Note de Charlotte Mason France : A l’occasion du centenaire de la mort de Charlotte Mason, l’équipe de Charlotte Mason France est ravie de vous proposer la traduction en plusieurs articles du livre « In Memoriam: Charlotte M. Mason ». Le livre s’ouvre par un poème écrit par Charlotte Mason, « The World to Come (The Disciple) », puis est composé de deux parties :
– la première partie, en deux chapitres, correspond à deux discours prononcés par Charlotte Mason lors de la dernière conférence à laquelle elle a participé avant sa mort survenue le 16 janvier 1923. Cette conférence, donnée à la Pentecôte en 1922, réunit des centaines de personnes venues de divers endroits d’Angleterre et d’ailleurs, toutes unies par les principes de la pédagogie de Charlotte Mason ;
– la deuxième partie rassemble des textes d’amis, étudiants, collègues, éducateurs… prononcés lors du service commémoratif ou écrits pour les éditions spéciales du Mémorial de la Parents’ Review. Tous ces témoignages et souvenirs partagés offrent un regard plus intime sur Charlotte Mason et ceux qui ont partagé sa vie.
(3) L’hommage des enfants.
I.
Je suppose que les pensées qui nous viennent à l’esprit sont celles de la gratitude pour la grande et affectueuse amie qui nous a quittés, pour son esprit serein et joyeux, sa merveilleuse intelligence, son efficacité et ses grandes réalisations, la beauté de son âme et la gracieuse beauté de sa personne.
Miss Mason était malade depuis quelques semaines et, le jour de son anniversaire, son lit fut descendu dans le salon où, entourée de livres et de beaux tableaux, elle avait l’habitude de voir ses amis et ses étudiantes au travail, allongée sur un canapé près des portes-fenêtres qui donnaient sur le jardin avec ses pelouses, ses arbres, ses oiseaux et sa vue sur les montagnes. Il y avait toujours une noix de coco accrochée à la fenêtre pour les mésanges.
Elle avait fêté ses 81 ans le jour de l’an, mais, malgré un corps frêle – qui, en fait, avait pris un peu de force ces dernières années – elle semblait jouir d’une jeunesse éternelle, et l’acuité et la vigueur de son esprit n’étaient pas altérées. Elle avait travaillé le vendredi et avait établi les programmes de la P.U.S. tôt le samedi matin, après avoir parlé de la beauté du ciel étoilé, avec un mot de plaisanterie à l’infirmière, elle tomba dans un sommeil tranquille qui dura jusqu’à ce qu’elle meure, très paisiblement, à midi, le mardi 16 janvier.
Elle a été enterrée hier (19 janvier) dans le paisible cimetière d’Ambleside. Le révérend H. Costley-White, président de l’exécutif de la P.N.E.U., a dit la messe, assisté de son ami, le révérend F. Lewis et du révérend J. Bolland, vicaire d’Ambleside. Le ciel était plombé et il a plu pendant les funérailles – certains pensent que c’est sous un ciel gris que la région des lacs est la plus belle. Le cercueil était recouvert de fleurs, et des fleurs (y compris celles envoyées par l’association des étudiantes) ont été portées en procession par ses amis et collègues, le personnel de Scale How, les anciennes et actuelles étudiantes et les enfants de l’école pilote. On sentait que des milliers de personnes, dans le monde entier, pensaient à elle ce jour-là, et des centaines de personnes ont envoyé des hommages d’amour et de gratitude. Beaucoup ne l’avaient jamais vue mais elle les avait aidés et inspirés, tels que les enfants d’une école élémentaire, ceux d’une école préparatoire pour garçons « au nom de tous ceux qui sont passés par l’école », des élèves d’écoles secondaires et privées pour filles et des enfants éduqués à la maison.
Miss Mason avait acquis une grande notoriété. Ses écrits et la P.N.E.U. qu’elle a fondée il y a 36 ans se sont largement répandus, elle a formé quelque 400 étudiantes et (en comptant celles des quelque 200 écoles élémentaires et 100 écoles secondaires) ce sont quelques 40.000 enfants – dont beaucoup vivent dans des pays lointains – qui travaillent actuellement avec la P.U.S., ses élèves, dont elle suivait les travaux avec le plus grand intérêt.
