SECONDE PARTIE
APPLICATION DE LA LECTURE À L’ÉLOQUENCE, AUX ŒUVRES EN PROSE, A LA POÉSIE
- Chapitre 1 – Lecteurs et orateurs
- Chapitre 2 – La lecture comme moyen de critique
- Chapitre 3 – De la lecture des vers
- Chapitre 4 – Un dernier mot
CHAPITRE I
LECTEURS ET ORATEURS
Supposons un élève chez qui le mécanisme soit parfait.
Le travail a rendu sa voix agréable, souple et homogène.
Il sait entremêler à propos les notes du médium, les notes hautes et les notes basses.
Il aspire et il respire sans que l’auditeur s’en aperçoive.
Il prononce purement. Il articule nettement. Ses défauts de prononciation, s’il en avait, sont corrigés.
Il ponctue en lisant.
Son débit n’est ni précipité, ni haché, ni traînant ; et enfin, chose rare, il ne laisse jamais tomber les syllabes finales, ce qui donne à toutes ses phrases la solidité et la clarté.
Est-il un lecteur complet ? non. Il n’est encore qu’un lecteur correct. Il peut lire, sans fatigue ni pour lui ni pour les autres, un rapport dans une assemblée politique, un discours dans une réunion savante, un document important dans une académie, un compte rendu dans une société industrielle, un exposé de motifs dans un comité et un procès-verbal devant un tribunal. Ce sont là sans doute de réels avantages ; ils rattachent la lecture à l’exercice de presque toutes les professions libérales, et par conséquent la rangent de droit au nombre des connaissances utiles.
Mais mérite-t-elle déjà le beau nom d’art ? Pas encore. Pour en être digne, il faut qu’elle s’étende jusqu’aux œuvres d’art ; il faut qu’elle devienne l’interprète des chefs-d’œuvre du génie : seulement, dans ce cas, la correction ne lui suffit plus, elle veut du talent.
Tous les hommes qui lisent peuvent-ils donc devenir des lecteurs de talent ? Tous ? non. Tous au même degré ? non. Tous avec la même facilité et dans le même temps ? non. Mais tous les esprits quelque peu distingués ? oui, dans la proportion de leur intelligence et de leurs moyens naturels. Les organisations d’élite, les êtres doués de qualités exceptionnelles, verront par le travail leur riche nature porter double moisson. Les autres, sans arriver au premier rang, s’en approcheront de plusieurs degrés.
Le génie ne s’acquiert pas, mais le talent s’acquiert. Et quand le génie se double du talent, il s’appelle Talma.
En quoi consiste donc ce talent ? Sur quelles règles repose-t-il ? Saint-Marc Girardin, on se le rappelle, les réduisait toutes à une seule : « Il faut lire comme on parle. »
Cette opinion, passée à l’état de principe chez beaucoup de bons esprits, est sujette à plus d’une restriction.
Lire comme on parle ! Soit…. mais à une condition : c’est qu’on parle bien ; or, on parle presque toujours mal. Je me rappelle un quatrain souvent cité dans ma jeunesse.
« Un monsieur qui rime en arle
Dit à tous ses abonnés
Qu’il faut lire comme on parle….
Eh ! si l’on parle du nez !”
Mlle Mars aimait à raconter qu’un homme du monde, qui se croyait une vocation d’acteur tragique, lui nasilla si bien un jour le début d’Athalie, qu’au sixième vers elle l’interrompit :
« Bravo ! monsieur. De la noblesse !… de la chaleur ! Vous avez bien un petit défaut de prononciation, mais cela disparaîtra à la lumière. » Et là-dessus notre homme partit enchanté.
Ajoutez que la conversation admet et même demande une certaine négligence dans la prononciation, un laisser-aller dans le débit, des incorrections volontaires qui sont une grâce quand on cause, et qui seraient un défaut quand on lit. Causer comme on lit ressemblerait à du pédantisme, lire comme on cause serait souvent de la vulgarité. Par exemple, quelques syllabes comme les adjectifs possessifs, mes, ses, tes, se prononcent très souvent dans la conversation, comme s’ils étaient marqués d’un accent aigu. Vous entendez sans cesse les jeunes gens dire : Reprends donc tés livres. Si vous transportiez cette prononciation dans la lecture, vous blesseriez toutes les oreilles délicates. Un amateur, qui se piquait de bien dire, demanda un jour des leçons au célèbre tragédien Lafon. Il cherchait moins des conseils que l’occasion de s’entendre louer par un grand artiste. Il choisit donc par flatterie le plus beau rôle de son maître : Orosmane.
« …Ton orgueil ici se serait-il flatté
D’effacer Orosmane en générosité ?
Reprends ta liberté, remporte tés richesses !
– Tais… richesses ! dit brusquement Lafon en l’interrompant.
– C’est ce que j’ai dit.
