Note de Charlotte Mason France : A l’occasion du centenaire de la mort de Charlotte Mason, l’équipe de Charlotte Mason France est ravie de vous proposer la traduction en six articles du livre « In Memoriam: Charlotte M. Mason« . Le livre s’ouvre par un poème écrit par Charlotte Mason, « The World to Come (The Disciple) », puis est composé de deux parties :
– la première partie, en deux chapitres, correspond à deux discours prononcés par Charlotte Mason lors de la dernière conférence à laquelle elle a participé avant sa mort survenue le 16 janvier 1923. Cette conférence, donnée à la Pentecôte en 1922, réunit des centaines de personnes venues de divers endroits d’Angleterre et d’ailleurs, toutes unies par les principes de la pédagogie de Charlotte Mason ;
– la deuxième partie rassemble des textes d’amis, étudiants, collègues, éducateurs… prononcés lors du service commémoratif ou écrits pour les éditions spéciales du Mémorial de la Parents’ Review. Tous ces témoignages et souvenirs partagés offrent un regard plus intime sur Charlotte Mason et ceux qui ont partagé sa vie.

Il s’agit ici du premier chapitre de la deuxième partie, les hommages officiels d’instances politiques et de journaux.

Partie II.
(1)
Hommages officiels.

I.

Conseil de l’éducation.
Whitehall, S.W.1.
12 février 1923.

Chère Madame,

Je ne crois pas qu’il soit juste de laisser passer la mort de Miss Charlotte Mason sans exprimer officiellement le profond regret du Conseil de l’éducation de voir s’achever ses longs et fructueux travaux dans le domaine de l’éducation, et sa haute appréciation des grands services publics qu’elle a rendus.

Nous savons que Miss Mason commença son travail très tôt dans la vie, et qu’elle le poursuivit avec une diligence et un enthousiasme ininterrompus pendant plus d’un demi-siècle. Le principe fondamental de son enseignement – croire dans les capacités naturelles d’appréciation de l’enfant – n’était pas très connu en Angleterre lorsqu’elle était jeune. Il en est tout autrement aujourd’hui, et c’est peut-être en soi la meilleure preuve de ce que nous lui devons et le souvenir le plus durable de ses travaux. Son influence, diffusée par ses livres et l’Union qu’elle a fondée, fut une source de motivation pour des centaines d’enseignants, et bien qu’elle ne soit pas entrée en relation directe avec le système public d’éducation tel qu’il est administré par le Conseil et les autorités locales éducatives, il ne fait aucun doute que sa vie et son exemple, ainsi que ses efforts pour établir et diffuser les principes qu’elle suivait, profitèrent profondément et durablement à ce système. Elle travaillait pour faire progresser l’éducation de façon désintéressée et sincère, en combinant une vision généreuse et un jugement plein de sagesse. Au nom du Président et de mes collègues, je me joins à la Parents’ National Educational Union pour déplorer sa perte et rendre hommage à sa mémoire. 

Je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments distingués, 

(Signé) L.A. Selby-Bigge, 
Secrétaire permanent.

L’honorable Mme Franklin, 
Parents’ National Educational Union, 
26, Victoria Street, S.W.1.

II.

Miss Mason était une grande dame, grande âme. Ses pensées et ses goûts avaient une lignée. La côtoyer, être sous le charme de son attitude courtoise et prévenante, c’était savoir ce que devait être de rencontrer Madame de Genlis ou quelque autre de ces grandes dames de l’ancien régime qui gagnaient une belle culture en enseignant aux enfants et en partageant avec eux l’amour des choses belles et vraies. Miss Mason avait le génie de l’éducation. Elle avait un bon sens inné et une sensibilité sans faille. Son esprit était nourri par la grande littérature. Elle aimait les sciences humaines. Elle avait un don très distingué pour faire coopérer ceux qu’elle rencontrait. Il y avait une tendresse, une humilité dans la confiance qu’elle avait en elle-même qui rappelait la phrase de Vauvenargues selon laquelle « les grandes pensées viennent du cœur ». Et la grandeur des pensées avec lesquelles elle vivait la rendait plus chaleureuse à mesure que son expérience se renforçait et que le cercle de ses élèves s’élargissait dans tout le pays.