Outre ses propres organisations, elle a inspiré le travail d’autres personnes. Même là où son travail n’est pas connu, l’influence de ses idées a imprégné l’éducation moderne, et beaucoup de choses qui étaient nouvelles lorsqu’elle les a enseignées pour la première fois sont maintenant acceptées partout. Mais dans bien des domaines, elle est encore loin devant et ce n’est que lorsqu’elles sont utilisées comme un tout équilibré que les méthodes de la P.N.E.U. donnent leurs meilleurs résultats.
Miss Mason était aimée de tous ceux qui la voyaient et avait de nombreux amis chers et intimes. Elle avait le pouvoir de voir et de faire ressortir le bon côté de chacun, mais je pense qu’elle aimait surtout les enfants. « Pour le bien des enfants » est la devise de la Maison de l’Education, et c’est pour le bien des enfants qu’elle vécut et travailla. Elle leur a donné une éducation qui est « une atmosphère, une discipline, une vie », elle les a respectés en tant que « personnes » et a reconnu leur besoin de nourriture mentale pour qu’ils puissent grandir. Elle leur a donné des livres vivants, l’amour de la littérature, de l’art, de la nature, de l’artisanat, la joie d’apprendre et une vie bien remplie. Elle n’a jamais permis que les méthodes qu’elle a développées ou, comme elle préférait le dire, « trouvées par hasard », soient appelées par son nom ; elles ont toujours été « P.N.E.U. ». Son œuvre se poursuivra, non seulement parce qu’elle doit être administrée par ceux qu’elle a choisis et formés pour cette haute responsabilité, mais aussi en raison de sa vitalité et de sa vérité intrinsèques.
PAR UN ANCIEN ÉLÈVE.
II.
Mon premier souvenir de Miss Mason remonte à l’époque où je la voyais en voiture. Elle souriait et saluait tous ceux qu’elle connaissait, et c’est avec un sentiment de plaisir et d’exultation que l’on continuait après l’avoir saluée.
Il est merveilleux de penser que la grande fondatrice de la P.U.S. et de la P.N.E.U. a salué et souri à une personne aussi insignifiante que moi. Pendant près d’un an, j’ai eu l’occasion de la voir ainsi, car j’avais la chance de suivre des cours dans le système de la P.N.E.U. près d’Ambleside.
Un été, j’ai eu le grand privilège d’être invitée à une fête à Scale How. Tous les invités furent accueillis par Miss Mason dans son magnifique salon. Elle nous mit tout de suite à l’aise par son accueil doux et tendre. Elle regarda tous les jeux et les courses qui faisaient partie des divertissements de l’après-midi et, à l’heure du thé, elle se rendit à une table où les petits étaient assis et prit le thé avec eux.
Il avait été convenu que j’irais à l’école de pratique de la H.O.E. le trimestre suivant.
Ce trimestre a commencé un samedi à la fin du mois de septembre. Le dimanche, nous sommes allées voir Miss Mason. Je me souviens de la gentillesse avec laquelle elle nous a toutes embrassées lorsque, l’une après l’autre, nous sommes entrées dans le salon où elle était allongée sur son canapé. Elle nous a ensuite parlé de notre travail pour le trimestre et nous a congédiées d’un signe de tête et d’un sourire.
Après cela, nous l’avons vue constamment en voiture, aux leçons de critique ou lors de nos visites au Collège. Une chose dont je me souviendrai toujours, c’est qu’après la Conférence des membres, nous fûmes convoquées chez Miss Mason, qui nous remercia pour notre participation à la Conférence. Elle n’avait pas à nous remercier. C’était à nous de la remercier pour l’éducation libérale et les livres qu’elle avait mis à notre disposition.
Lors de nos soirées dans le salon, lorsque nous devions jouer devant Miss Mason, elle avait toujours un charmant sourire et quelques mots pour nous encourager.
Chaque fois que je pense à Miss Mason, je vois toujours ce même beau sourire qui nous faisait l’aimer et la respecter davantage chaque fois que nous la voyions.
E. DA FONSECA
III.
