Note de Charlotte Mason Poetry par Art Middlekauff : en mars 1930, le PNEU tint sa 32eme conférence annuelle à Londres. Alors que la plupart des intervenants étaient des dirigeants du PNEU, des administrateurs scolaires ou des spécialistes de l’éducation, l’un d’entre eux était tout simplement une mère de famille ordinaire. Sa présentation y fut décrite comme suit :

« Au cours de la séance du matin, le discours de Mme W. J. Brown intitulé « Histoire d’une salle de classe P.U.S. par la mère qui la dirige » s’est avéré utile sur le plan pratique, tout en étant inspirant et divertissant. Mme Brown a apporté quelque chose de tout à fait nouveau sur un sujet qui intéresse toujours le public du P.N.E.U.[1]. »

Il n’y a pas de meilleure introduction à Mme Brown que son histoire racontée par elle-même. Elle est aussi utile, inspirante et divertissante aujourd’hui qu’il y a près de 100 ans.

Par Mme W. J. Brown
The Parents’ Review, 1930, pp. 283–293

Titre d’origine : “The History of a P.U.S. Schoolroom, by the Mother Who Runs It”

Cela fait maintenant quatre ans que nous avons une salle de classe P.U.S. chez moi et nous espérons continuer pendant encore au moins deux ans.

Je pense qu’on m’a demandé de raconter mon histoire car nous avons suivi tout le programme de l’École de l’Union des Parents [P.U.S.] depuis la Form I1 jusqu’à la Form IV, où l’âge moyen est de quatorze ans. Si nous n’avons pas commencé dès le début, c’est parce que j’ai eu la malchance de n’entendre parler de l’Union Nationale d’Éducation des Parents [P.N.E.U.] que lorsque ma fille aînée avait dix ans.

Mes aventures peuvent aussi être intéressantes parce que j’ai commencé sans aucune qualification pour le travail que je me proposais de faire. J’utilise le mot aventures à bon escient, j’étais vraiment, au début, aussi désorientée que n’importe quel navigateur marchand de l’époque élisabéthaine ; mes idées quant à la route que je devais suivre étaient très vagues, mon but était de chercher un trésor. Ma récompense fut un gain considérable.

Mes expériences se limitant à ma propre salle de classe, veuillez excuser l’utilisation très égoïste du pronom « je ». Heureusement, la première personne du singulier se transforme rapidement en pluriel, car je réalise de plus en plus que ce n’est pas moi qui dois enseigner, mais bien les enfants qui doivent apprendre.

Il y a quatre ans, je me suis trouvée confrontée à la question « Que faire de nos filles », âgées de dix ans et demi, neuf ans et six ans. Nous vivons à la campagne, loin d’écoles adéquates. Jusqu’à cette époque, nous avions partagé une gouvernante avec des amis, mais les plus âgées avaient dépassé ce stade – s’est alors posé le problème de ce qu’il fallait faire ensuite. En me renseignant, j’ai découvert qu’une gouvernante qualifiée était au-dessus de mes moyens, et bien que j’aie toujours pensé et dit que je ferais n’importe quel travail plutôt que d’enseigner – eh bien, on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve, n’est-ce pas ?