L’Angleterre eut la chance de bénéficier des conseils que Charlotte Mason donna avec une ténacité patriotique et désintéressée et avec une gracieuse largesse de cœur et d’esprit. Ce qu’elle entreprit, personne d’autre ne le tenta avec une telle ampleur. D’autres, qui, comme elle, étaient des personnalités nationales, travaillèrent via un autre moyen. Lady Stanley d’Alderley et Mary Frances Buss étaient imprégnées de la même tradition, mais se préoccupaient des problèmes de l’école secondaire publique de jour1 pour les filles. Charlotte Mason incarnait la culture de l’école à la maison dans ce qu’elle a de meilleur. Les auteurs de sa génération se montrèrent un peu aveugles aux beautés de l’instruction en famille et oublièrent ce qui avait été réalisé dans les bonnes écoles privées, en particulier pour les filles. Nombreuses étaient les écoles privées qui s’efforçaient de reproduire l’influence à la fois stimulante et modératrice d’un foyer cultivé. Charlotte Mason fut le témoin de leur excellence. Plus encore, elle formula une théorie éducative de leur pratique à partir de la connaissance qu’elle avait de leur travail. C’est là, je crois, sa grande contribution à la pensée de son temps. Mais elle donna quelque chose de plus précieux que cela. Elle se donna elle-même.

A mesure que nos souvenirs pleins de gratitude à son égard se précisent, nous réalisons le rang qu’elle occupe dans la succession des éducateurs illustres. Comme Thring d’Uppingham2, elle comprit que l’éducation est la transmission de la vie, de la vie de l’esprit, attisée par les ardentes particules qui reposent inaltérées dans la noble littérature. Comme Thring, elle désirait ardemment offrir de nouvelles possibilités au commun des mortels, bien qu’elle n’ait pas oublié les revendications de l’élite ni la valeur de ses dons. Son humanisme était désintéressé, inclusif, tolérant la variété, jamais jaloux des supériorités et désireux de partager dans une large communauté les précieuses consolations de la culture. Née à une époque de découvertes historiques, alors que les documents du passé se dévoilaient et apaisaient quelque peu des controverses dépassées, l’histoire (notamment en ce qui concerne son attrait pour l’imagination) était au centre de ses intérêts intellectuels. Mais ses critères de jugement étaient d’ordre éthique. Plutarque et Sir Walter Scott figuraient en bonne place dans son canon éducatif. La grandeur dans la bonté était son idéal, et son idéal de bonté comportait, comme celui de Platon, une place pour la beauté des motifs, des couleurs et des tons.

Par l’intermédiaire de Ruskin et de Thomas Arnold de Rugby, elle descendait directement de Wordsworth. Dans le lumineux résumé des principes qui introduit L’éducation à la maison, il y a beaucoup de choses qui pourraient être illustrées par des passages du Prélude3. « Les enfants sont des personnes dès la naissance. » « Ils ne naissent ni bons ni mauvais, mais avec le pouvoir de faire le bien ou le mal. » « Les principes d’autorité d’une part, et d’obéissance d’autre part, sont naturels, nécessaires et fondamentaux ; ces principes sont limités par le respect dû à la personnalité des enfants. » « Lorsque nous disons que l’éducation est une atmosphère, nous ne voulons pas dire qu’un enfant doit être isolé dans ce que l’on peut appeler un ‘environnement enfantin’, spécialement adapté et préparé, mais que nous devons tenir compte de la valeur éducative de l’atmosphère naturelle de son foyer, à la fois en ce qui concerne les personnes et les choses, et le laisser vivre librement dans ses propres conditions. Nous abrutissons un enfant en abaissant son monde à un niveau infantile. » « En disant que l’éducation est une vie, nous sous-entendons les besoins de nourriture intellectuelle, morale et physique. L’esprit se nourrit d’idées, et les enfants devraient donc avoir un programme généreux. » Comme Comenius4, elle était convaincue de l’importance d’un abondant programme de lectures variées. Comme Comenius, elle voulait se prémunir contre les dangers de la superficialité.

