Note de Charlotte Mason France : A l’occasion du centenaire de la mort de Charlotte Mason, l’équipe de Charlotte Mason France est ravie de vous proposer la traduction en six articles du livre « In Memoriam: Charlotte M. Mason ». Le livre s’ouvre par un poème écrit par Charlotte Mason, « The World to Come (The Disciple) », puis est composé de deux parties : 
– la première partie, en deux chapitres, correspond à deux discours prononcés par Charlotte Mason lors de la dernière conférence à laquelle elle a participé avant sa mort survenue le 16 janvier 1923. Cette conférence, donnée à la Pentecôte en 1922, réunit des centaines de personnes venues de divers endroits d’Angleterre et d’ailleurs, toutes unies par les principes de la pédagogie de Charlotte Mason ; 
– la deuxième partie rassemble des textes d’amis, étudiants, collègues, éducateurs… prononcés lors du service commémoratif ou écrits pour les éditions spéciales du Mémorial de la Parents’ Review. Tous ces témoignages et souvenirs partagés offrent un regard plus intime sur Charlotte Mason et ceux qui ont partagé sa vie.

Il s’agit ici de la fin des hommages de la deuxième partie, ceux des membres de la P.N.E.U.

(2) L’Union et sa fondatrice. (suite)

LE MESSAGE DE MISS MASON.

Lorsque nous pensons à la longue et belle vie de Miss Mason, passée à travailler sans cesse avec bonheur « pour le bien des enfants », nous nous demandons ce qu’elle s’efforçait de gagner pour eux, pourquoi elle était toujours heureuse, quelle que soit sa fatigue. Était-ce une méthode d’éducation qui se résumait à un mot, la narration ? Était-ce l’usage des livres ? L’amour de la Nature ? Le pouvoir de s’exprimer par les mots, les productions artistiques, la musique ? Était-ce le bonheur ? La bonté ? Le succès ? Le bien recherché par Miss Mason incluait tous ces éléments, mais il allait au-delà, il s’étendait vers la plénitude de la vie. L’un des problèmes dans la vie est de voir des gens dont l’érudition est proverbiale et dont la compagnie est si ennuyeuse qu’aucune joie ne jaillit de leurs vastes connaissances ; au contraire, il semble que ces personnes érudites portent un lourd fardeau. Ce problème n’a pas encore été résolu et pourra être examiné plus tard ; nous sommes plus tentés de laisser nos pensées prendre le soleil comme les personnes qui suivent l’enseignement de Miss Mason, et en savent moins mais comprennent plus grâce à la plénitude de la vie qui les habite.

Notre enseignante bien-aimée nous a quittés. Nous ne pouvons plus lui confier chacune de nos perplexités ; nous ne pouvons plus attendre son prochain article dans la Parents’ Review qui éclaircira pour nous quelque nouvelle difficulté ; nous ne pouvons plus espérer le discours qui nous donnera un nouvel aperçu de cette vie pleine qu’elle a vécue et que ses disciples ont reconnue sans nécessairement être conscients de sa source.

En quête de réconfort, écoutons-la nous parler à partir du livre qu’elle chérissait plus que toutes ses œuvres et sur lequel elle fondait toute sa philosophie d’enseignement.

« Jour après jour, afin de résumer toutes nos exigences dans cette vie, nous apprenons à prier pour « la connaissance de Ta vérité » – la liturgie semble résumer le plus complètement l’enseignement de notre Seigneur. Mais nous ne suivons guère le rythme de notre prière ; nous faisons passer deux ou trois désirs légitimes avant ce qui devrait être notre inspiration première ; avoir ce qui est bon – le culte de la prospérité – est la prière et l’effort de l’homme naturel ; être bon – le culte de la sainteté – est le désir de l’esprit spirituel ; faire ce qui est bon – le culte de la philanthropie – résume la religion de l’humanité : ces choses, nous devrions les avoir, les incarner et les faire, mais nous prenons conscience qu’il y a un autre devoir que nous devons remplir. La promesse de notre Seigneur concernant l’enseignement du Saint-Esprit implique cette autre obligation : ‘Il vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.’

« ’Toutes choses’, ‘tout ce que je vous ai dit’, ce double superlatif nous impose le devoir d’étudier en profondeur et avec dévotion chacune des paroles divines ; car comment garder en mémoire ce que l’on ne connaît pas bien ?” (Vol. V.) [Tous les extraits donnés ici sont tirés de The Saviour of the World].

« L’humanité ne peut savoir ce qui est bon pour l’homme, 
C’est Lui qui nous l’accorde ; Lui, toute notre lumière.” (Vol. I.)

Miss Mason médita sur les paroles et la vie de notre Seigneur et, à mesure que la lumière lui parvenait, elle l’utilisa comme elle utilisait tout ce qu’elle possédait : en la mettant au service des autres.

Pensez-vous que la connaissance est petite chose
Qu’un homme peut garder dans le secret d’un coffret,
Certain que sa valeur surpassera beauté,
N’ira s’envoler soudain, tel un timide oiseau ?
Pensez-vous que personne ne peut vous accuser
Pour ce que vous savez, et qui vous appartient ?
Je vous dis que votre connaissance est un prêt
Pour tous les hommes ; et vous ne devez ni cacher, 

Ni jeter dans la corbeille de votre mémoire,
Tout ce qu’avec peine, vous avez appris de moi ;
Qui sait et n’enseigne pas sentira le dard
De la culpabilité intolérable quand
Devant le Juge, il tient ; pour lui, de peu d’amour,
Le roi décrète un plus léger châtiment.

. . . . . . . . . . . . . .

Qui connaît beaucoup doit transmettre davantage,
Et selon ses réserves chacun donnera. (Vol. I.)

Il nous reste six précieux volumes de cette œuvre à étudier, ou plutôt, devrions-nous dire, à utiliser dans nos efforts pour atteindre la plénitude de la vie. Miss Mason avait l’intention de produire huit volumes. Le premier fut publié à Noël 1908. Par la suite, un volume parut régulièrement à chaque Noël jusqu’en 1914. Aucun d’entre eux n’a été apprécié à sa juste valeur, principalement parce que beaucoup d’entre nous préféraient la pensée exprimée en prose telle que nous la connaissions, mais c’est parce que nous n’avions pas mesuré l’abondance de pensées dans chaque vers, ni compris qu’aucune autre forme n’était possible. Au cours de l’été 1915, Miss Mason assista au début du mouvement dans les écoles élémentaires qui allait désormais absorber tout son temps et toutes ses forces, et en 1917, elle nous informa que les deux derniers volumes de The Saviour of the World ne seraient jamais écrits. Les six volumes existants sont constamment utilisés à l’école de l’Union des Parents et le travail des enfants prouve leur valeur. Le passage à étudier est lu dans les Evangiles puis narré. Les enfants s’efforcent alors de mieux comprendre le passage en comparant les différents récits et en y apportant tout ce qu’ils savent ; parfois, l’enseignante pose des questions ou souligne un nouvel aspect, mais le plus souvent, elle apprend beaucoup des enfants. Lorsque l’institutrice et les enfants ont découvert tout ce qu’ils pouvaient, les versets correspondants de The Saviour of the World sont lus par l’institutrice et narrés par les enfants : « Le travail intellectuel que nous avons fourni fait de cette conception la nôtre, et nous avons acquis un fragment de cette connaissance qui est la vie éternelle. » (Vol. V.)

Cherchant la source de l’enseignement de Miss Mason, commençons par la devise de la P.N.E.U. et voyons dans quelle mesure son adoption est justifiée par l’étude de la vie de Jésus. Nous devons lire attentivement et prendre le temps de fournir le travail intellectuel nécessaire pour comprendre comment la philosophie pédagogique de Miss Mason s’est développée et, par les quelques citations données, nous verrons comment ceux d’entre nous qui n’ont pas connu personnellement notre Fondatrice peuvent entrer en contact plus étroit avec sa pensée et son enseignement.

L’éducation est une atmosphère.