Je suis sensible à l’honneur qu’on me fait en me demandant d’écrire quelques-uns de mes souvenirs personnels de Miss Mason ; et je sais que ce que j’écris aura été l’expérience de beaucoup d’autres également. Lorsque, à l’âge de douze ans, je suis venue pour la première fois à l’école pilote et que j’ai vu Miss Mason, les autres filles m’avaient soigneusement expliqué qu’il s’agissait d’une personne exceptionnelle et merveilleuse ; je fus très impressionnée de voir une personne d’une telle sagesse et d’un tel savoir, et très surprise de constater qu’elle était la personne la plus douce et la plus gentille que j’avais jamais vue. Et c’est là, je crois, l’un des principaux charmes de Miss Mason : elle était si douce, si calme, si discrète, et pourtant sa personnalité était si dominante que tout le monde sentait, lorsqu’il était avec elle, qu’il se trouvait en présence d’un esprit vraiment merveilleux.
Parmi les souvenirs les plus heureux que j’ai de Miss Mason, il y a cette image quasi quotidienne d’elle que nous avions l’habitude de voir lorsqu’elle descendait l’allée lors de ses sorties en voiture. Une grille du portail était généralement fermée, et pendant que Barrow descendait pour l’ouvrir, nous nous précipitions à la fenêtre pour saluer Miss Mason, car elle nous saluait toujours et nous souriait chaque fois que nous la voyions.
Nous avions l’habitude de voir Miss Mason à certaines occasions mémorables, notamment lors des soirées de salon musicales que nous organisions au collège une fois par trimestre. Vêtues de nos plus belles robes, nous allions à Scale How et jouions le morceau que nous avions répété pendant tout un trimestre devant Miss Mason, le personnel et une salle remplie d’étudiantes, et c’était pour nous une terrible épreuve.
Mais cela aurait pu être bien pire !
Miss Mason était la plus douce et la plus gentille des critiques pour nous, pauvres enfants nerveux, et elle ne manquait jamais de faire une remarque encourageante à chacune d’entre nous lorsque nous avions fini au piano.
Au début de chaque trimestre, nous avions l’habitude de monter au collège pour saluer Miss Mason, qui nous parlait du trimestre à venir et nous demandait des nouvelles de nos vacances : elle connaissait chacune d’entre nous par son nom et, très souvent, s’informait sur les membres de notre famille qu’elle avait rencontrés. À la fin de chaque trimestre, nous allions lui dire « au revoir » et elle nous demandait si nous avions aimé les examens, si nous pensions avoir bien travaillé, ce que nous allions faire pendant les vacances et bien d’autres questions de ce genre.
J’ai eu le privilège d’être préparée à la confirmation à Ambleside, et une fois par semaine, les deux autres candidates de l’école pilote et moi-même allions voir Miss Mason pour discuter tranquillement. Je doute que nous ayons réalisé l’ampleur de l’honneur qui nous était fait.
À la fin de chaque trimestre d’été et d’automne, Miss Mason organisait une fête pour nous, à laquelle, si sa santé le lui permettait, elle était toujours présente. Pendant le thé, elle venait s’asseoir un moment à chaque table, parlant et souriant avec nous tous, et puis il y avait des éclats de rire – Miss Mason avait posé une nouvelle énigme ! Elle aimait beaucoup les devinettes et les histoires drôles et en demandait toujours lors des fêtes, et grande était la joie de la jeune fille qui pouvait poser à Miss Mason une nouvelle devinette qu’elle n’avait jamais entendue auparavant.
Au cours de l’année dernière – ma première année à la Maison de l’Education – j’eus un contact beaucoup plus personnel avec Miss Mason, et je fus de plus en plus émerveillée par son merveilleux esprit, sa merveilleuse personnalité et sa merveilleuse vitalité. Tous ceux qui la connaissaient l’aimaient ; et tous ceux qui entraient en contact avec elle se rendaient compte comme son influence était grande, et lorsqu’ils quittaient sa présence, ils se sentaient élevés et inspirés pour des choses plus nobles.
En regardant cette douce vieille dame aux cheveux gris, il était étrange de penser qu’elle tenait entre ses mains le fonctionnement d’écoles dans le monde entier et qu’elle avait réuni les parents, les enseignants et les enfants sur une terre heureuse d’amour, de travail et de service.
Les anciennes élèves de la Maison de l’éducation ont souvent dit que les deux années qu’elles y ont passées ont été les plus heureuses de leur vie, et c’est vrai -– je sais que je le dirai quand je partirai – et c’est principalement grâce à l’esprit du lieu, tout le monde est heureux et aime tout le monde, et il en sera toujours ainsi parce que l’esprit de Miss Mason sera toujours là et que son souvenir sera fidèlement et affectueusement entretenu.
