Note de Charlotte Mason France : A l’occasion du centenaire de la mort de Charlotte Mason, l’équipe de Charlotte Mason France est ravie de vous proposer la traduction en six articles du livre « In Memoriam: Charlotte M. Mason » . Le livre s’ouvre par un poème écrit par Charlotte Mason, « The World to Come (The Disciple) », puis est composé de deux parties : 
– la première partie, en deux chapitres, correspond à deux discours prononcés par Charlotte Mason lors de la dernière conférence à laquelle elle a participé avant sa mort survenue le 16 janvier 1923. Cette conférence, donnée à la Pentecôte en 1922, réunit des centaines de personnes venues de divers endroits d’Angleterre et d’ailleurs, toutes unies par les principes de la pédagogie de Charlotte Mason ; 
– la deuxième partie rassemble des textes d’amis, étudiants, collègues, éducateurs… prononcés lors du service commémoratif ou écrits pour les éditions spéciales du Mémorial de la Parents’ Review. Tous ces témoignages et souvenirs partagés offrent un regard plus intime sur Charlotte Mason et ceux qui ont partagé sa vie.

Il s’agit ici d’une partie du troisième chapitre de la deuxième partie, les hommages de membres de la P.N.E.U.

(2) L’Union et sa fondatrice.

« HAUD IMMEMOR »

C’est à l’automne 1886 que je fis la connaissance de Miss Charlotte Mason, à travers la lecture de son livre Home Education. J’étais alors une jeune mère de quatre enfants, dont l’aîné avait sept ans, et les idées de Miss Mason sur ce que pouvait et devait être l’Éducation à la Maison fut pour moi une source d’inspiration. Il s’ensuivit une correspondance des plus agréables et des plus intéressantes, dans laquelle Miss Mason exposait ses intentions pour organiser la Parents’ National Educational Union, et dans laquelle Lord Aberdeen et moi-même nous engagions avec enthousiasme. Cela explique l’honneur que nous fit Miss Mason en nous invitant à devenir co-présidents de l’association lorsqu’elle fut créée en 1887. Nous avons accepté avec beaucoup de réticence, conscients de notre manque de formation et de notre engagement dans les affaires publiques, mais en même temps, nous avons apprécié cette preuve de confiance et le privilège d’être associés à un projet si riche en possibilités et en potentialités. Miss Mason nous assura qu’un président de comité, un secrétaire général et d’autres responsables seraient nommés pour gérer le travail pratique de l’Union, et que notre présence régulière aux comités ne serait donc pas nécessaire. Sa ténacité eut raison de nos scrupules et nous avons profondément apprécié l’association de nos noms avec le sien tout au long de l’œuvre de sa vie, ainsi que sa patience à l’égard des présidents absents que nous avons été pendant de nombreuses années, alors que nous résidions dans d’autres pays.

Nous avons personnellement constaté la transformation bénéfique de l’éducation à la maison avec la pédagogie de Miss Mason, non seulement en ce qui concerne nos propres enfants, mais plus particulièrement en ce qui concerne nos petits-enfants, nos petits-neveux et nos petites-nièces. Cela fut particulièrement vrai dans le cas de deux de nos petits-enfants, qui furent des élèves fidèles de la Parents’ Union School pendant sept ans de résidence en Inde, sous la direction d’enseignants formés à Ambleside. Ils font indéniablement le plus grand honneur à la méthode, pour la plus grande joie de leurs grands-parents qui en sont très fiers.

Bien d’autres personnes, qui ont été en étroite collaboration avec Miss Mason, pourront raconter l’influence miraculeuse de cette vie fragile, et de quelle façon, bien qu’invalide, elle dirigea et surveilla le travail et les nombreux développements de la P.N.E.U., de la Parents’ Union School, de la Parents’ Review, et de la House of Education à Ambleside.

Mais nul n’est plus reconnaissant que nous des effets magiques que son génie, son dévouement et sa clairvoyance, associés à son respect et à sa merveilleuse compréhension des enfants, ont produit pour des milliers et des milliers d’enfants à qui les trésors de la vie ont ainsi été révélés. Ils enverront leurs hommages d’affection et de gratitude du monde entier, et seront en vérité un « chœur invisible » présents pour

« Les êtres éternels qui reviennent à la vie
Au sein d’esprits rendus meilleurs par leur présence, qui vivent
Dans chaque battement de cœur éveillé à la générosité,
Dans chaque acte de droiture audacieuse, dans le mépris
Des desseins misérables tournés vers le soi,
Dans des pensées sublimes qui jaillissent la nuit comme des étoiles,
Et avec leur douce ténacité, ils poussent la quête humaine
Vers de plus grandes questions. »1

ISHBEL ABERDEEN ET TEMAIR.
12 février 1923.

J’ai le privilège de me joindre de tout cœur à cet hommage.

ABERDEEN ET TEMAIR,         
Co-Président, P.N.E.U.

C.M.M. – L’AMIE

Lorsque l’on écrit à la fin d’une étroite amitié qui a duré trente ans, de nombreuses choses paraissent trop sacrées pour être exprimées avec des mots. C’est tout au plus si l’on ose exprimer ce qui est superficiel, mais l’amour, la gentillesse et la sympathie que Miss Mason m’a prodiguée pendant toutes ces années, je ne peux en parler. J’espère qu’un jour certaines de ces merveilleuses lettres, qui font partie de mes biens les plus précieux, seront publiées.

C’est peut-être en tant que « chela »2, comme elle m’appelait parfois, qu’il m’est permis de joindre ma voix au chœur de louanges et de gratitude que nous lui adressons. Lorsque, jeune mère de 26 ans, j’ai lu pour la première fois un numéro de la Parents’ Review et que j’en suis devenue membre, j’ai tout de suite senti que la P.N.E.U. était la seule « cause » qui m’attirait. Bien qu’étant encore une jeune femme, je m’étais mariée si tôt que mes enfants étaient déjà grands, et je regrettais de l’avoir connue si tard.

J’étais déterminée à apprendre tout ce que je pouvais et à aider les autres à éviter ces premières erreurs qui sont si souvent synonymes de larmes et de chagrin. Les circonstances me permirent de faire un pèlerinage à Ambleside et Miss Mason m’admit tout de suite dans son cercle d’amis et m’apprit beaucoup. C’est elle qui me dit de lire à haute voix tous les jours à mes enfants, et j’ai prouvé pendant plus de 20 ans à quel point il est possible de trouver une demi-heure chaque jour, même dans une vie bien remplie. Elle me fit découvrir les joies des fenêtres ouvertes, de l’air frais et de la campagne, même par temps de pluie. Elle partagea avec moi, tout comme avec des milliers d’autres personnes, par le biais de son travail et de ses écrits, son amour du beau dans la littérature, la poésie, l’art et la nature, et nombreux sont ceux qui lui doivent quelques-uns de leurs plus grands bonheurs.

Le premier Club d’Histoire naturelle fut créé à Londres et ces promenades de parents avec leurs enfants apportèrent une nouvelle source de joie à des centaines de foyers. D’ailleurs, c’est à ces promenades que l’on doit le merveilleux livre illustré de fleurs sauvages de Mrs Perrin3.

En 1894, nous avons créé la première classe de la Parents’ Union School, assurée par deux de ses professeurs, et ainsi, grâce au regroupement des familles, des écoles secondaires et, plus tard, des écoles élémentaires demandèrent à y être intégrées. Elle inspira et soutint tous les efforts, toujours de cette merveilleuse manière désintéressée.

Ses visites annuelles chez nous, qui durèrent jusqu’en 1914, faisaient figure de fête annuelle pour toute la maisonnée ; d’anciennes domestiques nous ont écrit pour nous dire à quel point sa personnalité gracieuse leur avait procuré des souvenirs affectueux. Les nombreuses personnes distinguées qui profitèrent de sa présence à Londres – des fonctionnaires du Conseil de l’Éducation jusqu’aux enseignants de toutes sortes – pour s’asseoir à ses pieds et apprendre, rendirent compte du résultat de ces entretiens dans l’ensemble des mouvements éducatifs modernes, depuis le Rapport sur l’Enseignement de l’Anglais jusqu’aux petites réformes dans les écoles privées. C’est son humilité et la puissance de sa philosophie éducative qui lui valurent les triomphes que nous nous réjouissons qu’elle ait vécus. C’est lors de sa visite à l’actuel poète officiel4 qu’elle encouragea Mrs Bridges à concevoir son manuel d’écriture et à transmettre ainsi au monde la méthode d’enseignement de la belle écriture qu’elle utilisait dans l’instruction P.U.S. donnée à ses propres enfants. Miss Mason écrivit à ce sujet dans la Parents’ Review en 1899 : “Il y a cinq ans, j’ai entendu parler d’une dame qui élaborait, à partir de l’étude de vieux manuscrits italiens, un ‘système de belle écriture’ qui pourrait être enseigné aux enfants. J’ai patiemment attendu, mais non sans une certaine espérance, la production de ce nouveau type de ‘cahier’. La nécessité d’un tel effort était très grande, car l’écriture typiquement banale enseignée dans les cahiers existants, aussi minutieuse et lisible soit-elle, ne peut qu’avoir un effet plutôt vulgaire tant sur l’auteur que sur le lecteur d’un tel manuscrit. La dame, Mrs Robert Bridges, a enfin réussi dans son entreprise fastidieuse et difficile, et ce livre destiné aux enseignants leur permettra d’enseigner à leurs élèves un style d’écriture agréable à acquérir parce qu’il est beau à voir. Il est surprenant de constater la rapidité avec laquelle les jeunes enfants, même ceux déjà habitués à une écriture ‘laide’, adoptent cette ‘nouvelle écriture’. Nous saluons les efforts de Mrs Bridges dans la mesure où nous pensons, comme elle, que ‘les écritures moyennes, qui sont le résultat naturel de l’ancien style d’écriture, dégradé par la hâte, semblent devoir leur laideur commune à la police de caractère dont elles sont issues.’”

