Note de la traductrice : Karen Andreola est une mère de famille américaine pratiquant l’instruction à domicile avec la pédagogie Charlotte Mason. Elle a écrit le livre A Charlotte Mason Companion – Personal réflexions on the gentle art of learning [Un accompagnement Charlotte Mason – Réflexions personnelles sur l’art délicat d’apprendre] ainsi que Mother Culture – For a happy homeschool [Mother Culture – Pour une école à la maison joyeuse]. Elle tient également le blog “Moments with Mother Culture”.

Voici la note de Britney, une maman américaine membre de l’équipe de Charlotte Mason Poetry, écrite en introduction de cet article lors de sa parution sur leur site :

“Dans l’article suivant, Karen nous explique pourquoi les méthodes utilisées dans notre société pour influencer le comportement des enfants (et même des adultes) ne fonctionnent tout simplement pas. En tant que mère de trois jeunes enfants, je rencontre ce phénomène partout, du cabinet dentaire à l’épicerie. Ce qui devrait être considéré comme un comportement normal est récompensé par des bonbons ou des prix. Et la pratique consistant à corrompre les enfants est considérée comme tellement normale que les gens ne demandent même pas aux parents s’ils peuvent le faire. Ce n’est qu’en reconnaissant cette habitude sociétale et en s’engageant à former de nouvelles habitudes dans nos propres familles et communautés que nous pouvons espérer changer pour le mieux. Charlotte Mason Poetry a l’honneur de partager cet article de Karen Andreola qui explique le problème et propose le remède de Miss Mason.”

Aujourd’hui, Charlotte Mason France vous propose de découvrir cet article en français en espérant qu’il alimentera vos propres réflexions éducatives.

par Karen Andreola
Charlotte Mason Poetry, 24 octobre 2017

Dans le livre The Enchanted Places-A Memoir of the Real Christopher Robin and Winnie-the-Pooh, je lis l’un des souvenirs les plus chers de Christopher Milne*. Il s’agit de son père, Alan Alexander Milne, lisant à haute voix à l’heure du coucher. Parfois, son père inventait une histoire sur le vif, sur un petit garçon et ses jouets.

J’ai été frappée par le passage du livre où Christopher Milne mentionne un dîner auquel son père a assisté. Autour de la table étaient assis des directeurs d’écoles préparatoires** bavards qui débitaient leurs discours. Ils étaient tous d’accord pour dire que le plus gros fardeau de leur travail était l’interférence des parents. Normalement, A. A. Milne était discret. Mais en entendant les discours des directeurs d’école, il ne put s’empêcher de donner son avis. Son propre fils préférait souvent écouter les idées d’Euclide pour s’endormir plutôt que L’Ile au trésor de Stevenson. Il s’est servi de cet exemple (de manière plutôt irréfléchie, écrit Christopher Milne) en affirmant que tous les enfants ont un vif intérêt pour de nombreuses choses. Les jeunes enfants sont avides d’apprendre, leur a-t-il dit. « Et puis on les envoie dans vos écoles, et en deux ans, trois ans, quatre ans, vous avez tué tout leur enthousiasme. À quinze ans, leur seul empressement est d’échapper à tout apprentissage. Pas étonnant que vous ne vouliez pas nous rencontrer. »[1]

Au XIXe siècle, Mlle Charlotte Mason observa le manque d’enthousiasme des élèves de Grande-Bretagne. Elle s’est alors efforcée d’y remédier. Elle développa une nouvelle méthode d’éducation des enfants (différente de celle des écoles préparatoires). Voyageant en train selon un itinéraire prévu, elle répandit la nouvelle du succès de sa méthode dans le monde entier.

Oh, si seulement nous pouvions avoir un tel renouveau dans les écoles américaines d’aujourd’hui !

Comment la curiosité est-elle retirée aux enfants ? Qu’est-ce qui fait qu’ils se soucient si peu d’apprendre ? Premièrement, nous les sous-estimons, dit Mlle Mason. De plus, nous dépendons d’un ensemble de stimulations artificielles.