– Non ! vous avez dit : tés richesses ! »
L’amateur continue :
« A l’or de ces rançons, joins més justes largesses….
– Mais… justes, s’écrie Lafon.
– Il me semblait avoir dit…
– Vous avez dit : més justes. »
L’amateur continue :
« Au lieu de dix chrétiens que je dois t’accorder,
Je t’en veux donner cent…. tu peux lés demander….
Lais ! »
L’amateur commence à se troubler.
« Qu’ils allaient sur tés pas….
– Tais…. »
Pour le coup, l’amateur piqué, blessé, lui répond :
« Mais, monsieur ! je parle comme on parle dans le monde.
– Le monde est le monde, monsieur, reprit Lafon froidement, mais l’art est l’art, la lecture est la lecture, et ses règles ne sont pas celles de la conversation. »
On ne peut pas mieux dire, et la conclusion est qu’il y a sans doute dans la causerie un naturel, une vérité d’inflexions, une grâce de débit, qu’il est utile de faire passer dans la lecture, mais qu’il ne faut lui emprunter que ses qualités, et rester à la fois vrai et correct.
Ce n’est pas tout. Le monde, par une singulière confusion de termes, emploie indifféremment, dans le même sens, les deux mots parler et causer. Rien de plus dissemblable. Il y a des gens qui, au point de vue de la bonne diction, causent très bien et parlent très mal. En voulez-vous la preuve ? Allez au Palais, dans la salle des Pas-Perdus ; abordez un avocat de vos amis et causez avec lui. Son débit sera naturel et simple. Suivez-le dans la salle d’audience ; écoutez-le dire : « Messieurs les juges » et commencer sa plaidoirie ; ce n’est plus le même homme, toutes ses qualités disparaissent ; il était naturel, il devient emphatique ; il causait juste, il parle faux ; car on parle faux comme on chante faux. Un assez grand nombre d’avocats ont l’air de jouer le rôle de l’Intimé, dans les Plaideurs ; M. Régnier, M. Got et M. Coquelin les imitent si bien qu’ils semblent imiter M. Coquelin, M. Got et M. Régnier. L’avocat que M. Got copie est connu de tout le monde ; M. Coquelin, lui, en imite trois ; et quant à M. Régnier, il avait pris pour modèle un procureur du roi, lequel procureur portait dans les affaires criminelles une telle grâce de débit, une telle douceur poétique de prononciation, qu’on croyait entendre Mlle Mars dans Araminte, quand il disait : « Messieurs les jurés, le crime épouvantable qui va se dérouler devant vous a pour date le six mars, au lever du jour. La matinée était belle…. Un garde, passant dans le bois, vit au bord d’une mare un corps-z-ensanglanté ! » Le z’ensanglanté… surtout était irrésistible. C’est ce que M. Régnier reproduisait avec un tel succès de fou rire… dans le début de l’Intimé :
Messieurs, tout ce qui peut effrayer un coupable !
Il ne faut pas être injuste pour les avocats ; les prédicateurs sont absolument pareils. J’ai entendu bien des prédicateurs, je n’en ai entendu qu’un seul qui parlât complètement juste. Je ne le nommerai pas pour ne pas me brouiller avec tous les autres. On le voit, si l’on doit apprendre à lire, on doit de même apprendre à parler ; seulement, et voilà le fait curieux, il n’y a qu’un seul moyen d’apprendre à parler, c’est d’apprendre à lire. Je m’explique.
Un général monte à cheval un jour de bataille. Que faut-il avant tout ? Qu’il sache monter à cheval. Obligé de se porter vivement sur tous les points de l’action, pour faire exécuter les mouvements, il doit avoir dans sa monture un instrument docile, qu’il gouverne sans s’en apercevoir : s’il lui fallait s’occuper d’elle, il ne pourrait pas s’occuper de son plan. Un général a donc eu nécessairement deux maîtres : un homme de guerre et un écuyer ; Jomini et M. d’Aure.
Tel est précisément le fait de l’orateur : sa voix est son cheval ; c’est son instrument de combat ; s’il veut qu’elle ne le trahisse pas pendant l’action, il faut qu’un travail antérieur et distinct lui ait enseigné l’art de s’en servir. On ne peut pas apprendre à la fois à penser et à parler. Les études de diction, les exercices de la voix, sont d’autant plus efficaces qu’ils portent sur les idées des autres ; on s’y donne alors tout entier.
J’étais lié autrefois avec un député de mon âge, plein de talent, de savoir, et qui voyait dans la députation un acheminement au ministère. Un jour qu’il devait prononcer à la Chambre un discours important, un discours-ministre, il me pria d’aller l’entendre. La séance terminée, il vient à moi, fort empressé de connaître mon impression.
« Eh bien ? me dit-il.
– Eh bien, mon cher ami, tu n’entreras pas encore de ce coup-ci dans le cabinet.
– Pourquoi ?