Lorsqu’il a fallu choisir entre abandonner la campagne pour aller vivre en ville près d’une école, et rester à la campagne et leur enseigner moi-même, j’ai choisi ce qui était en quelque sorte le plus grand des deux maux et j’ai décidé de leur enseigner moi-même ! Je suis heureuse de cette décision, même si, dans les premiers temps, le courage a failli me manquer. Nous avons continué seules et sans aide pendant un trimestre avec un succès modéré ; puis le salut est arrivé sous la forme d’une lettre d’une de mes anciennes camarades d’école. Apprenant mes difficultés, elle m’écrivait :  » Pourquoi ne faites-vous pas comme moi ? Adhérez au P.N.E.U. et à la P.U.S. Si vous pouvez vous le permettre, prenez une gouvernante de la P.U.S. ; sinon, enseignez vous-même aux enfants sous l’égide de la P.U.S. ». J’ai immédiatement écrit au siège et obtenu tous les détails, puis j’ai passé les vacances à lire trois des livres de Miss Mason que la bibliothèque de prêt m’avait envoyée. Le début du nouveau trimestre arriva et avec lui le programme de travail. Lorsque j’ai lu notre programme pour les quelques semaines à venir, mon cœur s’est effondré. J’étais alors loin de penser que le jour viendrait où je saisirais chaque nouveau programme avec avidité. Cependant, nous nous sommes mises au travail sur ce programme terrifiant, en suivant les instructions à la lettre et, dans la mesure où cela est possible pour de nouveaux disciples, en respectant les principes. Nous avons effectué un travail relativement bon ce trimestre-là, les résultats des examens étaient dans la moyenne et les enfants avaient conclu qu’ils aimaient cette école – les livres étaient tellement intéressants. Depuis ce jour, nous n’avons jamais regardé en arrière (bien que nous ayons traversé des périodes difficiles). Pendant quatre ans, nous avons fait tout le travail demandé chaque trimestre avec un enthousiasme croissant et des résultats en amélioration. Le jour est enfin venu où j’ai pu envoyer mes deux filles aînées dans une école publique où leur classement se compare, me dit-on, assez favorablement à celui des filles qui ont reçu une instruction beaucoup plus qualifiée.

Tout succès que nous avons obtenu est dû au fait que l’emploi du temps et le programme ont été strictement respectés. Rien, sauf une véritable catastrophe, ne doit venir perturber le travail. C’est, je pense, le seul élément essentiel, mais il est véritablement essentiel.

Il est absolument nécessaire que l’ensemble du travail fixé soit effectué – par souci d’équité pour les enfants. Comme un sujet se construit sur un autre, il est plus facile sur le long terme d’essayer de tout faire plutôt que d’abandonner des parties du travail ici et là, parce qu’elles sont inutiles en apparence, ou trop difficiles, ou même ennuyeuses. Nous avons constaté que la plupart des sujets peuvent être abordés même si le professeur est presque aussi ignorant que l’élève !

Le secret pour approcher cette méthode est que le professeur et l’élève travaillent ensemble comme des camarades de classe. Je n’ai jamais, dès le début, adopté l’attitude du pédagogue ! Tout notre plaisir et notre succès dépendaient du fait que nous faisions le travail ensemble comme des amis et des compagnons de travail. Il ne faut pas craindre que cette attitude abaisse la dignité de l’enseignant, ce n’est pas le cas. Lorsque le professeur sait vraiment – le fait est évident et l’élève accepte sa décision comme définitive – et lorsque le professeur ne sait pas, la méthode que nous avons adoptée conduit à des discussions intéressantes et sans fin et à des efforts acharnés pour trouver la solution au problème posé.

Prenons l’arithmétique comme exemple d’une matière avec laquelle nous étions susceptibles de rencontrer quelques difficultés. À l’école, j’étais vraiment très mauvaise en arithmétique. Je ne suis pas plus brillante aujourd’hui, mais j’ai passé de nombreuses heures intéressantes à résoudre des problèmes avec mes enfants – des problèmes qui nous ont déconcertés, parfois pendant des jours, mais nous ne nous sommes jamais tenues pour battues, nous avons toujours fini par les résoudre – parfois, il faut l’admettre, avec l’aide de parents et d’amis ! C’est peut-être une façon peu conventionnelle de faire de l’arithmétique, mais un enfant qui a pris la peine de marcher un demi-mile pour se faire expliquer un problème, ou qui a écrit une lettre à une tante dans le nord de l’Angleterre pour lui demander d’expliquer un point épineux, ne risque pas d’oublier le calcul qu’il suit soigneusement lorsqu’il reçoit la réponse à son S.O.S.