C’est lors d’une de ses visites à Londres en 1895 qu’elle rencontra le « bébé musical »5, et qu’elle persuada Mrs Howard Glover de partager avec l’Union ses idées sur l’appréciation musicale et d’établir le programme trimestriel de musique à écouter et à comprendre. Miss Mason avait le don merveilleux de révéler aux parents, à l’élève, à l’enseignant et à l’enfant leurs propres pouvoirs innés et de les aider à les utiliser pleinement. Elle nous faisait confiance et croyait en nous, et nous n’osions donc pas la décevoir.

Mais c’est « pour les enfants » qu’elle vécut et travailla et, grâce à elle, des générations d’enfants connurent la joie d’une éducation libérale, la joie d’apprendre et de servir. Jusqu’à la fin, notre chère enseignante apprenait et servait elle-même. Elle lisait tous les jours pendant plusieurs heures et était toujours à l’affût de nouvelles idées qui stimulaient sa pensée et l’aidaient à nous aider.

Son esprit et sa sagesse, sa beauté d’âme et sa gentillesse sont toujours avec nous, sa philosophie et son enseignement vivront et porteront leurs fruits. Nous remercions Dieu d’avoir offert au monde l’un de Ses plus beaux esprits – Charlotte M. Mason. 

H.F.

ÉCOLES PRIMAIRES PUBLIQUES.

Charlotte Mason acheva une longue vie de grande activité intellectuelle en fermant simplement les yeux pour s’éveiller dans un autre monde ; en mourant, elle a laissé un vide dans de nombreux foyers où, pendant plus d’une génération, elle avait été le phare vers lequel des centaines d’enfants enthousiastes et de parents reconnaissants se tournaient chaque jour de leur vie pour savoir comment diriger leurs études, et cela jamais en vain. 

C’était une grande enseignante. Elle possédait le génie pour concevoir de nouvelles méthodes, l’ingéniosité féconde pour les mettre en œuvre et la capacité inébranlable pour les maintenir et les développer malgré le fait qu’elle ait été invalide pendant de nombreuses années. Son influence magique permit à une grande partie de la société de choisir la bonne voie dans le domaine si important de l’éducation – une éducation orientée vers la formation du caractère et le développement de l’intelligence, comme il convient à ceux qui veulent devenir des citoyens utiles et dévots.

C’est à l’automne 1915 que Miss Mason, avec qui il était toujours agréable de s’entretenir lorsqu’elle était allongée sur son canapé dans la véranda de « Scale How », me demanda de l’écouter exposer un projet qui lui tenait particulièrement à cœur : elle voulait créer un nouvel environnement pour les enfants de nos écoles élémentaires, et elle me supplia d’aller voir par moi-même le travail vraiment merveilleux que sa méthode avait permis d’accomplir en peu de temps dans certaines écoles de Bradford, dans le Yorkshire.

Elle me dit que le principe était d’enseigner « par les humanités », c’est-à-dire en fournissant aux enfants, dès leur plus jeune âge, une grande quantité de littérature anglaise de qualité. Elle était prête à miser sa réputation sur le fait qu’ils comprendraient et assimileraient ce qu’ils liraient eux-mêmes, et qu’ils aimeraient sentir qu’ils acquièrent chaque jour de nouvelles connaissances.

Je découvris que Miss Mason ne s’était pas trompée. Tout ce qu’elle avait prévu s’était réalisé et l’expérience était déjà un franc succès.

Ces enfants n’étaient pas des exemples choisis – il s’agissait principalement d’enfants de mineurs du bassin houiller du Yorkshire, mais leurs visages brillants et heureux montraient que l’idée de Miss Mason selon laquelle un enfant a naturellement soif de connaissances et aime intensément apprendre de nouvelles choses par ses propres efforts, était un fait réel et incontestable à partir du moment où l’on envisageait l’enseignement autrement. Il n’était plus possible de considérer l’enfant comme un vase à remplir de faits, et la tâche laborieuse de l’enseignant consistant à faire des cours à une classe qui n’essayait pas d’être attentive devait être remplacée, pour le plus grand confort de l’enseignant et de l’élève, par un système dans lequel l’enfant était le travailleur, et heureux de l’être, tandis que l’enseignant guidait, expliquait et était à portée de main pour aider en cas de besoin ; mettant ainsi fin à l’idée bien ancrée chez tant d’enseignants de l’ancienne méthode, et même chez la grande majorité d’entre eux, que pour le maître comme pour l’élève, beaucoup de “besogne” est inévitable.

J’ai visité ces écoles de Bradford plus d’une fois, ainsi que plusieurs écoles du Gloucestershire, dans et autour de Stroud, et une remarquable et très grande école à Brixton dans la région de Londres.

Toutes affichent des résultats similaires, étonnamment bons, et dans toutes les écoles, les enseignants se déclarent redevables des conseils de Miss Mason et affirment que rien ne pourrait inciter l’un d’entre eux à revenir aux anciennes méthodes.

Miss Mason est partie de la conviction que les cerveaux de tous les enfants normaux sont de même calibre et ne demandent qu’un apport constant de nourriture, que les enfants de toutes les classes sociales, si l’apport est bon et suffisant, assimilent facilement.

De plus, chaque enfant est une personne, avec ses propres points de vue et sa propre façon d’aborder les questions qui l’intéressent, et doit être traité par les enseignants comme un individu, et non pas simplement comme le membre d’une classe. Certains sont plus rapides que d’autres, mais tous, avec le temps – et il ne faut pas se presser – y arrivent ; et chaque trimestre leur apporte un surcroît d’intelligence et de force.

Cette méthode était appliquée dans toutes les écoles que j’ai visitées, en commençant par les plus jeunes, et les premiers pas étaient, je crois, les plus intéressants. Tous les maîtres d’école s’accorderont à dire que la grande difficulté de l’enseignement est d’obtenir et de conserver l’attention des élèves.

C’est la première chose que notre nouvelle méthode se propose de faire ; et cette attention, une fois obtenue dans la classe la plus modeste, ne se perd jamais ; les enfants sont impatients d’écouter et de prouver qu’ils l’ont fait.

La manière d’acquérir cette habitude d’attention est vraiment très simple. Le maître sélectionne un sujet qui intéresse les enfants et lit le passage d’un livre d’une manière claire et intéressante. Tous écoutent, car ils savent qu’ensuite l’un d’entre eux sera appelé à se lever et à raconter aux autres ce qu’ils viennent d’entendre. Tout le monde écoute la narration, désireux de corriger si le narrateur se trompe, et avec leur aide, mais sans celle du professeur, la classe achève la narration du passage et en commence un autre. Voici le secret : tous les élèves savent que le professeur ne lira le passage qu’une seule fois, si bien que s’ils n’accordent pas toute leur attention, ils n’auront aucune chance de participer au jeu.

Dans la classe supérieure, le passage lu est plus long, et la précision et l’esprit avec lesquels un enfant de 8 ou 10 ans se souvient et narre une page entière presque mot pour mot n’est pas moins étonnante que le pouvoir dont les enfants font preuve pour retenir pendant des semaines et des mois, là encore presque mot pour mot, les connaissances qu’ils ont assimilées une fois. Et les pouvoirs ainsi acquis grâce à l’habitude d’attention s’étendent à tout leur travail et l’on constate qu’ils maîtrisent et retiennent les sujets qu’ils lisent seuls.

