Note (d’après l’article de Charlotte Mason Poetry par Art Middlekauff) : En 1836, la Home and Colonial School Society créa une école de formation des enseignants inspirée des idées du réformateur suisse Johann Pestalozzi. La première enseignante de l’école, Elizabeth Mayo, réformatrice de l’éducation britannique, est connue pour avoir été la première femme à former des enseignants en Angleterre. Vingt-quatre ans plus tard, l’institut de formation accueillait une nouvelle étudiante, une orpheline ayant obtenu une bourse d’études grâce à ses bons résultats au concours d’entrée. Au sein de cette école, cette jeune étudiante reçut une formation « imprégnée des principes et des méthodes de Pestalozzi ».

L’orpheline de dix-huit ans s’appelait Charlotte Mason. Si elle rejettera plus tard bon nombre des principes et des méthodes qui lui ont été enseignés au Home and Colonial Training College, elle apprit une chose de Mayo et de Pestalozzi : que les méthodes éducatives ne doivent pas nécessairement être fondées sur la tradition. Elle apprit que les pédagogues pouvaient proposer de nouvelles théories de l’éducation fondées sur la nature et les besoins des enfants tout en étant conformes à la loi naturelle. Elle observa que les enfants de toutes les classes sociales pouvaient être éduqués, et que cette éducation pouvait améliorer la condition générale de l’humanité.

Mason laissa le Home and Colonial Training College derrière elle lorsqu’elle fonda le PNEU. Toutefois, leurs chemins se croisèrent à nouveau de manière intéressante en décembre 1912. Ce mois-ci, la branche de Hull du PNEU invita Mlle P. E. Hanson à prendre la parole sur le thème « Art et Travaux manuels dans l’éducation des enfants ». Hanson n’était ni diplômée de la House of Education ni membre du PNEU. Elle était en fait une « Instructrice en Arts et Travaux manuels »… au Home and Colonial Training College.

La présentation de Hanson ne faisait aucune référence à Pestalozzi, le père spirituel de son école. Elle cita brièvement et favorablement des penseurs progressistes comme John Dewey et Maria Montessori. Mais le cœur de ses idées faisait écho aux écrits d’une autre penseuse : ceux de Charlotte Mason. Dans Home Education, Mason explique d’où vient le sens de la beauté : non pas de la contemplation de formes parfaites, mais plutôt, “d’un contact précoce avec la nature. » Dans une note non citée et presque directe, Hanson déclare que le but de l’étude de la nature est « de cultiver le sens du beau par un enseignement direct de la nature. »

L’ensemble de la conférence de Hanson est à bien des égards une mise en valeur de plusieurs des idées novatrices mais intemporelles de Mason. Son discours fut publié l’année suivante dans The Parents’ Review, et Hanson aborda à nouveau ce sujet pour le PNEU en 1915. En lisant l’article, nous comprenons pourquoi. Mais en plus d’être une célébration de l’étude de la nature, de l’art et des travaux manuels, l’article rappelle aussi de façon poignante que votre élève peut un jour devenir votre professeur.

Par P. E. Hanson
The Parents’ Review, 1913, p. 215-219

Nous, les Anglais, sommes considérés, en tant que nation, comme inartistiques, incapables d’apprécier et de produire des œuvres d’art. Nous en sommes fiers. Nous sommes un peuple pratique et les dispositions artistiques sont les particularités de l’étranger, une chose à considérer avec suspicion ; à tel point que l’expression même de « tempérament artistique » en est venue à qualifier, par une curieuse analogie, une personne incapable et confuse, deux qualités particulièrement inadaptées à notre époque et à notre race. Nous avons, certes, nos artistes, nos galeries d’art et nos musées, et nous en sommes extrêmement fiers ; mais ne sont-ils pas plutôt appréciés comme des biens précieux que pour leur valeur intrinsèque.

Cette conception de l’art a une influence directe sur le travail artistique dans nos écoles ; l’art en tant que matière n’est pas pris au sérieux ; il tend trop souvent à devenir un exploit, un moyen d’amusement ou un exercice technique ; par conséquent, dans les classes supérieures de nos écoles et de nos collèges, il est la première matière à être abandonnée. À présent, nous revendiquons pour l’art la même place que la musique, les langues et les sciences dans le programme d’études, non seulement comme moyen d’expression, mais comme moyen de développer le sens du beau inhérent à chaque enfant, à chaque nation, à chaque âge ; et peut-être le plus nécessaire en cette époque de matérialisme où l’artificialité et l’étalage côtoient dans nos grandes villes la laideur sordide et la vulgarité.