Notre méthode, bien que non conventionnelle, a bien fonctionné. Elle nous a permis de rester enthousiastes et intéressées par notre travail – et l’enfant moyen dans l’école moyenne est-il vraiment intéressé par l’arithmétique, en dehors du point de vue du gain de points ? Je ne le pense pas. À l’école, je détestais les mathématiques, même s’il y avait des points à gagner. Aucune de mes filles ne déteste les mathématiques, bien qu’elles n’aient pas de notes à gagner. Elles n’ont pas l’esprit mathématique, mais elles aiment faire leur travail. Le niveau scolaire en arithmétique est élevé de nos jours, mais malgré nos méthodes non conventionnelles, nous avons réussi à le respecter.

Avec un enseignant non qualifié comme moi, les enfants prennent l’habitude d’apprendre à découvrir les choses par eux-mêmes. Après avoir rencontré, à plusieurs reprises, en réponse à une question, la réponse « Je ne sais pas, va chercher un atlas », ou « Tu le trouveras dans le dictionnaire », ou tout autre livre de référence nécessaire, ils commencent bientôt à trouver les choses par eux-mêmes sans aide ni suggestion. Ils apprennent à se servir de leurs outils pour déterrer des morceaux du trésor de la connaissance – et ce sont ces petits bouts de connaissance durement gagnés qui restent dans notre mémoire et deviennent des éléments permanents de notre équipement. Les faits qui nous sont déversés dans les conférences et les leçons orales, et même dans les réponses orales aux questions, comme nous le savons, traversent notre esprit comme l’eau dans un tamis ; mais les faits que nous avons pris la peine de découvrir, nous prenons généralement la peine de nous en souvenir. On finit par se référer à moi non pas pour des questions de fait mais plutôt pour des questions d’opinion. Pour ce qui est des faits, il est si simple de prendre l’habitude, pendant une leçon d’histoire, d’avoir un atlas à portée de main, et de même pour les autres leçons, nous avons vite appris quels livres de référence étaient susceptibles d’être nécessaires, et c’est l’une des façons dont nous avons appris par l’expérience que ce que dit la P.U.S. est tout à fait vrai. Les enfants doivent avoir des livres – ils sont absolument essentiels si l’on veut que le travail soit bien fait.

Je pense avoir prouvé par l’expérience que le manque de connaissances n’empêche pas d’entreprendre le travail. Laissez les enfants faire le travail et s’instruire. Je travaille avec mes enfants et je m’en réjouis, tout en recevant une bonne éducation sans beaucoup d’efforts !

Un autre sujet que nous pouvons prendre comme exemple est la musique. Je ne suis pas très douée pour la musique. J’ai, bien sûr, reçu des leçons de piano dans mon enfance et, heureusement pour moi, on m’a emmené à des concerts et appris à apprécier la musique mais, une fois que j’ai quitté l’école, je n’ai plus jamais joué de musique et personne n’avait semblé apprécier quand je jouais auparavant. Je suis, aussi, incapable de chanter une seule note ! Ce n’est pas un début très prometteur. Sachant que la voie du bonheur est fermée à quiconque ne sait pas apprécier la musique, je décidais, en dépit de tout, que les enfants devraient avoir l’opportunité de découvrir et d’apprécier des œuvres musicales.

Les leçons de musique et d’appréciation musicale étant de toute façon au programme, le sujet devait être considéré. J’ai toujours pensé que l’amour des jeunes enfants pour la musique, même si encore peu développé, doit être étouffé par cette ennuyeuse demi-heure de piano sur un imposant instrument sombre et brillant, généralement dans une pièce à l’écart des pièces accueillantes utilisées par les membres les plus jeunes de la famille. Pour mes enfants, j’ai acheté ce qu’on appelle un piano d’école. Ces pianos n’ont que cinq octaves ; ils sont recouverts de chêne non poli – pas de vernis, rien de froid ou d’imposant, ils sont beaucoup plus agréables à l’œil que les pianos pour adultes. Le nôtre est dans la salle de classe comme un membre de la famille. Il appartient aux enfants et ils l’utilisent.