Cette lecture est leur éducation. Les livres ont toujours été choisis pour chaque trimestre par Miss Mason elle-même et l’on attend de l’enfant qu’il travaille et qu’il lise, au cours d’un trimestre, deux ou trois mille pages de très bonne littérature, acquérant ainsi non seulement des connaissances mais aussi un vif intérêt pour de nombreux sujets et, imperceptiblement, un vocabulaire considérablement large et un pouvoir d’expression claire qui l’élèvent immédiatement à un niveau dont il n’aurait même pas pu rêver avec les anciennes méthodes.

Le premier élément essentiel à la mise en œuvre de cette nouvelle éducation merveilleuse est l’abondance d’une littérature appropriée. Les enfants doivent avoir des livres et encore des livres, tant en prose qu’en poésie, écrits par de bons auteurs qui ont le pouvoir d’écrire clairement et en bon anglais et qui ont quelque chose d’intéressant à dire.

Une fois que les enfants sont sur la bonne voie, ils trouvent un réel plaisir dans leur travail, comme en témoigne l’expression universelle de joie sur les visages de toute une classe. L’intelligence accrue est également une conséquence notable et elle se manifeste dans la rapidité avec laquelle les enfants maîtrisent tous les sujets qui leur sont proposés, y compris, comme me l’a dit l’un des directeurs, leurs travaux d’aiguille.

De la Littérature, nous passons aux Arts.

On sait depuis longtemps que la musique a un pouvoir d’élévation et de raffinement et qu’elle est la gracieuse servante de l’éducation. Miss Mason comprit qu’en plus de la musique et de la poésie, il y avait un certain pouvoir dans la peinture.

Un grand directeur d’école, Edward Thring, fit du dessin un élément essentiel de l’éducation, pour apprendre aux garçons à observer et à stimuler leur imagination. Miss Mason faisait montrer de bonnes reproductions d’œuvres des meilleurs peintres anciens et modernes aux enfants de son école primaire, lesquels étaient prompts à observer chaque détail, à remarquer les beautés essentielles du tableau et les moyens par lesquels le peintre avait obtenu ses effets. Après l’étude de ces reproductions de tableaux célèbres, ils étaient capables d’écrire un compte rendu qui montrait presque toujours quelle emprise une belle œuvre d’art peut avoir sur l’imagination d’un enfant. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’agit là d’une aide puissante pour éduquer les enfants à voir ce qu’il y a de beau dans la nature et pour leur donner un sentiment de dégoût face à la dégradation et au mépris de ces beautés naturelles, dont témoignent partout aujourd’hui les papiers, les boîtes et les bouteilles qui jonchent le sol après un pique-nique dans n’importe quel endroit charmant que les Anglais, les Anglaises et les enfants visitent au cours de leurs excursions estivales. 

Nous ne nous débarrasserons pas de ces horreurs tant que l’éducation n’aura pas inculqué à notre peuple l’amour de la beauté et le respect de la nature ; et ce processus doit commencer, comme Miss Mason l’a judicieusement perçu, dans nos écoles primaires.

Je n’ai parlé que du dernier développement de la Méthode de Miss Mason ; tous les enfants l’intéressaient, et, en vraie habitante d’un lac, elle était sensible aux charmes du paysage, et elle avait la plus grande révérence pour les poètes du lac6 et pour tous les éminents Victoriens. Sa nature enthousiaste communiquait à ses amis un élan pour tout ce qui valait la peine d’être vécu, si bien que l’on sentait que, depuis son divan que nous connaissions tous si bien, une influence bienveillante rayonnait de sa gracieuse présence, laquelle ouvrira la voie à des centaines d’amis et d’élèves, et amènera toute la génération actuelle à la garder à jamais dans un tendre souvenir.

Je voudrais ajouter un mot sur la Parents’ Review, que Miss Mason éditait et dans laquelle elle exposait de temps en temps ses opinions, tandis que ceux qui assistaient au résultat de son travail témoignaient souvent dans ses pages ; les fréquents articles sur l’Histoire Naturelle étaient une caractéristique très agréable que nous attendions tous avec impatience et que nous suivions avec plaisir. Mais ce qui est peut-être le plus remarquable, c’est que la Revue a eu une vie aussi longue – sa première parution date de 1890 – et qu’à l’exception des débuts, elle a été entièrement maintenue par des contributions volontaires. Puisse sa vie se prolonger encore !

WILLIAM F. RAWNSLEY

SOUVENIRS.

C’est en 1887 que le noyau de la P.N.E.U. fut formée par un petit comité de membres qui avaient connu le travail de Miss Mason à Bradford. Il y a maintenant près de trente ans que j’assistai à ma première réunion à Londres, dans une maison de Grosvenor Square, et que je décidai d’y adhérer immédiatement. J’ai du mal à savoir ce qui m’a attirée si fortement vers le mouvement : les noms honorables des pionniers de l’éducation présents sur la liste des membres du Conseil, ou le Programme avec son offre des meilleurs classiques pour chaque matière disponibles dans la bibliothèque, les conférences, les discussions, la coopération pour trouver des enseignants et former des classes ; ou était-ce la Parents’ Review – un magazine d’Instruction à la Maison et de « Culture« , mot magique ! Quoi qu’il en soit, je résolus de chercher la première occasion de faire la connaissance de Miss Mason, ce qui se produisit heureusement à l’automne de la même année. Elle séjournait dans une maison au bord de la lande à Highfield, Ilkley, lieu de villégiature préféré des intellectuels et des poètes pendant les vacances. Comme je me trouvais dans les environs, j’osai lui écrire pour lui demander de me permettre d’y aller un après-midi, et je reçus son aimable réponse habituelle. Je pris donc le train de Ben Rhydding par une chaude journée d’août et là, sous le soleil et au milieu de la bruyère, je passais une heure heureuse et mémorable avec l’agréable et gentille personne pour laquelle j’avais acquis un tel respect et une telle vénération.

Ses manières encourageantes et ses paroles simples et tranquilles désarmèrent toute nervosité et me mirent à l’aise ; sa compréhension et sa sympathie, son amour des enfants et sa confiance en ce qu’ils ont de bon, ses idées pour développer leurs intérêts et leurs talents, pour éviter les écueils dressés sur leur chemin par des adultes imprudents, son respect pour les efforts de parents bien intentionnés et ignorants de leur propre inefficacité, et son désir sincère de les aider, ses opinions sur l’environnement favorable aux premières années, l’exemple et la formation des habitudes, l’amour de la Nature, le temps libre, l’atmosphère de vérité qui devrait entourer ces tendres petits êtres que personne ne devrait mépriser, sur le but ultime du caractère, tous ces idéaux et bien d’autres encore m’ont inspirée de nobles ambitions, bien que je désespérais de ne pas être à la hauteur ; car quelle mère peut satisfaire à tout cela ? Des entrevues ultérieures, toutes trop courtes, mais toujours vécues comme un privilège, eurent lieu lors de visites à Bad Nauheim, où les graves problèmes cardiaques qui l’affectèrent pendant tant d’années l’amenèrent à suivre une cure pendant plusieurs semaines chaque été, ce qui apporta fort heureusement un bénéfice durable. La merveilleuse patience et la gaieté avec lesquelles elle supportait sa fragilité physique et ses limitations témoignaient de sa Foi – son « fondement sûr » – qui inspirait l’optimisme et le calme de l’esprit, la sage et inébranlable philosophie qui faisait d’elle un guide infaillible pour les personnes en difficulté, et qui donnait à réfléchir sur le fait que « c’est dans la tranquillité et le repos que sera votre salut ».

J’ai souvent pensé que les initiales qui forment le titre familier de l’Union sont une combinaison fortuite pour une œuvre que la Fondatrice considérait avec tant d’ardeur et d’humilité comme un canal pour la manifestation de l’Esprit – τοα Αγίοα πνεῦμα7. La House of Education était, pour ceux qui en connaissaient la véritable essence, un Temple dédié au Saint-Esprit et personne n’a jamais exprimé de manière plus adéquate les sept dons dans sa sphère d’influence que Charlotte Mason, à savoir l’esprit de Sagesse et d’Intelligence, de Conseil et de Puissance, de Connaissance et de vraie Piété et de Sainte Crainte ; personne n’a illustré plus fidèlement le commandement de saint Paul : « Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi selon l’Esprit. » Ne pourrions-nous pas lui appliquer la « vieille complainte d’Éphrem le Syrien » parue dans le Times du 8 février ?

De sa maison s’en va une femme 
Dont la chère présence en était le guide ; 
Ceux qui restent pleurent ensemble, 
Comme les hommes à la mort de Rachel. 
Une puissante gardienne 
De cette maison, tu demeures. 

I.B.S. WHITAKER THOMPSON.

QUELQUES SOUVENIRS.