OLIVE MARCHINGTON
IV.
Miss Mason faisait partie des grands de ce monde et je me sens donc indigne d’écrire sur elle, mais comme j’ai eu le grand privilège de la connaître en tant qu’élève, je pense que certains de ceux qui ne l’ont jamais rencontrée aimeront peut-être entendre quelques souvenirs personnels.
Miss Mason n’était pas seulement la fondatrice et la bienfaitrice bien-aimée, mais aussi l’amie de chaque enfant élevé avec la P.U.S. Celles d’entre nous qui sont venues à Ambleside en tant qu’étudiantes après leur formation avec la P.U.S. ont eu l’honneur de la connaître d’une manière très spéciale, mais tous ces milliers d’enfants de la P.U.S. qu’elle n’a jamais vus ont été ses amis. Je n’oublierai jamais la première fois que je l’ai vue et ce qu’elle m’a dit. J’arrivais à Ambleside quinze jours après le début de l’année scolaire et je me sentais très timide et seule, ne connaissant personne. Lorsque je suis entrée dans le salon pour la voir, elle m’a tendu les deux mains et m’a dit : « N’est-ce pas drôle de penser que nous sommes de si vieilles amies et pourtant, c’est la première fois que nous nous voyons ! »
Nous ne voyions pas beaucoup Miss Mason au cours de la journée, mais son influence se faisait sentir de façon remarquable dans toute la maison, qu’elle soit présente ou non. Cette influence était entièrement spirituelle, et nous pouvons donc croire et savoir avec certitude qu’elle règne toujours sur Scale How. Peut-être même d’une manière plus réelle qu’elle ne l’a jamais été. Et elle n’est pas seulement ressentie à Scale How, mais dans le monde entier, partout où son enseignement s’est répandu.
Miss Mason avait toujours l’habitude de déjeuner avec nous lorsqu’elle se sentait suffisamment bien, et c’était l’un des privilèges des élèves les plus âgées de s’asseoir à sa table – et c’était un privilège de s’asseoir à côté d’elle et de parler avec elle. Elle essayait toujours de connaître nos idées et nos points de vue sur les sujets avant de nous donner les siens. Si nos opinions ne coïncidaient pas tout à fait avec les siennes, elle nous disait simplement et gentiment ce qu’elle en pensait et nous laissait y réfléchir. Et après avoir réfléchi, d’une manière ou d’une autre, nous nous rendions toujours compte qu’elle avait raison et que nous avions tort.
Comme elle aimait les livres ! C’est-à-dire les vrais livres vivants. Elle avait l’habitude de nous parler d’eux avec tant d’amour, comme s’il s’agissait d’amis. Souvent, je le crains, nous, les étudiantes, n’avions pas lu les livres en question, mais elle nous laissait toujours avec l’envie de les lire.
Quel sens de l’humour elle avait aussi ! Elle aimait beaucoup Punch et à l’heure du déjeuner, le mercredi, elle avait généralement plein de petites anecdotes qu’elle y avait lues.
À 16h15, le dimanche après-midi, nous allions dans le salon pour des « méditations » avec Miss Mason. Nous lui lisions des passages de la Bible, puis elle en discutait, donnant ses idées et essayant de nous faire comprendre le sujet. Les différents volumes de The Saviour of the World étaient en fait le résultat de « méditations » avec d’anciens élèves. C’est au cours de cette heure que nous avons vu plus clairement qu’à tout autre moment à quel point elle vivait étroitement avec Dieu. Pourtant, elle était si humaine et si humble, l’une de ses citations favorites étant « qu’il est très difficile d’être chrétien ». Je pense que de toutes les « Meds » auxquelles j’ai assistées, j’ai surtout apprécié ses conférences à la Pentecôte. Elle était elle-même tellement remplie du Saint-Esprit que ses paroles semblaient avoir été inspirées.
Le cadeau qu’elle offrait aux étudiantes qui la quittaient était toujours « The Cloud of Witness », édité par Mrs Gell1. C’est l’un des nombreux liens qui unissent toutes les anciennes élèves. Il est bon de penser qu’elle fait maintenant partie de cette “nuée de témoins”.
M.H.
Ancienne étudiante et élève de la P.U.S.
V.