– Parce que tu ne sais pas parler.
– Comment, je ne sais pas parler ! reprit-il un peu piqué ; il me semble pourtant que mon discours….
– Oh ! ton discours a été en partie excellent, remarquable de justesse, de bon sens, et parfois d’esprit ; mais qu’importe, si l’on n’en a pas entendu la moitié.
– On ne m’a pas entendu ! Mais dès le début j’ai parlé si haut et si fort….
– Que tu peux même dire que tu as crié ! Aussi, au bout d’un quart d’heure, ta voix s’est éraillée.
– C’est vrai !
– Attends, je n’ai pas fini. Après avoir parlé trop haut, tu as parlé trop vite.
– Oh ! trop vite, dit-il en se défendant, peut-être un peu à la fin, parce que j’ai voulu abréger.
– Précisément, et tu as fait exactement le contraire…. tu as allongé. Rien, au théâtre, ne fait paraître une scène longue comme de la débiter trop vite. Le spectateur est très fin, il devine, à la précipitation de votre débit, que vous sentez là quelque longueur : non prévenu, il ne s’en fût peut-être pas aperçu ; vous l’avertissez, l’impatience le gagne.
– C’est encore vrai ! s’écria de nouveau mon ami, j’ai senti à la fin mon auditoire m’échapper ; mais quel remède à ce mal ?
– Rien de plus simple. Prends un professeur de lecture.
– Tu en connais un ?
– Admirable !
– Lequel ?
– M. Samson.
– M. Samson, l’acteur ?
– Oui.
– Je ne peux pas prendre des leçons d’un acteur.
– Pourquoi ?
– Songe donc ! un homme politique ! un homme d’Etat ! Tous les petits journaux se moqueraient de moi si cela se savait.
– Tu as raison ! le monde est si bête qu’on te raillerait d’apprendre ton métier. Mais sois tranquille, on ne le saura pas.
– Tu me garderas le secret ?
– Et M. Samson aussi, je te le jure…. »
Ainsi fut fait. M. Samson lui posa, lui assouplit, lui fortifia la voix ; il lui fit lire des pages de Bossuet, de Massillon, de Bourdaloue ; il lui apprit à commencer ses discours un peu lentement et un peu bas ; rien ne commande le silence comme de parler bas ; on se tait pour pouvoir vous entendre, et il en résulte qu’on vous écoute. Ces sages leçons portèrent leurs fruits. Six mois après, mon ami était ministre. Je ne dis pas grand ministre, non ! mais ministre…. d’affaires, ministre qui va à son ministère, ministre qui lit tout ce qu’il signe. Il représenta dans le cabinet ce qu’on appelle l’élément sérieux. Je vous engage à profiter de son exemple. Quelqu’un de vous sera-t-il ministre ? je ne sais ; mais quelques-uns seront forcés, comme professeurs, de parler une ou deux heures par jour ; plusieurs se présenteront comme candidats dans les réunions politiques. Il se dépense beaucoup de paroles dans ces réunions…. Préparez-vous ! Armez-vous ! Rappelez-vous qu’on n’est maître du public que quand on est maître de soi ; qu’on n’est maître de soi que quand on est maître de sa voix, et prenez un maître de lecture ! Je me trompe, prenez-en deux. Qui veut savoir sérieusement une chose doit toujours adjoindre à son professeur un répétiteur, et ce répétiteur, c’est lui-même ! Unissez l’observation personnelle à la leçon ! Écoutez les voix comme on regarde les physionomies ! Recherchez les accents vrais comme on recherche les âmes sincères ! Surtout, étudiez les enfants ! Ici se présente un fait bien singulier.
Les enfants sont d’admirables maîtres de diction. Quelle vérité ! Quelle justesse d’intonations ! La souplesse de leurs organes se prêtant à toute leur mobilité de sensations, ils arrivent à des audaces d’inflexions que les plus habiles comédiens n’imagineraient pas ! Avez-vous jamais écouté une enfant racontant quelque secret qu’elle a surpris, quelque scène mystérieuse à laquelle elle a assisté, comme Louison du Malade imaginaire ? Elle imitera toutes les voix ! Elle reproduira tous les tons !… Vous croirez voir les personnages, les entendre !… Eh bien, immédiatement après, sans transition, demandez à cette même enfant de vous lire cette même scène dans Molière, ou quelques vers de Joas dans Athalie, et elle commencera sur le ton de complainte, ce ton niais et monotone qui est propre aux enfants qui lisent :
Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s’étend sur toute la nature.
Ces grands professeurs de lecture ne savent pas lire. Je peux citer à l’appui de ce curieux phénomène un fait qui jette beaucoup de jour sur la question qui nous occupe.