Le mouvement libéral qui déferle sur l’éducation à travers Rousseau trouve son expression dans l’œuvre de Miss Mason comme dans celle de ses prédécesseurs. Mais il avait perdu son excitation névrotique. Charlotte Mason était une femme au jugement tempéré et à la charité ardente. Elle était soutenue par une profonde conviction religieuse, par le respect de la personnalité humaine qui a en elle la crainte tranquille de la foi en la direction divine.

La Lake School of Poetry5 et sa propre Lake School of Education6 ne sont pas sans lien. Elle était dans la tradition de Wordsworth et des Arnold. Et la gratitude que nous ressentons à l’égard de son enseignement et de son exemple s’étendra à ceux qui travaillèrent avec elle et qui, par leurs activités loyales, aidèrent à la diffusion de ses idées.

M. E. Sadler, C.B.

The Univeristy, 
Leeds, février 1923

III.

St. Radegunds,
Cambridge,
le 16 février 1923.

L’influence personnelle est, ou peut être, une chose merveilleuse ! Depuis une chaise roulante dans une région reculée de l’Angleterre, Charlotte Mason réanima et réforma une grande partie de l’éducation en Grande-Bretagne. Il n’était pas nécessaire de lui rendre une longue visite à Ambleside pour comprendre comment cette influence se manifestait. En conversant avec elle, même sur des sujets triviaux, mais plus encore sur les grandes questions de la vie et de la politique, nous prenions conscience de sa lucidité au sujet des événements, de sa compréhension intellectuelle des principes, animée par la chaleur intérieure de la sympathie et de l’espoir. Entourée d’un groupe de fidèles disciples, elle dirigea le cap de nombreux navires sur l’océan de l’éducation qu’elle ne vit jamais personnellement ; et comme beaucoup d’organisateurs suprêmes d’industries florissantes, tout en ayant apparemment du temps libre pour elle-même, elle était exactement au courant de ce qui se passait dans toutes les contrées où ses principes étaient en action. Pourtant, elle n’était pas une bureaucrate ; sa pratique était aussi variée et souple que ses principes étaient constants ; il y avait la méthode et même la culture littéraire, mais surtout l’esprit. J’espère et je pense que le principal secret de l’ascendant de Miss Mason était la qualité éthique de son enseignement. D’Ambleside sortirent de nombreux missionnaires sérieux, imprégnés non seulement d’un sens de l’ordre, d’un amour de l’apprentissage et d’une compréhension des esprits rudimentaires et en pleine croissance. Ils étaient sanctifiés par un esprit éthique élevé, un esprit qui ne venait pas simplement s’ajouter à son système d’éducation, – qui n’était pas lui-même simplement organisé en tranches de quelques heures par semaine, – mais qui pénétrait l’ensemble et le portait dans une sphère plus élevée où il était élargi, réchauffé et éclairé. Nous déplorons la mort de Miss Mason parce que nous l’avons perdue personnellement et que nous pensons à ce qui aurait pu être fait si elle avait eu une vie plus longue ; mais, d’autre part, nous pouvons nous réjouir de savoir qu’elle a vécu à une époque de changement, au moment même où sa main sur la barre était le plus nécessaire, et que sa vie frêle a été épargnée assez longtemps pour laisser son empreinte sur l’éducation de l’Angleterre et pour fonder son propre peuple pour de nombreuses générations à venir.

CLIFFORD ALLBUTT
(Professeur Regius de Médecine, Cambridge)

IV.

Grâce à des intérêts communs en matière d’éducation, de littérature et de religion, je fis la connaissance de Miss Mason, et j’eus plus d’une fois le plaisir de lui rendre visite à Ambleside. Ce faisant, je pris immédiatement conscience de l’existence d’un esprit qui triomphait des difficultés qui, chez beaucoup d’autres personnes, découragent leur ambition, leur activité et leur travail. Miss Mason régnait depuis son divan. Et la grande influence qu’elle exerçait était tout aussi inspiratrice que directrice. Elle planifiait et élaborait les cours, mais elle faisait toujours plus attention à l’esprit des leçons plutôt qu’à leur planification.