Que tu es belle, ô mon âme, quelle paisible grâce
                                       Habille ton visage !
Quelles chambres pures et fraîches tes yeux révèlent-ils !
En toi sûrement demeure un lumineux mystère ?
Comme l’orbe terne qui brille encore à tes yeux,
                        Je me tiens simplement
                                  Dans la Lumière.

Que vois-tu, ô mon âme, de là où tu te tiens ?
                                             Un sable mouvant 
Où grouillent de viles choses – orgueil, envie et querelle, 
Malice, colère, tout ce qui s’en prend à l’amour –
La Lumière les réprouve en moi !
                   Et pourtant, je me tiens
                                    Dans la Lumière.

Est-ce toute joie, pauvre âme, que la lumière t’apporte ?
                                                   Non, Celui que je vois 
Au ciel, sur la terre, Un seul : personne ne pourra 
Répéter ou comprendre, exceptés ceux qui voient,
La guérison de la Vision : Il brille sur moi ; –
                                 C’est pourquoi je me tiens
                                              Dans la Lumière !

                                                        (Vol. I.)

L’éducation est une discipline.

Seules les âmes vaillantes qui choisissent 
De faire le bien, le mal refusent, 
Ne cherchent plaisir, n’évitent douleurs 
Sont dignes de suivre où Il conduit, 
Près d’eaux fraîches, par les prés fleuris 
Où voix innocentes remplissent la clairière.

Tu cries « la nature arrête le sort, 
Aucun homme ne devient bon ou grand, 
Sauf si sa nature le rend fort » : 
Vouloir, c’est tout ce que Dieu attend ;
Élan, force, portée, Dieu les accorde ; 
Mais bien ou mal, choisir doit l’homme !

Ou les hommes sont pantins au théâtre 
Agités à tous vents, ici, là, 
Sans force pour lutter, sans choix ; 
L’heure de l’Adversaire, peut-être pour ça,
Éprouver avec force des hommes l’âme : –
Pour le bien ou le mal, est ta voix ?

                                                 (Vol. I)

L’éducation est une vie.

Dieu nous a créés de sorte que chacun 
A plusieurs chances de naître de nouveau, 
Vie plus élevée que la précédente : 
Et s’il était une grande chance pour chaque âme
De la plus haute naissance qu’on puisse connaître ? 
Et s’il était pensée irrésistible, 
Qu’aucun ne pourrait ignorer une fois
Entrée dans notre étroit champ vision ; 
Une pensée pour sages et fous, vils et purs, 
Qui soudain, certainement, transforme un homme, 
Lui donne nouvelle naissance, dans un air pur 
Dans tous ses jours d’humiliation ! C’est là 
Un levier, le monde élevé bien plus haut ! 
Pour faire de cette pauvre Terre épuisée 
Un lieu où les anges peuvent aller et venir, 
Un paradis de Dieu !

                          (Vol. I)

Vient ensuite, dans l’ordre, la devise des enfants.

Je suis. 

     Dans le royaume sont les enfants ;
     Vous pouvez le lire dans leurs yeux ;
     Toute la liberté du Royaume
     Demeure dans leur insouciante humeur.

     Que font-ils pour prendre le Royaume ?
     Inachevée, la seule chose –
     Christ, le Roi souffrant, en eux, –
     N’envahissent en rien son trône :

     Les fronts des enfants, sans signe
     Qu’ils remplissent d’eux-mêmes leurs pensées ; 
     Dans leur cœur, aucun effort
     Pour qu’honneur leur soit donné.

     Ainsi le Roi trouve une entrée ;
     Il entre et sort librement ;
     Répand la joie de Sa présence ;
     Victorieux pour les enfants !

                                             (Vol. IV).

Je peux.

Le Seigneur vit les hommes simples, les Septante
À qui il avait parlé de choses puissantes ; 
Et, levant les yeux, s’empressa de louer 
Le Père juste, que l’ignorant a jugé

Digne de connaître ; le cœur simple et sincère, 
Le petit enfant qui comprend peu de choses 
Mais qui apporte vision sagace et claire, –
À toute personne telle que ceux-ci le Père cause.

Le Seigneur, discernant, éleva un coeur 
Reconnaissant, que Dieu ait la volonté
De révéler mystères où il n’y a art 
Qui obscurcisse la pensée par l’habileté.

Toujours ainsi, qui veut connaître la pensée du Seigneur 
Qu’Il la révèle doit attendre avec d’un enfant le cœur. 

                                             (Vol. VI.)

Je devrais.

          A chaque homme je dis, –
Une tâche t’est confiée, nul autre peut accomplir ;
Une tâche, non pas d’un travail de tes mains,
Mais d’une vraie pensée, avec ton esprit. 

                                            (Vol. V).

Je ferai.

Travaillant l’œuvre, voulant la volonté,
Toi Maître des mystères ! C’est par Ta force
Que nous pouvons, Seigneur, par cœur intégrer
Ces leçons que Tu nous enseignes, nonobstant

Toute cette lourde tâche qui T’incombe 
D’alléger de Ta glorieuse contenance
Jusqu’à ce que volonté morte de nous tombe, 
Que nous nous réveillions, hommes sortis de transe.

Quel est donc le secret d’une juste volonté ? 
Garder l’œil en bon état, penser à Toi –
Jusqu’à c’ que, nos coeurs allégés, Christ voient 
Gonflent à la mesure de Son Humilité ! –

Alors Ta doctrine nous connaîtrons en toute vérité,
Quand de marcher dans Tes voies sera notre volonté. 

                                                 (Vol. V

Nous n’avons pas la place pour des citations plus longues, mais la source du principe qui apporte une telle joie dans chaque salle de classe de la P.N.E.U., L’éducation est la science des relations, se trouve dans le Vol. V, p. 120, et IV, p. 84.

Pour ce qui est de la méthode de la P.N.E.U., dont l’une des caractéristiques principales est l’utilisation de la narration, nous trouvons notre autorité dans le Vol. I., pp. 61 et 62 ; pp. 84 et 85 ; p. 808. L’erreur qui consiste à expliquer toutes les difficultés est également exposée dans le volume III, p. 47 et p. 85.

Les élèves de Scale How considèrent cette œuvre comme leur trésor particulier, car toute la pensée qu’elle contient leur a d’abord été donnée pendant l’heure précieuse du dimanche après-midi lorsqu’elles se réunissaient autour de Miss Mason pour l’écouter parler. Ceux qui connaissent Scale How imaginent facilement le salon rempli d’étudiantes écoutant avidement cette femme merveilleuse qui, depuis son canapé, avec sa voix douce, son sourire tranquille et ses yeux aimants capables de lire chaque visage, semblait avoir le mot dont chacun avait besoin, même si cela n’était pas toujours très agréable, car beaucoup d’entre nous qui arrivaient en se sentant un peu comme des saints repartaient en se sentant pécheurs, tant elle nous avait mis à nu. Mais pas des pécheurs désespérés, car la clé de tout son enseignement était la disponibilité permanente de l’amour et du pardon divins.

Que le firmament est vaste ! Nous levons les yeux 
Et cherchons une ligne qui partage les cieux ; 
Étoiles sur étoiles nous déconcertent ; devinant 
Des milliers de sphères dans ce dédale éclatant !

Nous, désireux de suivre les lueurs infinies 
De la perfection divine, sommes étourdis ;
Regarder au-delà de ce que notre œil peut voir
Nos efforts concentrés tourbillonnent par tant de gloire,

Jusqu’au vertige ! Quel apaisement que la douceur 
De cette grande étoile qui domine le ciel ! 
Planète à trois lunes, brillante, diffusant sa clarté
Le pardon divin glorifie notre obscurité…
Pour les âmes rétives, négligées, abreuvées de fiel
Pour ceux qui savaient, aimaient, mais laissèrent le meilleur !

E. A. PARISH

LE TRAVAIL DE LA JOURNÉE.

“Une grâce douce et envoûtante
Un regard plein de sincérité
L’expression toujours réconfortante
L’Évangile se lit sur ses traits.”

