Note de Charlotte Mason France : “L’observation inconsciente de la nature cultive leurs facultés d’appréciation avant même qu’ils ne soient assez âgés pour s’en rendre compte.” 

Une fois n’est pas coutume, nous n’avons pas été obligées de traduire cet article, publié dans la Parents’ Review en 1926, car il fut rédigé en français ! En effet, Art Middlekauff, fondateur actif de l’équipe américaine de Charlotte Mason Poetry, est un passionné qui cherche et trouve de nombreuses archives de cette revue, qui fut la base de travail de nombreuses familles anglaises au début du 2Oème siècle, éduquant leurs enfants avec la pédagogie de Charlotte Mason. Après avoir discuté avec Art au sujet de cet article, j’ai eu envie de vous le partager ici pour deux raisons : la première étant de vous faire profiter des idées transmises alors par l’une des membres du Comité exécutif de la P.N.E.U., qui nous rappelle le lien étroit entre la Nature et l’Art, si présent dans nos festins d’idées. La seconde raison est que cet article montre le lien particulier que la P.N.E.U. a toujours eu avec le monde francophone, lien plus que centenaire que notre équipe et notre communauté perpétuent aujourd’hui.

Cet article est une copie de la communication que Mme Evan Campbell a lue au huitième congrès international de formation artistique à Bruxelles en 1926. Étant donné que l’évènement se déroulait en Belgique, c’est le français qui fut choisi par l’auteure. Art et moi pensons que Mme Campbell l’a écrit elle-même en se basant sur sa propre connaissance de la langue, c’est pour ceci que je vous le livre “tel quel” et j’ai d’ailleurs été particulièrement touchée par le terme qu’elle a utilisé pour les discussions que nous avons avec les enfants lors de nos “Picture Studies” ; elle les nomme joliment “Causeries sur les tableaux”.

Avant de vous livrer les mots de Mme Campbell, (re)lisons ensemble cet extrait de l’Éducation à la maison (Partie 2, chapitre 7 – L’enfant apprend avec tous ses sens) : “Tous ceux qui ont fait preuve d’une remarquable appréciation des formes et de la beauté au cours de leur vie rapportent que leurs premières impressions remontent à une période bien antérieure à celle des idées définies ou de leur instruction formelle.”

Par Mrs Evan Campbell
Parents’ Review n°37 pp. 6-9

La Société d’Éducation Anglaise, P.N.E.U. qui me fait l’honneur de me compter parmi les membres de son comité, attache une importance toute particulière à l’influence de l’art sur l’éducation et réciproquement. C’est pourquoi j’ai été invitée à venir vous exposer en quelques mots la méthode par laquelle nous mettons ces principes en pratique.

Nous estimons que l’éducation nous fournit les moyens de présenter aux enfants l’idée de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est sage et de tout ce qui est beau dans la pensée et le savoir de l’homme.

Examinons les moyens par lesquels nous espérons inculquer l’amour de la beauté à nos enfants à chaque étape de leur croissance.

Pendant qu’ils sont encore tout petits leur instruction se fait par leur sens. L’observation inconsciente de la nature cultive leurs facultés d’appréciation avant même qu’ils ne soient assez âgés pour s’en rendre compte.

Nous les emmenons au jardin ou dans les bois et nous leur suggérons la jouissance que nous éprouvons à la vue des formes et des couleurs variées des fleurs, des arbres et de leur feuillage, des effets de soleil et d’ombre, des nuages dans le ciel, à entendre les chants des oiseaux et à respirer les parfums de l’été. Ils y prennent un plaisir intense et, inconsciemment, ils apprennent à discerner.

Afin de rendre cette faculté d’observation voulue et consciente, nous chargeons l’enfant de nous rendre compte de ce qu’il a vu et observé au cours d’une promenade : que ce soit en été, à la campagne, il nous décrira au retour les moissonneurs qu’il aura vu au travail, les attelages de beaux chevaux de labour, etc. Pour l’enfant qui habite la ville, ce sera beaucoup plus difficile, mais on trouvera moyen de le promener dans le Bois ou dans les Parcs et de l’intéresser, lui aussi, aux beautés de la nature ; on a de plus, en ce qui concerne les petits citadins, l’occasion de leur faire remarquer de bonne heure les formes architecturales.

C’est dès leurs premières années qu’il nous faut entourer nos enfants de beauté. Nous ne leur donnons donc que des jouets simples et bien faits, évitant toujours ce qui est grotesque et laid. Nous pouvons faire en sorte que, non seulement les tableaux suspendus au mur, mais aussi les illustrations de leurs livres soient bien dessinés. Les meubles, dans les chambres des enfants, peuvent être absolument simples mais il ne faut jamais qu’ils soient disgracieux.

Anatole France nous dit dans le “Crime de Sylvestre Bonnard” : “Je ferais de cette enfant non pas une savante, car je lui veux du bien, mais une enfant brillante d’intelligence et de vie, et en laquelle toutes les belles choses de la nature et de l’art se refletiraient avec un doux éclat. Je la ferais vivre en sympathie avec les beaux paysages …… Je lui rendrais aimable tout ce que je voudrais lui faire aimer.” 

