Note de Charlotte Mason Poetry par Art Middlekauff : Elizabeth Agnes Smith est née en 18841 et a obtenu son diplôme de la House of Education vingt ans plus tard2. Elle fut un membre actif de l’association des anciens élèves3 et en 1911, elle épousa le révérend Richard Bevan Pyper4. En 1912, le couple eut son premier enfant, suivi d’un deuxième en 19155. Elizabeth transmit à son mari son enthousiasme pour les idées de Charlotte Mason et, en 1918, il fut le fer de lance de l’utilisation de la méthode PNEU à l’école du dimanche6 (L’histoire de son travail est relatée par Helen Wix dans un important article de la Parents’ Review).

Lorsque la Grande Guerre éclate en 1914, tous les foyers d’Angleterre sont touchés, et la jeune famille Pyper ne fait pas exception. La nécessité leur enseigna une leçon importante concernant la méthode Charlotte Mason, une leçon qui n’aurait peut-être pas pu être pleinement appréhendée à la House of Education. Elizabeth en parle dans cet article de 1917 paru dans le « Baby Number », un numéro conçu par Mason elle-même destiné à offrir des conseils et des principes pour les premières années7. En 1944, l’Angleterre subit à nouveau les épreuves de la guerre, et l’article d’Elizabeth revient dans la Parents’ Review avec la note « Réimprimé sur demande ; un article écrit pendant la dernière guerre »8.

Bien que Charlotte Mason ait trié sur le volet chacun des auteurs du « Baby Number », cet article particulier est resté dans sa mémoire. En 1919, elle écrivait aux anciennes élèves de la House of Education : « quels charmants articles sur les bébés nous avons reçus de certaines d’entre vous en tant que mères, notamment Mme Hughes-Jones et Mme Pyper »9. Je pense que c’est parce que cet article représente beaucoup plus qu’il n’y paraît.

Avec un article intitulé « L’enfant dans le jardin », on s’attend à une liste de choses à faire et à ne pas faire pour les enfants qui travaillent à l’extérieur. Le lecteur sera surpris de découvrir qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus profond. Dans le monde des jardins d’enfants de Froebel et des maisons d’enfants de Montessori, nous pourrions être persuadés que l’éducation elle-même n’est qu’un jardin spécial pour les enfants. Mais l’urgence de la Grande Guerre apprit à Mme Pyper quelque chose de différent. Notre premier père Adam travaillait dans un jardin. C’était un jardin conçu pour un homme, une personne. Mme Pyper comprit que c’est le jardin dont ses enfants ont également besoin.

Par E. A. Pyper
The Parents’ Review, 1917, p. 533-537

« Nous sommes cependant convaincus d’une chose, c’est qu’aucun enseignement, aucune information, ne devient une connaissance pour quiconque d’entre nous tant que l’esprit n’a pas agi sur elle, ne l’a pas traduite, transformée, absorbée, pour réapparaître… sous des formes de vitalité. »10

« Voici les jardins des enfants », dit la mère en se tournant vers un coin plutôt négligé d’un potager bien entretenu, « mais ils s’y intéressent si peu que je souhaiterais presque ne pas leur avoir donné de parcelles. Ils ne semblent pas vraiment y tenir. »

Et en effet, en regardant les petites plates-bandes sèches et désordonnées, avec quelques parcelles de graines non entretenues, poussant beaucoup trop densément et presque étouffées par les mauvaises herbes, je me suis dit qu’il était dommage que ce soit là ce que les enfants considèrent comme un jardin. Je me demande combien de « jardins » il y a, des jardins d’enfants, négligés, mal rangés et mal aimés, au lieu d’être comme ils devraient être, des objets de soins et d’attention et des sources de joie.

Pourquoi en est-il ainsi ? Il est certainement juste qu’un enfant ait un jardin à cultiver – ne serait-ce pas une erreur de l’empêcher de mettre ce qu’il veut, comme il veut, sur sa précieuse parcelle ? Et pourtant, combien de parents savent que leurs tentatives pour intéresser leurs enfants au jardinage se sont soldées par des échecs, et que la petite parcelle conçue et mise en place avec enthousiasme est rarement entretenue de plein gré. Il arrive, il est vrai, que l’on rencontre des jardins d’enfants qui sont tout ce que l’on peut désirer, mais bien plus souvent, je le crains, ce n’est pas le cas. Pourquoi en est-il ainsi ?