J’avais écrit, dans une pièce de théâtre, Louise de Lignerolles, un rôle de petite fille. Ce rôle fut confié à une enfant de dix ans, pleine d’intelligence et de grâce. Le jour de la répétition générale, ma petite actrice fit merveille, et un spectateur, placé devant moi à l’orchestre, s’écria en l’applaudissant : « Quelle vérité ! quelle naïveté ! comme on voit bien qu’on ne lui a pas appris cela ! »
Or, depuis un mois, je ne faisais pas autre chose que de lui souffler ce rôle, intonation à intonation. Ce rôle était-il donc au-dessus de son âge ? nullement. J’avais même emprunté à ma petite actrice, que je voyais souvent, quelques-unes de ces expressions originales que les enfants créent d’instinct. Mais, dès que ces expressions entrèrent dans son rôle, dès qu’elle se mit à les lire, tout son naturel disparut. Ce qu’elle avait dit à merveille quand elle parlait pour son propre compte, elle l’exprimait froidement et à contre-sens dès qu’elle parlait au nom d’une autre, et il me fallut beaucoup de temps et d’efforts pour l’amener à être ce qu’elle était, pour lui réapprendre ce qu’elle m’avait appris.
On le voit, la lecture est si bien un art qu’il faut l’enseigner même à ceux qui nous le montrent.
J’arrive au point le plus intéressant de notre étude : la lecture considérée comme moyen d’appréciation littéraire.
CHAPITRE II
LA LECTURE COMME MOYEN DE CRITIQUE
M. Sainte-Beuve, après une longue conversation où je lui avais exposé mes idées sur ce sujet, me dit un jour : « A ce compte, un habile lecteur serait un habile critique. Sans nul doute, et vous dites même plus vrai que vous ne le croyez. En quoi en effet consiste le talent du lecteur ? A rendre les beautés des œuvres qu’il interprète ; pour les rendre, il faut nécessairement les comprendre. Mais voici qui va vous étonner ! C’est son travail pour les rendre qui les lui fait mieux comprendre ; la lecture à haute voix nous donne une puissance d’analyse que la lecture muette ne connaîtra jamais. »
M. Sainte-Beuve me demanda quelques exemples. Je lui citai le beau discours académique de Racine sur Corneille.
Ce discours est célèbre parmi les lettrés. Il renferme surtout un passage merveilleux : c’est la comparaison entre le Théâtre-Français avant Corneille et après lui. J’avais souvent lu tout bas et admiré ce passage ; mais un jour, en essayant de le lire tout haut, je fus arrêté par une difficulté d’exécution qui me surprit et me fit réfléchir. La seconde partie me parut lourde et presque impossible à rendre. Il me semblait être attelé au coche de la Fontaine. Cette partie, en effet, a dix-sept lignes, et ces dix-sept lignes ne forment qu’une seule phrase ! Une phrase sans un seul moment d’arrêt. Pas de points ! Pas de deux points ! Pas même de point et virgule ! Rien que des virgules, avec des entrelacements d’incidences qui se succèdent et renaissent à chaque repli de la phrase, la prolongent au moment où vous la croyez finie, et vous obligent ainsi à la suivre, tout haletant, dans ses interminables sinuosités. J’arrivai au bout du morceau, essoufflé, mais pensif. Pourquoi donc, me demandai-je, Racine a-t-il écrit une si longue phrase et si laborieusement ordonnée ? Par instinct, mon œil se reporte vers la première partie du morceau. Qu’est-ce que je vois ? Un contraste complet ! Sept phrases en neuf lignes ! Des points d’exclamation partout ! Pas un seul verbe ! Un style haché, disjoint ! Tout en fragments, en tronçons ! Je pousse un cri de joie, j’avais vu clair ! Voulant exprimer les deux états du théâtre, Racine avait fait plus que les raconter, il les avait peints. Pour figurer ce qu’il appelle lui-même le chaos du poëme dramatique, il emploie un style violent, abrupt, sans art, sans transition ! Pour rendre par une image sensible le théâtre tel que Corneille l’avait créé, il imagine une longue période où tout s’enchaîne et se soutient, où tout est harmonie et unité, pareille enfin, dans sa laborieuse ordonnance, aux tragédies de l’auteur de Rodogune et de Polyeucte, qui se plaît, on le sait, dans la combinaison savante des situations et des caractères.
Une fois ce fil en main, je repris le morceau, et je le lus de nouveau. Qu’on le lise aussi, et qu’on juge !
« En quel état se trouvait la scène française lorsque Corneille commença à travailler ! Quel désordre ! Quelle irrégularité ! Nul goût, nulle connaissance des véritables beautés du théâtre. Les auteurs, aussi ignorants que les spectateurs, la plupart des sujets extravagants et dénués de vraisemblance ; point de moeurs, point de caractères ; la diction encore plus vicieuse que l’action, et dont les pointes et de misérables jeux de mots faisaient le principal ornement ; en un mot, toutes les règles de l’art, celles mêmes de l’honnêteté et de la bienséance, partout violées.