Il nous faut ensuite enseigner à nos enfants le travail manuel. Donnons leur des fleurs et des fruits de toute espèce à modeler avec de la cire ou de l’argile et encourageons-les à copier avec leurs pinceaux les fleurs sauvages qu’ils cueillent. Nous voulons arriver à ce que, dans l’esprit de l’enfant, l’idée de l’art soit liée avec celle de la nature. L’enfant capable de discerner la pureté des formes et des couleurs, la cherchera plus tard dans la sculpture et le dessin. Il est important que l’élève fasse lui-même des essais, non seulement pour développer l’expression individuelle mais parce que cela le préparera à étudier les œuvres des artistes et constituera une introduction au principe de la technique.

Supposons maintenant l’enfant arrivé à l’âge où il commence à faire des études sérieuses et variées. Plusieurs de ces études doivent contribuer à augmenter sa compréhension de l’art.

Dans le programme de la Société Éducatrice que j’ai l’honneur de représenter ici se trouve un cours spécial intitulé “Causeries sur les Tableaux”.

Six reproductions bien faites d’après les grands Maîtres sont étudiées chaque trimestre. On choisit quelquefois un artiste contemporain de la période qui fait le sujet du cours d’histoire. En été ce sera souvent un paysagiste. Les élèves examinent à chaque leçon une de ces copies, seuls, et aussi sous la direction du professeur. La gravure étant ensuite recouverte d’une feuille de papier, les élèves la décrivent à haute voix et peuvent à leur gré essayer d’en reproduire quelques détails au crayon. 

Ils témoignent un vif intérêt à l’histoire du tableau. Le célèbre tableau de Giotte représentant St. François d’Assise et les petits oiseaux, est toujours bien accueilli à cause du récit dont il est accompagné.

Il est étonnant de constater à quel point les enfants encore tout jeunes, sont capables d’apprécier les plus beaux tableaux. Une de mes filles, à l’âge de 5 ans, était enthousiasmée par une Sainte Famille de Léonard de Vinci.

Les élèves étudient ainsi pendant le cours entier quelques vingt cinq artistes choisis parmi les grands maîtres italiens et les écoles hollandaise, française et anglaise. Il va sans dire que ces enfants se familiarisent à tel point avec les copies qu’ils sont prêts à reconnaître et à apprécier les œuvres originales quand ils les retrouvent dans une galerie ou dans un musée.

L’étude de l’histoire et celle de la géographie ont une très grande valeur par rapport à ce sujet. Nos élèves y retraceront la naissance de l’art dans les nécessités et dans les aspirations humaines, nos ancêtres, même les plus lointains, nous ayant laissé des traces de leurs tendances artistiques sous forme de dessins grossiers dont ils ornaient leurs outils, et qui représentaient parfois des animaux. Faire connaître un peu les climats, les conditions et les mœurs religieuses et civiles des peuples anciens, c’est leur faire comprendre les raisons d’être du style. Par exemple, cela les intéresse d’apprendre que le dessin du Pylône Egyptien a probablement été inspiré par la forme des habitations du peuple. En effet, les murs en étaient nécessairement construits en pente parce que les briques crues dont on se servait primitivement ne pouvaient supporter beaucoup de poids. 

Les élèves avancés constateront avec plaisir les rapports visibles qui unissent l’architecture grecque, si pure, si harmonieuse, si précise et l’esprit même des Grecs, si fin, si élégant et si propre aux définitions exactes.

A ce propos, nous cherchons également à enseigner aux enfants le rapport d’une œuvre d’art avec son milieu. Un monument bouddhique dont les bijoux incrustés brillent au soleil de l’Orient n’aurait point le même attrait s’il se trouvait placé dans l’atmosphère brumeux de l’Angleterre !

Remarquons aussi que toute instruction sérieuse et suivie cultive la mémoire, et que ce n’est que par la mémoire qu’une œuvre dépeignant le mouvement est possible. Citons comme exemple la Victoire de Samothrace où la vitalité triomphante d’un instant fugitif, se trouve fixée à jamais par le ciseau de l’artiste.

J’ai voulu montrer que notre but est toujours de présenter à nos enfants la beauté essentielle et vivante aussi bien que la vérité et que la sagesse.

Cherchons dans Platon pour qu’il nous dise comment la contemplation de la beauté des formes naturelles nous mène petit à petit à la réalisation de la beauté parfaite, et que dans la contemplation de cette beauté l’âme enfin se repose. 

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Résolution : Que les Éducateurs s’efforcent d’éveiller chez les enfants dès l’âge le plus tendre le sentiment de la beauté en les mettant en présence des spectacles admirables de la nature, en leur inspirant le respect à l’amour des choses et en les encourageant à s’émouvoir devant les œuvres d’art. 

Note et transcription Charlotte Roman. Relecture Maeva Dauplay.

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