J’avais de bonnes raisons de savoir aussi que pour elle, plus encore que la poésie, c’était la Religion qui importait le plus. Cela fut prouvé dans l’œuvre à laquelle elle consacra beaucoup de temps et d’efforts : la paraphrase en vers et le commentaire d’une grande partie de l’Évangile, et à laquelle elle donna le titre The Saviour of the World [Le Sauveur du monde]. D’autres écriront sur son système d’éducation et le commémoreront. Il me revient de mentionner l’œuvre la plus chère à son cœur, peut-être plus que tout le reste.

W. H. DRAPER,          
Maître du Temple.

V.

LES GUIDES7,
25 Buckingham Palace Rd,
Londres, S.W.1.

21 février 1923.

C’est un très grand plaisir pour moi d’écrire quelque chose sur Miss Mason et son merveilleux travail.

Je n’oublierai jamais le jour mémorable de mai 1922, où je pus enfin rendre ma première visite à la House Of Education. Son nom et sa renommée sont si connus dans le monde des Guides, et en tant qu’humble travailleuse dans le domaine de l’éducation, je désirais depuis longtemps rencontrer la fondatrice de la P.N.E.U.

À notre arrivée, la commissaire du comté de Westmorland et moi-même fûmes accueillis avec la plus grande gentillesse par Miss Mason. Son intérêt et son empressement à discuter me firent immédiatement sentir que, bien qu’étant un peu en dehors de sa zone de compétence, les Guides bénéficiaient de sa véritable sympathie et de sa chaleureuse approbation.

Je me souviens très bien d’une remarque qu’elle fit. Après avoir déjeuné avec les élèves, elle m’emmena m’asseoir dans la véranda et, se penchant doucement vers moi depuis sa chaise roulante, elle me dit : « Vous savez que j’ai un peu peur de vous » ! Non, pas ELLE personnellement, ni MOI personnellement, mais elle voulait dire que l’attrait particulier et le charme des guides étaient parfois susceptibles de détourner les enthousiastes de travaux et études plus urgents et plus concrets.

Ce fut un plaisir extrême pour moi d’avoir passé ce moment en compagnie d’une personne à qui parents et enfants devront toujours tant. Au moment où j’écris, je la revois assise, les mains croisées, sur la véranda de Scale How8, regardant ses élèves jouer, aussi vivement intéressée par le jeu que par tout ce qui fait le bonheur et le bien-être de la jeunesse.

Jane Baden-Powell

VI.

Nous avons reçu le texte suivant du Général Sir Robert Baden-Powell :

LA GOUVERNANTE D’UN MARÉCHAL.

Qu’est-ce qui marqua le début des scouts ? 

Eh bien ! Je crois que c’est en grande partie grâce à… comment dire… la gouvernante d’un maréchal.

Le maréchal en question, rentrait chez lui après une journée de campagne lorsque, des branches d’un arbre, son petit garçon lui cria : “Père, vous êtes touché ! Je suis en embuscade et vous êtes passé sous moi sans me voir. Rappelez-vous que vous devez toujours regarder vers le haut et autour de vous.”

Le maréchal leva les yeux et vit non seulement son jeune fils perché au-dessus de lui, mais également, près de la cime de l’arbre, la nouvelle gouvernante récemment arrivée du collège de formation de Miss Charlotte Mason à Ambleside.

La gouvernante expliqua que l’un des points essentiels de l’éducation moderne est d’enseigner l’observation et la déduction ; et que les étapes pratiques pour y parvenir sont données dans le petit manuel pour soldats Aids to Scouting9. L’embuscade n’était qu’un des nombreux exercices de ce livre qu’elle-même et ses élèves pouvaient mettre en pratique.