Je rencontrai et j’écoutai parler Miss Mason pour la première fois lors d’une réunion de salon de la maison londonienne de la duchesse de Portland, en 1892. Je n’ai jamais oublié l’impression que m’a faite sa gracieuse personnalité, ses manières et le charme de sa voix.

J’ai oublié le titre de son allocution, mais il concernait son évangile de l’éducation et, ce jour-là, nous fûmes nombreux à réaliser que nous avions eu sous les yeux une nouvelle vision. Ce fut aussi le début d’une amitié qui, depuis 30 ans, est l’un des plus grands privilèges et plaisirs de ma vie.

Quelque temps plus tard, à Florence, je rencontrais Miss Mason et son amie, Mrs Firth, près du Campanile de Giotto8, et nous étudiâmes ensemble ses magnifiques médaillons hexagonaux. J’associerai toujours à ce moment le médaillon de la tisserande dont Ruskin s’inspira lorsqu’il ressuscita le filage à la main dans la région des lacs9

En septembre 1894, je rendis visite pour la première fois à Miss Mason à Ambleside, visite qui fut inoubliable. À l’époque, elle et Miss Kitching vivaient à Springfield, au fond de la vallée, une maison qui faisait partie de la House of Education à ses débuts. Le lendemain de mon arrivée, Miss Mason m’emmena de l’autre côté de la route pour visiter la grande maison sur la colline dans laquelle elle envisageait d’emménager, afin de rassembler tous ses élèves sous un même toit et d’en faire une demeure digne de la House of Education. Alors que nous remontions l’allée, le soleil brillait, et devant la maison, nous nous sommes arrêtées et retournées pour regarder les monts Loughrigg et Wansfell, avec le lac Windermere entre les deux, et nous nous sommes dit : « Quand on pense que Wordsworth s’est tenu ici et a regardé tout cela ! » car sa nièce, Mrs Harrison (née Wordsworth), avait vécu à Scale How jusqu’en 1892. Nous avons visité chaque recoin de la maison et nous avons décidé avec M. Curwen, l’architecte, qui nous avait rejoint sur place, des quelques modifications et améliorations nécessaires. Dans l’ensemble, nous avons planifié un bel avenir, dont près de 29 ans, avec ses excellents résultats, appartiennent maintenant au passé.

Un autre jour, Miss Mason m’emmena à Keswick sur le toit du mail coach10. C’était une bonne vieille voiture avec quatre chevaux, un véhicule tranquille à partir duquel on avait le temps d’observer le paysage. Ce jour-là, je reçus une merveilleuse leçon de « peinture d’images », comme Miss Mason l’entendait. Nous nous sommes beaucoup amusées et nous avons pris beaucoup de plaisir à observer toutes sortes de petits riens de la vie quotidienne !

Peu après cette époque, lorsque Miss Mason dut prendre conscience des limitations physiques dues à sa mauvaise santé, elle eut la grande sagesse d’organiser sa vie de manière à ce que chaque quantité d’énergie disponible puisse être consacrée au travail qui lui était si cher, de sorte que lors des nombreuses visites que je lui rendis par la suite, nos excursions se limitèrent aux belles promenades des proches environs.

Ces promenades se faisaient dans sa petite Victoria11, conduite par son fidèle Barrow. Ici, nous cherchions des rougequeues, là des jonquilles en fleurs, et certains jours, nous faisions le tour de Grasmere et achetions du pain d’épices à la vieille Sarah Nelson.

J’aimerais pouvoir donner une image plus claire de tout cela. Ceux qui étaient présents à la délicieuse Conférence d’Ambleside en mai dernier garderont toujours en mémoire une idée du charme de Scale How sous le patronage de sa chère Maîtresse. 

HELEN WEBB.

Quelle que soit la difficulté, elle savait toujours trouver la bonne voie. Elle disait en peu de mots, toujours parfaitement choisis, mais naturellement et sans effort, ce que vous saviez immédiatement être la chose juste, même si vous aviez tâtonné longtemps et ne l’aviez pas trouvée. La pensée juste et le mot juste étaient toujours là.

Il est encore trop tôt pour mesurer l’ensemble de son œuvre. La moisson n’est pas encore terminée. Cependant, il y a suffisamment de raisons pour être sûr que la postérité verra en elle une grande réformatrice, qui a conduit les enfants de la nation d’un désert aride à une terre fertile. Les anciennes prières des foyers où nous avons enseigné reviennent à nos lèvres. Les enfants de nombreuses générations remercieront Dieu pour Charlotte Mason et son œuvre.

H.W. HOUSEHOLD.

LE RÔLE DU PÈRE DANS L’INSTRUCTION EN FAMILLE.

J’estime que c’est un grand privilège, en tant que père d’enfants élevés dans une salle de classe de l’Union des Parents, de témoigner de la joie que cette formation apporte à la fois aux parents et aux enfants.

Quand on suit la méthode de Miss Mason, les travaux des enfants, dans leurs premières années, sont pleins d’intérêt ; chaque faculté a l’occasion de se développer et les pouvoirs d’observation et d’appréciation sont stimulés, de sorte que, par la suite, l’esprit est préparé à recevoir intelligemment de nouvelles impressions au fur et à mesure qu’elles se présentent.

A l’époque où nous instruisions nos enfants, il était très agréable, à la fin de chaque trimestre, d’écouter leur examen oral et de noter avec un vif intérêt les progrès accomplis et l’intelligence avec laquelle ils avaient abordé les différentes matières. Puis il y avait les promenades à la campagne, qui pour moi, en raison de mes engagements professionnels, étaient rares. Les enfants avaient acquis des connaissances sur les villages environnants, sur chaque chemin, chaque sentier menant à une prairie, un bois ou un ruisseau qu’ils connaissaient bien, et ils étaient capables d’indiquer où se trouvait la première primevère ou jonquille sauvage, de me dire quand les hérons étaient retournés à leurs nids dans les arbres au-dessus du lac, ou de remarquer l’odeur du renard qui était passé ce matin-là.

Avec le temps et l’apparition de nouveaux centres d’intérêt, les enfants manifestèrent une véritable appréciation de l’architecture, et je fus frappé par la façon dont ils comparaient les détails d’une église que je leur présentais avec celles qu’ils avaient visitées ou sur lesquelles ils avaient lu. Lorsque je les emmenai à la National Gallery, ils éprouvèrent un grand plaisir à reconnaître les œuvres originales dont ils avaient étudié les reproductions pendant leurs leçons.

On se souvient très bien de la rencontre de Winchester en 191212. En arrivant, les enfants, ayant cartographié la ville auparavant, connaissaient déjà leur chemin, et lorsqu’ils rencontrèrent leurs camarades de l’Union, on remarquait comment, bien que venant d’endroits très éloignés et ne s’étant jamais rencontrés auparavant, ils s’intégraient immédiatement au sein de leurs classes, de sorte que ceux qui assistaient à la scène pensaient qu’ils avaient dû travailler ensemble pendant de nombreuses semaines, tant l’atmosphère était harmonieuse. Lors de ce même rassemblement, nous avons été impressionnés par l’intelligence avec laquelle tous les enfants manifestèrent leur appréciation de la cathédrale, de Sainte-Croix et d’autres lieux d’intérêt dont ils avaient pris connaissance au cours du trimestre précédent.

Le véritable travail de l’école de l’Union des Parents conduisait naturellement, et sans véritable rupture, à la vie plus large de la public school13, pour laquelle les enfants, grâce à leur formation, étaient bien préparés. C’était comme s’ils passaient d’une salle de classe à une autre tant leur préparation antérieure avait été complète et intelligente.

L’ensemble de la formation semble inviter à une étroite camaraderie entre parents et enfants par le biais d’intérêts communs et d’occasions d’étudier la nature et de discuter des problèmes de leur propre histoire ; ainsi, l’intérêt que parents et enfants portent à la vie des uns et des autres est largement dû à l’influence de Miss Mason qui nous a appris à nous, parents, à réaliser que nos enfants, dès leur plus jeune âge, sont des personnes dotées d’une individualité propre, et qu’ils doivent être traités comme tels, et non pas considérés comme de simples jouets.

On ne peut s’empêcher de penser à l’immense influence bénéfique que Miss Mason a exercée sur les enfants du pays, maintenant que non seulement les “écoles familiales”, mais aussi un grand nombre d’écoles élémentaires et secondaires ont adopté son enseignement et ses idées, et que le travail commencé à Ambleside s’est répandu dans tout le monde anglophone, et combien il a été utile à nos camarades coloniaux, ma propre connaissance du travail accompli en Nouvelle-Zélande en témoigne.

Bien que la Fondatrice nous ait quittés, son influence demeure et son travail se poursuivra.

J. W. WALKER, O.B.E., F.S.A.

LA P.U.S. DU POINT DE VUE D’UNE MÈRE.