Un esprit a-t-il déjà été considéré comme un ami par autant de personnes d’âges si différents ? Les nombreuses lettres qui nous sont parvenues depuis le 16 janvier témoignent toutes d’un sentiment de perte personnelle. Les lettres de ses « Enfants », comme Miss Mason les appelait toujours, arrivèrent les premières, grâce à l’heureuse idée de Miss Parish de leur envoyer un avis de décès avant qu’un communiqué de presse ne soit diffusé. Puis vinrent les lettres d’amis, de parents reconnaissants, de directeurs d’écoles, primaires et secondaires, exprimant, pour la plupart d’entre elles, un curieux sentiment de proximité avec l’esprit bien-aimé « disparu ». Une lettre provenant d’une école primaire demande des détails plus personnels, et ces quelques lignes sont donc écrites pour ceux qui n’ont jamais rencontré Miss Mason autrement que spirituellement.

Jusqu’à la fin du dernier trimestre, Miss Mason continua sa vie au Collège comme d’habitude. Elle assurait son cours du dimanche, était présente aux leçons de critique le jeudi matin et aux soirées « Scale How Tuesday ». Lors de la visite de l’inspecteur en octobre, elle descendit à 9h30 chaque jour pendant trois jours et passa la journée avec l’inspecteur. Elle était présente à la fête d’adieu des élèves et à la dernière conférence des Seniors en décembre puis elle partit en voiture comme d’habitude le 16 décembre. Même le 11 janvier, elle écouta et choisit deux articles proposés pour la Parents’ Review et le 12, elle écouta les lettres les plus importantes et approuva, ou non, les réponses suggérées. Elle n’évoqua jamais les pénibles journées et les nuits de douleur ; elle continua à apprécier la lecture à haute voix jusqu’à la fin, puis elle « s’endormit ».

Malgré une santé fragile et de nombreuses souffrances pendant trente années, Miss Mason mena la vie d’une femme pleinement occupée. Une semaine seulement avant son décès, elle déclara : « Il est si difficile de se mettre à la place d’un invalide ». Elle ne s’est jamais considérée comme une invalide et a planifié sa vie et son travail sans penser à aucun autre handicap personnel que celui de l’inactivité physique. Ses journées s’écoulaient avec une régularité d’emploi, une plénitude de joie de vivre et de travailler qui ne laissait aucune place aux pensées personnelles, aucun regret de ne pouvoir exercer l’hospitalité à laquelle elle aspirait ou de rencontrer les nombreux amis et connaissances qui n’auraient été que trop heureux de venir la voir. Elle avait le génie de l’hospitalité et de la conversation, et pendant les vacances d’été, lorsqu’elle était moins occupée, elle rencontrait souvent des hommes et des femmes d’affaires distingués et la conversation était brillante. Mais l’effort physique de la conversation lui coûtait toujours beaucoup et elle dût souvent refuser la venue d’un visiteur distingué de peur que l’effort ne la rende inapte au travail qui ne cessait de la solliciter.

Chaque jour apportait son lot de travail : obligations éditoriales, intendance, questions diverses liées au Collège, travail constant pour la Parents’ Union School, et ce n’est que par la plus grande régularité des heures de travail et des moments de loisir que le travail pouvait se poursuivre.

Mais comment aider quelqu’un à comprendre la façon dont Miss Mason répondait aux demandes qui lui étaient faites ! Les détails peuvent sembler si minimes. Le résultat est si important.

Les vers en tête de ce papier donnent une idée de l’attitude de notre chef bien-aimée à tout moment, et en particulier lorsque le travail de la journée commençait. Elle pouvait avoir passé une nuit d’insomnie ou de douleurs mais, après sa routine matinale, une lueur apparaissait sur son visage, une lueur qui s’accrut avec les années, qui nous faisait nous arrêter, avec révérence, une lueur que seuls les Évangiles peuvent apporter. Le travail de la journée commençait par le courrier à 9h30. Chaque lettre, chaque carte qui arrivait était examinée, les réponses discutées, parfois une lettre dictée, bien que ces dernières années Miss Mason écrivit beaucoup de lettres elle-même. Les lettres étaient très variées, une mère demandant de l’aide pour un enfant difficile, un étudiant demandant des conseils, un autre changeant de poste, un père adressant ses remerciements pour les succès de son fils à l’école, « entièrement dus à sa préparation à la P.U.S. », une carte demandant une considération spéciale concernant la date d’envoi de papiers, des lettres demandant des conseils sur une école de la part de parents revenant de Chine ou de Madagascar, par exemple, avec des enfants qui avaient jusqu’alors travaillé à la P.U.S. Ces demandes et bien d’autres étaient traitées, toujours en partant du principe qu’un enfant, ou un adulte, est une personne.

Les lettres demandaient parfois réflexion et Miss Mason disait : « Je vous donnerai la réponse demain » ; et le lendemain la réponse était prête sans qu’il soit nécessaire de lui faire un rappel, la lettre recevait une réponse détaillée, sans qu’il soit nécessaire de relire ses pages. Elle disait constamment : « Souvenez-vous toujours que les personnes comptent plus que les choses. Ne dites rien qui puisse laisser une blessure. »

Les lettres terminées, la gouvernante venait parfois pour une brève conversation sur les détails du ménage, les comptes, quelques réparations, une nouvelle femme de ménage, les repas des élèves. Puis venait le travail de la matinée. Si nous étions la première semaine du mois, nous examinions la Parents’ Review, les articles soumis, lus et acceptés ou non, les articles à écrire – nombreux – que nous nous demandions comment obtenir. « Nous voulons un article sur ce sujet ? A qui demandera-t-on de le faire ? ». Miss Mason traitait chaque document comme son auteur, avec un respect sans bornes. Elle ne modifiait ni ne réarrangeait, car elle avait trop de respect pour l’auteur. Elle refusait souvent un article qui nécessitait des omissions à cause de certains des enseignements qu’il contenait, de peur de gâcher la création de l’auteur, un produit vivant de son esprit. Deux ou trois matinées pouvaient être consacrées à la critique d’ouvrages. Elle dictait les critiques sans interruption à un dactylographe, après avoir lu les livres pendant ses heures de loisir. Les articles de conférence étaient toujours dictés de la même manière et envoyés à l’imprimeur avec à peine une correction. A onze heures, les mauvais jours, elle était parfois trop fatiguée pour continuer : « Donnez-moi ‘Punch’« 1, disait-elle, si c’était mercredi, ou « un Trollope »2, « et revenez dans vingt minutes », et elle pouvait reprendre, reposée et revigorée, au bout de ce laps de temps.