Par exemple, ils pouvaient, dans le cadre d’un autre exercice, se faufiler en gardant un œil sur tout mais sans être vus, et noter tout ce que le général faisait ; ils pouvaient l’entraîner dans une quête vaine pendant qu’ils se procuraient une preuve tangible qu’ils avaient envahi son sanctuaire. Pris comme un avertissement de ce à quoi il pourrait s’attendre, j’ose dire que l’explication de la gouvernante ouvrit grand les yeux du général, ne serait-ce qu’en ce qui concerne sa propre sécurité future contre les embuscades et les fausses alertes.

Mais elle ouvrit certainement les miens sur le fait qu’il pouvait y avoir une valeur éducative sous-jacente aux principes de la formation des scouts ; et puisqu’elle avait été jugée digne d’être utilisée par une autorité telle que Miss Mason, je me suis rendu compte qu’il pouvait y avoir quelque chose à en tirer.

Cela m’a encouragé à adapter cette formation à l’usage des garçons et des filles.

De ce gland est né l’arbre qui étend maintenant ses branches à travers le monde. 

Le scout d’hier (réduit hélas de quelque dix mille personnes ayant donné leur jeune vie à la guerre) est déjà en train de devenir le citoyen d’aujourd’hui (et ce n’est pas trop tôt), en grande partie grâce à la gouvernante d’un maréchal.

VII.

TIMES, 17 JANVIER.

CHARLOTTE MASON. 

[Avec l’aimable autorisation de l’éditeur du TIMES.]

UNE PIONNIÈRE DE LA SAINE ÉDUCATION.

Plusieurs centaines de parents et d’enseignants du monde entier pleureront ensemble Miss Charlotte Mason, qui s’est éteinte dans son sommeil à la House Of Education, à Ambleside, hier midi. Elle fonda la Parents’ National Educational Union en 1887 et s’efforça sans relâche pendant plus d’un demi-siècle de créer un système d’éducation destiné à former une union équilibrée entre la croyance religieuse et la rigueur littéraire et scientifique.

Son influence personnelle était probablement plus étendue que celle de n’importe quel pédagogue de son temps. Cela s’explique plus par la loyauté qu’elle inspirait que par le poids et la force de sa philosophie éducative. La House Of Education, qu’elle fonda, acquit rapidement une tradition et un esprit qui rayonnèrent sur le grand système d' »écoles à domicile » qu’elle développa, avec des centaines d’enfants et de gouvernantes très éloignés les uns des autres, mais unis dans l’effort, travaillant sur les mêmes programmes avec les mêmes livres, et passant les mêmes grades au moyen d’examens envoyés à Ambleside pour correction. Jusqu’au bout, les nombreux disciples de Miss Mason étaient fiers de savoir qu’elle connaissait tous les enfants de la Parents’ Union School, qu’elle examinait leurs travaux et suivait leurs progrès. La House Of Education est d’ailleurs la seule institution qui ait offert une formation professionnelle spécifique aux gouvernantes privées. 

Charlotte Maria Shaw Mason naquit le 1er janvier 1842. Elle était la fille de Joshua Mason, un marchand de Liverpool. Après avoir reçu une éducation à domicile, elle fut attirée par l’enseignement et, après avoir acquis une certaine expérience dans diverses écoles et dans un collège de formation, elle commença à Chichester son travail de réformatrice de l’éducation et finit par fonder l’Union associée à son nom. Les principes qu’elle prêchait et qu’elle vit largement adoptés, tant dans les écoles qui avouèrent avoir appliqué ses idées que dans celles qui les adoptèrent tacitement, étaient la soif de connaissances, la vie scolaire comme une préparation délibérée aux intérêts plus larges de la vie, et la culture d’un intérêt naturel et sérieux pour la nature et l’art. Elle prêchait continuellement l’unicité de l’éducation et la nécessité universelle de la connaissance : « Sans la connaissance, la raison entraîne l’homme dans le désert et la rébellion lui tient compagnie. » C’est une citation tirée d’une remarquable série de lettres intitulée La base de la force nationale publiée dans le Times en 1921. L’équilibre de la connaissance était sa panacée contre les dangers de la révolution ; et cette connaissance devait être universelle. C’est le juste équilibre entre les différents aspects de l’éducation qui, selon elle, contribue à la santé nationale. 