L’article nécrologique sur le travail de Miss Mason publié dans le Times m’a ramenée à l’époque où, jeune mère, je commençais à instruire mes jeunes garçons avec l’aide de la P.N.E.U. Aujourd’hui, on me sollicite pour donner mon point de vue en tant que mère. Je vais essayer de revenir 18 ou 19 ans en arrière, à l’époque où j’ai débuté l’instruction de nos enfants, deux garçons en Form 1A et Form 1B. Les années passèrent et je continuais à enseigner ; la famille s’agrandit, cinq garçons et une fille ; peu à peu, les plus âgés entrèrent à l’école, et les plus jeunes les remplacèrent ; j’enseignais à ma fille jusqu’à ce qu’elle aille à l’école à 16 ans et enfin, lorsque les deux plus jeunes garçons entrèrent à l’école il y a environ trois ans, ma période d’enseignement prit fin. Je ne savais pas, lorsque les premiers documents de la P.U.S. sont arrivés, combien d’années durerait ce travail – moi qui ne connaissais rien à l’enseignement et qui avais oublié une grande partie de ce que j’avais appris à l’école ; comment accomplir une tâche qui me paraissait impossible ? Uniquement grâce à la réception, trimestre après trimestre, du syllabus de la P.U.S.

En parcourant certains de nos vieux livres, je quitte le présent, je me remets à penser au temps où les enfants et moi apprenions ensemble. L’histoire était une matière fascinante lorsqu’elle était enseignée par Arnold Forster. La Magna Charta14 avait un sens avec l’histoire de la machine à coudre. Elizabeth devenait réelle à la lecture de Kenilworth et Westward Ho15 ; à mesure que les enfants grandissaient, l’histoire de France et l’histoire européenne ajoutaient différents points de vue. La géographie – une matière si ennuyeuse à mon époque, composée de listes de caps et de baies, d’importations et d’exportations – devenait tout autre chose quand on se promenait en Italie du Nord ou qu’on participait à la chasse au lion en Afrique ; il en allait de même pour l’étude de la nature avec l’aide de Mrs Brightwen et de ses délicieux animaux domestiques ou de Gilbert White, ou encore de ce bien-aimé Life and Her children16. L’arithmétique était certainement la matière la plus difficile lorsque l’on avait oublié toutes les règles excepté les quatre opérations ; cependant, en gardant un peu d’avance, en tâchant de comprendre à l’aide d’exemples, je réussis même à négocier cette difficulté. Le ménage devait être terminé à 10 heures, car ma cloche sonnait à ce moment-là et mes petites personnes revenaient du jardin pour travailler jusqu’à 13 heures, avec une courte pause au milieu de la matinée. Nous commencions toujours par les Saintes Écritures et je me souviens avec gratitude des livres du Dr Paterson Smyth qui contribuèrent à rendre les récits bibliques si vivants – nous pouvions presque voir Josué et ses hommes marcher toute la nuit depuis le Guilgal pour aider Gabaon. La littérature venait généralement après le déjeuner, j’avais des idées démodées sur l’importance d’un repos pour les enfants, et j’aurais aimé conserver une liste de tous les livres que je leur ai lus à haute voix. Combien de sujets nous avons abordés, quelle bonne bibliothèque nous avons constituée et combien il était passionnant de voir les nouveaux livres arriver chaque trimestre. Les études d’œuvres d’art, avec les reproductions d’artistes d’autrefois ou des temps modernes, les histoires de la cathédrale Saint-Paul et de l’abbaye de Westminster, les pièces de Shakespeare que nous lisions ensemble – dans quel vaste monde nous vivions tandis que nous travaillions au fin fond de la campagne ! Puis venait l’examen à la fin du trimestre ; moi, comme une secrétaire, je prenais note de ce dont mes enfants se souvenaient (au fil des jours, il était plutôt réconfortant qu’ils puissent écrire leurs propres réponses) et à la fin de la semaine nous envoyions la grande enveloppe. Quelle excitation quand le rapport arrivait ! Les critiques étaient toujours gentilles et encourageantes et comme il était intéressant de voir les notes attribuées et quelle personne chanceuse passait dans la Form suivante ! 

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cette époque, et les étudiants se sont éparpillés dans le monde : certaines des reproductions d’œuvres d’art ont été envoyées à un collège en Inde dans lequel un ancien élève enseigne maintenant.

En écrivant ces lignes, j’ai revécu le passé, réalisant à quel point je dois mon bonheur à la vision d’une femme. Mon exemple est sans doute semblable à beaucoup d’autres personnes dispersées dans le monde entier. Certains écriront sur le travail de Miss Mason du point de vue de l’enseignant professionnel, mais la dette de la mère qui, sans aucune formation, a pu enseigner à ses enfants la méthode élaborée par Miss Mason est bien plus grande. C’est elle qui a rendu possible l’impossible, qui nous a indiqué trimestre après trimestre quels livres utiliser et comment les utiliser, qui nous a appris à mener les enfants directement à la source et à les laisser apprendre à partir des livres eux-mêmes. C’est elle qui a compris ce que l’éducation à la maison pouvait devenir, qui a changé toute l’atmosphère du foyer, qui nous a inspirés dans notre travail et nous a donné le pouvoir de le mener à bien ; une pionnière qui a ouvert la voie que beaucoup d’entre nous ont suivie avec un vif plaisir et un cœur reconnaissant.

L’école à la maison n’est plus – me voilà de retour dans le présent – le courrier d’Inde vient d’arriver ; pour les deux longues lettres, toutes deux si différentes et pourtant si révélatrices de vies vécues dans ce pays lointain ; pour ce pouvoir d’expression qui signifie tant pour ceux qui sont à la maison, combien nous nous sommes redevables des leçons apprises il y a longtemps, à l’époque de la P.U.S.

E. M. CAPRON

L’HOMMAGE D’UNE MÈRE.

Ne serait-il pas vrai de dire à propos des Mères que « certaines sont nées mères, d’autres sont parvenues à la maternité et d’autres encore ont été poussées à la maternité » ? Il y a des femmes qui, bien qu’elles ne soient pas appelées au mariage et à la maternité, engendrent néanmoins des enfants spirituels qui « se lèvent et les disent bienheureuses ». Charlotte Mason était certainement de celles-là. Visionnaire, dotée d’amour, de courage et de patience, tels qu’il n’en est donné qu’à peu de gens, elle fut la conceptrice, l’ingénieur en chef et l’ouvrière principale d’une route qui est maintenant foulée par de nombreux pieds – jeunes et moins jeunes – avec espoir et joie.

La tâche que Dieu confie aux mères est toujours la plus haute responsabilité qui soit pour un être humain. Il ne s’agit de rien de moins que de former à Son service Ses propres enfants – des enfants dont le corps doit être sain, dont l’esprit doit être discipliné et alerte, dont l’âme doit apprendre à grandir dans la connaissance et l’amour de leur Père, s’ils doivent remplir le but pour lequel Il les a envoyés ici. C’est cette vision que Miss Mason a eu et pour laquelle elle a donné sa vie, cet idéal qu’elle a toujours tenu devant les yeux de ceux qui, dans les chemins poussiéreux de la vie quotidienne, avaient tendance à se contenter d’une norme moins élevée, plus matérielle.

C’est pourquoi nous, les mères, avons envers elle une dette de gratitude qu’il est difficile d’exprimer avec des mots, pour l’aide et l’inspiration merveilleuses qu’elle nous a apportées dans cette grande œuvre qu’est la formation des enfants. Ayant eu, au cours des huit dernières années, cinq membres de ma famille à la P.U.S., je suis reconnaissante du privilège qui m’a été accordé d’essayer – si faiblement que ce soit – d’exprimer cette gratitude. Il est difficile de mettre en évidence des points particuliers, mais je me souviendrai toujours avec gratitude de la façon dont le directeur de l’une de nos écoles pour filles les plus célèbres et les plus importantes commenta le « pouvoir de concentration » de mes filles, et je considère qu’elles le doivent presque entièrement à la P.U.S. On m’a demandé si cette éducation avait été un facteur déterminant dans la réussite de mes filles. On m’a demandé si cette éducation était une bonne préparation pour les public schools dirigées selon des principes quelque peu différents et je n’hésite pas à répondre « oui », une opinion qui est amplement justifiée par l’expérience personnelle. L’habitude de la concentration déjà mentionnée, l’amour des bons livres, l’ouverture vers des intérêts larges et variés, tout cela constitue à mon avis le meilleur équipement possible pour un garçon ou une fille, non seulement pour intégrer une école publique, mais aussi pour la vie plus large qui suit, quel qu’en soit le chemin. Je tiens à souligner un autre aspect qui m’a sautée aux yeux – la constante attention personnelle que Miss Mason portait à tout son travail : la petite note écrite de sa propre main sur chaque feuille d’examen était une joie attendue avec impatience, même pour ceux d’entre nous qui n’avaient jamais eu le privilège de la voir ou de la connaître plus intimement.