Le travail sur environ une quinzaine de jours était consacré aux copies d’examen écrites par les enfants. Elle les examinait avant de signer le bulletin, parfois en le modifiant ou en ajoutant quelques mots elle-même. Comme elle aimait lire les copies des élèves ! “Je suis toujours heureuse quand je les lis”, disait-elle, “voyez comme ces enfants prennent plaisir à travailler !”. La préparation des nouveaux programmes et des questions d’examen se faisait le matin pendant plusieurs semaines. Le choix des nouveaux livres prenait beaucoup de temps. Miss Mason les testait elle-même pour la narration, les examinait, les rejetait, en commandait d’autres – car elle consultait toutes les listes de nouveaux livres – et se renseignait sur tous les livres qu’elle pensait susceptibles de répondre à ses attentes. À 12h15, elle s’arrêtait de travailler. Suivaient dix minutes de lecture de l’un de ses auteurs classiques préférés, et à 13 heures elle était prête pour le déjeuner avec les étudiantes. Après le déjeuner, il y avait des entretiens occasionnels et la lecture à haute voix d’un livre de voyage ou d’une biographie. A 14h15, quel que soit le temps (à moins qu’il ne pleuve abondamment ou qu’il y ait un vent violent), Miss Mason sortait dans sa petite victoria jusqu’à 16h. Sa vie était une preuve constante de la joie de la « science des relations », de ses relations avec la terre, avec les hommes, avec les oiseaux, avec les bêtes et les fleurs, et avec Dieu. Elle ne revenait jamais sans une « trouvaille », une fleur fraîchement éclose, un nouveau son entendu, un nouvel aspect de la beauté dans le ciel ou sur la colline. Et elle était impatiente d’entendre ce que les autres avaient à raconter. Après le thé, à 16 heures, elle passait une heure avec la directrice adjointe à examiner les offres de postes, les lettres des dames qui cherchaient des élèves gouvernantes, les lettres des élèves qui cherchaient des postes de gouvernante, tout cela étudié du point de vue de chaque partie, elles passaient en revue les besoins de la dame et ceux de l’élève afin d’y répondre au mieux et de mener chaque personne là où Dieu voulait qu’elle s’accomplisse. Venait ensuite la lecture, ou la correction de papiers, jusqu’à 18 heures, puis un de ses romans préférés de longue date, Charlotte Brontë, George Eliot, Thackeray, Meredith, Jane Austen, jusqu’au dîner à 19 heures. Après le dîner, le « Times », des récits de voyage, des essais littéraires, des mémoires étaient lus à haute voix. À 20h45, Miss Mason s’installait dans son fauteuil roulant et prenait, pour finir, sa lecture du soir et un roman de Scott. Elle lisait toujours « un peu de Scott » en dernier, et lorsqu’un roman était terminé, un autre prenait sa place, et ce depuis 30 ans. 

Miss Mason appréciait tout trait d’humour ou toute bonne histoire qui lui parvenait, elle aimait entendre parler de la joie des enfants dans leur travail, elle était toujours touchée aux larmes quand quelqu’un manifestait une compréhension réelle des principes qu’elle s’efforçait de faire connaître, ou par toute preuve de cette merveilleuse perspicacité dont un enfant fait preuve lorsque son esprit a reçu ce dont il a besoin pour se nourrir – ces choses-là prendraient des pages à raconter. Miss Mason n’avait pas de « sentiments » personnels, elle ne pouvait pas être « blessée » par un manque de compréhension ; mais, oh, comme elle se sentait encouragée et aidée quand on reconnaissait ce qu’elle essayait de faire en dépit de tant d’intérêts personnels ! Elle ne s’intéressait pas aux biens matériels, elle acceptait rarement les cadeaux, mais tout hommage de compréhension, toute reconnaissance de la philosophie qui lui était si chère était un cadeau à chérir. Elle n’a jamais hésité sur la valeur de cette philosophie. Elle en avait acquis une grande partie à 25 ans, ou même plus tôt, et elle disait souvent combien il était étrange qu’elle ne puisse que répéter ce qu’elle avait dit si souvent. Ses réponses dictées aux lettres étaient les mêmes que les pages de « Home Education ». Elle répondait aux lettres ennuyeuses avec une douce gracieuseté et disait : « Souvenez-vous que personne n’est fait d’un seul défaut, chacun est beaucoup plus grand que tous ses défauts » ; puis elle ajoutait en souriant : « Je trouve qu’il est beaucoup plus facile de supporter les défauts des gens que leurs vertus. » 

Miss Mason abordait rarement des sujets controversés, elle lisait très peu sur des sujets à controverse, elle refusait catégoriquement d’entrer dans l’arène pour condamner des théories avec lesquelles elle n’avait aucune sympathie. Elle priait « Ne nous soumets pas à la tentation », en pensée comme dans d’autres domaines, et elle ne laissait pas ses pensées s’égarer sur les nombreux chemins de traverse de la pensée moderne, alors qu’il y avait tant à faire sur les routes principales. 

Miss Mason détestait toute forme de bureaucratie ou de dispositif, et elle redoutait l’organisation. « Dans la mesure où un travail a besoin d’organisation, il manque de vie », disait-elle souvent. « Ne faites pas de plans pour organiser le travail scolaire à l’avance. Il doit être renouvelé chaque trimestre, sinon il deviendra sec. » “Les choses doivent être jugées par rapport à leur propre mérite, pas selon des règles préétablies.” « Ne perdez pas de temps à copier. » Miss Mason retirait un livre de l’école s’il ne permettait pas aux enfants de faire du bon travail. 

Elle ne comptait jamais les heures de travail et ne se permettait pas de penser aux problèmes le soir. Elle ne prenait jamais de décisions hâtives, même lorsqu’elle était pressée de le faire. Elle prenait le temps d’examiner les nombreux problèmes qui se rattachaient inévitablement au vaste travail dont elle était la seule responsable. Elle avait un pouvoir merveilleux pour estimer la valeur de toute chose, qu’il s’agisse d’un problème psychologique dans un livre, d’une découverte scientifique, du caractère d’une personne, d’un devis de constructeur ou d’un travail d’enfant, sur papier ou en travaux manuels. Elle voyait toujours les détails essentiels, la tendance d’une ligne de pensée, l’erreur de raisonnement dans un argument, le point faible d’une hypothèse, la faiblesse d’un caractère. Elle n’en parlait pas, mais l’on devinait sa connaissance de ces choses lorsque c’était nécessaire. Elle ne parlait jamais des étudiantes ou d’un enseignant avec l’équipe enseignante, ni du travail d’une personne avec une autre ; elle assumait jusqu’au bout ses propres responsabilités et protégeait tendrement ceux qui travaillaient pour elle de toute inquiétude quant aux moyens à mettre en œuvre ; et les moments difficiles n’étaient pas rares, car elle assumait seule la responsabilité financière et continuait avec foi et courage, alors que beaucoup d’âmes moins fortes, à la vie si fragile, auraient vacillé. Elle ne se laissait jamais aller à l’anxiété. Elle évitait d’exprimer ses opinions personnelles de peur qu’elles n’agissent comme des « suggestions » sur ceux qui l’aimaient. Elle se méfiait de l’influence personnelle, qui limitait et rabaissait la personne influencée, et elle s’opposait fermement à toute forme d’influence personnelle sur les personnes avec lesquelles elle entrait en contact. Elle posait des principes et attendait que les autres réfléchissent dans le même sens qu’elle et trouvent la bonne solution. Elle ne voulait pas délivrer ceux qu’elle aimait de la douleur de penser par eux-mêmes, et parfois ceux qui ne comprenaient pas prenaient son silence pour un consentement lorsqu’ils suggéraient des choses qu’elle ne souhaitait pas. Ils ne savaient pas qu’elle attendait seulement qu’ils pensent clairement par eux-mêmes. La vie était trop remplie, elle était trop fragile, il est vrai, pour parler beaucoup et elle ne pensait pas non plus qu’il était sage de le faire. Elle réfléchissait et agissait et elle souhaitait que les autres réfléchissent aussi. Son « inactivité magistrale » avait de quoi étonner, alors qu’elle aurait pu facilement faire avancer les choses, ou la pensée, dans le sens qu’elle jugeait bon. Un mot de sa part, aussi aimée soit-elle, aurait suffi ; mais non, son travail devait être accompli avec l’esprit et le cœur d’une personne non affaiblie par l’influence personnelle, si l’on voulait que le travail soit accompli par un ressort et non par un levier.

Son pouvoir d’attention était égal à celui qu’elle revendiquait chez les enfants. Elle accordait toute son attention à ce qui l’exigeait : un livre, une conversation, l’intendance. Sa perception de « la voie de la volonté » et de « la voie de la raison » la rendait attentive à ce que l’élève ou l’enfant responsable ne s’égare pas dans l’entêtement ou dans une réflexion tortueuse. Il est certainement rare qu’un philosophe applique sa propre philosophie à sa vie quotidienne comme le faisait Miss Mason. Beaucoup de philosophes se contentent de la joie suprême de l’effort intellectuel, d’autres se contentent de faire des expériences, mais Miss Mason mettait chaque dicton de sa philosophie au service de la vie quotidienne et de ses besoins. Sa philosophie sous-tendait toutes ses actions, car elle disait toujours que la pensée juste était l’acte le plus important dans la vie d’un homme. S’il pensait correctement, il agissait correctement. Elle protégeait la philosophie qui était sa responsabilité avec un soin jaloux qui poussait parfois les gens à s’étonner, voire à critiquer, mais c’était une responsabilité si entièrement indépendante d’elle-même et de toute considération personnelle qu’elle pouvait en parler, l’examiner, la soutenir, l’entretenir. C’est aussi ce qui permet aux disciples de sentir qu’il s’agit d’une responsabilité sacrée qu’ils doivent eux aussi protéger pour le bien du monde.