Bien sûr, nous avons un gramophone, de bonne qualité, et le reste de notre équipement se compose de flûtes irlandaises à six pence chacune – à ne pas mépriser. Avez-vous déjà remarqué à quel point la musique du Ballet de Rosamund ou les motifs de Wagner peuvent être reconnaissables sur une flûte irlandaise ?

Ensuite, une bibliothèque musicale composée de livres et de disques a commencé à se développer – nos grands favoris étant les deux livres de M. Scholes qui sont donnés comme livres d’étude et de référence dans nos programmes – affectueusement connus dans notre salle de classe comme « gros Scholes » et « petit Scholes ». Je pense que pour qu’un livre porte un surnom, il a dû se révéler bien des fois comme étant un véritable ami. Nous avons acheté la plupart des disques recommandés pour chaque trimestre.

Avec cet équipement et en faisant le travail indiqué chaque trimestre dans le programme, nous avons énormément appris et nous avons y avons pris beaucoup de plaisir.

C’est à l’usage que l’on peut juger de l’efficacité du programme. Cela en a-t-il valu la peine ? Avons-nous été récompensés pour le temps, les efforts et l’argent dépensés ?

Nous avons été bien récompensés. Sur trois enfants, je dois admettre qu’il n’y en a qu’un seul qui peut produire de la vraie musique à partir d’un instrument. Mais ce n’est pas notre critère de réussite. C’est le critère de l’ancien temps, quand la famille en visite écoutait en silence pendant que Jane jouait son morceau et que Tommy récitait le sien. Non. Voici une meilleure preuve du succès de ce travail. L’hiver dernier, les enfants ont tous acheté leurs propres billets pour les concerts pour enfants au Central Hall, à Westminster, avec l’argent qu’ils avaient gagné eux-mêmes. Je les avais emmenés à un concert, et après cela, ils ont insisté pour aller aux autres, disant qu’ils y prenaient énormément de plaisir. Notre expérience sur ce sujet peut, je l’espère, encourager quelqu’un qui hésite à entreprendre un sujet aussi spécialisé que la musique.

Il y a une note dans chaque programme disant que les enfants ne font pas un travail complet s’ils ne tiennent pas un carnet de la nature et un Livre des Siècles.

Nous avons trouvé le Livre des Siècles inestimable. En ce qui concerne la musique, ils sont d’une grande aide. Chaque musicien étudié (un par trimestre) est inscrit dans le Livre des Siècles, dans son propre siècle, parmi ses contemporains, avec les artistes, les scientifiques, les écrivains, les personnages historiques et les événements de sa propre période. Cela nous donne la perspective appropriée, nécessaire à la compréhension et à l’appréciation de sa musique. Les enfants qui ont cette perspective historique ne s’attendent pas, en écoutant un air de Purcell, au genre de musique qu’ils entendraient s’ils écoutaient Wagner. Grâce aux Livres des Siècles, ils replacent la musique dans son contexte. Pour un enfant ayant reçu une telle formation, la musique de Purcell et Arne2 ne semble pas ‘menue’. Il s’attend à entendre une mélodie claire et sait que ces hommes n’avaient pas les moyens de produire les vastes effets obtenus par Beethoven ou Wagner.

Vous voyez, d’après ce que j’ai dit, que tout ici peut être tenté par le plus simple amateur. Bien sûr, si l’on veut étudier un instrument, il faut faire appel à un professeur compétent, mais en ce qui concerne la formation de l’enfant mélomane, je pense pouvoir affirmer que nos efforts ont été couronnés de succès.