Miss Mason consacra toute sa vie aux enfants, qu’ils soient riches ou pauvres. En fait, elle avait pour devise « Pour le bien des enfants », et elle garda cette idée à l’esprit tout au long de sa vie. Tout le monde l’aimait, surtout les enfants, et on ne pouvait s’empêcher de ressentir son influence, même si on ne s’en rendait pas toujours compte. Bien qu’elle était très intelligente, je ne pense pas que quiconque ait pu se sentir mal à l’aise en sa présence, et aucun d’entre nous n’aurait hésité à lui dire quoi que ce soit en cas de problème.
Elle s’intéressait toujours à tout le monde et à toutes les choses, même les plus petites ou les plus insignifiantes, et elle était très fière de savoir comment tous les enfants de l’école de l’Union des parents progressaient, même lorsqu’elle était très malade.
De nombreuses personnes l’ont connue par correspondance, d’autres en lisant ses livres, mais même en l’ayant rencontrée une ou deux fois, voire pas du tout, on ne pouvait s’empêcher de la connaître et de l’admirer.
Bien qu’elle ait été tout cela, elle était très humaine et pouvait sympathiser et comprendre n’importe qui. En fait, je n’ai jamais connu quelqu’un qui pouvait comprendre les sentiments de chacun de manière aussi profonde.
Mais je suis certaine que tous ceux qui ont connu Miss Mason, même s’ils ne l’ont peut-être jamais vue, poursuivront son travail comme elle l’aurait souhaité.
VERONICA WHITWELL
VI.
On m’a demandé d’écrire quelques mots sur mes premiers souvenirs de Miss Mason, car j’ai eu le privilège de la connaître dès mon plus jeune âge. Il est difficile de séparer les souvenirs d’enfance de sa personnalité très vive plutôt que de parler d’incidents marquants.
Elle avait l’habitude de séjourner chez nous lorsqu’elle se rendait à Nauheim pour son voyage annuel, et ses visites nous ravissaient, même si, en tant que personne invalide, on devait lui épargner la fatigue et le bruit, et que nous ne pouvions visiter sa chambre à coucher que séparément et à des moments particuliers. Je me souviens cependant d’une occasion où elle était assez en forme pour rester avec nous à la campagne et participer à la vie de famille et aux promenades en voiture. C’est là que Rudyard Kipling vint la voir, probablement pour entendre parler de ses méthodes, et “Le livre de la Jungle” était l’un de nos romans préférés. C’est sans doute à ce moment-là, ou peu après, que j’ai lu « Mowgli » à Miss Mason, probablement assise près de son lit, mais je ne m’en souviens pas tout à fait.
Faire la lecture à Miss Mason était un grand plaisir, car elle entrait véritablement dans l’esprit du livre, même si ce n’était qu’une histoire pour enfants, pourvu qu’il ait une certaine valeur littéraire.
Une fois, à l’école (pas de la P.N.E.U.), une camarade lança le défi qu’on lise, elle et moi, l’intégralité du « Prélude » de Wordworth pendant le week-end. Cela me prit tout mon temps libre, mais Miss Mason resta à la maison et, en lui lisant et en écoutant ses commentaires occasionnels, j’ai vite oublié, dans le plaisir du poème, l’urgence de la « tâche » que je m’étais imposée. Je me sentis désolée lorsque mon amie, qui devait lire toute seule et disposait de moins de temps, m’avoua qu’elle s’était sentie trop pressée pour apprécier le poème.
Miss Mason avait un sens aigu de la précision dans l’utilisation des mots et n’aimait pas qu’ils soient utilisés de manière approximative ou incorrecte ou qu’ils soient mal prononcés. Elle interrompait rarement l’enfant lecteur par des critiques, mais elle avait un sens aigu de la manière dont un passage devait être rendu, et elle nous donna des leçons de lecture très utiles lorsque j’étais étudiante. Son excellent jugement littéraire fut diffusé grâce à son choix de livres pour l’école.
Miss Mason avait, bien entendu, beaucoup de sympathie pour les enfants et elle semblait toujours sincèrement heureuse d’en rencontrer un et jamais dérangée. Elle rayonnait d’affection et de gaieté et démontrait un vif intérêt pour beaucoup de sujets comme la nature, les plantes et les fleurs, les gens, les livres, la tenue de maison et les affaires liées à l’école et, (j’ai presque tout dit), tout ce qui était amusant. Elle avait un splendide sens de l’humour et aimait entendre ou raconter une bonne histoire. Elle inventait souvent des noms spéciaux pour ses amis et aimait taquiner les personnes qui lui étaient chères, mais sans jamais les blesser.