Nous, parents, offrons notre tribut de gratitude à un nom aimé et honoré, avec la ferme conviction que la route si noblement tracée conduira de nombreux voyageurs « vers la Cité de Dieu ». En effet, bien que notre chef soit passée dans une lumière plus grande, son œuvre vit et se poursuit.

« Aucune œuvre commencée ne s’arrête avec la mort

… Sur ces âmes seules
Dieu se penche et montre assez de Sa lumière 
Pour que nous puissions nous élever dans l’obscurité. »17

M.H. SWINGLER

ÉCOLES SECONDAIRES.

Il n’est pas facile d’évaluer le travail et l’influence de Miss Mason dans les écoles secondaires. La grandeur de cette influence est ressentie et saluée par tous ceux qui ont observé avec intérêt le développement et les progrès de l’éducation au cours des trente dernières années, et qui ont en même temps suivi l’enseignement et étudié les méthodes d’une personne qui, par son absence totale d’autopromotion, son adhésion constante à des principes maintenant reconnus comme sains par les meilleurs penseurs, doit certainement occuper une place de premier plan parmi les pionniers de l’éducation de notre génération.

Il est relativement facile de reconnaître et d’évaluer son travail dans les écoles qui déclarent suivre les principes de l’Union qu’elle a fondée, mais son influence a été considérable et c’est dans les écoles qui ont « tacitement adopté » ses idéaux sans reconnaître ou même réaliser son autorité que les plus grands progrès ont été réalisés, que les triomphes les plus éclatants ont été remportés. Le levain d’une personnalité noble et énergique est si puissant.

Il n’est guère exagéré de dire qu’il n’y a pas une école pour filles dans le pays qui n’ait été directement ou indirectement touchée par son enseignement, et il est intéressant de trouver certains de ses principes fermement ancrés dans le récent rapport du Comité nommé pour enquêter sur la “Différenciation des programmes d’études entre les garçons et les filles dans les écoles secondaires”.

Le premier et le plus important des dons que Miss Mason apporta aux écoles secondaires est la Liberté, le fait de ramener l’enfant à la nature et à la réalité et de le conduire dans les domaines de la connaissance, non seulement à travers les gloires de notre grande littérature, mais en lui montrant son héritage en lui ouvrant les yeux sur le monde qui l’entoure.

Revenons à l’année 1890, lorsque Miss Mason se présenta publiquement en tant qu’éducatrice.

Nous sommes nombreux à nous souvenir des conditions qui régnaient dans les grandes écoles au début des années quatre-vingt-dix. Nous nous rendons compte, en regardant en arrière, de la gratitude que nous devons aux directrices de l’époque pour la position ferme qu’elles ont adoptée dans leur demande d’égalité des chances dans l’éducation pour les garçons et pour les filles. Mais nous réalisons aussi l’erreur commise à l’époque par la majorité des enseignantes. Elles cherchaient à préparer les filles à rivaliser en tous points avec les garçons, sans se soucier suffisamment de leur bien-être social et de leur forme physique. La pression des devoirs pesait lourdement sur la jeune fille après sa longue journée d’école, trop rarement soulagée par des jeux, des exercices physiques ou toute autre forme de travail manuel. L’ombre des examens scolaires, où l’art, la musique et les autres matières esthétiques n’avaient pas leur place, la privait de tout plaisir dans ces matières. Elle n’avait pas le temps de s’y adonner.

L’étude de la littérature anglaise, en dehors des livres et des leçons prévus pour les examens dans les classes supérieures, était exclue du programme d’études dans certains lycées réputés. Je me souviens moi-même d’avoir été initiée à certaines des gloires de la poésie anglaise par un professeur de mathématiques qui profitait des intervalles entre les examens pour enflammer l’imagination de ses élèves et leur faire prendre conscience des beautés de leur propre langue.

A quel riche patrimoine de livres Miss Mason a-t-elle initié ses enfants ! avec quelle abondance de nourriture intellectuelle les a-t-elle nourri pour leur plus grand profit ! Shakespeare est maintenant lu par des enfants de dix ans avec plaisir et intelligence, et les textes annotés sont l’exception et non la règle.

De même, la leçon d’histoire, avec son manuel sec et ses courtes questions-réponses, offrait peu d’occasions d’apprendre à penser et à juger. On étudiait les affaires de la mère patrie sans prêter attention à l’histoire contemporaine de l’Europe, et on n’avait pas le temps de s’intéresser à l’histoire du monde. Le professeur qui comprend qu’il y a une meilleure façon de procéder profite de ces moments pour lire de courts extraits de grands écrivains historiques. On se souvient d’avoir été initié de cette manière à Lecky18, Tolstoï et d’autres, et ces moments restent frais dans l’esprit tandis que les autres sont tombés dans l’oubli.

Pour donner à l’enfant une connaissance plus large de l’histoire – matière qu’elle considérait comme la plus importante dans la formation de bons citoyens – Miss Mason alloue amplement du temps à ce sujet, et il y a peu d’écoles aujourd’hui où l’on n’enseigne pas l’histoire du monde ainsi que l’histoire de l’Europe et de l’Angleterre.

Il y a quelques années, on aurait pu trouver le même emprisonnement de l’esprit – et parfois même du corps – le même régime de famine, la même vision étroitement académique dans beaucoup de nos grands pensionnats, et même dans les écoles publiques.

Mais, grâce au travail de Miss Mason et d’autres personnes zélées pour la cause de l’éducation, la lumière a pénétré dans de nombreux endroits sombres. Le mouvement des Guides a été très utile à cet égard. Les directrices de nombreuses écoles se rendent maintenant compte que le mouvement est une aide précieuse, et non un obstacle au travail ordinaire, et accordent au Guidisme une place honorable dans l’emploi du temps. Il ne faut pas oublier à cet égard que le mouvement scout doit son origine à Miss Mason.

Mais si les progrès dans les écoles ont été constants, il reste encore beaucoup à faire, et personne ne l’a mieux compris que Miss Mason elle-même. Ceux qui ont eu le privilège d’assister à la conférence de la P.N.E.U. qui s’est tenue en mai dernier à Ambleside garderont en mémoire les paroles inspirantes avec lesquelles elle a conclu son deuxième discours : « Mettons-nous au travail. Luttons avec les écoles pour une ‘éducation libérale’. »

P.S. GOODE, B.A.

ÉCOLES ÉLÉMENTAIRES. 

Tous les membres de la Parents’ National Educational Union prennent conscience de l’immense perte que représente le décès de sa fondatrice, Miss Mason. Chacun sait qu’il a perdu une grande organisatrice et une grande dirigeante. Chacun sent qu’une amie chère s’en est allée, une amie dont la douceur tenait à sa bienveillance, à sa compassion, à sa grandeur. Son esprit s’est répandu dans ses articles et dans ses livres. Et quand on la rencontrait pour la première fois, c’était comme renouer avec une vieille amitié ; on reprenait la conversation d’hier sans le rappel poignant d’une pause que le mot « hier » évoque souvent.

Nous étions conscients de la force et de la vigueur de son esprit, de son enthousiasme et de sa foi pour la cause de l’éducation, de sa volonté à la faire progresser. Elle s’est complètement exprimée dans la devise de toutes les écoles de l’Union : « Je suis, je peux, je devrais, je ferai ».

En créant la P.N.E.U. et en établissant des écoles de l’Union des Parents, Miss Mason réalisa ce qui était supposé impossible. Elle réunit la démocratie et l’aristocratie. Par un paradoxe apparent, elle démontra une grande vérité. Les « dêmos » devaient être les « aristos »19. Tous devaient bénéficier d’opportunités libérales de développement, une aristocratie pleine et entière. “Le meilleur pour tous, c’est ce qui viendrait de tous, par Nature” – logique, le meilleur. Miss Mason ne promettait aucun changement héréditaire dans la nature des habitants de son « Utopia »20. Le fruit du changement viendrait grâce à la culture et aux soins prodigués à l’enfant qui grandit. L’humanité ne ferait pas naufrage avant d’atteindre sa « Nouvelle Atlantide »21.

Miss Mason avait toutes les qualités d’une grande réformatrice : elle était clairvoyante, persévérante, intelligente, elle avait de grands idéaux et la foi. La foi, elle l’avait en abondance. Quiconque eut l’honneur et le privilège de la rencontrer au Shire Hall à Gloucester et le plaisir de l’écouter s’adresser aux directeurs des écoles du Gloucestershire ayant adhéré à l’Union, ne peut douter de son abondante foi qui rayonnait dans chacun de ses mots. Elle commença son discours en confessant sa propre foi dans les enfants, dans la nature humaine, dans le travail d’éducation. Elle l’acheva en exhortant son auditoire à tenir bon par la foi.

