lui.

En exerçant soigneusement son sens de l’observation, l’enfant apprend beaucoup, très tôt, sur la valeur des couleurs et la beauté de la composition, ce qui lui sera d’une aide infinie plus tard. Permettez-moi de faire une humble suggestion que j’ai tirée de mon expérience d’enseignante. Ne rabaissez pas un enfant parce qu’il aime un tableau que vous jugez totalement inintéressant, sous prétexte que vous possédez une expérience et des connaissances plus profondes ; un enfant n’apprécierait pas une telle rebuffade ; cela risquerait de le faire manquer de sincérité et, à une autre occasion, il pourrait manquer de naturel.

Cherchez à savoir, par des questions pleines de tact, pourquoi une telle image lui plaît, et vous découvrirez généralement que c’est parce qu’avec son expérience limitée, il est capable de la comprendre. L’étude d’œuvres d’art est très importante dans le programme scolaire parce qu’elle est une autre fenêtre ouverte sur la vie ; considérez-la comme un intérêt supplémentaire dans la vie de l’enfant. H. J. Wells dit dans l’un de ses livres : « La littérature, le théâtre, l’art, voilà le genre de nourriture qui permet à la jeune imagination de se développer en force et en hauteur ».

L’étude d’œuvres d’art peut être enseignée de bien des façons différentes, je ne sais guère comment je l’enseigne moi-même, c’est une question de spontanéité et cela vient avec l’inspiration ; mais je suis certaine d’une chose, c’est qu’elle ne peut avoir aucune valeur réelle pour l’enfant si l’enseignant est indifférent. Si vous êtes capable de susciter l’intérêt, le tour est joué pour ainsi dire, tout le reste suivra sans problème.

Cela semble sans doute étonnant, mais c’est néanmoins tout à fait vrai, que de petits enfants de six et sept ans soient enthousiasmés par un tableau tel que « L’adoration de l’agneau mystique » de Van Eyck ou « Le Syndic de la guilde des drapiers » de Rembrandt, et ils sont certainement plus curieux que les élèves plus âgés, parce qu’ils sont totalement dépourvus de conscience de soi. J’ai constaté par expérience, en tant que professeure, que les élèves ayant commencé l’étude d’œuvres d’art à un âge précoce, deviennent plus tard les élèves les plus intéressés et les plus satisfaits. Ils ont une certaine base de connaissances à partir de laquelle ils tirent inconsciemment des conclusions. Nous avons dans notre école une élève qui a maintenant douze ans, elle est en Classe III. et est bonne travailleuse, elle est chez nous depuis l’âge de six ans ; c’est l’élève la plus douée que j’ai dans ma leçon de Discussion sur les œuvres d’art ; elle n’a aucun talent, mais elle s’y connaît et elle a déjà étudié six ou sept tableaux de maîtres tels que Botticelli, Giotto, Raphaël, Ghirlandajo, Le Pérugin, Turner, Corot, Millet, Bellini, Van Eyck, Rembrandt, Velasquez, et beaucoup d’autres, et le trimestre prochain nous espérons étudier ensemble quelques œuvres de Carpaccio. Ce ne sont pas de simples noms pour elle, elle sera capable de décrire assez minutieusement certains de leurs tableaux les plus célèbres, elle prendra un réel intérêt à leurs œuvres lorsqu’elle les rencontrera dans les galeries et dans les maisons privées, elle connaîtra un peu leur « école » et aura un léger aperçu de la personnalité du maître telle qu’elle s’exprime à travers ses tableaux ; elle sera capable de tirer de sa mémoire, très grossièrement sans doute, son impression du tableau. Pouvez-vous douter un seul instant qu’un tel enfant sera un compagnon plus intéressant, qu’il aura une vision plus large de la vie, qu’il aura une meilleure compréhension du caractère et de toutes les choses qui comptent dans la vie, que l’individu ayant les mêmes capacités. J’insiste sur ce point, car cela n’a absolument rien à voir avec le talent, qui n’a pas eu cette « fenêtre ouverte ». Je ne doute pas un instant que l’enfant doté d’un talent artistique déterminé trouvera un débouché à son intérêt, quel que soit le système d’éducation.

Imaginez une classe de petits garçons et de petites filles, dont l’âge varie entre six et huit ans ; ils vont être initiés à l’étude de certains chefs-d’œuvre de Vélasquez ; ils auront environ onze semaines pour apprendre à connaître six tableaux tels que les suivants : « Les Ménines », « Les fileuses », « La forge de Vulcain », « Le prince Balthasar Carlos à cheval », « L’infante Marguerite en bleu », « La reddition de Breda ». À moins de les emmener à la National Gallery ou à la Wallace Collection, il n’y a pas de couleur pour attirer leur attention, seulement une petite reproduction comme celle-ci (montrer l’image).