La Parents’ Union School fut fondée en 1891 pour promouvoir ces principes et, en 1918, les idées de Miss Mason avaient pénétré une quarantaine d’écoles élémentaires (aujourd’hui plus de 200). Un certain nombre d’écoles préparatoires adoptèrent les programmes à des degrés divers et devinrent connues sous le nom d' »écoles P.N.E.U. », garantissant aux parents que le point de vue de la famille ne serait pas négligé. La méthode est saluée par diverses régions du pays – Bradford, Gloucestershire – et Miss Mason est convaincue que son système d’éducation fait des progrès considérables dans les écoles élémentaires et secondaires et dans l’enseignement privé. Les publications de Miss Mason comprennent Home Education, Parents and Children, School of Education, Ourselves, Some Studies in the Formation of Character, The Ambleside Geography Books, The Saviour of the World (une vie du Christ, un ouvrage en six volumes), The Basis of National Strength et A Liberal Education for All. L’œuvre de Miss Mason ne fut pas détrônée par les divers développements modernes en faveur de la liberté d’enseignement. Avec d’autres réformateurs de l’éducation d’aujourd’hui, elle voyait les enfants non pas comme de petits réceptacles réticents à l’information, mais comme des créatures en pleine croissance luttant vers la lumière, désireuses d’apprendre, désireuses de travailler, et trop souvent privées des moyens de le faire.

VIII.

SUPPLÉMENT ÉDUCATIF DU TIMES,

LE 20 JANVIER.

UN HOMMAGE PERSONNEL

Un correspondant écrit : – Charlotte Mason était cette combinaison rare, un penseur et un philosophe original et en même temps une merveilleuse organisatrice et femme d’affaires. Elle était sage et pleine d’esprit, vivement intéressée par les choses du monde, les oiseaux et les fleurs, les livres et les gens, mais avec une vision intérieure de l’au-delà, et la courtoisie et la considération désintéressée pour les autres qui caractérisent la grande dame d’une époque révolue. Elle traitait le plus petit enfant avec courtoisie. Elle était gracieuse envers le plus jeune membre de sa famille, tout comme elle l’était envers les grands du pays qui faisaient partie de ses disciples. Ses élèves et tous ceux qui se trouvaient sous son influence étaient animés par son enthousiasme pour ses principes éducatifs, sa détermination et son humilité.

Elle ne permit jamais que ses méthodes d’enseignement et sa philosophie de l’éducation soient désignées par son nom, mais par celui de la société qu’elle avait fondée pour les diffuser. Ainsi, son œuvre se poursuivra et sera habilement menée par ceux qu’elle forma et désigna pour cette tâche. Elle était encore à l’œuvre quatre jours avant sa mort, et supervisait personnellement les nombreuses dispositions prises pour accueillir le nombre toujours croissant d’étudiants souhaitant entrer dans son collège. Sa fin est celle d’un grand esprit. Avec toutes ses forces fraîches et vives d’esprit et de cœur, une mémoire et une appréhension intactes, elle s’endormit après de nombreux jours passés pour le bien de l’humanité. Son enseignement a gagné presque toutes les parties du globe ; les élèves de son école par correspondance se trouvent à la maison, dans les écoles privées et dans les écoles publiques. De nombreuses générations d’enfants joyeux, comblés par le plaisir de vivre et d’apprendre, se lèveront et la diront bienheureuse.

EXTRAITS D’AUTRES JOURNAUX

IX.

Il y a de bonnes raisons de supposer qu’un grand effort d’éducation pour améliorer nos méthodes d’enseignement de la langue et de la littérature indigènes sera récompensé. Nous sommes en vérité un peuple artistique, bien que nous hésitions à le reconnaître… et cette grande éducatrice, Miss Charlotte Mason, dont nous déplorons aujourd’hui la mort, nous a montré avec quelle facilité les enfants anglais répondent à l’appel des chefs-d’œuvre de la littérature anglaise.