Suite à la fondation de l’École de l’Union des Parents en 1891, son influence sur l’éducation dans les comtés d’Angleterre et dans les colonies ne cessa de croître, en s’appuyant sur des principes sains. 

Mais si cette croissance était gratifiante, elle ne satisfaisait ni Miss Mason ni les collaborateurs qu’elle avait formés et auxquels elle avait insufflé son enthousiasme. Les millions d’enfants fréquentant les écoles primaires publiques n’étaient pas touchés, la faim de leurs esprits « parfaits mais immatures » n’était pas satisfaite parce qu’on ne leur donnait pas le riche et abondant festin intellectuel prévu dans les programmes de la P.U.S.

L’occasion d’étendre les activités de l’Union au domaine de l’enseignement public s’est présentée au cours des merveilleuses années 1916-1919. Les temps étaient favorables. Le monde assistait à la renaissance de l’intérêt spirituel pour l’éducation et à une demande du monde occidental pour ce que l’éducation pouvait offrir de meilleur. Un mécontentement divin se manifesta à l’égard du caractère et de la quantité de l’enseignement dispensé dans tous les types d’écoles. 

Le succès qui suivit l’expérience de Drighlington prouva la faisabilité de la méthode dans un nouveau type d’école ; et la brochure écrite par Miss Ambler, directrice de l’école et pionnière de la P.U.S. dans les écoles primaires publiques, mit à la disposition de tous ceux qui s’intéressaient à l’éducation les résultats de l’expérience. 

Le nombre d’écoles publiques adoptant les programmes et les méthodes de la P.U.S. augmenta rapidement. L’intérêt s’éveilla et les demandes de renseignements émanant des autorités éducatives vinrent de régions nombreuses et très éloignées les unes des autres. Miss Mason eut la chance de vivre assez longtemps pour voir son travail porter ses fruits.

Des milliers d’enfants reçoivent aujourd’hui l’éducation préconisée par l’Union, dans des écoles financées et entretenues par l’État et les autorités éducatives locales, et le nom de Miss Mason doit certainement être prononcé dans des centaines de foyers où, il y a quelques années, elle était inconnue. 

Le comté de Gloucester compte plus d’écoles affiliées à la P.N.E.U. que tout autre comté [plus de 100 maintenant]. Il est dommage que le reste de l’Angleterre ne soit pas aussi conscient de sa perte que le Gloucestershire l’est de son gain. 

Le nombre augmente : des écoles supplémentaires adhèrent à la P.N.E.U. chaque trimestre.

C’est en tant que directeur d’une école de l’Union (élémentaire) que je voudrais rendre un hommage mérité mais insuffisant au génie d’une grande réformatrice et organisatrice de l’éducation ; je voudrais essayer d’exprimer ma gratitude, laquelle sera toujours insuffisante, pour l’exemple de dévouement et de sacrifice de toute une vie à l’éducation de l’enfance de la nation, ici et dans tout le monde anglophone. Et je sais que ce qui est dit ici recevra l’assentiment de mes collègues, qui estimeront, comme moi, que « moins de la moitié a été dite ».

Nous nous souvenons de Miss Mason parce qu’elle nous a appris à considérer les enfants comme des êtres « parfaits mais immatures » ; que leur esprit est un tout indivisible, avec la dignité d’une personnalité que nous ne devons pas outrager. Elle nous a préservés de la tendance à croire que l’homme pouvait être plus grand que son Créateur.

Nous nous souvenons de Miss Mason parce qu’elle nous a montré comment l’enseignement pouvait être naturel et simple, naturel parce qu’il faisait appel à l’intérêt inné que tout enfant porte en lui. Nous le savions, mais elle nous a montré comment l’utiliser et le conserver. Naturel, aussi, parce que ces conditions d’attention et de concentration accompagnent toujours l’intérêt et ne peuvent être cultivées à partir de racines adventives22. Simples, parce que les méthodes d’enseignement n’impliquaient pas une formation particulière ou élaborée. La mère instruite, qui a la chance d’avoir le temps, peut éduquer son enfant à la maison avec succès. 

Nous vénérons la mémoire de Miss Mason parce qu’elle nous a montré comment le bonheur pouvait imprégner nos salles de classe ; comment il pouvait y avoir de la joie dans les apprentissages, une joie qui naissait de l’esprit « d’équipe » dans la salle de classe. Elle a permis que la sympathie soit un lien durable  entre l’enseignant et l’élève.

Nous sommes reconnaissants envers Miss Mason pour la sagesse et le choix avec lesquels elle a élaboré ses programmes. Grâce à eux, nos élèves ont été conduits d’un pays de sauterelles et de miel sauvage à une plaine fertile où la nourriture est riche et variée. Grâce à eux, il n’est plus possible de qualifier nos écoles d' »élémentaires ».

C’est pour ces quelques raisons seulement que nous rendons cet hommage à Miss Mason, qui a tant fait pour les élèves et les enseignants des écoles du pays.

Nous pleurons sa mort, mais dans notre deuil, nous nous souvenons de sa vie.

G. H. SMITH (un directeur d’école du Gloucestershire).

QUELQUES SOUVENIRS.

Je pense qu’il peut être intéressant pour certains lecteurs de la Parent’s Review de connaître les débuts de la vie professionnelle de cette chère Miss Mason, mais je me dois de préciser que le récit qui suit est fragmentaire. Je n’ai pas de souvenirs pour me guider et ma mémoire (73 ans et demi) me fait parfois défaut. De plus, cette chère Miss Mason était tellement absorbée par son travail qu’elle ne parlait que très peu de sa vie. Pendant de nombreuses années, ceux qui vivaient avec elle ont essayé de lui épargner autant que possible la fatigue de la conversation ; nous lui faisions toujours la lecture pendant ses quelques heures de loisir. Les deux parents de Miss Mason sont morts alors qu’elle était relativement jeune, et comme son père a été ruiné par la guerre civile américaine, elle a dû travailler. Elle semble avoir immédiatement décidé de se consacrer à la cause de l’éducation. À l’époque, il n’y avait pas de collèges, ou écoles secondaires pour les filles, ni de lycées ; seules les enseignantes des écoles primaires étaient censées avoir besoin d’une formation pour exercer leur métier. À l’époque, les instituts de formation n’étaient pas très bien gérés, mais Miss Mason était déterminée à profiter de tous les avantages qui s’offraient à elle et suivit une courte formation au Home and Colonial Training College23 afin d’enseigner dans une école primaire. À l’époque déjà, elle avait une grande confiance dans les enfants ; elle les respectait et était toujours persuadée que, quelle que soit la classe sociale, les enfants réagiraient à un traitement approprié. En fait, elle embrassa la profession d’enseignante comme un travail pour Dieu et pour le pays, et comme elle le dit dans la préface de ses livres, « je suis parvenue à chaque article de la foi éducative que je propose par des processus inductifs ; et chacun a été, je pense, vérifié par une longue et vaste série d’expériences.”

Si je ne me trompe pas, c’est à peu près à cette époque de sa vie que Miss Mason fit la connaissance de deux dames, enseignantes aux grandes aspirations elles aussi ; elles se lièrent d’une précieuse amitié qui dura toute leur vie. Je ne sais pas si Miss Mason enseigna dans une école après avoir terminé sa courte formation, mais je sais qu’à peu près à la même époque, elle devint directrice d’une école religieuse à Worthing24, poste qu’elle occupa pendant quelques années. Sous sa direction, l’école acquit une certaine renommée dans le quartier ; l’ordre parfait était maintenu sans aucune sévérité et les élèves travaillaient avec intelligence et ardeur. Il n’est pas surprenant que Miss Mason se soit fait de nombreux amis à Worthing et que son autorité en matière d’éducation ait été reconnue. À l’époque, des personnes sincères s’efforçaient d’inciter les femmes instruites des classes moyennes supérieures à enseigner dans les écoles primaires et, pour faire avancer cette cause, le Bishop Otter Memorial College de Chichester fut créé pour former ces femmes à la fonction de maîtresse d’école primaire. Miss Trevor fut nommée directrice, et Miss Mason était si connue dans le secteur qu’elle fut nommée conférencière en éducation et professeur de physiologie humaine. En 1876, je suis entrée au Otter College25 en tant qu’étudiante et donc dans la sphère d’influence de cette chère Miss Mason. Contrairement à elle, je n’étais pas une enseignante née, j’étais simplement désireuse de faire un travail utile et d’aider ma famille (mon père était un ecclésiastique invalide et je souhaitais l’aider à prendre sa retraite). Sous l’enseignement de cette chère Miss Mason, ma vision de la vie a changé ; j’ai réalisé que l’enseignement pouvait être une noble profession au lieu d’un simple métier, et j’ai moi aussi désiré mettre ses théories en pratique. Je suis sûre que de nombreuses anciennes « Otters » témoigneraient volontiers de l’aide et de l’éclairage qu’elles reçurent des conférences de Miss Mason sur l’éducation. Je me souviens qu’elle nous avait dit que le véritable enseignant devait être prêt à sacrifier sa vie pour ses élèves. À la fin de mes deux années de formation, Miss Mason quitta le Collège et je restai deux ans au sein du personnel pour obtenir mon certificat. Miss Mason alla à Bradford pour enseigner dans une école tenue par l’une des amies que j’ai mentionnées, et aussi pour prendre le temps d’écrire sur l’éducation. C’est à Bradford qu’elle donna un cours aux dames sur « l’éducation à la maison » ; ces cours furent ensuite publiés sous le titre du livre que nous connaissons si bien. Je décidai de ne pas rester au Otter College après avoir obtenu mon certificat, car je souhaitais enseigner dans une école, et grâce à l’influence de Miss Mason, je fus nommée directrice d’un lycée à Bradford. Je n’ai pas très bien réussi à ce poste ; le peu de succès que j’ai obtenu est dû aux conseils de Miss Mason. Elle souhaitait que je reste et que je travaille pour réussir pleinement, mais j’étais relativement jeune et j’ai pensé que je ferais mieux ailleurs, donc je suis partie.