Je crois que les enfants appréciaient la joie sereine de son tempérament. Elle ne semblait jamais avoir de changements d’humeur malgré ses grandes responsabilités. Elle semblait toujours d’humeur égale et, bien que ses soucis et ses responsabilités devaient être importants, je ne l’ai jamais vue déprimée.
Je crains d’en avoir dit très peu – il y a beaucoup de choses qui ne peuvent pas être écrites et d’autres qui semblent insignifiantes sur le papier lorsqu’elles sont dissociées de l’atmosphère dans laquelle elles se sont produites. Comme des milliers d’autres, j’ai une grande dette envers l’enseignement de Miss Mason, bien que je n’aie été que quelques années à la P.U.S.
Miss Mason a témoigné de son amour, de son respect et de sa compréhension des enfants dans son travail. L’isolement que lui imposait sa santé l’empêchait de les voir autant qu’elle l’aurait voulu, mais elle prenait toujours plaisir à entrer en contact avec un enfant et lisait les copies d’examens des enfants avec un réel plaisir. Elle éprouvait une grande joie de savoir que ses élèves étaient des enfants instruits en famille, des enfants dans des écoles privées et secondaires et surtout des enfants dans des écoles primaires pour la classe ouvrière. Elle s’est vivement intéressée à l’Association des anciens élèves récemment créée, a établi elle-même le programme du cours de lecture et a réservé un accueil chaleureux au journal que l’Association a créé pour les enfants de l’école.
VII.
« Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes enfants, c’est à moi que vous l’avez fait.” [Matthieu 25:40]
Un grand cœur a cessé de battre, un grand esprit s’en est allé, le souvenir demeure.
J’ai eu le privilège de connaître Miss Mason. Nous étions tous « amis » au sein de la P.U.S., mais j’ai joui de ce que je considère comme l’une de mes plus grandes possessions, la joie particulière d’être personnellement connue d’elle. Presque chaque année, elle m’envoyait un livre signé « De votre amie d’Ambleside, C.M.M. ». Même ce dernier Noël, alors que sa santé déclinait, elle s’en est souvenue et a demandé qu’on m’envoie un livre de Wordsworth. Par conséquent, tout ce que je peux ajouter aux belles paroles qui ont été prononcées à son sujet doit être de nature très personnelle.
Elle a toujours été très attentionnée à l’égard de tous ceux qui l’entouraient. La dernière fois que j’ai eu la joie de séjourner sous son toit, elle a vu en moi un garçon qui venait de passer son examen à Oxford et a dit : « N’aimerait-il pas danser ? tous les jeunes hommes aiment danser ». Quelques minutes plus tard, elle pouvait voir ses élèves danser dans la salle de classe, les pupitres repoussés, et elle était heureuse que nous nous amusions. Combien de personnes âgées sont gênées par le bruit, quel qu’il soit, surtout lorsqu’elles sont malades.
Elle était une hôtesse si parfaite. À la même occasion, elle avait pris des dispositions pour que nous allions en voiture voir les Langdale Pikes, et au fur et à mesure que nous avancions, elle arrêtait la voiture à de bons points de vue, nous indiquait des jardins, nous montrait des oiseaux, demandant l’avis de Barrow sur leurs noms. Arrivés sous les pics, elle nous fit monter, Barrow et moi, pour regarder les cascades, et lorsque nous revînmes, un thé nous attendait à l’auberge, dans une pièce privée, et la fenêtre était grande ouverte, « Ainsi, nous avons l’impression d’être à l’extérieur ».
Je me souviens que que ma mère lui faisait la lecture, mais ce qui reste fixé dans ma mémoire, c’est son visage rayonnant, éclairé par le soleil de l’intérieur et le soleil de l’extérieur, et la joie de la nature en elle et la bonté de l’âme. Comme Henley2, son infirmité comptait pour si peu ; sa personnalité, la poésie de son esprit, pour beaucoup.