E. K. [Elsie Kitching]

MISS MASON DE LA HOUSE OF EDUCATION.

Alors qu’il a plu à Dieu de nous enlever notre honorable chef, à un âge si avancé, il est étonnant de penser que lorsque je suis arrivée à la House of Education et que je suis passée sous son influence, elle n’avait pas plus de cinq ans de plus que moi aujourd’hui. Elle nous semblait alors sans âge et immortelle, un être accompli, parce qu’elle possédait la maîtrise de soi et le pouvoir de s’effacer et de laisser les jeunes être jeunes, ce qui est le plus rare de tous les dons à tout âge.

Bien sûr, nous, les étudiantes, ne nous en rendions pas compte à l’époque, la formation des enseignantes pour les écoles à la maison était encore quelque chose de nouveau et d’expérimental. Nous participions inconsciemment à un grand mouvement qui allait valoriser le statut de l’enseignante, car nous étions soutenues par une autorité et un pouvoir central qui pouvait défendre nos intérêts d’une part, et donner de sages conseils d’autre part, à l’imprudente jeunesse qui ne maîtrisait pas encore « l’art de vivre dans la maison d’autrui ».

J’arrivais à Ambleside après avoir vécu diverses expériences dans des mondes très différents. Je fus élevée à la maison par les pires gouvernantes, je passai quelques années dans ce qui était alors considéré comme un excellent lycée, et une année dans un pensionnat typique de la vieille école où l’anglais n’avait pas d’importance mais où le français et la musique en avaient. J’avais entrevu le monde des gens importants qui avaient tous les avantages terrestres pouvant mener à la culture et à la connaissance du monde, et pendant toute mon enfance, j’eus la compagnie constante d’un vieux parrain qui connaissait tous les édifices importants et toutes les personnes distinguées ; j’eus des aperçus de la vie étroite et frivole d’une ville résidentielle de la société, et de la pauvreté, des restrictions et de la vacuité pure et simple d’une petite ville commerçante de campagne. J’explique tout cela non pas d’un point de vue biographique, mais pour montrer quelle étudiante j’étais, quelles normes de jugement et de vie faisant partie de moi allaient être révolutionnées par cette grande influence. La première chose qui me frappa fut la merveilleuse courtoisie de Miss Mason – elle ne connaissait que les grandes lignes de nos vies, mais elle s’adressait à nous toutes comme à des « personnes » et nous aidait à être dignes en nous traitant avec dignité. Ces diverses expériences m’avaient donné le détestable cynisme d’une jeunesse observatrice, et pourtant, lorsqu’on nous demandait d’exprimer librement nos opinions pendant les cours de psychologie et que je proférais sèchement quelque amère demi-vérité, Miss Mason, loin de repousser ma vision déformée, élargissait toujours nos perspectives par quelque parole de sagesse ou de bienveillance, sans pour autant nier les seules demi-vérités que nous pouvions voir. Une fois, et une fois seulement pendant mes études, elle fut confrontée à l’un de ces exemples de rébellion insensée de la jeunesse qui étaient courants dans la vie scolaire à cette époque. Sa méthode pour faire face à la situation me donna un aperçu merveilleux de ce qu’elle entendait par discipline : rien n’était « fait » aux coupables, nous étions simplement laissées pour discuter de la situation et trouver une solution ; les coupables ayant eu le temps de « réaliser » se repentirent amèrement et découvrirent, à leur grande surprise je pense, que l’opinion publique avait été entièrement contre elles. 

L’atmosphère générale de la maison était extraordinairement saine – l’ignominie n’avait pas sa place entre ses murs. L’environnement lui-même, les livres, les tableaux (des reproductions d’anciens maîtres), les meubles simples et les fleurs sauvages en guise de décoration étaient une révélation en soi à cette époque où le monde vivait soit entouré d’une foule de trésors ancestraux, soit dans l’indicible laideur de l’ère victorienne qui voulait que la prospérité soit apparente. 

Personne, je le crains, ne consignera jamais les « Propos de table » de Miss Mason dans un livre, mais c’était une merveilleuse formation pour les jeunes esprits. Son intelligence était si vive et son cerveau si bien exercé et ordonné que les nôtres devaient faire des bonds de kangourou pour la suivre. Elle maîtrisait aussi l’art difficile de manger et de parler – à cette époque où les dîners copieux étaient encore fréquents, la plupart des gens mangeaient ou parlaient, et ni l’un ni l’autre ne permettait d’apprécier véritablement un repas. Souvent, pendant les repas, elle récitait une seule fois le passage d’un grand poème et nous demandait de le lui répéter le lendemain au déjeuner, et c’est ainsi que nous avons appris plus d’un trésor, comme le Sonnet sur la Prière de Trench3. À cette époque également, nous, les étudiantes, recevions le dimanche après-midi, ses réflexions sur les Évangiles qui prirent ensuite une forme permanente en vers dans The Saviour of the World. Ces réflexions étaient aussi une révélation de la dimension mentale de notre foi – les jeunes peuvent se montrer dogmatiques, souvent pieux de façons simple et étroite, et le plus souvent ils paraissent conventionnels et indifférents, mais cette heure dans le salon bondé était une heure de réflexion au cours de laquelle nous étions soudainement amenées à nous demander : « Qu’est-ce que j’en pense ? Comment puis-je comprendre ? ». Et les suggestions qui nous étaient faites étaient très sages et utiles. 

La vie au collège avec ses nombreuses occupations, auxquelles Miss Mason prenait part de façon si merveilleuse, incluait à cette époque, lorsque l’ombre de la maladie ne pesait pas si lourdement sur elle, les perpétuelles réjouissances et stimulations liées à l’accueil d’invités. Nous assistions alors à ce que signifiait vraiment le jeu de l’esprit sur l’esprit, nous nous rendions compte qu’aussi distingués et intelligents que soient ces personnages, ils étaient nos invités aussi bien que les siens, et nous devions leur concocter des divertissements au pied levé !

C’était cette formation à la réactivité et au courage dont nous ne saurions jamais être assez reconnaissantes par la suite – encore et encore, on nous demandait de faire quelque chose que nous n’avions même pas espéré faire en rêve et on nous disait de répondre « Oh, quelle plaisanterie » et de le faire ! C’est ainsi que nous avons appris à être suffisamment humbles pour ne jamais penser à nous-même et à ne pas craindre le ridicule lorsque le devoir l’exige. 