 « On pourrait décrire B. F. Skinner comme un homme qui a fait la plupart de ses expériences sur des rats et des pigeons et qui a écrit la plupart de ses livres sur les gens. » (Alfie Kohn) [2]

Une main se lève dans la classe. « Est-ce que ça va être dans le contrôle ? » Les enseignants, habitués à cela, sourient à peine. Ils ne reconnaissent pas ce geste pour ce qu’il est : un appel de détresse. L’élève a cédé à un système d’éducation défaillant qui étouffe la curiosité. Bien avant que les expériences comportementales du psychologue Burrhus Frederic Skinner (faites ceci et vous obtiendrez cela) n’entrent dans la psychologie, Mlle Mason partageait ses découvertes selon lesquelles « [les notes], les prix, les classements, les récompenses, les punitions, les éloges, les blâmes ou autres incitations ne sont pas nécessaires pour obtenir l’attention, qui est volontaire, immédiate et étonnamment parfaite » sans tout cela [3].

Selon Mlle Mason, un système éducatif qui s’appuie sur des récompenses, des contrôles incessants, des notes et d’autres mesures de contrôle excessif pour amener les enfants à faire leurs devoirs, fait confiance aux mauvaises valeurs. Pour s’en sortir, l’enfant apprend à travailler pour obtenir une note. Des adultes bien intentionnés, une fois conditionnés par le système, vont même apprendre à l’enfant à potasser. Cette stratégie fonctionne à court terme. Mais à long terme, que sait l’élève ? Se soucie-t-il de savoir ? Des nuages gris s’amoncellent à l’horizon. Les yeux d’un enfant peuvent être tellement focalisés sur la note que son existence même s’en trouve accaparée.

Des jeux compétitifs par groupe sont utilisés pour apprendre par cœur des noms, des dates et des faits de toutes sortes. Les responsables se disent que puisque ça fonctionne et que les enfants aiment ça, il faut ajouter d’autres faits pour améliorer la « réussite scolaire ». Mais c’est le plaisir, la coopération entre amis et le gain des prix qui intéressent ces enfants.

« Les récompenses motivent-elles les gens ? Absolument. Elles motivent les gens à obtenir des récompenses. » (Alfie Kohn) [4]

Dans son grand livre intitulé Punished by Rewards-The Trouble with Gold Stars, Incentive Plans, A’s, Praise, and Other Bribes [Punir par les récompenses – Le problème des étoiles en or, des stratégies d’incitation, des A, des éloges et autres ruses], l’auteur conférencier et enseignant américain Alfie Kohn tient des propos troublants. Il fait référence à des centaines d’études. Ces études montrent que les gens (des enfants d’âge préscolaire aux adultes) travaillent pour obtenir des récompenses, mais évitent tout ce qui est difficile. Ils évitent également de prendre des risques, car ils ont peur de faire des erreurs. Selon lui, lorsqu’on vous promet une récompense, vous en venez à considérer la tâche comme quelque chose qui s’interpose entre vous et elle. On choisit alors le moyen le plus rapide et le plus facile pour atteindre la récompense. [5]

Pour inciter les enfants à lire, on leur donne parfois de l’argent, des glaces ou une soirée pizza en échange de la lecture d’un livre. Je voulais faire les choses différemment. Lorsque mes enfants apprenaient à lire, je gardais notre pile de livres faciles à lire dans une boîte et dans un placard. Mon intention était de les dévoiler à intervalles réguliers. Lorsque les enfants avaient terminé le manuel de lecture d’une série, et réalisé les exercices phoniques  qui s’y rapportaient, ils partaient à la chasse au trésor. La lecture suivante était cachée quelque part dans la maison. Cette petite part d’attente et de mystère était exaltante. La récompense pour avoir terminé le dernier livre était la joie d’en trouver un autre.

Lorsque des élèves plus âgés sont soudoyés pour lire un certain nombre de livres, s’ils ont le choix, ils choisissent des livres plus courts et moins difficiles pour obtenir la récompense. C’est souvent le cas des programmes de lecture d’été des bibliothèques. Bien que mes souvenirs soient flous, je suis tombée sur une anecdote il y a quelques années, dans une introduction à l’un des livres de C. S. Lewis [écrivain et universitaire britannique]. J’ai cherché sur nos étagères mais je ne l’ai pas retrouvé. Quoi qu’il en soit, je me souviens que lorsque C. S. Lewis était à l’hôpital, une infirmière a reconnu son nom.

« J’ai lu votre livre », a-t-elle dit avec enthousiasme.

« Oh ? Lequel ? »

« The Screwtape Letters*** », a-t-elle dit.