Quand j’entends mes enfants siffler dans les champs et le jardin les airs des œuvres des grands musiciens, ou que je les entends retrouver sur le piano un air qu’ils ont entendu au concert – et parfois même travailler sur un air qu’ils ont inventé eux-mêmes – alors je suis satisfaite.

Nous avons toujours respecté consciencieusement l’emploi du temps, le nombre d’heures passées à étudier variant, bien sûr, en fonction des Forms dans lesquelles les enfants travaillent.

Je dois admettre qu’éduquer ses propres enfants est un travail à plein temps – on ne peut pas le faire à moitié !

Lorsque nous avons commencé, nous faisions l’école de neuf heures à midi. Plus tard, lorsque les enfants sont entrés dans les classes supérieures, nous faisions l’école jusqu’à 12h45. Maintenant qu’il ne reste plus qu’un enfant des petites classes à la maison, nous sommes revenus à des horaires plus courts. L’après-midi, nous faisons des travaux manuels, de la lecture, de la musique, du dessin, nous mettons à jour nos notes sur la nature, et le soir, nous faisons aussi un peu de lecture. J’espère que ces horaires ne vous paraissent pas trop longs et décourageants. J’ai souvent souhaité qu’ils soient plus longs. Il y a tant à faire et le travail est si intéressant que le temps passe littéralement à toute vitesse.

Chaque mercredi, nous faisons une promenade dans la nature et nous passons tout l’après-midi dans les bois et les champs à la recherche de trésors de toutes sortes, que nous consignons ensuite dans nos carnets de notes sur la nature. Les soirs de gelée, nous sortons aussi pour une promenade rapide lorsque nous travaillons sur les cartes des constellations.

Les samedis après-midi sont souvent consacrés à des excursions plus lointaines, généralement avec un objectif particulier, comme la visite d’un musée dans le cadre de nos cours d’histoire, ou la visite d’un bâtiment présentant un intérêt historique. Parfois, nous visitons un site que les enfants connaissent grâce à un livre d’histoires. Dans notre famille, les Aventures de Monsieur Pickwick3 ne peuvent être lues correctement que dans une petite maison en bois au sommet d’un chêne, à la lueur d’une lanterne et accompagnées d’un festin de châtaignes grillées. Je me souviens que ces lectures nous ont amenés à entreprendre une expédition pour voir la chambre de M. Pickwick au « White Horse », à Ipswich, où il a eu son aventure avec la dame aux bigoudis de papiers ! Pour le bénéfice de la plus jeune membre du groupe, nous avons soigneusement expliqué que M. Pickwick était un personnage entièrement imaginaire (elle avait peu de temps auparavant exprimé son étonnement et sa déception en découvrant que Jules César était mort). Après avoir dûment admiré le mobilier victorien de la chambre de M. Pickwick avec ses deux grands lits à baldaquin, alors que nous déambulions dans le dédale de passages étroits de la vieille auberge, une petite voix a demandé : « Mais M. Pickwick était-il une personne réelle ? ». Je suppose que pour une enfant de sept ans, il a dû sembler tout aussi réel, malgré nos explications, que les Romains dont nous avions été voir la vaisselle, les cuillères et les broches le samedi précédent. Au cours des trois années qui se sont écoulées depuis lors, elle a progressivement démêlé le monde réel du monde imaginaire, suffisamment pour savoir que la visite de Jules César en Grande-Bretagne a réellement eu lieu, tandis que la visite des Pickwickiens à Dingly Dell est le fruit d’une imagination débordante.

N’allez pas croire que ces excursions, conçues pour combiner l’instruction et l’amusement, sont une punition pour le parent – je veux dire les parents. Elles peuvent être très amusantes. L’histoire et les pique-niques, la géologie et la baignade, vont très bien ensemble. L’instruction et l’amusement s’entremêlent souvent à tel point qu’il est difficile de dire où finit l’un et où commence l’autre.

