Note de Charlotte Mason Poetry par Art Middlekauff : En 1919, un groupe d’étudiantes de la Maison d’Education de Charlotte Mason a été invitée à « écrire un essai sur un sujet suggéré par les volumes de la série L’Éducation à la maison »1. Charlotte Mason elle-même révisa ensuite ces essais et les publia dans les premières pages du numéro de novembre 1919 de The Parents’ Review sous le titre « A Symposium ». Les élèves choisirent une variété de sujets, incluant l’autorité, l’histoire, l’imagination, la vérité et l’éducation physique.

Une élève nommée D. Marjorie Peace choisit comme sujet « L’habitude ». Son essai révèle une bonne compréhension, non seulement de la philosophie de l’habitude selon Mason, mais aussi de la façon dont cette philosophie est liée à la vie réelle. Trois ans plus tard, Mason écrira dans une lettre privée à Henrietta Franklin : « Je pense que tout ce que j’ai écrit est toujours vrai, mais j’insisterais moins sur l’habitude etc. »2 La sélection par Mason de la dissertation de Marjorie Peace nous aide à mettre cette note en perspective. À la fin de sa vie, Mason croyait toujours que ce qu’elle avait écrit était vrai. Et elle permit à Miss Peace de mettre l’accent sur l’habitude.

Par D. Marjorie Peace
Parents’ Review, 1919, pp. 726–728

La majorité d’entre nous ne se rend peut-être pas compte à quel point l’habitude nous est utile. Dans d’innombrables cas, elle nous épargne cet effort de discussion qui est tellement usant et fatigant, même pour de petites choses. Si cet effort est fatigant pour les « grandes personnes » qui ont des années d’expérience, à quel point doit-il naturellement l’être pour les enfants qui n’ont pas l’expérience nécessaire pour les aider ; c’est la raison pour laquelle il est de notre devoir d’aider les enfants à prendre de bonnes habitudes dont ils pourront se servir tout au long de leur vie.

L’habitude suit les mêmes processus que la nature, mais elle est beaucoup plus solide, et lorsqu’elle fonctionne conformément aux principes de la nature, elle n’utilise pas toute sa puissance. Si un enfant a l’habitude du désordre, nous devons l’aider à prendre l’habitude contraire de l’ordre, qui le suivra probablement toute sa vie, mais si l’enfant est naturellement ordonné, nous constatons que cette habitude lui est naturelle et qu’il n’est pas nécessaire de la former.

Un enfant n’est jamais trop jeune pour commencer à prendre des habitudes et il est du devoir de la mère de veiller à ce que son enfant prenne de bonnes habitudes dès le berceau. Elle peut l’aider à les prendre involontairement pendant qu’il est jeune, ce qui lui évitera d’avoir à les prendre plus tard. Elles seront devenues une partie de sa nature, une partie de lui-même, et la plupart d’entre elles ne seront jamais perdues.

Nous savons, par notre propre expérience et par celle des grands hommes et des grandes femmes, tout ce que l’on doit aux soins d’une mère prodigués pendant l’enfance. L’institutrice, elle aussi, a une grande influence à mesure que l’enfant grandit et elle a pour devoir, ainsi que les parents, de réfléchir aux habitudes qu’il convient de former chez chaque enfant et de veiller à ce qu’une fois mises en place, elles soient bien intégrées.

Il faut beaucoup de tact, de vigilance et de persévérance, surtout pendant la première semaine, mais lorsque l’habitude est prise, il n’y a guère de crainte qu’elle soit rompue. La période dangereuse se situe juste avant que l’habitude ne soit tout à fait prise, lorsque, par exemple, nous pensons : « Molly s’est si bien souvenue jusqu’à présent que je ne prendrai pas la peine de la rappeler pour ranger ses affaires cette fois-ci. » La prochaine fois, Molly se souviendra que vous avez laissé passer une fois, et elle « oubliera » à nouveau et, peu à peu, l’habitude presque prise disparaîtra – chaque jour la rendant plus difficile à se rappeler.

L’habitude régit pratiquement toutes nos pensées et actions. Il est donc essentiel que nous soyons bien formés et que nous formions bien nos enfants afin que nos pensées, dont découlent nos actions, contribuent à notre amélioration et à celle de notre pays. Et le plus heureux dans tout cela, c’est que les habitudes et la formation d’habitudes sont un plaisir. Si nous disons à un enfant que nous essaierons de l’aider lorsqu’il oublie de prendre une nouvelle habitude et que nous faisons appel à son honneur pour essayer, il essaiera et prendra plaisir à le faire, surtout s’il sait qu’il nous fait plaisir.

Il est intéressant de voir comment chaque jour nous rapproche de notre but, celui de prendre une certaine habitude, et quand celle-ci est prise, le plus dur est fait et elle nous permet d’économiser du temps et des soucis pour le reste de nos journées.

Combien de fois examinons-nous une chose d’abord sous tel point de vue, puis sous tel autre, et la retournons-nous sans cesse dans notre esprit avant de prendre une décision, alors que si nous avions auparavant pris l’habitude de prendre une décision rapide et claire, cela nous aurait épargné du temps et des ennuis. Même lorsque la volonté décide, l’habitude est puissante ; prenons par exemple deux enfants qui jouent ensemble, l’une ayant pris l’habitude de ranger, l’autre de ne pas ranger. Cette dernière propose de sortir dans le jardin pour jouer avec Rover qui vient d’arriver, et elle veut se précipiter sans ranger les jouets qui ont été sortis. Ici, l’habitude de l’enfant ordonnée et sa volonté se conjuguent et, bien qu’elle ait très envie de sortir le plus vite possible, elle rangera d’abord ses affaires, alors que si elle n’avait pas cette habitude, sa volonté n’aurait peut-être pas été assez forte pour résister à la tentation de sortir immédiatement.

Si les habitudes sont si puissantes, qu’elles ont en réalité le pouvoir de « dix natures » et que nous les formons chez un enfant, nous pourrions nous demander si cela ne prive pas l’enfant de son libre arbitre. Mais chacun de nous n’est-il pas soumis à des habitudes, notre vie entière ne comporte-t-elle pas des dizaines d’habitudes par jour ? S’il n’en était pas ainsi, notre vie serait vraiment épuisante. Chaque fois que nous voudrions accomplir une action simple et, pour nous, machinale, comme se brosser les cheveux, faire son lit, passer quelque chose à quelqu’un quand on nous le demande, dire « merci » à quelqu’un, nous devrions faire des efforts de décision répétés et cela nous fatiguerait très vite.

Par conséquent, compte tenu de tous ces avantages, essayons d’aider les petits qui sont encore inexpérimentés à prendre leur place dans le monde en tant qu’hommes et femmes nobles – aidons-les à former des habitudes dignes et utiles pendant qu’ils sont jeunes afin qu’ils puissent les former pour eux-mêmes lorsqu’ils seront plus âgés. Épargnons-leur également le travail de décision sur des questions mineures, ce qui serait fatigant et usant pour eux et qui n’est vraiment pas nécessaire.

Note de Charlotte Mason Poetry :

1 The Parents’ Review, vol. 30, p. 721.
2 Letters from Charlotte Mason to Henrietta, i2p17cmc309.

Version française de l’article publié par Charlotte Mason Poetry avec leur autorisation. (Traduction ©2023 Sylvie Dugauquier. Relecture et révisions Charlotte Roman)

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