« Comment l’avez-vous trouvé ? »

Elle a avoué : « À l’école, on devait choisir des livres sur une liste et c’était le plus court. »

Mlle Mason faisait confiance en la capacité de l’enfant à acquérir des connaissances pour le plaisir d’en acquérir. Elle évitait tout ce qui pouvait encourager les enfants à se préoccuper de ce qu’ils obtiendraient en échange de ce qu’ils faisaient. Alors quels sont les facteurs de motivation utilisés par Charlotte Mason ?

Le remède

Les enfants naissent avec une curiosité donnée par Dieu. S’il est protégé, ce désir de savoir restera vivant et engagé jusqu’au lycée.

Le Saint-Esprit est l’éducateur suprême. Il applique l’apprentissage à l’esprit et au cœur. L’apprentissage n’est pas entièrement accompli par l’effort fastidieux d’un enseignant. Il crée une atmosphère, les conditions qui rendent l’apprentissage possible. Il fournit des idées – variées et valables – auxquelles réfléchir. Ses élèves reçoivent un vaste programme d’études réparti en trois rubriques : la Connaissance de Dieu, la Connaissance de l’Homme et la Connaissance de l’Univers.

L’auto-éducation

Il n’y a pas de substitut à l’auto-éducation. Au lieu d’un cours magistral, les élèves de Mlle Mason tiraient leurs connaissances des livres. Elle les mettait directement en contact avec les mots soigneusement choisis d’un auteur passionné par son sujet. Elle nous dit qu’un instituteur, dans son « désir d’être utile… croit que les enfants ne peuvent pas comprendre les livres bien écrits et qu’il doit se faire le pont entre l’élève et le véritable professeur, celui qui a écrit le livre »[6]. Comment évaluait-elle les manuels scolaires et les leçons de son époque ? Ils étaient ennuyeux. Une éducation ennuyeuse supprime toute initiative. Charlotte Mason voulait que l’esprit des élèves soit engagé.

(Certains manuels scolaires disponibles aujourd’hui, créés par des enseignants à domicile, ont une écriture plus vivante).

Un esprit actif et curieux

Un jeune enfant, avide d’apprendre, se pose des questions. En classe, on attend de lui qu’il reste assis et silencieux pendant de longues périodes. En conséquence, il devient somnolent ou agité. Une jeune mère m’a un jour fait part de la raison pour laquelle elle avait décidé de faire l’école à la maison. Comme c’est souvent le cas avec un premier enfant, le sien était un moulin à paroles et posait toujours des questions. Cette petite fille pleine de vie allait de l’avant. Elle était captivée par les lectures à voix haute, adorait ses animaux domestiques et passait des heures à explorer le ruisseau dans l’arrière-cour. Après avoir passé un an dans une classe de CP typique, elle était moins vive, et avait beaucoup moins de choses à dire. Et, tragiquement, elle cessa de poser des questions. Pourquoi le ferait-elle ? C’est l’enseignant qui posait les questions – un flot ininterrompu de questions.

Quelque chose auquel on peut penser, quelque chose à dire à ce sujet

Avec la méthode de Mlle Mason, l’esprit de l’élève est ouvert. Et sa bouche est ouverte. Sa réaction et son opinion sont les bienvenues.  En exprimant ce qu’il a lu avec ses propres mots grâce à la méthode de la narration, l’esprit de l’élève se pose des questions. (Quelle est la suite ? Où ? Pourquoi ? Comment ? Quoi d’autre ? Comment est-ce que « ceci et cela » s’emboîte et a un sens ? Quel est le résultat de l’action ou de la décision d’untel ou d’untel ?) Son esprit est plus actif et engagé avec la narration. Il travaille de manière plus naturelle que lorsqu’il mémorise des listes ou qu’il rappelle à lui des bribes d’informations. Nous pouvons remplacer les questions à choix multiples, les questionnaires à remplir, les textes à trous ou les longs exercices par « Qu’en pensez-vous ? ».