L’un des avantages de l’école à la maison est son adaptabilité en termes d’espace, sinon en termes de temps ! Nous avons passé le milieu du trimestre d’été à plusieurs kilomètres de chez nous, mais les leçons ont continué comme d’habitude. Au pied levé, nous avons empaqueté quelques vêtements, un bon nombre de livres, et nous nous sommes transportés dans un cottage dans les « downs4 », près de la mer. Pendant notre séjour, nous avons passé les matinées à étudier consciencieusement nos livres, et les après-midis ont été consacrées à des études en plein air. Au cours de longues explorations sur le rivage et dans les collines pendant un mois de juin radieux, nous avons effectivement trouvé « la terre remplie de ciel »5. D’innombrables trouvailles ont récompensé notre quête de trésors – des oiseaux et des papillons nouveaux pour nous, beaucoup de nouveaux insectes de toutes sortes et de très nombreuses nouvelles fleurs. La Providence fut très gentille avec nous à cette occasion – nous avons eu de la pluie presque tous les matins et un temps magnifique l’après-midi. La vertu fut récompensée très rapidement dans ces circonstances.

Nous nous souvenons du trimestre où nous avons eu la coqueluche, car nous avons perdu très peu de temps – un autre avantage de notre école à la maison ! La coqueluche entraîne généralement une absence de plusieurs semaines.

La mère qui enseigne à la maison a un avantage sur la mère qui n’enseigne pas à ses enfants en ce qu’elle voit plus de facettes de l’esprit et de la nature de l’enfant. De nombreuses mères ne voient leurs enfants qu’en dehors de l’école, or les heures de classe occupent une bonne partie de la journée.

En ce qui concerne les nombreux points de contact que la mère enseignante peut avoir avec l’esprit de son enfant, j’ai constaté qu’en travaillant comme nous le faisons sur un programme très vaste, nous abordons forcément un grand nombre de sujets. Beaucoup de ces sujets sont plus faciles à aborder entre parents et enfants qu’entre la classe et le professeur. Il est souvent particulièrement important d’en parler dès que l’enfant en a conscience, sinon l’occasion est perdue et ils risquent de ne plus jamais être abordés – dans le cas d’un enfant en classe, j’imagine que beaucoup d’entre eux ne seront jamais abordés, soit par timidité, soit par découragement. La Bible et Shakespeare sont dans toutes les écoles. Ces classiques ne peuvent être lus sans que d’innombrables questions ne viennent à l’esprit de l’enfant. Je pense qu’il doit être beaucoup plus facile pour une mère d’expliquer et de discuter de questions qui sont naturellement compliquées à aborder entre des personnes de générations différentes et qui n’ont pas la même expérience de la vie. Les enfants, je peux le dire, n’ont jamais montré la moindre hésitation à poser les questions qui leur venaient à l’esprit sur n’importe quel sujet.

La mère sait, ou devrait savoir, à quel stade de développement mental est l’enfant ; elle peut approfondir la question autant que nécessaire, selon où en est l’enfant.

Une mère qui a enseigné à ses propres enfants, ou plutôt qui a lu les mêmes livres et discuté de problèmes et de difficultés de toutes sortes, a un lien intellectuel avec l’esprit de son enfant qui se renforce avec le temps. Certains des liens antérieurs sont inévitablement affaiblis – le lien de dépendance disparaît, mais les liens dûs aux intérêts communs croissent.

Du point de vue du parent, il y a beaucoup à gagner à enseigner à ses propres enfants – plus de temps passé en compagnie des enfants, une occupation extraordinairement intéressante, un élargissement de ses propres perspectives intellectuelles car il est en contact permanent avec les meilleures pensées de tous les temps, et, en bref, une existence tout à fait heureuse. Le jour où l’enfant doit aller à l’école arrive inévitablement, il y a un moment où l’enthousiasme et un cerveau moyen ne peuvent plus faire face à la tâche – des spécialistes dans les différentes matières sont nécessaires. Ce moment varie selon les circonstances individuelles – dans notre cas, nous avons réussi à continuer jusqu’à ce que notre fille aînée ait quatorze ans et demi.