Mais bien que l’on attendait beaucoup de nous, c’était les petites touches humaines dans la compréhension de nos faiblesses qui gagnaient nos cœurs – aucune réprimande quand il y avait un excès de bruit et d’enthousiasme lors de nos festivités, elle disait seulement le lendemain matin : « Mes chères, n’avez-vous pas été un peu turbulentes la nuit dernière ?”. Elle n’ignorait pas notre amour naturel pour les beaux vêtements (pour lesquels elle nous a toujours donné un délicieux exemple), mais elle disait : « N’essayez pas de garder le chapeau à l’église, mes chères, souvenez-vous de la propreté et du soin de Celui qui a laissé “le linge qui avait été sur sa tête, plié dans un lieu à part” le matin de Pâques. » [Jean 20:7] Et je me souviens que l’une de ses anecdotes très personnelles était une petite histoire poignante sur ce qu’elle avait ressenti lorsque l’un des jupons blancs du trousseau de sa mère avait été transformé en une robe pour elle dans son enfance et qu’elle avait eu l’impression que ce n’était pas « neuf » et pas « correct ». Mais c’est la vision de notre vie future qu’elle nous a donnée, à la fois par le précepte et par son exemple si merveilleux – beaucoup d’entre nous sont venues se former par nécessité professionnelle, désireuses d’enseigner, d’utiliser leur propre cerveau et une bonne éducation, et d’apprendre parce qu’il le fallait, et parce qu’à l’époque les professions n’étaient pas ouvertes aux femmes, mais je pense qu’aucune d’entre nous n’a quitté le collège sans la vocation “d’une vie à donner ». L’enseignement devait être une mission apportant le souffle de vie aux enfants de Dieu, les menant « main dans la main » avec les mères de nos enfants pour travailler dans la vigne de Dieu – sans chercher les résultats ou les récompenses ou les louanges des hommes, mais en priant pour nos enfants afin qu’ils « croissent » même si nous, nous « diminuons ». De nombreuses fois depuis ces années si lointaines maintenant, je suis retournée sur les lieux, et j’ai toujours retrouvé le même accueil chaleureux, les mêmes impressions, les mêmes visages qui montraient à quel point elle était réelle et vivante. Elle regardait toujours vers l’avenir et ne s’est donc jamais figée dans le présent ; seules les personnes dont les opinions sont démodées vieillissent vraiment. Nous nous réjouirons plus tard de penser qu’elle a vécu jusqu’au bout la vie ordonnée et les bonnes habitudes dont nous aimions tant nous remémorer et qu’elle appliquait toujours, travaillant continuellement, mais possédant la maîtrise nécessaire pour savoir se reposer à des heures régulières (ce que peu d’ardents travailleurs font), lisant énormément avec un plaisir et un éclectisme extraordinaires, appréciant la merveilleuse campagne qui l’entourait et aimant son cheval et son chien et les sorties quotidiennes avec eux qui lui permettaient de voir le héron dans son étang ou le trolle4 sur les berges. Seuls ses « enfants », comme elle appelait ses élèves, peuvent reconstituer sa vie comme une précieuse mosaïque faite de petites gentillesses personnelles, de sages conseils ou remontrances, de charité et de clarté de jugement – certaines vies se lisent mieux dans la vie de ceux qui leur succèdent que dans les pages d’une biographie – faisons en sorte qu’il en soit de même pour la sienne. 

“Louons donc ces fameux hommes, 
Hommes d’un aspect modeste !
Gloire à l’œuvre qui persiste,
Large et profonde persiste,
Par-delà leur ambition !”

« Let us now praise famous men »-
     Men of little showing– 
For their work continueth,  
Broad and deep continueth,
    Greater then their knowing!

R.A.P.

HOMMAGE D’UNE ANCIENNE ÉTUDIANTE

Il m’a toujours semblé que les deux années passées en tant qu’étudiante dans ce bel endroit parmi les montagnes du Westmoreland, sous l’influence de cette merveilleuse personnalité, dont la disparition nous a tous laissés dans le deuil, ont été dans ma vie, comme dans celle d’un si grand nombre d’étudiantes, semblable à une transfiguration5, conférant à notre vie quotidienne une plénitude de sens et de beauté inconnue jusqu’alors. Le secret de la grande influence de Miss Mason – outre l’attrait intellectuel de son génie – sur celles qui, parce qu’elles étaient étudiantes, la voyaient chaque jour, provient peut-être de son extraordinaire capacité à voir et à faire appel à ce qu’il y a de meilleur en chaque personne. D’une certaine manière, en sa présence, la méchanceté et la mesquinerie disparaissaient ; nous croyions en elle et nous nous efforcions de donner le meilleur de nous-mêmes. Et ce n’est pas tout : nous apprenions à croire en la bonté et en la joie de vivre. Nous sentions qu’à l’arrière-plan de tout l’enseignement de Miss Mason, il y avait une philosophie de vie basée sur une conviction intense de la relation personnelle de chaque âme avec Dieu – une relation qui était la base de toute joie de vivre. Nous avions conscience du pouvoir et de la joie de la connaissance – la connaissance qui se trouve dans toute la grande littérature, l’art et la musique, la connaissance des créatures vivantes, de la beauté du ciel et de la mer, du vent et des nuages et de toute « herbe verte sur la terre ». La force de cette vision – de voir la beauté essentielle en chacun et en chaque chose – s’accompagnait d’une grandeur d’âme – un cœur prêt à embrasser et à tirer le meilleur parti de tout ce qui tombait sous son influence et son attention – un cœur comprenant si bien la nature humaine que, quelle que soit l’importance de l’impression produite par son génie, nous sentions qu’aucune phase de la vie humaine, aucune joie, aucune difficulté, aucune lassitude, aucune lutte, n’échappait à sa sympathie. Dans ce grand cœur, elle trouvait une place pour des centaines de ses étudiantes – ses « Enfants » comme elle nous appelait – et elle connaissait toutes leurs particularités, les soutenait quand elles descendaient de la montagne « dans les troubles et les cris ». Pendant toutes ces années, elle fut toujours disposée à donner des conseils et offrir sa sympathie dans les moments difficiles ou lorsque nous en avions besoin. 

Mais ce n’est peut-être que lorsqu’on devient « une mère comblée par ses enfants » qu’il est possible de réaliser pleinement ce que le travail de toute une vie de Miss Mason fit pour la vie de milliers d’enfants, non seulement dans ce pays, mais dans le monde entier. Après avoir assisté à ce rassemblement, il serait impossible d’oublier la Conférence des enfants à Whitby en mai 1920, et l’extraordinaire force inspiratrice qui s’en est dégagée. 

Voir ces enfants enthousiastes, venant de tous les recoins du pays, qui, jusqu’alors, ne se connaissaient pas, liés par la joie d’intérêts communs et l’enthousiasme d’une connaissance commune, c’était se rendre compte du pouvoir extraordinaire de ces principes éducatifs auxquels Miss Mason consacra toute sa vie et ses brillantes facultés d’esprit, et c’était désirer ardemment les voir se répandre parmi ceux qui, bien que moins favorisés jusqu’à présent que nos propres enfants, ont la même soif de connaissance – cet héritage commun de notre nature humaine et de notre nature divine. 

Dans les écoles primaires où les principes et les méthodes pédagogiques de Miss Mason furent adoptés, la réaction des enfants fut remarquable. Il semble que cette voie pourrait apporter une solution à bon nombre de difficultés et de troubles qui assaillent le corps politique et provoquent de si malheureuses divisions entre nous. 

Dans la philosophie de Miss Mason, chaque enfant est une personnalité dotée de possibilités infinies, et sa vision – la vraie vision du prophète – perçoit les traînées des « nuages de gloire », même lorsque les ombres de la prison semblent plus noires.

Le pouvoir de la connaissance a été reconnu à travers les siècles, mais c’est à elle qu’il fut donné de parler de sa joie et de son pouvoir unificateur. Pour sa vie et son travail parmi nous, chantons un joyeux Te Deum et prions pour la sagesse et la patience dans la poursuite de ce travail pour la bénédiction des générations futures. 

E. HUGHES-JONES

L’AMOUR DE MISS MASON POUR LES ROUTES DE CAMPAGNE.

Ayant servi ma chère et regrettée maîtresse pendant 24 ans, je voudrais faire connaître son amour et son intérêt pour tout ce qui remue ou pousse le long des chemins et des landes, car c’était un plaisir de Miss Mason de rechercher les chemins et les landes tranquilles, loin des moteurs bruyants, et ce n’est que très récemment, selon ses propres termes, qu’ils ont commencé à « braconner sur nos chemins privés ». 

Depuis 1898 et pendant de nombreuses années, Miss Mason emportait le panier à thé pour sa promenade, lorsqu’elle partait avec la regrettée Miss Armitt, l’Honorable Mrs Franklin ou d’autres personnes. S’il faisait chaud, elle allait dans les bois près du lac, en direction du ferry ; s’il faisait frais, Miss Mason appréciait la colline entre Chapel Stile et High Close, d’où l’on avait une vue incomparable sur la rivière, le lac et les montagnes. 