J’ai trouvé la réponse à ce problème avec les conditions engendrées par la guerre. En juin 1915, notre jardinier nous a quittés en nous prévenant une semaine à l’avance. Il nous laissait un grand jardin auquel il avait consacré tout son temps mais qu’il trouvait trop petit. Nous ne pouvions pas trouver de main-d’œuvre, quelle qu’elle soit, et nous ne pouvions pas laisser un jardin bien garni devenir une étendue sauvage. Cet été-là, mon mari et moi avons donc travaillé dur – et c’est un travail dur et incessant – car il y a toujours plus à faire que ce que l’on peut faire ; et comme le travail d’une femme, il ne semble jamais se finir ! Vous êtes nombreux à savoir par expérience, je n’en doute pas, ce que cela signifie, et peut-être vous rendez-vous compte que, de tous les mois chargés de l’année, juin est l’un des plus chargés ! Il y avait des pots pleins de jeunes plantes à repiquer (ou à laisser mourir), des courges à planter, des tomates à attacher et à tailler, des concombres à arroser et à aérer dans le châssis, la vigne à tailler, des dahlias et des chrysanthèmes à planter, des légumes d’hiver et des laitues à repiquer, et pendant que l’on faisait ces nombreux travaux, les mauvaises herbes poussaient rapidement et la binette devait être employée constamment. Chaque semaine, il fallait aussi tondre la pelouse – une tâche laborieuse, comme peuvent en témoigner tous ceux qui l’ont fait semaine après semaine, tout au long d’un été chaud. Il y avait les pêches à soigner, les groseilles à maquereau à éclaircir, les pois et les haricots à cueillir, et toujours les tomates, la vigne et les mauvaises herbes qui réclamaient de l’attention.

Et maintenant, j’en viens à l’objet de ces considérations. Pendant tout ce temps, John, âgé de deux ans et demi, trottinait dans le jardin, ravi de la présence de maman et de papa, et absorbé par tout ce que nous faisions. Nous avions quelques outils pour enfants, d’une taille adaptée à son âge et à sa force, mais ils ne l’intéressaient pas. Le râteau avait-il disparu ? On voyait John, dans son petit tablier bleue et sa culotte courte, remonter péniblement le jardin avec, et si on le lui laissait, il s’attaquait fièrement à un parterre ; ou bien il traînait la grande bêche ou la lourde fourche et essayait de s’en servir. Si papa utilisait la houe, John allait en chercher une autre dans la cabane à outils et l’imitait consciencieusement. Il apprit, petit à petit, à faire la différence entre les mauvaises herbes et les fleurs, et à remarquer les différentes sortes de légumes. En juillet, il se montrait très efficace pour cueillir les petits pois, ayant appris à tenir la tige d’une main et à tirer la gousse de l’autre. Il apprit également à les écosser, bien qu’il y soit parvenu assez lentement et qu’il ait trouvé cela plutôt ennuyeux après les cinq premières minutes. En août de cette année-là, il nomma, à mon grand étonnement, des petits pois, des haricots, des navets, des pommes de terre, des choux et des laitues dans le jardin d’un cottage voisin, et il remarqua des oignons et demanda ce que c’était. Il apprit aussi à aimer les fleurs et à connaître leur nom – il regardait les délicieuses têtes velues des gros coquelicots se fendre sur le côté, révélant la fleur écarlate froissée à l’intérieur – il connaissait le nom de la bourrache, du saxifrage, du phlox, de l’œillet de poète et de bien d’autres. S’il ne connaissait pas le nom d’une fleur à laquelle il s’intéressait, il demandait toujours, et s’il oubliait, il demandait à nouveau, et il était très attentif à prononcer correctement même le nom le plus long.