Pour les parents de la P.U.S., le chapitre suivant de l’histoire a été très simplifié. Les filles ferment leurs livres à la fin de leur dernier trimestre dans la salle de classe à domicile – à la fin des vacances, ils peuvent être ouverts à la page suivante et, sans aucune interruption, elles continuent leur travail comme d’habitude à Overstone5.

Je suppose que je dois parler des difficultés que nous avons rencontrées. Eh bien, j’ai trouvé qu’elles étaient, dans la plupart des cas, comme les collines que l’on rencontre souvent en conduisant le long d’une route droite – plus on s’en approche, plus elles ont tendance à s’aplanir, et les collines abruptes s’avèrent être, finalement, des pentes faciles.

Certaines personnes pensent peut-être que l’enfant instruit à la maison souffre d’un manque de compagnie. D’après mon expérience, jusqu’à l’âge de treize ou quatorze ans, la famille, les amis et les voisins immédiats, ainsi que les animaux domestiques, remplissent l’esprit de l’enfant et lui offrent beaucoup de compagnie en dehors des heures de classe. Pendant les heures d’école, ils n’ont pas besoin de compagnie, car chaque enfant travaille seul – mes trois enfants travaillaient habituellement dans trois Forms différentes – et bien sûr, dans une salle de classe P.U.S., il n’y a pas de place pour la compagnie qui est parfois considérée comme nécessaire pour mettre de la compétition dans le travail. Nous savons tous qu’à la P.U.S., le mot compétition n’existe pas et, personnellement, je n’ai jamais trouvé que nous en avions besoin. Les enfants aiment leur travail et n’ont pas besoin d’être stimulés.

Une difficulté réelle et un danger à éviter dans une école à domicile sont les suivants : chaque foyer a une atmosphère mentale qui lui est propre. Cette atmosphère qui entoure l’enfant influence inconsciemment son esprit. La mère qui enseigne risque d’emporter cette atmosphère avec elle dans la salle de classe et les enfants risquent de devenir étroits d’esprit. L’écolier qui quitte la maison tous les jours laisse cette atmosphère derrière lui : il rencontre de nombreux points de vue et apprend bientôt qu’il peut y avoir plus d’une opinion sur la plupart des sujets. Une fois que l’on a pris conscience du danger dont j’ai parlé, on peut l’éviter.

L’atmosphère familiale, la tendance familiale au conservatisme ou à l’esprit d’entreprise, selon le cas, a sa place en dehors des heures de classe. Pendant les heures de classe, on peut prendre l’habitude d’aborder toutes les questions avec une ouverture d’esprit absolue. Tous les arguments pour ou contre devraient être accueillis favorablement. Il est justifié de faire savoir aux enfants que si l’on peut, et même que l’on doit, avoir une opinion personnelle, cette opinion n’est pas nécessairement correcte ou partagée par l’ensemble de l’humanité. C’est une tentation à éviter, celle d’imposer ses propres théories à un jeune esprit en expansion, même si on y est attaché. L’enfant, dans une salle de classe P.U.S., a, grâce à la merveilleuse nourriture fournie à son esprit – si on le laisse choisir seul ses impressions et ses opinions – une chance réelle de développer une individualité qui lui est propre. Il est, bien sûr, beaucoup plus tentant pour une mère que pour un professeur d’intervenir indûment et de chercher à produire une réplique à son image plutôt que de donner à l’enfant une chance de devenir quelque chose de différent et, pourquoi pas, de meilleur.