Nous pouvions faire au moins vingt promenades différentes, parcourant très rarement la même route au retour, sauf en arrivant près de la maison. Chaque promenade avait son charme. En septembre, les teintes automnales étaient plus belles sur l’une d’entre elles. En octobre, une autre était plus colorée. En novembre, les fougères sur les montagnes prenaient la chaude couleur rousse qui faisait le bonheur de Miss Mason. En décembre, un coup de froid poussait les vanneaux huppés à s’abriter dans leurs lieux de prédilection, et nous savions alors qu’une tempête se préparait. En décembre, janvier et février, nous observions généralement les différentes espèces de canards sauvages sur Elterwater, Loughrigg Tarn ou Rydal Water. Fin février et début mars, les oies sauvages migraient vers leur lieu de reproduction sur la côte écossaise, Barngates étant leur route favorite. C’est au cours de cette promenade, en 1920, que Miss Mason aperçut un couple de jaseurs tout près d’elle et, à une autre occasion, trois sizerins. Vers la fin du mois de mars, nous surprenions le courlis cendré près de Barngates, venu chercher son aire de nidification. En avril, nous observions le rougequeue à front blanc et le traquet motteux. Bien qu’il s’agisse de petits oiseaux, l’œil averti de Miss Mason les manquait rarement, même en 1922.

Chaque promenade semblait apporter quelque chose de particulier. Un coin tranquille produisait des fleurs de noisetier, un autre des fleurs de tussilage ; certains chemins abondaient en églantines et en chèvrefeuilles ; un autre en trèfles d’eau et en myrtes des marais ; un autre en parnassies des marais ; et même le petit polygale n’échappait pas à l’œil vif de Miss Mason. 

Très souvent, nous suivions les voies de la nature pour échapper à la tempête. Parfois, alors que tout était calme à la House of Education (à l’abri des vents du nord et de l’est), en y revenant, nous faisions face à un vent violent et nous devions ruser comme le renard et longer le côté abrité de Loughrigg jusqu’à Skelwith Bridge, de là jusqu’à Barngates, et, dos au vent, nous pouvions faire notre petit tour sans inconvénient. 

Miss Mason aimait beaucoup son cheval, qui l’aidait souvent à s’approcher des oiseaux car ceux-ci ne craignent pas tant les animaux que les personnes. Et c’était toujours la première question qu’elle posait lorsqu’elle séjournait dans un hôtel pendant les vacances de Pâques, Est-ce que moi et sa petite jument préférée, Duchesse, avions été confortablement installés et bien nourris ? A ses amis qui lui demandaient pourquoi elle n’avait pas de moteur, elle répondait : « Je peux parler à un cheval, mais pas à un moteur. » Pour illustrer son propos, je me souviens très bien qu’une fois, par un jour d’orage, près des chutes de Shelwith, Miss Mason souhaitait rentrer, ne se sentant pas bien, et qu’elle m’avait donné l’ordre de faire demi-tour. A cause du tumulte de l’eau, je n’entendis pas les paroles de Miss Mason, contrairement à Duchesse, et lorsque je tentai de l’empêcher de faire demi-tour, Miss Mason me dit que c’était tout à fait normal, que Duchesse avait entendu et savait ce qu’il fallait faire. 

Le sang-froid de Miss Mason au cours de ces dernières années a été merveilleux, car nous avons rencontré toutes sortes d’automobilistes, certains imprudents, d’autres pas. Il nous est même arrivé d’avoir les pieds du cheval sur le capot d’un moteur. Elle est restée calme alors que beaucoup de personnes plus jeunes auraient été prises de panique et se seraient probablement blessées gravement en sautant. 

Miss Mason était toujours ponctuelle, ne faisait jamais attendre l’homme et le cheval et ne quittait jamais sa voiture sans dire gentiment, “Bonne fin de journée », « Merci, Barrow » et (si notre promenade avait été prolifique en oiseaux, etc.) « Nous avons fait le plein de rencontres splendides ». Je suis fier d’avoir eu l’honneur et le plaisir, car c’était un plaisir, de conduire une dame si aimable et si noble, que personne ne peut égaler. 

Et elle est partie en paix. 

T. H. BARROW (cocher)

UN HOMMAGE PERSONNEL. 

De la part d’un voisin de Rydal.

Avec la mort de Miss Charlotte Mason, Ambleside a perdu une personnalité importante mais discrète. Je ne parle pas de son travail qui, bien sûr, lui survivra, mais du caractère qui l’a produit. 

Lorsque j’ai eu le privilège de la rencontrer pour la première fois, il y a peut-être vingt-sept ans, j’ai été étonné, compte tenu de la position qu’elle occupait déjà, de la tranquillité de ses manières, de la gentillesse de ses propos, de l’absence de toute forme d’affirmation de soi. Elle avait plutôt l’air de quelqu’un qui cherche à apprendre que de quelqu’un qui est né pour instruire. Mais, au-delà de sa courtoisie et de sa gentillesse qui invitaient les autres à s’exprimer, chacun ressentait la force de sa personnalité, de son énergie, de sa connaissance, de sa détermination et surtout de sa patiente ténacité. Le chemin qu’elle voulait emprunter était tout tracé ; il n’était pas nécessaire de se hâter ou de lutter. 

Il me semble qu’elle s’est attardée (dans l’un de ses travaux) sur la théorie selon laquelle un enfant est une « personne », un individu doté d’une entité distincte, et non le simple membre d’une foule/d’un tout ; cette théorie imprégna toute sa vie et favorisa son succès. A ses yeux, personne n’était une partie d’un tout ; chaque être humain était une personne, nécessitant une compréhension distincte et invitant à un traitement individuel. « Grand ou petit”, semblait-elle dire, “vous et moi sommes chacun une personne à part entière. Traitons-nous les uns les autres comme tel. »

Naturellement, grâce à cette théorie et à cette méthode, elle devint experte dans l’art de comprendre les caractères, d’identifier d’un regard les capacités de ceux qui l’entouraient et de les affecter à la tâche la plus appropriée. Elle savait ce qu’elle pouvait attendre de chacun d’eux, créait des opportunités et récoltait les fruits de ses efforts. Elle choisissait ses amis de la même façon, son coup d’œil rapide et perspicace lui permettant de percevoir des qualités et des possibilités cachées à l’œil ordinaire. Ce pouvoir particulier lui a sans doute été d’une grande utilité dans la création de sa grande organisation. Il a également été utile à tous ceux qui travaillaient avec elle ou sous ses ordres. Elle attendait d’eux qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, et (pour autant que je sache) elle y arrivait. 

Percevoir le meilleur et être dans l’attente du meilleur n’était pas le moindre de ses dons. De nos jours, nous entendons beaucoup parler de suggestion. La suggestion silencieuse du bien qu’elle faisait constamment par sa propre vie et sa propre pensée a dû apporter des avantages incalculables à ceux qui travaillaient avec elle. Les tentatives du mal étaient ainsi désarmées chez ceux qui étaient affligés par des tempéraments difficiles, et la lumière de l’espoir et de la joie entrait dans de nombreux endroits sombres. 

Sa grande œuvre (y compris les livres qu’elle a écrits) était, bien sûr, directement éducative. Elle a introduit de nouveaux idéaux et de nouvelles méthodes d’enseignement, et ces méthodes et ces idéaux se sont largement répandus. Ils se sont profondément ancrés dans les fondations des institutions anglaises et ont traversé les océans pour s’enraciner dans d’autres pays. Les merveilleuses statistiques sont enregistrées autre part. 

Je voudrais ajouter un mot sur la générosité de ses actions, sa volonté de prendre la part la plus importante des transactions financières dans lesquelles elle était impliquée avec n’importe qui d’autre. Son amitié fidèle également, qui n’a pas permis que ses propres handicaps physiques ou les handicaps d’un ami dressent une barrière entre eux si des solutions existaient ; son ingéniosité à organiser des réunions, sa constante gentillesse à maintenir une correspondance privée en dépit des contraintes presque impossibles qui pesaient sur sa plume et son temps ; son sens de l’humour qui rendait les choses difficiles faciles et les choses sombres lumineuses. 