A l’automne, il fallait cueillir les pommes et les prunes, et John apprit à les placer délicatement dans les grands paniers, pour ne pas les abîmer. Puis vint le temps de la récolte des pommes de terre, et il fut très intéressé par les grandes quantités produites par chaque plante, et par toutes leurs formes et tailles différentes ; il savait que Papa faisait très attention à ne pas laisser les dents de sa fourche traverser une pomme de terre. Il apprit aussi que les pommes de terre de semence sont laissées à l’air libre et qu’elles verdissent, et que les pommes de terre de consommation sont mises dans le grenier et couvertes pour les garder dans l’obscurité.

L’auteure de ces lignes le regardait souvent dans son petit manteau bleu et rêche de chez Harris et ses pantalons de cuir, passer l’après-midi avec papa dans le jardin, au lieu d’aller se promener avec Nanny.

Il fallait bêcher, tailler, et, joie des joies ! allumer occasionnellement un grand feu ! Il prenait alors un long bâton et aidait à maintenir le cœur du feu bien chaud et allègre, et apprenait où et comment l’attiser, et – par une expérience douloureuse – à ne pas aller du mauvais côté du vent et recevoir la fumée dans les yeux. Les gens disaient : « Quel danger de laisser un tel enfant utiliser une grande fourche de jardin, un râteau, un long bâton », mais je pense qu’il a appris à manier les outils avec bon sens et sagesse. Il n’a assurément jamais eu de problèmes.

Cet été, John a quatre ans et demi, et est un homme d’expérience large et variée. Il enseigne maintenant à Michael, âgé de deux ans et demi, où il peut et où il ne peut pas marcher, quelles plantes sont des mauvaises herbes et lesquelles sont des fleurs. Il sait récolter les pommes de terre et utiliser la houe avec assez d’habileté pour biner efficacement entre les rangées. Il peut arracher les mauvaises herbes par la racine et aller chercher la brouette, une grosse brouette de jardinier, pour les transporter. Il sait comment préparer le sol pour les semis, et il a appris à « arroser au goutte à goutte » les petites plantes. Il peut donner une aide considérable pour tondre la pelouse, en poussant vigoureusement à mes côtés, et en vidant le réservoir sur le tas d’herbe et en le remettant en place.

Un peu de chaque chose atterrit dans « mon jardin », qui se compose de diverses parcelles dans des coins insolites. Dans « mon jardin », il y a deux lignes de laitues qu’il a repiquées à deux périodes différentes, et qu’il a protégées des pigeons par un somptueux grillage. Les plantes ont survécu à la transplantation et se portent bien, même si elles ne sont pas encore tout à fait prêtes à être mangées, comme il l’a suggéré avec optimisme ! Dans « mon jardin », à un autre endroit, poussent deux plants de pommes de terre et un groseillier à maquereau, auxquels ont été ajoutés deux jeunes graines germées de brocoli, mis en place sous surveillance, mais tout à fait seul. « Mon jardin » se composait, durant les mois improductifs de l’hiver, d’environ huit plants de choux de Bruxelles très « hauts sur pattes », dont il cueillait, de temps à autre, une poignée de petits choux tout gelés, qu’il donnait à cuisiner, et qu’il insistait pour redécouvrir au déjeuner sous une autre forme ! Il ne cesse de s’émerveiller de la transformation de la fleur en fruit chez les groseilles, les pommes, les fraises, les prunes, et se rend bien compte que de telles « merveilles » ne peuvent venir que de Dieu lui-même.

En effet, quoi qu’il se passe, John met la main à la pâte. Ses connaissances sont des connaissances, « l’esprit a agi sur elles, les a traduites, transformées, absorbées. » L’éducation est une atmosphère, une discipline, une vie, et il a été placé dans l’environnement d’un jardin avec une atmosphère d’ardeur, et tout le reste a suivi. Jusqu’à présent, cela n’a pas été une discipline pour lui, car il suit sa propre et douce volonté, et si on lui demande de faire quelque chose qui n’est pas tout à fait agréable, il dit : « Mais j’ai mon propre travail à faire » ou « Je suis très occupé dans mon jardin ». C’est certainement une vie, car son esprit actif se nourrit d’idées vivantes et se développe chaque jour.