Une difficulté mineure est de savoir où se trouvent les livres que nous utilisons. Voici une règle qui doit être appliquée de plus en plus strictement, nous l’avons constaté, à mesure que le temps passe et que nous atteignons les niveaux supérieurs et que les livres deviennent plus intéressants : « Tous les livres empruntés par les adultes de la famille doivent être rendus avant l’heure du petit déjeuner. Cette règle s’applique particulièrement aux livres empruntés subrepticement après que les propriétaires se soient couchés. » Il n’est pas propice à une atmosphère de discipline scolaire d’entendre une voix marmonner à voix basse à une sœur dans tous ses états, cherchant en vain un livre sur ses étagères : « Essayez la table près du lit de papa. » Et cela me rappelle l’importance pour chaque enfant d’avoir sa propre bibliothèque. Dans notre cas, nous avions chacun une simple bibliothèque en chêne avec plusieurs étagères et, ce que je trouvais admirable, l’espace le plus bas transformé en placard par l’ajout de deux petites portes – ce qui est très utile pour tous les documents de taille inhabituelle comme les brochures, les cartes géographiques, etc. La possession de cette bibliothèque, où tous les livres peuvent être gardés en ordre par leur propriétaire, encourage l’enfant à aimer et à prendre soin de ses livres.

Peut-être quelqu’un se dit-il qu’il doit être difficile d’être à la fois maîtresse d’école et maîtresse de maison. La plupart des mères sont des maîtresses de maison. Je le suis moi-même, mais n’allez pas croire que parce que j’entre dans la salle de classe tous les matins à neuf heures, je rivalise avec Mme Jellyby6 dans mes méthodes d’entretien. J’ai découvert qu’il était tout à fait possible de vivre confortablement avec un minimum d’aide extérieure tout en laissant du temps disponible pour une occupation plus intellectuelle que la routine habituelle des tâches ménagères.

Je me permets de suggérer que dans les maisons où il y a peu de personnel, les enfants peuvent apporter une aide significative. Le travail que les adultes qualifient d’ennuyeux est souvent très intéressant pour eux. Et bien sûr, le ménage, comme tout autre travail, est, dans une certaine mesure, intéressant et agréable selon l’esprit dans lequel il est entrepris. Au pire, il peut être considéré comme un moyen de gagner de l’argent. Mes enfants ont toujours reçu un salaire pour leur travail. C’est un bon arrangement. Leur intérêt pour le travail est maintenu et ils dépensent l’argent qu’ils ont eux-mêmes gagné, ils ont donc une bonne appréciation de sa valeur.

Grâce à la P.U.S., notre famille a passé quatre années très heureuses. Nous ne pourrons jamais être assez reconnaissants envers la P.U.S. ou envers Mlle Kitching pour son aide précieuse, et nous espérons que d’autres écoles à domicile seront encouragées à se lancer dans un voyage de découverte similaire.

Note de Charlotte Mason Poetry

[1] The Parents’ Review, vol. 41, p. 506.

Notes de la traductrice

(1) Dans le P.N.E.U., les années scolaires étaient organisées en « Forms » comme suit :
Form I : de 6 à 9 ans ; Form II : de 9 à 12 ans ; Form III : de 12 à 14 ans ; Form IV : de 14 à 15 ans ; Form V : de 15 à 17 ans ; Form VI : de 17 à 18 ans.

(2) Henry Purcell et Thomas Arne étaient des compositeurs anglais, respectivement du XVIIème et XVIIIème siècle.

(3) Les Aventures de Monsieur Pickwick (en anglais, The Pickwick Papers) est un roman de Charles Dickens.

(4) Downs : région de collines. Ici il s’agit soit des South Downs, au sud de Londres, soit des Kent Downs, au sud-est de Londres

(5) Citation tirée du roman en vers Aurora Leigh par Elizabeth Barrett-Browning (1857)

(6) Overstone : village du Northamptonshire (à l’est de Birmingham). Il s’agit certainement du lieu de résidence de Mme Brown et de sa famille.

(7) Mme Jellyby est un personnage de La Maison d’Âpre-Vent (en anglais, Bleak House), un roman de Charles Dickens.

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Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction ©2022 Sylvie Dugauquier. Relecture : Charlotte Roman)