« Dans cette enfance, ou pour mieux dire, dans ce chaos du poëme dramatique parmi nous, Corneille, après avoir quelque temps cherché le bon chemin et lutté, si je l’ose ainsi dire, contre le mauvais goût de son siècle, enfin, inspiré d’un génie extraordinaire et aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scène la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornements dont notre langue est capable, accorda heureusement la vraisemblance et le merveilleux, et laissa bien loin derrière lui tout ce qu’il avait de rivaux, dont la plupart, désespérant de l’atteindre et n’osant plus entreprendre de lui disputer le prix, se bornèrent à combattre la voix publique déclarée pour lui, et essayèrent en vain, par leurs discours et par leurs frivoles critiques, de rabaisser un mérite qu’ils ne pouvaient égaler. »
L’épreuve me semble décisive, la démonstration irréfutable. Il est évident que, lu tout haut, ce morceau change d’aspect. Il s’éclaire d’un nouveau jour. La pensée de l’auteur y apparaît visible ! Ajouterai-je que cette lecture offre une difficulté qui est une leçon ? Je ne sais rien en effet de plus malaisé et par conséquent de plus utile que de conduire jusqu’au bout cette terrible période de dix-sept lignes, sans se reposer une seule fois pendant la route, sans paraître fatigué, en faisant toujours sentir par les inflexions que la phrase n’est pas finie, de façon enfin à la laisser se dérouler dans toute son ampleur et dans toute sa souplesse majestueuse. Mes études de lecteur me furent fort utiles ce jour-là, et je rendis deux fois grâce à cet art, qui après m’avoir fait comprendre ce beau morceau, me permit de le rendre.
CHAPITRE III
DE LA LECTURE DES VERS
Comment faut-il lire les vers ? A en juger par la méthode suivie, même au théâtre, le grand art de lire les vers consiste à faire accroire au spectateur que c’est de la prose. J’assistais un jour à la représentation d’un drame. Près de moi se trouvaient dans une loge du rez-de-chaussée deux dames fort élégantes. Tout à coup, l’une d’elles dit à l’autre : « Mais, ma chère, ce sont des vers ! » Là-dessus elles se lèvent et partent. Eh bien, vraiment, ce n’était pas la faute de l’acteur si elles s’en étaient aperçues. Il avait vraiment fait tout ce qu’il avait pu pour leur déguiser le monstre ; il brisait, hachait, disloquait si bien les vers, que la poésie, dans sa bouche, me rappelait Hippolyte dans le récit de Théramène :
… Ce héros expiré
N’a laissé dans mes bras qu’un corps défiguré
Et que méconnaîtrait l’œil même de son père.
Les amateurs enchérissent encore naturellement sur les artistes. Rien de plus simple. On ne peut pas savoir ce qu’on n’a pas appris, et presque personne ne doute qu’il y ait là quelque chose à apprendre. Ainsi, je n’entends guère des vers en public sans admirer combien il y a de manières de les mal lire. Les uns, sous prétexte d’harmonie, se croient obligés de les envelopper dans une sorte de mélopée onctueuse qui arrondit toutes les lignes, efface tous les contours, huile tous les ressorts et arrive à vous produire une sensation fade et écœurante, assez semblable à l’effet d’une tisane mucilagineuse. Les autres, sous prétexte de vérité, ne s’inquiètent ni du rythme, ni de la rime, ni de la prosodie ; et quand par malheur ils se souviennent que la césure est au sixième pied, ils vous disent bravement :
Mon esprit est mal propre (Césure,virgule)
aux spéculations !
A ces étranges erreurs, permettez-moi d’opposer trois maximes absolues et dont j’espère vous prouver la justesse par des exemples :
1 ° Que l’art de la lecture n’est jamais ni si difficile ni si nécessaire que quand il s’applique à la poésie, et qu’un long travail peut seul vous en rendre maître ;
2° Qu’il faut lire les vers comme des vers, et interpréter les poëtes en poëte ;
3° Que leur interprète devient leur confident, et qu’ils lui révèlent à lui ce qu’ils ne disent à personne,
Un seul homme nous suffira pour la démonstration de ces trois axiomes : la Fontaine. Mais ici je dois entrer dans un détail qui sera moins une digression qu’un sentier plus sûr et plus agréable pour arriver à notre but. C’est dans la Fontaine que j’ai commencé à apprendre à lire. J’avais pour maître un homme fort habile, trop habile même, qui avait une voix charmante dont il usait très bien, une physionomie expressive dont il abusait, et qui m’a donné deux sortes de leçons également utiles et dont vous pourrez profiter comme moi ; il m’a appris ce qu’un lecteur doit faire et ce qu’il doit éviter.
Un jour qu’il devait lire dans une matinée littéraire, au Conservatoire, quelques fables de la Fontaine, et entre autres le Chêne et le Roseau, il me dit : « Venez m’entendre, et vous verrez comment doit se présenter, devant un grand auditoire, un lecteur qui sait son métier.