Examinons de plus près les idéaux de notre enseignement artistique, ce que nous visons, comment ces idéaux peuvent être réalisés dans la pratique et quelles ont été les causes d’échec dans le passé.

Les méthodes du passé. Le dessin à main levée, comme on l’appelle, et le dessin d’après modèle au moyen d’un crayon et d’une estompe ont été le début et la fin de notre éducation artistique pendant de nombreuses années ; ces méthodes avaient pour but d’enseigner les lois de la conception d’une part, la perspective, la lumière et l’ombre d’autre part, avec une certaine dose d’habileté technique et de précision dans le « tracé ».

Comme il est facile, au vu des méthodes modernes, de se rappeler, avec un sourire, l’heure et demie de cours de dessin avec la copie élaborée de South Kensington à nos côtés ; avec quelle patience nous avons marqué les points et les lignes directrices ! Avec quel travail nous avons reproduit la courbe et le méandre de l’autre côté symétriquement ! Avec quelle diligence nous avons appliqué notre gomme noircie sur la page usée ! Jusqu’à ce que, avec soulagement, la copie soit acceptée, et que nous soyons autorisés à tailler nos crayons et à commencer à « repasser » !

Puis de nouveau, le modèle, avec son groupe orthodoxe de cône, cube et cylindre dans des positions variées sur une planche oblongue ; les instructions concernant les « lignes de fuite », le « plan de l’image » et la ligne d’horizon imaginaire, règles apprises par cœur sans observations ni raison, constituaient la deuxième leçon de dessin de la semaine. Avec le recul, nous pouvons constater qu’il s’agissait en grande partie d’un « travail intensif » ou d’un travail mécanique qui exigeait peu de l’enfant et moins de l’enseignant.

Passons maintenant au changement qui s’opère aujourd’hui dans nos méthodes d’enseignement artistique.

Les méthodes actuelles. M. McKinder, dans une conférence donnée récemment à la Training College Association, a parlé de la nécessité d’examiner de temps en temps chaque matière du programme d’études dans son ensemble, en vue de son but.

Examinons notre enseignement artistique de cette façon et voyons ce que nous visons, ce vers quoi nous tendons :

Premièrement : La culture du sens du beau par un enseignement direct de la nature.

Deuxièmement : L’application pratique de cet enseignement au moyen des diverses formes de travaux manuels.

C’est vers la nature que nous nous tournons pour apprendre la beauté et la justesse de la forme, de la composition et de la construction. La nature nous enseigne par le biais de trois médiums, et nous les utilisons tous les trois : la peinture, l’argile, le crayon, etc.

Notre « étude de la nature » devient chaque année de plus en plus l’étude directe de la vie, avec l’adaptation à son environnement ; nos méthodes de géographie moderne suivent des lignes similaires ; le travail en plein air n’est plus la mode de quelques-uns, mais le but vers lequel tous tendent ; et les travaux d’art doivent aller de pair avec ceux-ci. Le thème ne doit pas être « l’apparence de la nature mais la nature elle-même ».

Comment pouvez-vous donner une meilleure compréhension de la beauté des couleurs autrement qu’à partir des riches éclats de la renoncule, de la dauphinelle ou de la rose trémière ; des lois du motif autrement qu’en étudiant les ailes délicates du papillon, la construction curieuse et merveilleuse du poisson rouge, ou les spirales de la corne du bélier ! Comment enseigner les lois de la perspective plus simplement et plus fidèlement que par la vaste étendue de terre et de ciel, avec son premier plan et son arrière-plan, les objets éloignés et ceux qui sont proches. Ainsi, la nature dans toutes ses formes de vie devient notre modèle à la place des cartes conventionnelles et artificielles d’ornement.

Les enfants, au cours de leurs premières années, éprouvent un sentiment vague de beauté qui est souvent étouffé par manque d’exutoire, d’expression, de culture et de compréhension. C’est ce sens de la beauté qui doit être développé si nous voulons que notre enseignement artistique soit vital et sincère.

Avant de passer à l’aspect pratique de notre travail artistique et manuel, je voudrais plaider en faveur d’une plus grande utilisation de nos galeries d’art comme moyen d’éducation artistique. On ne peut s’empêcher d’être frappé par les errances sans but et les remarques futiles de la majorité des gens, apparemment instruits et bien portants, que l’on voit dans les galeries d’art ; et si nous nous interrogeons sur le pourquoi, il ne faut pas chercher la réponse trop loin.