En effet, c’est une grande perte pour beaucoup de personnes dans le monde, mais surtout pour la Maison qu’elle a fondée et la communauté au sein de laquelle elle a habité. Elle vécut et travailla pleinement jusqu’à la fin d’une longue vie, et elle est partie heureuse. 

A. M. HARRIS

UNE IMPRESSION.

On m’a demandé d’essayer de me souvenir de Miss Mason et j’ai essayé une ou deux fois d’écrire quelque chose d’adéquat, mais j’ai échoué lamentablement. Le temps et les événements extérieurs semblent être passés si vite depuis mon premier jour de travail à la P.N.E.U.

Mais le souvenir d’un dimanche de l’Avent, bien qu’il remonte à une vingtaine d’années, me revient à l’esprit comme si c’était hier. C’était ma première visite à Ambleside en tant que secrétaire nommée6, ou provisoirement nommée, au bureau de Londres7. J’étais terriblement effrayée (je venais d’arriver la veille), les étudiantes en savaient tellement plus que moi, je n’avais aucune formation, rien d’autre que l’espoir que je pourrais peut-être être la bonne personne pour ce travail. On m’informa que Miss Mason réunissait ses élèves le dimanche après-midi. Nous nous sommes retrouvées dans le salon, qui paraissait si rustique à mes yeux londoniens, mais le tronc et les branches d’un cerisier derrière la fenêtre retinrent mon attention, ainsi que le portrait de Matthew Arnold sur le mur. Les arbres et Arnold m’aidèrent à contenir ma nervosité. Je me souviens de Miss Mason, de son doux sourire et de sa voix lorsqu’elle exposa la raison de ma présence aux autres personnes. J’ai oublié le contenu de son discours, mais j’espère ne pas en avoir oublié l’esprit. « Que les pensées de beaucoup de cœurs soient dévoilées » [Luc 2:35] fut la première pierre avec laquelle elle bâtit pour nous une « Maison d’éducation » cet après-midi-là – expliquant comment les pensées peuvent être traduites en actes lorsqu’elles se dévoilent, et comment les jeunes plantes portent leurs fruits en leur temps dans la vie des jeunes enfants qui poursuivent le travail. 

Depuis, j’ai consulté le texte sur lequel le petit sermon était construit et j’ai découvert que j’avais souligné les mots suivants : « Il y avait aussi une prophétesse, Anne » [Luc 2:36]. Il est certain que quelque chose m’a poussé à faire le lien entre les deux idées. Avais-je vaguement réalisé, lors de cette première rencontre, qu’une prophétesse parlait et que, lentement mais sûrement, ses prophéties s’accompliraient ? Qu’elle révélait alors à une petite poignée de disciples quelque chose de cette richesse de pensée qu’elle comptait sur nous pour traduire en action ? J’espérais sincèrement pouvoir apporter ma pierre à l’édifice.

Miss Mason était douée à bien des égards, mais je pense qu’elle l’était surtout par sa capacité à inspirer les autres avec des idées, et des idées fondamentalement si sensées que ceux qui y travaillaient sentaient qu’elles devaient avoir leur origine dans la vérité – les idées sont très souvent inspirantes mais, étant peu réalistes, ayant peu de rapport avec les faits, elles ne durent qu’un temps et ne vivent pas suffisamment longtemps pour porter des fruits. Nous pouvons tous dire du travail de Miss Mason en faveur des enfants et d’une véritable éducation, qu’il portait sur ces conceptions primaires de la valeur profonde de chaque âme humaine pour laquelle aucun don de Dieu, qu’il soit donné par Dieu lui-même ou par l’intermédiaire de ses créatures, n’est trop bon. J’ai eu l’impression que c’était la pensée de son cœur, ce dimanche-là, qu’elle nous dévoilait, et que, de notre côté, nous souhaitions ardemment que ce soit l’esprit dans lequel le travail pourrait être accompli et la seule façon dont il pourrait jamais l’être. Il devait en être ainsi, car je trouve noté à la même date : « De la bouche des tout-petits et des nourrissons » [Matthieu 21:16]. Que j’aie développé l’idée moi-même ou que Miss Mason l’ait fait pour moi, je suis incapable de le dire après toutes ces années. La pensée a suivi son chemin d’une manière ou d’une autre jusqu’à sa conclusion. Si nous pouvions révéler aux enfants les pensées qui sont dans nos cœurs, elles s’exprimeraient de telle manière qu’il nous serait impossible de ne pas reconnaître la source de toute inspiration et de toute bonne pensée, qui n’est vraiment dévoilée que dans “cette louange” qui est le don héréditaire des enfants de Dieu.

Ce petit sermon, si je puis l’appeler ainsi, m’est revenu sans cesse à l’esprit et je l’ai écrit de mon mieux, comme un tout petit hommage à la mémoire de quelqu’un pour qui j’avais et pour qui j’ai toujours une profonde admiration.

Top Meadow8,
          Beaconsfield.

FRANCES CHESTERTON

« POUR LE BIEN DES ENFANTS ».

In Memoriam.

Ses fils se lèvent, ils la proclament bienheureuse.
Oh, épitaphe glorieuse, qui convient à une telle âme. 
Ces lauriers ne sauraient se flétrir, ni s’évanouir 
Comme un triomphe éphémère.
Sympathie et amour vivants étaient siens,
À même de voir et sentir les besoins de ses frères ;
Elle contemplait l’âme pure de l’enfant
Consciente de sa grandeur aux yeux de notre Père, 
Sa foi en cela assurée, que d’en haut lui venait 
La Confiance, qu’elle garda précieusement ;
Donnant sa vie pour que soient comblés
Les nombreux appétits de ses enfants. 
Le monde entier a part à son grand amour,
Et nous, si petite ou grande que soit notre bravoure,
Pouvons sentir l’Esprit du plus grand des Maîtres,
Donné pour réconforter ceux qui, affligés et abattus 
À la pensée de la tâche qui leur est dévolue, 
Devenir notre Force et notre Guide. 
C’est ainsi qu’ensemble nous pourrons 
Avec la confiance d’un enfant et la pureté des intentions
Remplir notre mission et avec elle œuvrer, 
« Notre chef pour toujours et à jamais ».

D.J. (ancien élève, H.O.E.)

Note de la traductrice :

1 Punch était un hebdomadaire humoristique et satirique britannique.
2 Anthony Trollope (1815-1882) est l’un des romanciers britanniques les plus célèbres.
3 Richard Chenevix Trench (1807-1886) était un archevêque et poète anglican.
4 Le trolle est une jolie fleur orangée qui aime les sols humides. Son nom anglais, Globe Flower, fait référence à son aspect très arrondi.
5 Dans le Nouveau Testament, Jésus transfigure au sommet d’une montagne.
6 En 1895, Frances Alice Blogg Chesterton (1869-1938), poète et auteure, commence à travailler comme secrétaire et administratrice à la Parent’s National Educational Union. Elle y planifie et organise des conférences, prononce des discours et édite leurs publications. Elle se marie avec G.K. Chesterton, écrivain et philosophe anglais très connu, en 1901.
7 Le bureau de Londres situé au 26, Victoria Street, est mentionné dans les programmes de la PNEU. Il semble qu’il gérait l’aspect financier des programmes et l’envoi des livres, des cahiers d’exercices, des différents papiers, les ressources pour la peinture ou le dessin, etc. En bref, une bonne partie du matériel proposé pour le travail des enfants.
8 Maison des époux Chesterton sur Grove Road. Ils y vivèrent de 1922 à 1936 (date de la mort de l’écrivain Gilbert Keith Chesterton). https://themarianroom.com/saving-chestertons-beaconsfield-home/.

©2023 Traduction française de Maeva Dauplay. Traduction française des poèmes de The Saviour of the World de Sarah Eisele. Relecture et révisions : Sylvie Dugauquier.

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