A présent, qu’est-ce que tout cela nous apprend ? Sûrement qu’un enfant a autant besoin de « vraies choses » que les adultes. Il ne se laissera pas décourager par un petit bout de terrain et des outils pour enfant s’il sait que la « vraie chose » est un jardin suffisamment grand pour y faire toutes sortes de plantations, et que seuls de gros outils conviennent. Il ne veut pas être « artificiellement limité » à un seul endroit dans un jardin. Son esprit est de nature trop curieuse pour cela. Il aime vagabonder à sa guise et décider lui-même de l’endroit et de ce qu’il veut faire pousser.

Je peux entendre certains dire que ces idées sont très bien en ce qui concerne l’enfant, mais qu’en est-il du jardin – ne souffre-t-il pas ? Nous ne l’avons pas constaté. En effet, je pense qu’un enfant qui suit ses parents ou le jardinier dans leurs déplacements, observant le soin qu’ils prennent, assimile inconsciemment un soin et une révérence similaires pour les plantes et les outils. Il est beaucoup moins susceptible d’écraser un lit de semence ou taper un pommier en fleurs avec un bâton qu’un enfant qui utilise simplement un jardin, dont il ne sait rien et pour lequel il n’a rien fait, comme terrain de jeu. Et quel plaisir et quel privilège d’avoir votre enfant qui partage votre travail et vos intérêts au fil des saisons, dans le jardin, et de voir sa vie, physique, morale, mentale, spirituelle, se développer et s’épanouir comme les fleurs.

N’est-ce pas la base de tout l’enseignement de la P.N.E.U., que la personnalité de l’enfant n’a besoin que d’un environnement approprié, d’un peu d’aide et de conseils avisés, et que le reste suivra ; et aussi qu’il a « le droit et la nécessité d’acquérir des connaissances aussi nombreuses et variées qu’il est capable de recevoir » ? Je crois vraiment que pour les enfants de moins de six ans, un jardin offre des possibilités infinies de formation et de développement sur tous les plans. La main et l’œil, la tête et l’âme, tous sont formés et renforcés, et sous le soleil éclatant et les douces pluies de Dieu, l’enfant grandit, doux et frais comme toute fleur. Le jardin devient l’endroit le plus paradisiaque du monde, et « mon jardin » n’existe que lorsque le besoin d’expression de l’enfant devient si poignant qu’il en fait une pure nécessité pour lui.

Notes :

1 MyHeritage.com
2 L’Umile Pianta, Novembre 1911, p. 2. Ajout de la traductrice : En 1895, l’association des anciens étudiants de la House of Education a été créée pour permettre aux étudiants actuels et « anciens », dispersés à l’étranger, de rester en contact et de se soutenir mutuellement. En 1896, ils commencèrent à publier le magazine L’Umile Pianta, du nom d’une plante poussant près d’Ambleside, que Charlotte Mason admirait pour sa capacité à se plier sans se casser. Cette plante était également représentée sur la médaille de la House of Education, avec la devise « Pour l’amour des enfants ». Cette devise fut utilisée comme sous-titre du magazine. De 1896 à 1900, il fut publié deux fois par an ; de 1901 à 1906, il sortit trois fois par an et à partir de 1907, il était trimestriel. Les numéros étaient reliés sans couverture ni page de titre. À partir de juin 1918, chaque numéro porte une date imprimée. Avant cela, les dates des numéros étaient écrites à la main sur la première page ou déduites de preuves internes.
3 L’Umile Pianta, Décembre 1908, p. 2.
4 L’Umile Pianta, Novembre 1911, p. 3.
5 MyHeritage.com, confirmé par les annonces dans L’Umile Pianta et les déclarations dans l’article présenté ici.
6 The Parents’ Review, vol. 29, p. 264.
7 The Parents’ Review, vol. 28, p. 522.
8 The Parents’ Review, vol. 55, p. 42.
9 L’Umile Pianta, Juillet 1919 p. 9.
10 Mason, Vol. 6, p. 240.

Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction ©2023 Charlotte Roman. Relecture : Maeva Dauplay)

Ecouter le podcast