« Je commencerai par faire le tour de l’assemblée avec le regard ; ce regard circulaire et accompagné d’un demi-sourire légèrement esquissé sur les lèvres, doit être agréable, aimable ; il a pour objet de récolter pour ainsi dire comme dans une quête les premières sympathies de l’assemblée, et de ramener sur vous tous les yeux ; alors, on fait un petit appel de gosier… hum ! hum ! comme si on allait commencer…. on ne commence pas encore ! Non ! On attend que le silence soit bien complet…. puis on avance le bras… le bras droit…. en arrondissant gracieusement le coude…. le coude est l’âme du bras ! L’attention redouble, vous dites le titre. Vous le dites simplement, sans effet, vous jouez le rôle d’une affiche…. le Chêne et le Roseau. Vous commencez : le Chêne ; ici, la voix large ! Le son étoffé ! … le geste noble et quelque peu emphatique ! Il s’agit de peindre un géant qui a la tête dans la nue et les pieds dans l’empire des morts ….
Le chêne, un jour dit au roseau….
« Oh ! presque pas de voix en disant le mot roseau ! … Rapetissez-le, ce pauvre arbrisseau, par l’intonation …. méprisez-le bien, jetez-lui un regard par dessus l’épaule ! Tout en bas …. comme si vous le découvriez au loin ! … »
Vous riez ! Et vous avez bien raison ! Et vous ririez plus encore si je vous disais que, dans la fable de Bertrand et Raton, à ce vers :
Nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons….
M. Febvé faisait ronfler ces quatre r, pour imiter la détonation des marrons devant le feu. Oui, tout cela est comique ! Tout cela est ridicule ! … Et pourtant, au fond, c’est juste, c’est profond, et c’est vrai ! Il est vrai qu’il ne faut pas parler tout de suite en arrivant devant le public ; il est vrai qu’il faut entrer en communication de regard avec lui ; il est vrai qu’il faut prononcer le titre clairement et simplement ; il est vrai enfin qu’il faut figurer, représenter, peindre par le son les divers personnages, et si vous supprimez l’exagération et l’affectation qui en est la suite, il vous reste une excellente et très utile leçon, surtout par rapport à la Fontaine. En effet, il règne dans le monde une opinion passée à l’état de formule, c’est qu’il faut lire ses fables simplement. Soit ! Mais qu’entendez-vous par simplement ? Voulez-vous dire, tout uniment, tout bonnement, tranchons le mot, prosaïquement ? Oui ? Eh bien, alors, non ! Ce n’est pas là lire la Fontaine, c’est le défigurer. Ce n’est pas le traduire, c’est le trahir. La Fontaine est le poëte le plus complexe de la langue française. Personne n’a rassemblé en soi tant de contraires ! Nulle poésie n’est aussi riche en oppositions. Son surnom très mérité de bonhomme, sa légitime réputation de naïveté, ses mille traits de distraction ont donné le change sur son génie. Son caractère d’homme nous a abusés sur son caractère de poëte. Ingénu dans la vie ? Oui. Candide comme individu ? Oui. Mais la plume à la main, c’est le plus habile, le plus rusé, je dirai volontiers le plus roué de tous les artistes. Lui même il nous a livré son secret :
Tandis que sous mes cheveux blancs
Je fabrique à force de temps
Des vers moins sensés que sa prose !
Je fabrique !… Entendez-vous ce mot ? Exprime-t-il assez énergiquement l’effort, le labeur, la volonté ? Tout en effet, chez la Fontaine, est calculé, prémédité, cherché, et en même temps, par un don merveilleux, tout est harmonieux, souple, naturel ! L’art est partout, l’artifice nulle part ! Où réside son secret ? dans cette délicieuse simplicité de cour, qui, passant dans ses vers, s’unit si bien à son talent, que chez lui la science se trouve employée à peindre la naïveté et que la naïveté communique son abandon à la science. Ajoutez un contraste de plus, une difficulté de plus et par conséquent un mérite de plus. Chez la Fontaine, tous les extrêmes se touchent. Il met à côté l’un de l’autre les tons les plus disparates : l’émotion, la raillerie, la force, la noblesse, la familiarité, la jovialité gauloise se coudoient à tout instant dans ses vers. Nul n’a su faire tenir tant de grandeur dans si peu de place ! Il lui suffit d’une ligne, d’un mot pour vous ouvrir tout à coup de vastes horizons ! Peintre incomparable ! Narrateur incomparable ! Créateur de caractères presque égal à Molière lui-même. Et vous croyez que tout cela doit et peut être rendu simplement, tout bonnement ? Non ! Mille fois non ! Une étude profonde peut seule permettre au lecteur de comprendre et de faire comprendre même imparfaitement un art si profond.
Prenons pour exemple la fable du Héron :
Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d’un long cou.