Quelque temps plus tard, Miss Mason se rendit à Ambleside pour rejoindre l’autre vieille amie que j’ai mentionnée. Miss Mason enseigna dans son école, puis, progressivement, elle élabora et mis en œuvre le programme de la House of Education, qui connut un si grand succès. A ses débuts, Miss Mason avait quatre élèves dans une petite maison. Je n’ai pas besoin de dire que c’est avec beaucoup de joie et de gratitude que j’ai accepté l’invitation de la chère Miss Mason à la rejoindre en 1898 en tant que directrice adjointe de la House of Education. Les 22 années que j’y ai passées ont été les plus heureuses de ma vie et je ne peux que remercier Dieu d’avoir eu la bonté de me permettre d’y être.

F.C.A. WILLIAMS.

Note de la traductrice :

1 The Choir Invisible George Eliot (1819-1880), de son vrai nom Mary Ann Evans.
2 Chela est un mot dérivé du sanskrit qui signifie « celui qui est désireux d’apprendre ». Il désigne un disciple ou un étudiant.
3 British Flowering Plants (4 volumes) de Mrs Henry Perrin.
4 Robert Bridges (1844-1930), contemporain de Charlotte Mason. Il occupait une position honorifique : le poète lauréat, ou poète lauré (en latin : poeta laureatus), était désigné par le monarque.
5 Cedric Glover, fils de Mrs Howard Glover.
6 Référence aux « lakistes » de la fin du XVIII siècle et du début du XIXe qui décidèrent de vivre dans le Lake District, une région du nord-ouest de l’Angleterre. Les trois lakistes les plus connus sont William Wordsworth, Coleridge et Robert Southey.
7 L’acronyme de l’Union est P. N. E. U. (Parents National Educational Union). τοα Αγίοα πνεῦμα (τό hagnós pneuma) signifie, en grec ancien, le Saint-Esprit. Le pneuma (πνεῦμα) est à l’origine de l’existence chrétienne : τὴν δωρεὰν τοῦ ἁγίου πνεύματος. (Actes 2,38-39) : Vous recevrez le don de l’esprit saint. Le mot grec « pneuma » partage la même racine étymologique que le mot « pneo » qui signifie, en grec ancien, « souffle de vie » et dans un contexte religieux, « esprit » ou « âme ».
8 Le Campanile de Giotto est la tour campanile de l’église Santa Maria del Fiore, la cathédrale de Florence, située place du Duomo. Sa fondation remonte à 1298.
9 Ruskin avait en horreur les machines. Il aurait voulu revenir à l’ancien temps où tout se faisait à la main et que les seuls moteurs étaient l’eau et le vent. Pour réaliser ce rêve, il acheta une ferme et quelques amis donnèrent des terres pour expérimenter ses idées sociales. En parallèle, Ruskin apprit que dans les campagnes du Westmorland, les industries locales étaient abandonnées, on ne filait plus à la quenouille, ni avec le joli rouet d’autrefois. Un admirateur de Ruskin, qui habitait le pays, finit cependant par découvrir un rouet caché chez une vieille dame. Il rétablit le filage à la main, sous le patronage du maître. La mode s’en mêla et le linge Ruskin fit à lui seul vivre presque tout le village de Langsdale.
10 Le mail coach est une voiture hippomobile, tirée par quatre chevaux, qui était destinée au transport du courrier en Grande-Bretagne. C’est l’équivalent de la malle-poste française. C’est une voiture fermée, pouvant accueillir quatre passagers. Un passager pouvait s’asseoir à côté du cocher et sur le toit, un siège était destiné à un employé qui en assurait la garde.
11 La Victoria est une carriole légère tirée par un ou deux chevaux. Il y a un siège à l’avant pour le cocher, une banquette pour les passagers qui peut être abritée grâce à une capote relevable.
12 Plusieurs rassemblements d’enfants furent organisés par la PNEU non seulement pour encourager un sentiment d’unité entre ses membres mais aussi pour montrer les travaux et réussites des enfants.
13 En Angleterre et au pays de Galles, le terme « public school » désigne une école privée de type traditionnel ; certaines de ces écoles (comme Eton et Harrow, par exemple) sont très réputées. Les public schools ont pour vocation de former l’élite de la nation.
14 En 1215, à la suite de violations par le roi d’Angleterre Jean sans Terre d’un certain nombre de lois anciennes et de coutumes qui régissaient l’Angleterre, ses sujets le forcèrent à signer la Magna Carta (la Grande Charte), qui énumère ce qui plus tard allait être considéré comme les droits de l’Homme. Exemples : le droit de propriété, la liberté d’aller et venir en temps de paix, mais aussi certaines garanties du procès criminel, telles que l’impartialité des juges.
15 Nouvelles historiques de Walter Scott (Kenilworth) et de Charles Kingsley (Westward Ho!).
16 Life and Her children est un livre écrit par Arabella Burton Buckley, écrivaine et éducatrice scientifique. Plusieurs de ses ouvrages étaient sélectionnés dans les programmes de la PNEU.
17 Robert Browning. Les trois derniers vers sont tirés du poème The Real and True and Sure.
18 William Edward Hartpole Lecky (1838-1903) est un historien irlandais.
19 En grec ancien, aristos signifie « meilleur » et dêmos, « peuple ». Etymologiquement, l’aristocratie (du grec aristos, meilleur, excellent, et kratos, le pouvoir, l’autorité) est une forme de gouvernement dans laquelle le pouvoir souverain est exercé par les meilleurs, les plus méritants, les plus aptes. Ce peut être une caste, une famille ou quelques individus.
20 Utopia est un ouvrage du philosophe britannique Thomas More (1477-1535) publié en 1516 à l’approche de la Réforme protestante. Avec ce livre, More crée un genre nouveau sur un sujet connu depuis les Grecs, celui de la cité idéale. Le mot Utopie est créé par Thomas More et signifie « Nulle part » ou « Lieu de bonheur ». Il s’agit du nom de l’île qui est une sorte de contre-image positive de ce que pourrait être l’Angleterre, si elle était mieux gouvernée.
21 La Nouvelle Atlantide (New Atlantis) est un roman utopiste philosophique de Francis Bacon (1561-1626) écrit vers 1624 et paru de manière posthume en 1627.
22 En botanique, une racine adventive se dit d’une racine ou de radicelles apparaissant directement sur la tige, de façon accidentelle, fortuite et inhabituelle.
23 Le Home and Colonial Training College était destiné à former des enseignantes, en particulier par les nouvelles méthodes proposées par Pestalozzi. L’école était située sur Gray’s Inn Road à Londres.
24 Il s’agit de la Davison High School, une école secondaire pour filles qui accueille des élèves âgées de 11 à 16 ans. A l’origine c’était une école pour garçons, ouverte sur Chapel Road en 1812 et nommée d’après le révérend William Davison, premier aumônier de l’église St Paul, à Worthing.
25 Créé en avril 1839 en mémoire de William Otter, évêque de Chichester, qui s’intéressa de près à la question de l’éducation. En 1873, l’institut devint un établissement de formation pour les femmes à la suite de la campagne menée par Louisa Hubbard (1836-1906), femme de lettres, surtout connue pour son activisme en faveur de l’emploi et de l’éducation des femmes.

Traduction française de Maeva Dauplay ©2023. Relecture : Sylvie Dugauquier.

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