Les éducateurs sont pressés de prouver noir sur blanc que les élèves « comprennent ». Les contrôles fréquents sont également censés garder les élèves sur le qui-vive. Une invasion de contrôles flotte lourdement dans l’air. Mais lorsque nous faisons confiance aux principes de Charlotte Mason, un vent frais nous amène le changement qui nous ranime. Pour préserver l’enthousiasme et créer une atmosphère rafraîchissante :

  • donnez aux enfants un sujet de réflexion intéressant,
  • laissez les auteurs enseigner,
  • exigez des enfants qu’ils pensent, montrent et racontent – jusqu’au lycée,
  • attendez d’eux qu’ils obéissent à vos grands choix ; donnez-leur de petits choix,
  • inspirez-les à partager et à servir les autres avec ce qu’ils savent en grandissant.

Dans son livre Punished by Rewards, Alfie Kohn a écrit en détail que plus nous utilisons de récompenses pour motiver les gens, plus ils se désintéressent de ce que nous les soudoyons à faire. Charlotte Mason n’a pas bénéficié des recherches du XXe siècle comme M. Kohn. Pourtant, séparés par un siècle, ils sont d’accord et découvrent la même vérité. N’est-ce pas remarquable ?

« Les études servent au plaisir », pense Mlle Mason. C’est la meilleure façon d’éduquer les personnes. Il y a des objectifs plus élevés par lesquels les personnes vivent et apprennent. En ouvrant notre exemplaire de 1965 du Boy Scout Handbook****, j’en ai trouvé quelques-uns à portée de main. Un scout est… digne de confiance, loyal, serviable, amical, courtois, gentil, obéissant, joyeux, économe, courageux, propre, respectueux. Ce sont des codes d’action par lesquels nous aspirons à vivre.

Il y a environ vingt-cinq ans, j’ai repéré dans The Parents’ Review, dans la conclusion d’un article, une citation de Platon. « Punir et récompenser est la pire forme d’éducation. » Devons-nous continuer à réinventer la roue ?

La non-responsabilité

Dans la vie, nous agissons avec des motivations diverses. C’est la simple réalité. Nous nous consacrons volontiers à notre famille, jour et nuit. On nous commande d’aimer. Cela montre aux gens que Dieu est réel. Mais nous aimons aussi parce que nous avons également envie d’être aimés. À mon avis, nous n’avons pas à nous excuser pour cela.

Par-dessus tout – Quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. 

(Bible, 1 Corinthiens 10:31)

Post-scriptum

Après avoir lu The Enchanted Places, j’ai mis le doigt sur ce qui m’avait démoralisée. À la fin de son livre, Christopher Robin Milne parvient à prendre une décision. Il servait pendant la Seconde Guerre mondiale lorsqu’il a envoyé à son père une lettre affirmant qu’il n’existe pas de Dieu chrétien – une déclaration que son père fut soulagé d’entendre. Notre famille pense que les histoires de Winnie l’ourson sont délicieuses, mignonnes, intelligentes et humoristiques. Déguisés de fausse fourrure, les personnages mettent en lumière la nature humaine. Mais la compassion rejoint mon admiration pour l’auteur et sa famille.

Notes :

*Christopher Robin Milne, né le 21 août 1920 à Chelsea en Angleterre et mort le 20 avril 1996, est le fils de l’écrivain britannique Alan Alexander Milne, auquel il a inspiré les histoires de Jean-Christophe et du personnage Winnie l’ourson. 

**Une école préparatoire est, dans le système éducatif britannique, une école préparant les enfants âgés entre 2 et 13 ans aux concours d’entrée aux écoles privées de plus ou moins grande renommée.

*** The Screwtape Letters de Clive Staples Lewis, plus connu sous le nom de C. S. Lewis, fut édité en francais sous le titre « La tactique du diable ».

**** Boy Scout Handbook (Manuel du scout) est un descendant du manuel original de Baden-Powell : Scouting for Boys, qui a été la base des manuels scouts dans de nombreux pays, avec quelques variations dans le texte du livre en fonction des codes et coutumes de chaque pays.

[1] Christopher Milne, The Enchanting Places, p. 119.

[2] Alfie Kohn, Punished by Rewards, p. 6.

[3] Charlotte Mason, A Philosophy of Education, p. 7.

[4] Punished by Rewards, p. 67.

[5] Ibid, p. 65.

[6] Philosophy of Education, p. 260. See also School Education, p. 226.Cet article est le chapitre 30 du livre Mother Culture – For a Happy Homeschool.

Version française de celui publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction ©2022 Charlotte Roman, relecture Marie Bancel et Maeva Dauplay)

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