Les tableaux, pour être appréciés, exigent non seulement un sens artistique, mais aussi une compréhension littéraire, historique et même géographique ; un bel arrangement et un catalogue peuvent aider, mais ne font pas tout. J’ose affirmer qu’il ne suffit pas à l’homme ordinaire de voir un Botticelli, un Rubens ou un Millet, pour les apprécier, il a besoin d’une certaine connaissance de son époque, de son pays et savoir associer des idées. C’est à la lumière de la ferveur religieuse de l’Italie primitive, de l’opulence voluptueuse de la vie de la cour française au XVIIe siècle, du travail simple et sérieux du paysan dans les champs au XIXe siècle, que nous apprenons à connaître et à voir véritablement les œuvres de ces artistes.

Apprenons à nos enfants comment regarder et ce qu’il faut chercher. Familiarisons-nous avec les légendes représentées, avec les artistes, avec l’époque où ils ont vécu et le lieu où ils ont vécu, afin qu’ils aient, dans les années à venir, une base sur laquelle s’appuyer, un moyen de former un goût artistique personnel.

Passons maintenant à l’application pratique de l’art au travail manuel. Je n’ai pas besoin de m’étendre sur l’importance psychologique du travail manuel, tant de choses ont été dites ces dernières années sur ce sujet. Permettez-moi, cependant, de citer les paroles de deux de nos plus grands pédagogues vivants.

Concernant le travail manuel à l’école expérimentale de l’Université de Chicago, le professeur Dewey dit que c’est « une occupation qui implique l’observation, la planification et la réflexion, (…) l’interaction des idées et leur incarnation dans l’action ».

Le Dr Montessori, dans son chapitre sur l’entraînement sensorimoteur des jeunes enfants, y attribue « dans la vie ultérieure, l’adaptation de l’homme à son environnement. »

Considérez ces mots à la lumière de ce que j’ai déjà dit au sujet de notre éducation artistique et manuelle. Les idées de proportion, de construction et de conception apprises de la nature seront mises en pratique dans les travaux manuels, et l’adaptation des objets fabriqués à l’usage auquel ils sont destinés fera ressortir au maximum l’habileté, la prévoyance et l’exécution de l’ouvrier.

Quelle que soit la forme du travail manuel – fabrication de jouets, tissage, vannerie, travail de l’argile, travaux d’aiguille, travail du bois… – tous sont l’incarnation sous une forme ou une autre, par des moyens plus ou moins difficiles, de l’idée sous-jacente ; et c’est en cela que réside leur valeur éducative.

Il y a quelques semaines, après une journée de travail ardue à écouter des étudiants donner des leçons sur des thèmes nombreux et variés, j’ai visité en dernier lieu une école dans un quartier très pauvre d’Edmonton. Il était trois heures de l’après-midi, et toutes les classes étaient occupées à des travaux manuels. L’atmosphère morne de la discipline et de la routine scolaires pesait lourdement sur mon esprit, et le sentiment de l’irréalité de tout cela était le plus fort ; quel rapport tous ces enseignements avaient-ils avec la vie en dehors des murs de l’école ? Quel effet durable tout cela laissait-il sur ces petites personnes à l’étroit, raidies par le bureau, lorsque je me suis retrouvée dans une classe de garçons de douze et treize ans qui travaillaient le bois. Mes oreilles furent accueillies par le tapotement rythmé du marteau et des clous, le frottement du bois qu’on scie, le sifflement du rabot. Tous étaient absorbés et enthousiastes, posaient des questions qui portaient réellement sur un sujet d’importance ; l’air était électrique grâce à la force du cerveau mise en action par l’utilisation de la main et de l’œil, de l’outil et du bois. Ce fut la réponse à mes doutes, la preuve de l’importance du travail manuel éducatif, “l’interaction des idées et leur incarnation dans l’action.”

Pour conclure, je voudrais poser une question.

Si la valeur du travail manuel dans la vie scolaire s’est avérée si importante sur le plan éducatif, la vie familiale ne pourrait-elle pas saisir cette opportunité ? Nous pourrions faire beaucoup de choses dans ce sens si nous donnions des directives et des impulsions dans la bonne direction. Je préconiserais l’installation dans chaque foyer, comme dans chaque école moderne, d’une salle d’art et de travaux manuels à l’usage des garçons et des filles – une pièce avec un plancher en bois, une grande table, un tableau noir, une bonne provision de papier, de bois, de canne et de raphia, d’argile, d’outils et de peintures ; un atelier qui s’avérera non seulement une source de valeur éducative réelle, mais aussi d’intérêt et de plaisir absorbants pour chaque enfant.

Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction ©2021 Charlotte Roman. Relecture et révisions Maeva Dauplay)

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