Il est évident pour tout le monde que cette triple répétition du mot long est un effet pittoresque que le lecteur doit rendre.
Il côtoyait une rivière
L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours.
Doit-on lire ces deux vers de la même façon ? Non. Le premier simple vers de récit doit être dit simplement. Le second est un vers de peintre, il faut que l’image soit visible dans la bouche du lecteur, comme sous la plume du poëte.
Ma commère la carpe y faisait mille tours
Avec le brochet son compère !
Oh ! Vous ne savez pas votre métier de lecteur, si votre voix alerte, gaie et un peu railleuse, ne montre pas le va-et-vient de ce petit couple frétillant.
Le héron en eût fait aisément son profit ;
Tous s’approchaient du bord ; l’oiseau n’avait qu’à prendre.
Simple vers de récit.
Mais il crut mieux faire d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appétit.
Attention ! Voilà le caractère qui se dessine ! Le héron est un sensuel, un gourmet plutôt qu’un gourmand.
L’appétit est un plaisir pour les délicats de l’estomac. Donnez au mot appétit cet accent de satisfaction qu’éveille toujours la pensée ou la présence de ce qui plaît ! … Vous verrez tout à l’heure comme cette indication vous sera utile.
Il vivait de régime et mangeait à ses heures.
Second vers de caractère. Le héron est un important, qui se respecte.
Au bout de quelque temps l’appétit vint…
Le héron est content.
L’oiseau,
S’approchant du bord, vit sur l’eau
Des tanches qui sortaient du fond de leurs demeures.
Vers de peintre, vers admirable ! Il exprime cette sensation pittoresque que vous avez éprouvée quelquefois en pêchant, quand vous voyez à travers le voile de l’eau se dessiner confusément d’abord, puis plus nettement, puis apparaître à la surface les poissons qui montent du fond de la rivière ! Peignez ! Peignez par la voix !
Ce mets ne lui plut pas, il s’attendait à mieux
Il montrait un goût dédaigneux
Comme le rat du bon Horace.
Le caractère se poursuit.
Moi, des tanches ! dit- il, moi, héron, que je fasse
Une si pauvre chère ! Et pour qui me prend-on ?
Marquez bien l’h aspiré de héron ; guindez-le, hissez-le sur cet h comme sur ses longues pattes !
La tanche dédaignée, il trouva du goujon.
Du goujon ! Beau dîner, vraiment, pour un héron !
Ici il éclate de rire.
Que j’ouvre pour si peu le bec ! A Dieu ne plaise !
Il l’ouvrit pour bien moins. Tout alla de façon
Qu’il ne vit plus aucun poisson.
La faim le prit.
La faim ! Comprenez-vous maintenant la différence avec le mot appétit ? Croyez-vous que la Fontaine ait mis par hasard ce petit hémistiche si net et si terrible : « La faim le prit ! » Il ne s’agit plus de sensualité comme là-haut ; le mot est bref, pressant, implacable, comme le besoin ! Rendez tout cela par la voix, et peignez aussi ce dénoûment brusque, dédaigneux et sommaire ainsi qu’un arrêt :
Il fut heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.
Presque toutes les fables de la Fontaine donneraient lieu à une étude pareille, et tous les grands poëtes peuvent être étudiés comme la Fontaine. Seulement, ne l’oublions pas : il y a autant de manières de lire les vers que de manières de les faire. On ne doit pas interpréter Racine comme Corneille, ni Molière comme Regnard, ni Lamartine comme Victor Hugo. Lire c’est traduire. La diction, pour être bonne, doit donc représenter exactement le génie qu’elle interprète. Atténuez quelques fautes, voilez quelques taches, courez sur quelques longueurs, soit ! Mais ne dénaturez jamais ! Un lecteur qui s’aviserait d’appliquer à Ruy-Blas ce qu’on appelle un débit simple et naturel, lui ôterait du même coup sa qualité dominante, la richesse du coloris. Il faut être exubérant avec les exubérants. Quand on veut copier Rubens, on ne doit pas faire un dessin à la mine de plomb. Ajoutez que chaque genre de poésie a son genre d’interprétation. Lire une ode comme une fable, un morceau lyrique comme un morceau dramatique, les Étoiles de Lamartine comme l’Aveugle et le Paralytique de Florian, c’est jeter sur la magnifique variété des œuvres du génie l’affreux voile gris de l’uniformité. Mais la règle immuable, inflexible, éternelle, qui s’applique à tous les genres et à tous les hommes, règle que je répète comme la loi qui résume toutes les lois, c’est que le jour où on lit un poëte, il faut le lire en poëte. Puisqu’il y a un rythme, faites sentir le rythme ! Puisqu’il y a des rimes, faites sentir les rimes ! Quand les vers sont peinture et musique, soyez, en les lisant, peintre et musicien ! Que de passages où le pathétique lui-même naît de l’harmonie ! On vous dira : prenez garde ! Vous allez tomber dans l’emphase, dans la déclamation ! Vous allez oublier la vérité. Dieu merci, la vérité est plus vaste que le petit esprit des pédants de naturel. Elle comprend dans son domaine tout ce qu’embrasse l’intelligence humaine dans son essor. On peut lire avec vérité tout ce qui est écrit avec sincérité. Le surnaturel lui-même a son naturel, mais ce n’est pas, bien entendu, le naturel du bon sens et de la raison pratique. Quelle sera, selon vous, l’image de la vive fantaisie et de la capricieuse imagination de l’Arioste ? … Est-ce le classique Pégase ? Non ! C’est l’hippogriffe ailé qui emporte Astolphe dans la lune. Eh bien, quand vous lisez Roland furieux, lancez-vous sur le dos de l’hippogriffe et partez avec lui pour les royaumes étoilés !
