Par Elsie Kitching
The Parents’ Review, 1928, pp. 58-62

[En réponse à une demande de la directrice d’une école publique, nous publions la correspondance suivante.]

10 décembre 1927.

Chère Miss Kitching,

Je vous écris pour vous remercier de votre lettre très aimable et très utile que j’ai reçue en réponse à la question sur la narration répétée.

Je pense que ceux d’entre nous qui n’ont jamais eu l’occasion de parler avec ceux qui ont connu personnellement Mlle Mason, ou de visiter l’école de formation d’Ambleside, sont plutôt désemparés, car nous ne pouvons pratiquer que ce que nous trouvons dans ses œuvres (et souvent selon notre propre interprétation), ou ce qui nous est transmis de bouche à oreille.

Votre lettre a éclairci plus d’un point pour moi, et je me rends bien compte maintenant de la nécessité d’une narration continue et non répétée. Je suis assez inquiète à l’idée que d’autres personnes ont pu être induites en erreur en ayant entendu cette dernière dans mon école, et je suis également sûre qu’il y a beaucoup d’autres personnes qui font la même erreur. Ne pourrait-on pas faire quelque chose pour clarifier cette situation, par exemple envoyer une circulaire sur le sujet avec la prochaine série de programmes, ou même avant ?

Sincèrement vôtre,

A. B.

Parents’ Union School,

Ambleside,

Le 6 décembre 1927.

Chère -,

Mlle X. m’a fait parvenir votre intéressante lettre, et je me risque à vous écrire car je pense que plus nous pourrons coopérer ensemble, en discutant de questions d’intérêt crucial et en essayant de traiter les difficultés de chacun, plus nous serons à même de mener à bien le travail de la P.U.S. à la manière de Mlle Mason. J’ai été très intéressée par une lettre que Mlle X. m’a envoyée début novembre au sujet de la visite qu’elle a faite à votre école. Elle m’a dit qu’elle avait été très impressionnée par ce qu’elle avait vu, notamment le niveau de lecture des enfants et la façon dont ils étaient capables de lire toutes sortes de livres par eux-mêmes.

La question que vous avez soulevée concernant la narration revient fréquemment, et je m’en réjouis à chaque fois, parce qu’elle nous renvoie aux livres de Mlle Mason et à une recherche plus approfondie sur ce qu’elle a voulu dire à ce propos. Je suppose que le sujet de la discussion est la pertinence, ou non, de plusieurs narrations complètes. Nous ne comprendrons l’intention de Mlle Mason en ce qui concerne la narration que si nous revenons à la raison pour laquelle elle a suggéré son utilisation. Dans ses livres, elle met l’accent sur l’attention, et l’habitude de l’attention, et toutes les considérations relatives à la narration sont centrées sur le fait de savoir dans quelle mesure une façon quelconque d’utiliser la narration – et il en existe des dizaines – donne à chaque enfant, que ce soit à la maison ou à l’école, la possibilité d’utiliser pleinement son pouvoir d’attention. Nous ne pouvons pas considérer l’attention de deux enfants ou plus, que ce soit à la maison ou à l’école. Il faut considérer l’attention de chaque enfant individuellement.

Je suis sûre que c’est aussi votre point de vue, mais dans la pratique de la méthode de Miss Mason, la narration d’une leçon est jugée à travers l’habitude de l’attention que chaque enfant témoigne en toute occasion. Il y a quelques mois, j’ai assisté à une leçon donnée par une jeune étudiante du Collège, qui venait de commencer à travailler dans l’École Pilote ici [à Ambleside], et elle a permis à quatre enfants de narrer le même passage ; chaque narration était pire que la première, et la leçon fut un échec. On ne peut pas attendre d’un enfant qu’il accorde toute son attention à un sujet plus d’une fois au cours d’une leçon.

S’il donne toute son attention une seule fois, ce travail est fait une fois pour toutes. Mais s’il sait qu’il y a la moindre chance qu’un autre effort lui soit demandé, il ne sera pas pleinement attentif au départ. C’est une loi de l’esprit que Mlle Mason a fait de son mieux pour établir dans le travail de la P.U.S. Elle s’applique à nous tous. Si nous savons que nous n’avons qu’une seule chance, nous en profitons au maximum. Les journaux hebdomadaires nous libèrent de la responsabilité de prendre du temps pour lire le journal quotidien sur les sujets qui nous intéressent, avec pour conséquence que notre connaissance du sujet que nous avons examiné avec une attention partagée n’est jamais aussi parfaite qu’elle pourrait l’être.

La seule façon d’obtenir l’attention de tous les élèves d’une classe est de faire comprendre à chacun d’eux qu’il peut être le premier à être appelé, et que même s’il n’est pas le premier à être appelé, il peut être appelé à continuer la narration à n’importe quel moment jusqu’à ce que la narration soit terminée. La lecture unique et la narration unique sont essentielles pour que l’enfant acquière l’habitude de l’attention.

Je ne crois pas que le système de groupes, qui a donné de si bons résultats dans beaucoup d’écoles élémentaires publiques, s’oppose à l’application d’une loi de l’esprit ; toutes les manières de traiter la narration doivent être subordonnées à cette loi.