H.A.L. FISHER

X.

Miss Mason et son évangile avaient une façon curieusement remarquable de susciter l’enthousiasme. Le présent auteur se souvient, trente-six ans plus tard, de la vue du premier numéro de la Parent’s Educational Review et de l’intérêt suscité parmi les parents que Frances Mary Buss réunit en 1887 pour créer la première branche londonienne de la P.N.E.U.. Depuis lors, il arriva fréquemment que l’on rencontre dans un presbytère de campagne éloigné, une gouvernante en difficulté et mal équipée qui, lorsqu’on lui témoignait un peu de sympathie, se révélait être une adepte enthousiaste des méthodes de Miss Mason, témoignant que, grâce à son influence, l’enseignement était littéralement passé de l’obscurité à la lumière ; tandis que rencontrer un étudiant de la House Of Education d’Ambleside, c’était assurément rencontrer un enthousiaste de l’éducation et, en général, un amoureux des enfants. Il est caractéristique de la finesse d’esprit de cette femme que les méthodes et les idéaux de la P.N.E.U. n’aient jamais fait connaître son propre nom ; pourtant, pour beaucoup, sa mort s’accompagnera d’un sentiment de perte personnelle. »

XI.

Il nous est difficile de parler de Miss Mason alors qu’il y a tant de personnes bien plus qualifiées pour le faire. C’est par amour du cœur qu’elle consacra une longue vie à l’amélioration et au bien-être de ses semblables et, ces dernières années, son influence, ses écrits et son enseignement se répandirent dans le monde entier : elle occupera un rang très élevé parmi les pédagogues de notre époque ou de toute autre. Mais par-dessus tout, ce qui la fit tant aimer de ses élèves, de son personnel et de ses amis, c’est sa foi et son caractère humble, aimant et chrétien, le secret qui lui valut l’amour de tous ceux avec qui elle entra en contact.

Note de la traductrice :

1 A cette époque, la plupart des écoles fonctionnait avec un internat. Les écoles de jour correspondent à nos écoles d’aujourd’hui, dont la plupart sont en externat.
2 Edward Thring (1821 – 1887), éducateur britannique et directeur de l’école d’Uppingham entre 1853 et 1887 ; il y a transformé un pauvre lycée provincial de 25 garçons en une école publique de haut niveau en dix ans. Thring était convaincu que chaque garçon était bon pour quelque chose. Selon lui, « enseigner avec succès à des personnes lentes et ignorantes est le seul test de compétence et de puissance intellectuelle ». En plus de croire en l’enseignement des classiques, Thring élargit l’ensemble du programme scolaire d’Uppingham en veillant à ce que les aspects moraux, esthétiques et physiques répondent aux besoins des élèves.
3 Le Prélude est un poème autobiographique de William Wordsworth.
4 Comenius (1592-1670) est un philosophe, grammairien et pédagogue germain. Membre du mouvement protestant des Frères tchèques, il s’occupa toute sa vie de perfectionner les méthodes d’instruction.
5 Lake School Poetry fait référence aux « lakistes », les poètes de la fin du XVIII siècle et du début du XIXe qui décidèrent de vivre à Lake District, une région du nord-ouest de l’Angleterre. Les trois lakistes les plus connus sont William Wordsworth, Coleridge et Robert Southey.
6 Après avoir enseigné pendant près de 30 ans, Mason s’installe dans le village d’Ambleside, dans la région des lacs en Angleterre.
7 Le guidisme est le correspondant féminin du mouvement scout qui était à l’origine seulement pour les garçons. Aujourd’hui les scouts et les guides ont fusionné
8 Scale How est le nom d’un bâtiment de la House of Education où se déroulaient les méditations du dimanche.
9 Aids to Scouting est le nom d’un manuel militaire rédigé en 1899 par Baden Powell à usage des sous-officiers et soldats chargés de procéder à des reconnaissances et explorations en pays hostile ou inconnu.

Traduction française de Maeva Dauplay ©2023. Relecture : Charlotte Roman.

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