Il ne faut montrer qu’une seule image à la fois, ne soyez pas trop généreux avec vos perles. Gardez vos connaissances et prenez soin de tirer de votre élève tout ce qu’il a remarqué, avant d’offrir vos propres observations. Je présente Vélasquez à ma classe à travers ce grand chef-d’œuvre qu’est « La reddition de Breda ». C’est un tableau qui ne peut manquer de susciter l’intérêt. Ils veulent tout de suite savoir qui a peint ce tableau, ce n’est pas Rembrandt le Hollandais, dont ils ont étudié les œuvres le trimestre dernier, mais un Espagnol. Où est l’Espagne ? Quelqu’un la cherche sur l’atlas. Il est né à Séville. Quelle est la capitale de l’Espagne ? C’est là que vivait le roi (montrez le portrait de Philippe IV, montrez le portrait de Vélasquez dans le coin de l’image). Racontez brièvement comment Vélasquez est devenu le peintre de la cour ; une petite connaissance historique de cette description est donnée à chaque leçon.

L’élève continuera ensuite à s’intéresser au maître tout au long du trimestre, mais attention à ce que le tableau, en dehors du peintre, soit l’étude principale.

Chaque élève de la classe trouvera quelque chose d’intéressant à vous dire sur le tableau, quelqu’un voudra sûrement compter les lances à l’arrière-plan, ce n’est pas vraiment un élément important, mais n’oubliez pas que les enfants apprécient les détails. Les questions sur le tableau seront sans fin, et faites attention à ne répondre qu’aux questions réfléchies, les questions désordonnées doivent être ignorées avec tact ; n’expliquez pas trop – « la chose la plus ennuyeuse au monde est l’explication ». Le professeur a une position délicate, il doit faire preuve d’enthousiasme tout en restant en retrait ; vous pouvez emporter votre classe à ce moment-là, mais c’est le tableau qui doit influencer la classe, pas vous-même.

Après avoir discuté du tableau pendant une dizaine de minutes, on demande à un ou deux élèves de le décrire de mémoire ; il est remarquablement difficile de décrire un tableau de manière adéquate, en général ils aiment vous donner une liste de détails, mais encouragez-les à aller droit au but et à trouver la caractéristique principale du tableau. A la fin de la leçon, les enfants aiment dessiner de mémoire quelques détails de l’image au fusain, au crayon ou même en sépia. Cela les encourage beaucoup si le professeur peut en dessiner une représentation grossière au tableau, et cela leur montre comment obtenir un certain effet avec quelques traits essentiels. Cependant, ils ne doivent pas considérer la leçon comme une leçon de dessin. Bien qu’ils dessinent à plat, je ne vois moi-même aucun mal à un tel dessin s’il aide les enfants à apprécier et à se souvenir de l’image.

Les élèves plus âgés apprécient plutôt de copier l’image avec plus de soin. J’ai ici des copies très soignées de certains tableaux de Van Eyck, et comme je sais combien de temps et de peine la jeune fille a pris, je ne peux que conclure que ce travail a dû être bénéfique, car la concentration et la capacité à prendre de la peine sont des qualités qui font souvent défaut à l’enfant moderne. Une leçon destinée à une classe plus âgée est donnée à peu près sur le même modèle que le schéma que je viens de donner. Cependant, on peut donner plus d’informations historiques, encourager les élèves à se renseigner par eux-mêmes. La technique peut être étudiée plus attentivement, et les différentes écoles de peinture peuvent être comparées. En quittant le nouveau, ne leur permettez pas d’oublier l’ancien, renvoyez-les constamment aux peintres qu’ils ont déjà étudiés, afin qu’ils se rendent compte de la valeur de leurs anciennes connaissances. Il est bon qu’ils tiennent un livre dans lequel ils peuvent placer toutes les reproductions des œuvres qu’ils ont étudiées. Le maître qui sera étudié au prochain trimestre est Carpaccio, et j’ai des reproductions des six tableaux qui seront étudiés, et que certains d’entre vous voudront peut-être voir, il s’agit de « La vision de Saint Augustin », « Saint Jérôme et le lion », « Saint Georges et le dragon », « Le rêve de Sainte Ursule », « L’arrivée de Sainte Ursule à Cologne » et « La présentation de Jésus au temple ».

Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction ©2021 Charlotte Roman. Relecture et révisions Maeva Dauplay)

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