Elle me paraissait toujours souriante. Tout comme lorsque l’on regarde la Joconde au Louvre, peut-être la plus belle image de sourire jamais peinte, on se met à sourire soi-même, on se sentait en sa présence contraint de sourire – son sourire était en effet contagieux. Elle avait un grand sens de l’humour et de l’amusement. J’avais fait quelques vers sur la P.N.E.U. lors d’une conférence d’étudiants à Londres. Miss Mason en avait entendu parler et me les fit répéter, et elle rit joyeusement de ces plaisanteries. On pourrait vraiment l’appeler « La Joconde ».
Un petit livre qu’elle m’a donné a été une vraie et grande joie ; une petite anthologie intitulée « English Landscape ». Il est assez petit pour tenir dans la poche de mon gilet, et pourtant il contient tous les meilleurs poèmes. J’en ai lu des extraits à Venise, dans une gondole, et au sommet des montagnes des Alpes savoyardes, avec la neige autour de moi et le soleil brillant sur les rhododendrons sauvages, les soldanelles et les gentianes, et au fil des pages, j’ai toujours eu la vision de sa donatrice, une frêle petite dame au cœur le plus grand du monde, à l’intelligence la plus vive et à l’énergie la plus merveilleuse que j’aie jamais connue dans ma vie.
C’est de son enseignement que j’ai tout reçu. J’ai découvert récemment en France que le goût pour les fleurs que j’avais reçu quand j’étais à la P.U.S., mais que je n’avais pas cultivé depuis, m’était acquis pour toujours, et j’établis une liste de fleurs et un journal de la nature quand j’étais dans les Alpes. Il en est de même pour les tableaux en Italie et pour la littérature. Tout ce que je possède intellectuellement a ses racines dans l’enseignement de la P.U.S.
Certains diront que toute autre méthode aurait permis d’obtenir ces résultats. Je crois que l’on aurait pu obtenir l’une ou l’autre chose, mais je ne crois pas qu’une autre méthode contienne tout ce que les hommes pourraient désirer dans son enseignement ; c’est une anthologie de ce qu’il y a de mieux dans l’éducation. Miss Mason avait l’habitude de dire que tout ce qui était bon en soi devait être donné aux enfants.
Le mécanisme qu’elle a mis en place était si parfait que j’imagine – et c’est très beau – que ceux d’entre nous qui ne l’ont pas connue, mais qui ont subi son influence, se rendront à peine compte qu’elle est partie. Cela signifie que ce que Miss Mason a découvert était bon en soi et n’était pas seulement efficace en raison d’une personnalité dominante. La machine était mise en marche ; à chacun d’entre nous de la faire fonctionner.
Dans ses lettres, Miss Mason avait l’art de donner l’impression de comprendre et d’être en sympathie avec quelqu’un, d’être une âme sœur, de partager ses joies et ses intérêts. Lorsque je me présentai à un examen à Oxford, elle m’écrivit de façon si encourageante, si utile, si personnelle. « Oui, William Morris de MacKail”, écrit-elle, “est profondément intéressant. J’espère que ce ne sera pas trop pour votre esprit ardent en ce moment, alors que vous êtes si désireux de vous concentrer sur ce “sésame” pour Oxford. J’espère que vous vaincrez tous les obstacles en mars et que vous rendrez vos amis heureux… Faites-le ! » Une sympathie si douce et si utile ; puis, lorsque j’ai réussi l’examen : « La bonne nouvelle de votre succès m’a rendue très heureuse en cette belle matinée.”
Puis le désir : « J’aimerais être avec vous et votre mère bien-aimée pour boire un verre à Florence et bien d’autres choses encore » – de sa propre main et cela a dû lui donner beaucoup de mal à écrire.
J’ai toujours pensé que Miss Mason avait quelque chose de la fée, du Puck, du « Lob » dans « Dear Brutus »3. Elle était si jeune et si fantaisiste (pour moi) dans son corps de vieille dame qui ne changeait jamais.
La lettre qu’elle m’adressa au moment de ma confirmation contient beaucoup de choses trop privées pour être citées, mais une phrase comme « Je pense qu’il est heureux d’être un garçon à une époque où l’air est plein de grandes pensées et de grands desseins » est une si belle pensée et donne un aperçu de son caractère.