C’est une comparaison entre un pouvoir mécanique et un pouvoir intellectuel, mais l’exemple suivant me semble illustrer le propos. Il y a de nombreuses années, j’ai eu le privilège de visiter le merveilleux observatoire de Kohlhof, au-dessus de Heidelberg, et on m’a montré une horloge avec un balancier à compensation. L’horloge avait un mouvement visible sous verre, tel qu’on le voit dans de nombreuses pendules de cheminée, où un petit loquet tombe rythmiquement dans l’engrenage d’une roue en mouvement. Dans une horloge ordinaire de ce type, le loquet gagne de l’énergie à chaque fois qu’il tombe et, avec le temps, on ne peut plus compter sur l’horloge pour avoir l’heure exacte.

Grâce à l’action du balancier électrique à compensation, le loquet était ramené chaque fois à sa position initiale et forcé de perdre son élan supplémentaire. Ainsi, il tombait chaque fois avec son énergie initiale, ni plus ni moins, et l’horloge conservait un enregistrement exact du temps. Il en va de même avec un enfant et son pouvoir d’attention, sauf qu’il subit une perte d’énergie à chaque répétition (au lieu d’en gagner comme l’horloge). Dans une leçon d’histoire, par exemple, un enfant prend un nouveau départ et, grâce à son habitude de l’attention, il réalise une bonne narration. Chaque fois qu’il est rappelé pour faire un nouveau départ sur la même matière, il s’y replonge avec de moins en moins d’énergie jusqu’à ce que, comme nous le disions, « son attention s’égare, et on ne peut plus du tout compter sur lui pour une bonne narration. »

Mlle Mason avait l’habitude de dire que tout ce qui manquait d’attention complète constituait une perte de temps, et c’est pourquoi elle insistait sur des leçons courtes et des sujets nombreux et variés. Car l’esprit s’affirme à chaque fois qu’il prend un nouveau départ sur un nouveau sujet, lorsque l’enfant accorde toute son attention, et qu’il réalise une bonne narration, mais ce doit toujours être un nouveau départ qui fait appel à toutes les forces.

La pratique ici, tant au Collège qu’à l’École Pilote, consiste toujours en une narration continue faite par un des élèves ; puis, des volontaires comblent les manques, ce qui donne une chance à tout le monde ; et ensuite, si nécessaire, il y a une discussion sur les points qui ne semblent pas avoir été clairs.

L’autre jour, j’ai reçu une lettre de la directrice d’une grande école secondaire, dans laquelle elle disait : « Je ne pense pas qu’il y ait de différence entre notre utilisation de la narration et la vôtre, si ce n’est que nous l’utilisons en guise de composition le lendemain, et que vous l’utilisez immédiatement. » Je ne pouvais que répondre qu’il y avait une très grande différence. Les compositions peuvent toujours être établies sur des sujets, pris dans l’œuvre, qui ont déjà été narrés. Ce n’est pas la répétition du premier effort d’attention de l’enfant, mais un nouvel effort pour utiliser son esprit d’une autre manière. La composition demande probablement un résumé, ou une partie de ce que l’enfant a lu, en décrivant un personnage ou en discutant le pour et le contre d’un point quelconque, avec des illustrations tirées de la lecture générale de la semaine.

Permettez-moi de dire que la méthode de Mlle Mason souffre actuellement de l’idée répandue que sa méthode est la narration, et principalement la narration de l’anglais. Sa méthode couvre toute la vie scolaire d’un enfant, en fait toute sa vie ; l’habitude de la narration est le moyen par lequel nous nous approprions tout ce à quoi nous accordons toute notre attention.

On a dit, d’autre part, que l’effort unique d’attention et la narration unique impliquent que l’enfant ne doit jamais faire quelque chose une seconde fois, ce qui est encore une interprétation très erronée de l’enseignement de Mlle Mason. La deuxième fois peut, comme je l’ai dit, se présenter plus tard sous forme de composition ; elle se présente probablement à nouveau lors de l’examen de fin de trimestre, et certainement, si l’enfant s’y intéresse, fréquemment dans sa vie ultérieure. Il y a aussi, dans les Forms supérieures, les éclairages secondaires intéressants qu’un livre ou un sujet jette sur un autre, couvrant parfois le même terrain d’un autre point de vue.

C’est un sujet sur lequel nous devons réfléchir clairement, car nous sommes tous enclins à attaquer n’importe quel point de vue à partir de notre propre opinion, mais nous devons avoir une vue d’ensemble de n’importe quel problème, de peur que l’arbre ne cache la forêt.

Je suis persuadée que les visiteurs que vous avez eus à diverses reprises ont été pleins d’admiration pour le travail de vos enfants. M. Y. m’a également écrit pour me dire combien il était impressionné par ce travail, et je n’appliquerais pas votre mot « inadmissible » à ce que vous avez jugé bon de faire dans votre école. Mlle Mason n’aurait pas utilisé ce mot elle-même, mais dans son travail avec ceux avec qui elle était le plus en contact ici, elle ramenait toujours tout point débattu au principe en question, et nous faisait décider si oui ou non une certaine pratique pouvait supporter l’épreuve décisive du principe. Il ne fait aucun doute que les enseignants compétents et réfléchis interpréteront toujours les écrits de Mlle Mason à leur manière ; mais cela ne devrait pas empêcher une coopération étroite entre ceux qui sont immédiatement concernés par l’exécution d’une mission qui leur a été confiée, et ceux qui s’efforcent de mettre en œuvre la méthode de Mlle Mason dans des domaines d’action plus vastes à partir de la lecture de ses livres. 

Je vous prie d’agréer, Madame la Directrice, l’expression de mes sentiments distingués,

E. Kitching

Version française de l’article publié par Ambleside Online. (Traduction ©2022 Maeva Dauplay, relecture Sylvie Dugauquier)

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