CHAPITRE IV
UN DERNIER MOT
Notre but est-il atteint ? Pas encore. J’ai démontré, j’espère, que les élèves, en tant qu’élèves, et les maîtres, en tant que maîtres, trouveront un auxiliaire puissant dans l’art de la lecture. Mais les écoliers ne resteront pas toujours écoliers, les instituteurs ne sont pas seulement instituteurs : eh bien, cette étude leur servira autant hors de l’école qu’à l’école ; après la classe que pendant la classe.
Il y a soixante ans, le talent de la parole était une rareté, l’usage public de la parole étant une exception. Aujourd’hui, la voix est devenue le grand agent, le grand intermédiaire de tous les rapports sociaux.
Aujourd’hui, tout le monde doit apprendre à lire et à parler, parce que tout le monde peut être obligé de parler et de lire. Le mouvement des mœurs multiplie tellement les réunions publiques qu’à tout moment, il y a matière à discours ou à lectures. Comices, comités, commissions, congrès, assemblées électorales, assemblées industrielles, assemblées commerciales, réunions littéraires, réunions savantes, sont autant de formes nouvelles de la vie publique, qui enveloppent la presque totalité des citoyens, et peuvent, à un moment donné, forcer le plus obscur comme le plus illustre au rôle de lecteur ou d’orateur. Les élèves sortis des écoles primaires n’auront-ils pas, comme artisans, des syndicats ; comme fermiers, des comices agricoles ; comme ouvriers, des sociétés de secours mutuels ; comme électeurs, des réunions politiques? A ce titre, ne leur faudra-t-il pas souvent lire tout haut un rapport, un compte rendu, un exposé de situation, un projet ? S’ils lisent mal, ne s’exposent-ils pas à être mal entendus, mal compris, et peut- être même, quelque peu tournés en ridicule ? S’ils lisent bien, leur discours ne sera-t-il pas plus clair, plus convaincant ? C’est incontestable. Les notions de lecture qu’ils auront acquises à l’école, les suivront donc dans la vie ; ils utiliseront comme hommes ce qu’ils auront appris comme élèves, et ainsi, leur habileté de lecteurs les aidera à mieux remplir leurs devoirs, à mieux exercer leurs droits de citoyens.
Je ne voudrais pas terminer ce petit traité sans y ajouter une considération générale qui m’en paraît le complément.
L’utilité pratique, les plaisirs de l’art, les joies de l’amour-propre, ne sont pas les seuls fruits de l’étude de la lecture à haute voix. Elle a aussi son rôle dans nos sentiments les plus chers. C’est ce qui fait que je lui voudrais voir pour disciples toute une classe de personnes dont je me reproche de n’avoir pas encore parlé, ce sont les femmes. Notre art leur convient encore mieux qu’aux hommes. Elles tiennent de la nature une souplesse d’organes et une facilité d’imitation qui se prêtent à merveille à tous les arts d’interprétation et par conséquent au talent de la lecture. J’ajoute que ce talent, qui chez les hommes est un instrument de travail, un moyen de succès professionnel, peut se lier pour les femmes à leurs plus douces occupations d’intérieur, à leurs plus chers devoirs de famille. Elles sont filles, sœurs, mères, femmes… Plus d’une a vu ou verra auprès d’elle un vieux père infirme, une mère frappée d’un grand deuil, un enfant malade : le père ne peut plus lire, ses yeux le lui défendent ; la mère ne veut pas lire, son cœur s’y refuse ; l’enfant voudrait bien lire, mais il ne le sait pas. Quelle joie pour la jeune fille de pouvoir, à l’aide de quelques pages bien lues, calmer celui qui souffre, consoler celui qui pleure, distraire celui qui crie. C’est donc au nom de leurs plus doux sentiments que je leur dirai : apprenez à lire, et tâchez d’acquérir un talent qui peut devenir une vertu !
Transcription par l’équipe de Charlotte Mason France du Petit Traité de Lecture à Haute Voix d’Ernest Legouvé.