J’ai eu le grand privilège de voir des enfants de l’école primaire faire le même travail que nous à l’école, aimer les mêmes livres, les mêmes tableaux ; voilà un exemple du « bien qu’elle a fait aux jeunes enfants » ; voilà ceux dont la vie a été éclairée par la lumière de sa sagesse, voilà le résultat visible de son service à l’humanité et à Dieu.
Je voudrais ici rendre hommage à ceux qui ont si longuement aidé Miss Mason, chacun selon ses possibilités, dans son œuvre et son interprétation. C’est pour eux, bien sûr, que sa disparition est la plus douloureuse. Je voudrais qu’ils sentent que nous leur en sommes reconnaissants, tant ceux qui, à Ambleside, l’ont soignée et aidée, que ceux qui, à Londres, ont rendu possible son travail et sa diffusion. Tout comme Dieu n’aurait pas pu fabriquer les violons de Stradivarius sans Stradivarius, Charlotte Mason n’aurait pas pu créer la P.N.E.U. sans ses assistantes et ses disciples.
Miss Mason, comme on le sait, a été à l’origine de beaucoup de choses que l’on retrouve aujourd’hui dans presque tous les systèmes éducatifs : la copie, l’appréciation musicale, le scoutisme, les soirées littéraires. Elle a rendu des milliers de foyers plus heureux, des milliers d’enfants plus intelligents. Elle semblait donner un peu d’elle-même à ses élèves. J’ai toujours dit que nous, les élèves, pouvions invariablement reconnaître une gouvernante de la P.N.E.U. ; elle a toujours quelque chose que les autres n’ont pas.
« Je suis, je peux, je devrais, je ferai » est la devise qu’elle nous a donnée. Je suis un être humain, l’un des enfants de Dieu ; je peux faire preuve de respect envers mon prochain et moi-même ; je devrais le faire et, Dieu me vienne en aide, je le ferai. N’est-ce pas un message formidable qu’elle nous a transmis ?
Ses élèves ont choisi comme emblème de son enseignement, reflétant l’humilité d’esprit diffusée dans le collège et le désir de Miss Mason de ne pas s’honorer, « L’humble Plante » ou « L’humile Pianta ».
Elle-même était une « humble plante ». Elle était frêle, le vent est passé sur elle et elle a disparu, mais son esprit vit toujours. Et tant que ses enfants vivront, son esprit restera vert et frais et sa parole passera de lèvres en lèvres.
Tout comme elle était humble, soyons-le aussi – car elle n’a jamais pensé que sa voie était la voie, mais seulement une voie. Elle était forte et droite et donc nous aussi soyons forts et droits et rappelons-nous d’elle en tant qu’enseignante, philosophe et amie.
MICHAEL A. E. FRANKLIN.
VIII.
Sa beauté était rare et réconfortante…
Une force pour endiguer la marée du mécontentement
Et à la fois pour semer de nouvelles graines.
Donne-nous, ô Temps, d’apprendre ce qu’elle enseignerait ;
De rester dans l’instant, pour y trouver
La mesure de Dieu pour nos besoins.
Note de la traductrice :
1 « The Cloud of Witness » (« La nuée des témoins »– Hébreux 12:1) d’Edith Gell (1860–1944), est une compilation de citations, versets bibliques et poèmes dévotionnels (de George MacDonald, William Wordsworth, Lord Tennyson, William Shakespeare, Ralph Waldo Emerson, etc.). ↑
2 William Ernest Henley (1849 – 1903), poète anglais et critique. Henley contracta la tuberculose et dut être amputé d’un pied. Il était un ami de longue date de Stevenson qui basa, en partie, le personnage de Long John Silver sur son ami invalide. ↑
3 « Dear Brutus » est une pièce de théâtre fantastique de 1917 de J. M. Barrie, l’auteur de Peter Pan. Le thème de la pièce est de savoir s’il serait bénéfique pour les gens de pouvoir refaire leur vie et de faire des choix différents. Les personnages sont des couples insatisfaits, qui ont tous le sentiment d’avoir pris un mauvais tournant dans la vie. Ils sont réunis dans la maison d’un vieil individu portant le nom shakespearien de Lob, qui est décrit comme « tout ce qui reste de la joyeuse Angleterre ».
Le « lob » est aussi le nom d’une créature magique du folklore britannique, une sorte de Korrigan. ↑
©2023 Traduction française de Maeva Dauplay. Relecture et révisions : Sylvie Dugauquier.